« On ne passe pas » : visite du Gros Ouvrage du Hackenberg (Moselle)

En cette année où nous allons commémorer les quatre-vingt ans de la Campagne de France – et à l’heure où se taisent les voix des derniers acteurs de cette tragédie militaire –, une visite d’un fort de la Ligne Maginot s’imposait.

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Direction la Moselle et plus particulièrement le Fort du Hackenberg, l’un des plus remarquablement entretenus et qui met bien en évidence le degré de sophistication du système fortifié français. J’en profite pour remercier tout particulièrement l’Association AMIFORT-Veckring et notre guide Bernard, pour la qualité de la muséographie et des explications, lesquelles nous ont permis de connaître une véritable « immersion » dans le domaine poliorcétique de l’Avant-Guerre et de 1939-1940. Tout d’abord, un bref aperçu géographique. L’ensemble fortifié du Hackenberg est situé sur la commune de Veckring (prononcer « Vekrin ») à l’est du cours de la Moselle, entre Veckring et Sarrelouis et au sud de Sierck-lès-Bains. Il « flanque » ainsi le Gros ouvrage du Galgenberg à l’est (secteur de Cattenom) et celui du Michelsberg à l’ouest (Dalstein) et contribue à couvrir la frontière face à l’axe Schengen (frontière franco-germano-luxembourgeoise) – Merzig – Beckingen – Sarrelouis. Sa construction s’est étalée entre 1929 et 1935.

Le terme « Gros ouvrage » est plus approprié que celui de « Fort ». En effet, comme ses « frères », le Gros Ouvrage du Hackenberg est d’abord un Continuer à lire … « « On ne passe pas » : visite du Gros Ouvrage du Hackenberg (Moselle) »

Le FMC 2C, ou conserver un anachronisme en 1940

Conservé dans le parc blindé français en 1940, ce char lourd d’accompagnement était alors une antiquité sur chenilles. Pourtant, le commandement décida d’engager le FMC 2 contre les Allemands… avec un résultat pour le moins pathétique. Cruelle ironie pour un engin qui avait pourtant été conçu selon la pensée militaire aboutie de la Grande Guerre.

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En 1918, l’Armée française aligne incontestablement l’un des engins blindés les plus novateurs technologiquement, le char Renault FT. Mais l’état-major se rend aussi compte que les Tanks britanniques, intégrés à un ensemble interarmes, ont puissamment contribué aux succès offensifs du dernier été de la guerre*. C’est notamment le cas du Tank Mark V, le meilleur modèle aligné par les Britanniques durant la dernière année de la Grande Guerre, le meilleur modèle de 

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Le Renault B1 bis, trop de sophistication au mauvais moment

Ces dernières années, l’historiographie militaire française  a montré que l’Arme Cuirassée française n’a pas été plus mauvaise que la Panzerwaffe, avec une dotation en matériels tout à fait honorable. En outre, les ingénieurs militaires français avaient conçu l’un des meilleurs chars de son époque : le Renault B1 Bis, véritable armurerie sur chenilles qui était capable d’égaler – sinon de surpasser – certains des Panzer de l’époque. Mais ce puissant char était trop sophistiqué, trop lent à produire, lors de son entrée en service et pas assez adapté aux nouvelles données tactiques. Et il souffrit de conceptions d’une doctrine inadéquates, caractéristiques de la pensée militaire française de l’Entre-deux-Guerres.

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1 – UN DEVELOPPEMENT TROP LONG ET TROP LENT

C’est en 1931 que le commandement français décide toutefois de passer commande de chars plus puissants que les modèles existants. Mais il faut bien avoir à l’esprit que depuis 1919, l’Infanterie a repris en main la conception d’engins blindés qu’elle conçoit dans une optique d’appui-feu de l’infanterie, s’intégrant aussi dans une doctrine défensive. Ainsi, la conception du B1 ne part absolument pas sur des bases intellectuelles faisant la part belle à la manœuvre, à l’action en profondeur et à la souplesse tactique. En octobre 1931, plusieurs projets sont présentés mais aucun n’est retenu. En janvier 1932, les avant-projets du B2, du B3 et du BB sont présentés au commandement qui les retient pour étude. La réalisation de la maquette du BB est confiée aux Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) et achevée en février 1934 (les deux autres suivant l’année d’après). Le projet n’aurait peut-être pas abouti, car la conférence de la SDN sur le Désarmement (1932), initiée par

