Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri : « Barbarossa. 1941. La Guerre absolue » (Passés Composés)

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Un monument historiographique ! Le qualificatif n’est pas galvaudé. Après « Joukov » et « Grandeurs et misères de l’Armée Rouge », le duo formé par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri a publié, pour la rentrée un ouvrage de plus de huit-cent pages consacré à l’Opération « Barbarossa », fruit de plusieurs années de recherche à quatre mains, au milieu d’archives allemandes et russes.

– « Barbarossa » présente la grande originalité de ne pas se concentrer exclusivement sur l’aspect militaire de l’opération. En effet, loin de n’avoir été qu’une campagne militaire stricto sensu, « Barbarossa » a été un affrontement titanesque entre deux systèmes totalitaires, avec ses dimensions politiques, géopolitiques, économiques et idéologiques. La première partie de l’ouvrage livre des lignes passionnantes sur les racines culturelles et psychologiques du plan d’invasion de l’URSS par l’armée nazie, avec le précédent de la campagne de 1918 de Ludendorff et Max Hoffmann. Les auteurs pointent aussi les contradictions de la vision géopolitique et la diplomatie allemandes de l’Entre-deux-guerres, dans les relations à entretenir avec la Russie des Soviets (influence des Russes et Baltes blancs dans certains cercles mais fascination pour le Bolchévisme et Lénine dans d’autres milieux…). Mais la comparaison vaut aussi pour la diplomatie de Staline, lequel cherche constamment à gagner du temps jusqu’à signer le Pacte de 1939. La question diplomatique est étoffée par les alliances ambigües, sinon bancales, contractées entre le Troisième Reich, ses états satellites, la Finlande et le Japon. En face, si l’alliance entre Staline, Churchill et Roosevelt n’est pas exempte de grincements, de préjugés et d’ambigüités, elle se révèle plus solide sur un plan stratégique.

– Du point de vue des opérations, Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri montrent bien comment les deux Armées n’ont pas su anticiper les difficultés d’une campagne aux affrontements titanesques. D’un côté, l’excellence tactique allemande ne peut cacher l’arrogance d’Hitler et de ses généraux qui ont surestimé la capacité de la Wehrmacht à soutenir une campagne dans un large espace mais dans un temps restreint. Les auteurs mettent aussi à bas le mythe, ayant eu cours après-guerre, selon lequel Hitler aurait tout gâché en privilégiant la prise de Kiev au détriment de la marche vers Moscou. Au contraire, J. Lopez et L. Otkhmezuri montrent comment l’incohérence des plans allemands, de même que l’hubris des généraux Halder, von Bock ou Guderian. Pour ce qui est des Soviétiques, les auteurs montrent à quel point « Barbarossa » surprend l’Armée Rouge, alors en pleine recomposition après les purges de 1937 et la « Guerre d’Hiver » contre la Finlande. Au point de vue de la coordination inter-unités ou interarmes, l’Armée Rouge souffre de graves lacunes, bien qu’elle ait réservé de désagréables surprises à l’envahisseur (les chars T-34 et KV-1 par exemple). Plus grave, elle « vit » avec la chape de plomb du NKVD, lequel fusille beaucoup en pleine catastrophe, tandis que les généraux soviétiques subissent la férule paranoïaque de Staline. L’effarement gagne le lecteur lorsque les deux auteurs expliquent comment le régime stalinien s’évertue à traquer et éliminer les prétendus traîtres et ennemis de l’intérieur qui sont, selon lui, responsables des défaites. L’Armée Rouge s’est davantage redressée, sous la conduite de généraux compétents (Joukov) et donc capables de tirer des enseignements la gigantesque ordalie de l’été 1941.  Dans ce même thème, la conduite des opérations par les deux camps font l’objet d’études très complètes.

– Enfin, J. Lopez et L. Otkhmezuri montre comment l’entreprise génocidaire et destructrice des nazis est consubstantielle à « Barbarossa ». En effet, alors que la Wehrmacht inflige défaite sur défaite aux Soviétiques, avant de subir de sérieux coups d’arrêts, les arrières du front font l’objet de tueries de masse, contre les Juifs de Biélorussie et d’Ukraine mais aussi contre les civils, soupçonnés d’être des partisans (hantise de l’armée allemande), sinon leurs complices. Sur ce sujet, l’ouvrage contribue à mettre à bas la légende d’une « Wehrmacht honorable » composée de « soldats comme les autres ». En effet, s’il est inconcevable de réduire le rôle criminel des Einsatzgruppen, l’Armée de terre participe largement aux tueries de masse, aux famines et aux massacres de prisonniers. Parallèlement aux exécutions spontanées – bien souvent couvertes par la hiérarchie – les von Manstein, von Reichenau, von Leeb et d’autres généraux allemands ont approuvé sans broncher la politique d’Hitler et signé des ordres allant dans ce sens. Sur ce thème, le grand mérite de l’ouvrage est de montrer l’interaction entre la Heer, l’administration des territoires conquis et l’appareil SS. Mais cette politique mène dans une impasse. Engoncés dans leur vision raciale (et raciste) de la guerre sur l’Osfront, politiques et militaires allemands – à l’exception notable de Rudolf Schmidt – ne comprennent pas l’intérêt de s’appuyer sérieusement sur les Ukrainiens, comme celui de retourner les populations paysannes de Russie et de Biélorussie. Mais cela va à l’encontre de la vision hitlérienne de coloniser les territoires conquis avec des paysans soldats et maintenir une population slave suffisante pour satisfaire aux besoins en bras. Et à l’inverse, Hitler, « guidé » par Rosenberg préfère imaginer la concrétisation de projets chimériques, tels la création d’une « Riviera allemande » et même d’un nouveau « Pays des Goths » en Crimée (laquelle est affamée par l’occupation sauvage de von Manstein).

« Barbarossa 1941. La Guerre absolue » est donc un ouvrage incontournable pour tous ceux et celles qui souhaitent avoir une vision complète du front de l’Est. Un incontournable qui fera date.  

 

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