« On ne passe pas » : visite du Gros Ouvrage du Hackenberg (Moselle)

En cette année où nous allons commémorer les quatre-vingt ans de la Campagne de France – et à l’heure où se taisent les voix des derniers acteurs de cette tragédie militaire –, une visite d’un fort de la Ligne Maginot s’imposait.

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Direction la Moselle et plus particulièrement le Fort du Hackenberg, l’un des plus remarquablement entretenus et qui met bien en évidence le degré de sophistication du système fortifié français. J’en profite pour remercier tout particulièrement l’Association AMIFORT-Veckring et notre guide Bernard, pour la qualité de la muséographie et des explications, lesquelles nous ont permis de connaître une véritable « immersion » dans le domaine poliorcétique de l’Avant-Guerre et de 1939-1940. Tout d’abord, un bref aperçu géographique. L’ensemble fortifié du Hackenberg est situé sur la commune de Veckring (prononcer « Vekrin ») à l’est du cours de la Moselle, entre Veckring et Sarrelouis et au sud de Sierck-lès-Bains. Il « flanque » ainsi le Gros ouvrage du Galgenberg à l’est (secteur de Cattenom) et celui du Michelsberg à l’ouest (Dalstein) et contribue à couvrir la frontière face à l’axe Schengen (frontière franco-germano-luxembourgeoise) – Merzig – Beckingen – Sarrelouis. Sa construction s’est étalée entre 1929 et 1935.

Le terme « Gros ouvrage » est plus approprié que celui de « Fort ». En effet, comme ses « frères », le Gros Ouvrage du Hackenberg est d’abord un ensemble de blocs (25 au total dont 17 de combat) reliés entre eux par des galeries ouvragées et scindés entre les ailes (ouest et est), les deux entrées et les postes d’observation (à cloches GFM). Le Gros Ouvrage est conçu pour pouvoir retenir les forces allemandes pendant plusieurs semaines. Pour cela, il ressemblait à une véritable usine souterraine avec des infrastructures nécessaires (cuisines, salle d’opération, infirmerie, dortoirs, sanitaires…). Ce sont d’abord les installations de l’usine électrique qui frappent, avec 4 puissants groupes électrogènes. Ces derniers, alimentés chacun par un moteur diesel SGCM GVU 42 (350 chevaux/375 tours/minute), permettent d’assurer plusieurs jours d’autonomie aux différents blocs. Autonomie d’autant plus nécessaire que les systèmes de treuillage de munitions et d’actionnement des tourelles à 2 lance-bombes reposent exclusivement sur l’énergie électrique. Lui aussi dépendant des groupes électrogènes, le système de ventilation permet d’injecter de l’air frais dans les blocs et galerie et de maintenir constamment la température intérieure à 19°C. Il permet également de « retransformer » les gaz d’attaque en vapeur non toxique et même, de rejeter l’air vicié en fumée transparente pour éviter les repérages par les observateurs allemands ! Enfin, les groupes électrogènes assurent également le fonctionnement du matériel médical, les cuisines, la pompe à air comprimé (pour le pompage d’eau de source à 90 m de profondeur) ainsi que du cinéma, l’une des seules distractions des soldats.

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Train de transport et de ravitaillement

Malgré l’incontestable modernité des infrastructures et des services (les cuisines utilisent de l’inox, bien avant son apparition dans les ménages) et le privilège d’être constamment au sec, la vie à l’intérieur du fort est particulièrement rude. Les soldats passent six semaines sous terre (avec de rares sorties) avant d’être relevés. La vie dans les blocs est rythmée par un bruit incessant (notamment à cause des aller-et-retours du train et des systèmes de treuillage) et par l’absence de lumière naturelle. Les soldats sont parfois contraints de faire de véritables cures de vitamine D, par des séances d’exposition à la lumière. Plusieurs soldats seront aussi frappés de « bétonnite », une forme de dépression due à l’enfermement.