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Le projet FCM F1 : gigantisme chez les chars français

On l’a oublié mais, à l’instar de l’Armée Rouge à la même époque (mais avec de nettes nuances) et même de la Grande-Bretagne, le commandement français s’est lancé dans la conception de chars lourds à plusieurs tourelles. Mais ce gigantisme traduit les errements de responsables militaires français qui restaient cantonnés à une l’idée de char comme arme de rupture et d’accompagnement, quitte à le penser comme des sortes de béliers roulants en acier. Et ce, au détriment de chars mobiles, robustes et endurants, mieux adaptés au combat mécanisé. Enfin, ce projet s’avérera symptomatique de la lourdeur de la bureaucratie militaire française de l’Avant-guerre.

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1 – GIGANTISME, QUAND TU NOUS TIENS

A la veille de l’entrée en guerre de 1939, le Commandement Français se penche sur l’idée de créer des chars lourds pouvant neutraliser les défenses de la Siegfried Linie. Une dizaine de chars aussi lourds que lents étaient déjà sortis des ateliers, comme FMC 2C (70 tonnes) à 10 exemplaires. En 1928, on envisage la conception d’un Char d’Arrêt de 50 tonnes et en 1929 les Forges et Chantiers de la Méditerranée (FMC) accouchent même du projet d’un mastodonte blindé de 100 tonnes. En Février 1929, un nouveau projet démarre pour un char de 65 tonnes, mais il est arrêté en mai suivant pour des raisons budgétaires.

Mais le 4 mai 1936, le Conseil Consultatif de l’Armement dirigé par le Général Julien Dufieux décide d’entamer le développement d’un nouveau char lourd, selon de nouvelles 

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Acier et tranchées sur Storiavoce

Chers lecteurs, chers lectrices, l’équipe de de l’excellente radio indépendante consacrée à l’Histoire, Storiavoce, m’a fait l’honneur et le plaisir d’un entretien consacré à mon livre « 1914 – 1918 : batailles et campagnes méconnues » (éditions Maïa, 2019).

Echange disponible via le lien suivant :

https://www.youtube.com/watch?v=mxiSPFjutnU

Bonne écoute !

« 1917 » de Sam Mendes

Ce ne fut pas une gifle mais un tir de barrage d’artillerie cinématographie (et à la pièce de 60 livres ou de 9.2inches s’il vous plait !). Très attendu, « 1917 » était sûrement l’un des films les plus attendus de ce début d’année 2020. Dans un sens, il était le film de guerre qui aurait dû sortir pour les années du Centenaire. Mais Sam Mendes a sûrement mieux fait de prendre son temps.

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Premièrement, précisons que c’est une fiction SUR la Grande Guerre et non un film de guerre à proprement parler. En effet, le propos du film n’est pas de raconter une bataille ou un engagement. Le réalisateur souhaite d’abord immerger le spectateur dans ce que fut l’horreur des combats. Avec cette dimension personnelle de Continuer à lire … « « 1917 » de Sam Mendes »

Guerre d’indépendance irlandaise : les Britanniques contre la guérilla

Quand la Grande-Bretagne décide de réagir aux attaques des nationalistes irlandais, elle se retrouve devant un cas de figure assez unique : une guérilla sur le territoire même du Royaume-Uni. Or, l’Armée britannique a clairement une expérience de contre-guérilla, notamment en Inde, au Kenya ou en Afrique du Sud. Sauf que dans le cas irlandais, il s’agit de lutter contre des sujets de la Couronne (avec des droits civiques réduits, il est vrai) et non pas contre des rudes fermiers boers ou des tribus africaines. Cette fois, l’ennemi possède une nette culture politique et maîtrise mieux la propagande. Mais Londres va d’abord miser sur la seule force militaire sans parvenir à mettre fin à la guérilla, même si les forces armées vont marquer des points. Finalement, la solution viendra de la politique.

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1 – L’OPTION PARAMILITAIRE

En 1919, l’IRA mène la vie dure à la Royal Irish Constabulary, avec toute une campagne d’intimidation. La population catholique irlandaise s’y joint en ostracisant littéralement des communautés locales, les familles des membres de la RIC. Si bien que face à un adversaire quasiment insaisissable et une population de plus en plus hostiles, la RIC accuse une alarmante chute du moral qui cause un accroissement des démissions. Le Gouvernement de Lloyd-George décide en premier lieu de renforcer la Royal Irish Constabulary. Contrairement à ce que l’on a prétendu par la suite, Sir Henry Wilson (Chef d’état-major impérial, CIGS) estime que la situation en Irlande est suffisamment explosive et l’emploi de l’Armée mettrait le feu aux poudres. Ainsi, contrairement à ce que l’historiographie irlandaise a avancé, Wilson penche pour l’augmentation des effectifs de police. Or, il est impossible de transférer une force de police de l’Angleterre à l’Irlande. Une première solution – radicale – est avancée au Cabinet de David Lloyd-George par Sir John French (l’ancien commandant du British Expeditionnary Force de 1914 à fin 1915), Lord Lieutenant d’Irlande. Dans le contexte de démobilisation de l’Armée victorieuse de 1918, French prône ni plus ni moins le recrutement d’anciens officiers et soldats. French, puis ensuite

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Guerre d’indépendance irlandaise : l’IRA contre les forces britanniques

La scène se déroule par une matinée humide et brumeuse. Deux camions transportant 18 membres des Auxiliaries de la Royal Irish Constabulancy roulent sur une route étroite et sinueuse. Soudain, ils sont arrêtés. Soudain, le chauffeur du camion de tête s’arrête au détour d’un virage. Un homme qui semble être un officier britannique leur fait signe de s’arrêter, près d’un side-car, visiblement en panne. Les deux véhicules stationnent quand ils sont pris sous le feu d’un groupe de trente-six paramilitaires l’IRA habillés en civil. Ceux-ci offrent un feu nourri, avec l’appui d’une mitrailleuse Lewis Gun. Les Auxies ripostent en se déployant mais ils ont le désavantage de la surprise et du terrain. En quelques minutes tous les britanniques sont à terre, de même que trois insurgés. La scène décrite est filmée dans – l’excellent – film de Ken Loach « Le vent se lève » (Palme d’Or à Cannes en 2006). En fait, cet épisode de la Guerre d’indépendance a bel et bien eu lieu, plus précisément entre le village de Kilmichael et Macroom, dans le Comté de Cork. Dirigée par Tom Barry, ancien soldat de l’Armée britannique, l’embuscade de Kilmichael est manifeste de la nature d’une guerre d’indépendance qui relevait presque de l’affrontement de David contre Goliath. David ayant préféré opter pour une guérilla qui a imposé à Londres un puissant déploiement de forces au lendemain de la Grande Guerre, sans pour autant avoir pleinement réussi à étouffer la lutte. Ensuite, grâce aux options prises par Michael Collins, le mouvement nationaliste irlandais va imposer aux Britanniques une guerre à laquelle leur armée n’était pas vraiment habituée à l’intérieure même des frontières du royaume : la guérilla urbaine. Cette méthode de guerre (« Warfare ») engendrera un cycle de représailles brutales de la part des forces paramilitaires britanniques, avant la proclamation de l’Etat de Guerre en Irlande. En dépit de cette mesure, comme de l’épuisement de l’IRA, la Grande-Bretagne sera forcée d’engager des négociations avec les nationalistes, avant de parvenir à la partition de l’Île.

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1 – QUELLE INSURRECTION APRES LES « PÂQUES SANGLANTES » ?

Il n’est pas de l’ordre de cet article de relater en détail les combats dans Dublin de « l’Insurrection de Pâques ». Mais il faut convenir que son échec – militaire et politique – a servi de base de réflexion chez les principaux chefs de la Guerre d’indépendance, du moins ceux qui avaient survécu (Michael Collins, Eamon de Valera, Cathal Brugha, Arthur Griffith…). Nonobstant l’échec d’avoir entraîné l’opinion irlandaise derrière eux (en 1916, beaucoup de volontaires irlandais se trouvent sous les couleurs de l’Union Jack* et l’insurrection de Dublin est alors du plus mauvais effet sur une population encore loyale à la Couronne), l’échec des chefs rebelles tient dans leur propre vision de l’insurrection. En effet, Paidrac (Patrick) Pearse, James Connolly, Thomas Clarke, Joseph Plunkett, Eamon de Valera et Constance Markiewicz estimaient possible d’imposer aux Anglais un calquage de la Commune de Paris. Impossible au vu du manque de moyens et d’hommes disponibles. Par la suite, comme l’avait souligné l’historien Charles Townshend, plusieurs responsables du