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Cuisines, particulièrement modernes

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L’usine électrique, avec ses puissants groupes électrogènes alimentés au diesel
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Système de ventilation

L’armement était particulièrement puissant et sophistiqué. Premièrement, il regroupe 25 canons (dont 7 antichar), 32 mitrailleuses et 59 fusils mitrailleurs FM 24/29 D et ce, pour plus de 79 000 obus et plus de 3,5 millions de cartouches. Les obus sont stockées par calibre dans l’un des blocs. Chaque calibre étant « classé » par alvéole. Les mitrailleuses (simples ou jumelées  MAC 7.7) étaient installées en casemate, notamment dans les créneaux mixtes et mixtes. Plusieurs canons de 75 mm, mortier de 81 mm et lance-bombes de 135 mm étaient installés en casemate. Les obus sont acheminés à chaque bloc par des caissons dotés de poulies leur permettant d’être déplacés grâce à des rails fixés au plafond des galeries.  Les servants de pièce pouvaient d’ailleurs effectuer leur pointage « à l’aveugle ». En effet, un système de câbles ou de tuyaux acoustiques permet aux observateurs sous cloche de transmettre aux chefs de batteries, les coordonnées des périmètres qui doivent faire l’objet de tirs de saturation/barrage. Sitôt les coordonnées reçues, les servants de pièces (commandées par un sous-officiers – adjudant ou sergent) peuvent incliner (à hausse maximale 45°) et orienter le tube en direction du secteur ciblé grade à un système de gradations (en centigrades). Mais la grande innovation mise en place dans les blocs de combat reste le système de tourelles à éclipse pour deux lance-bombes jumelés LB 135 mm Modèle 1932. Non sans rappeler leur (presque) équivalentes des navires de surface, ces tourelles – particulièrement coûteuses – sont sûrement ce qui se fait de mieux à l’époque. Servies par 21 hommes, elles peuvent pivoter sur 360° grâce à un axe rotatif. Les obus étaient acheminés par un système de barillet (chargement) et de noria (montée de l’obus). Après le tir, l’obus descendait au sous-sol grâce à un système de toboggan. Comme pour les pièces en casemates, les pièces jumelées sont orientées et inclinées suivant les coordonnées transmises par les observateurs. Les mortiers de 81 mm jumelés pouvaient également être installés sous tourelles à éclispse, celles-ci ayant un diamètre inférieur à celles pour LB. Pour la défense rapprochée, outre les mitrailleuses, les équipages de blocs pouvaient utiliser des lance-grenades particuliers. Il s’agissait d’un tube qui permettait de jeter le projectile directement sur l’assaillant et en toute sécurité. En matière de puissance de feu, on estime qu’un seul gros ouvrage du type Hackenberg peut tirer 4 tonnes d’obus à la minute ! Enfin, les observateurs disposent de casemate en cloche observatoire de deux types : les VDP (« vue directe périscopique ») et les GFM (« guetteur fusil-mitrailleur »).

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Treuil pour caissons à obus
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Lance-bombe LB 135 mm Mle 1932 en casemate

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Axe de rotation de tourelle à éclipse, avec système d’approvisionnement des obus

 

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Tourelle à éclipse avec LB 135 mm jumelés (vue extérieure)
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Mortier de 81 mm

Juste avant le Déclenchement de la Campagne de France, le Fort du Hackenberg était tenu par 1 083 hommes (soldats et officiers) appartenant au 153e Régiment d’Artillerie de Position (RAP) et au 164e Régiment d’Infanterie de Forteresse (RIF) –  à la fameuse devise « On ne passe pas ». Ils recevront d’ailleurs la visite du Roi George VI et de Winston Churchill qui se montreront impressionnés par les installations. Lors de la campagne de 1940, attaqué sur plusieurs côtés, les défenseurs des 153e RAP et 164e RIF ne déposeront les armes que le 25 juin, sur ordre express du Général Weygand.


Site de l’association AMIFORT-Veckring

https://www.maginot-hackenberg.com/?page=amifort

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