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« Le tigre du Ciel » (« Aces High »), Jack Gold (1976)

Film de guerre britannique quasiment passé dans l’oubli, remake de « La fin du voyage » (J. Whale, 1931), « Le tigre du Ciel » aurait pu s’intituler « Vie et mort des pilotes britanniques de la Grande Guerre ». Bien moins connu que l’hollywoodien « Le crépuscule des aigles » (J. Guillermin), le film de Jack Gord relate la vie d’un groupe d’officier d’un Squadron du Royal Flying Corps en 1916-1917. Son mérite est de montrer la guerre des pilotes et donc, pas seulement depuis les postes de pilotage mais avec la vie de base et les temps de permission.

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Ni pro-guerre ni antimilitariste, « Le tigre et du ciel » est sorti durant une période de l’histoire du cinéma où les films de guerre n’avaient plus la cote dans le monde anglo-saxon, surtout après la fin de la Guerre du Vietnam. Pourtant, le film de Jack Gold offre peut-être une vision assez juste et humaine d’un pan de l’histoire militaire de la Grande Guerre qui est longtemps resté connu sous l’angle des combats aériens « mythifiés » comme la dernière épopée chevaleresque d’une aristocratie militaire européenne. L’historiographie a fait lit de cette mythologie pour montrer que dès 1915, la guerre aérienne s’est « brutalisée » (pour reprendre le terme cher à George Mosse).

Le film s’ouvre sur une 

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De la Moselle à la Sarre : l’insuccès de Patton sur le West-Waal (Nov-Déc 1944)

Durant toute la première moitié de décembre, forte de la chute de Metz, la Third US Army de Patton va s’efforcer de franchir la Sarre, dont le franchissement assurerait aux forces alliées le contrôle d’un bassin industriel et minier du Troisième Reich. Patton pense, à tort, que les Allemands sont tout près de l’effondrement et qu’ils seront incapables de résister. Grisé par son succès et obnubilé par une sorte de mirage, il imagine toujours pouvoir obtenir un succès stratégique qui précipiterait la fin de la guerre avant Noël. Mais le manque de moyens de son armée, le mauvais temps et la défense de la Heer, plus robuste qu’imagine, vont mener à un échec opérationnel net. Échec masqué par la prise de Metz mais qui est à replacer dans un contexte plus stratégique.

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1 – OPTIONS

Suite à la chute de Metz, Patton est alors optimiste. Après 13 jours de combat, les avant-gardes du XX US Corps signalent peu de résistance au nord entre Sarrebourg et Sarrelouis. Patton décide d’en profiter. Il assigne à Walker l’objectif de Merzig, ville située entre les deux villes mentionnées. Hélas, Bradley refuse de lui céder la 83rd US ID (R.C. Macon). C’est donc seulement avec 2 divisions (10th Armored et 90th US ID), dont une sérieusement entamée, que Walker commence la manœuvre en attendant les renforts de Metz. Dans le même temps, Patton décide de relancer l’attaque du XII US Corps en direction de Sarrebrück, espérant qu’en engageant son armée sur un large front, les lignes allemandes craquent d’un moment à l’autre. Le 27 novembre, pensant que Patton tient un succès opérationnel, qui pourrait être couplé avec un autre venu du 6th US Army Group (Seventh US Army et Ire Armée française) en Alsace, Eisenhower ordonne que la Third US Army investisse le Bassin de la Sarre, ce qui priverai l’Allemagne nazie de mines et d’industries. « Ike » assigne alors à Patton l’objectif de Sarre-Union. A ce stade de la campagne, le front de l’armée de Patton s’étend de Béning-lès-Saint-Avold (aile gauche du XX Corpsjusqu’à Mackwiller, à la soudure avec l’aile gauche de la Seventh US Army d’Alexander M. Patch (XV US Corps). Le 1er décembre, Patton publie une directive opérationnelle confiant une nouvelle offensive aux 35th US ID, 80th US ID et 6th Armored Division, soit la gauche du XII US Corps, pour le 4. L’objectif d’Eddy est de percer la partie de la Ligne Maginot qui surveille la Sarre au nord-est de Farbersviller. La 6th Armored doit avancer sur Sarreguemines, tandis que son flanc gauche – en jonction avec la 80th US ID –  doit s’emparer du plateau de Cadenbronn qui domine la Sarre. Heureusement, les troupes allemandes qui gardent le secteur sont 

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