Adolphe Guillaumat : « Franchet d’Esperey a obtenu ses lauriers en Orient grâce à mon travail. »

Guillaumat ? Evidemment, ce nom ne vous dit rien… ou si peu. A l’image de certains acteurs, il fait figure de second rôle dont on croise le nom au gré de quelques ouvrages consacrés à la Grande Guerre. Autant le dire tout de suite, il faudra rendre justice à ce général par trop méconnu qui a été injustement privé d’une reconnaissance de l’Histoire qui lui est pourtant dû, à cause de… la confiance qui lui portait Clemenceau ! Restant encre dans l’ombre de Foch et Pétain – comme d’autres – Adolphe Guillaumat a joué un rôle primordial dans la victoire sur le Front d’Orient (Grèce, Macédoine et Serbie). En effet, c’est lui qui a créé l’outil victorieux dont Louis Franchet d’Esperey a usé. Mais pour en savoir plus sur la victoire du Front d’Orient, nous sommes une fois de plus descendu chez Athéna pour interroger l’intéressé. Nous le retrouvons, petit homme au visage arrondi et à la petite moustache en brosse, attablé et sirotant un Vermouth. Il a accepté de nous accorder un long entretien.
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– Mon Général, le public français vous connaît malheureusement mal, sinon très mal. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre parcours ?
– Oh, vous savez, ça ne varie guère de mes congénères : Saint-Cyr – Promotion « des Pavillons noirs » – affectations dans la Coloniale (Afrique, Tonkin), Légion étrangère, breveté d’état-major de l’Ecole de Guerre. En 1914, je commande mais vais jouer ensuite à la grenouille dans le marais de la politique comme Chef du Cabinet Militaire d’Adolphe Messimye en 1913. En 1914, le commande successivement les 33e et 4e Divisions d’Infanterie. J’ai commandé le Ier Corps d’Armée à Verdun et sur la Somme où j’ai pu « admirer » les compétences de stratège de Ferdinand Foch. Mais je peux m’enorgueillir d’avoir reconquis la Cote 304, le Mort-Homme et la Cote du Poivre durant la Seconde Bataille de Verdun (août 1917, NRLR)… que vos écoliers n’apprennent pas en classe. Me trompe-je ?

– Non, malheureusement. Fin 1917, Clemenceau vous envoie prendre la tête du Corps Expéditionnaire d’Orient. Pour quelles raisons ?
« – Les raisons sont aussi politiques que militaires. Je dois vous expliquer en détails. Premièrement, Clemenceau m’envoie là-bas pour remplacer Maurice Sarrail, que l’on dit s’être Continuer à lire … « Adolphe Guillaumat : « Franchet d’Esperey a obtenu ses lauriers en Orient grâce à mon travail. » »

Safari et guérilla allemande à l’ombre du Kilimandjaro (1916-1918)

– Premièrement, il est pertinent de rappeler que la particularité du front d’Afrique Orientale est justement… qu’il n’y a pas de front ! En effet, pour les voyageurs adeptes de Safari et de faune sauvage africaine qui pourraient se rendre en Tanzanie, toute trace des combats de la Grande Guerre semble s’être définitivement évanouie, hormis une antique voie ferrée, presque égarée dans le temps, qui semble fendre la brousse en deux au milieu de nulle part. C’est toute la spécificité de ce front un temps oublié, à savoir celle d’avoir été clairement marqué par une guerre de mouvement durant laquelle les Germano-Ndébélé-Ngonis de Paul-Emil von Lettow-Vorbeck vont jouer au chat et à la souris avec une coalition comptant des Britanniques, des Sud-Africains, des Indiens, des Belges et des Portugais. Un jeu de poursuite de plus de deux ans, marqué par de violentes morsures du plus petit sur le plus gros.
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1 – PROFITER DE SES (QUELQUES) AVANTAGES ET DU PAYS

– Le 8 mars 1916, le Général Jan Smuts déclenche une vaste de campagne afin de mettre fin à la résistance de la Schützttruppe germano-africaine dans l’actuelle Tanzanie. Sur le papier, l’ancien chef boer dispose d’une nette supériorité numérique et matérielle, avec 300 000 hommes, dont les Belges du Général Charles Tombeur qui peuvent attaquer par le Congo. Les Alliés ont aussi pour eux la logistique, grâce aux ports du Kenya et d’Afrique du Sud, ainsi que le chemin de fer qui permet de couvrir. En face, les Allemands et leurs Askari apparaissent en nette infériorité, n’alignant qu’environ 58 000 hommes dont une très forte proportion de porteurs (45 000), avec beaucoup moins d’artillerie et quelques mitrailleuses. Et les bons Continuer à lire … « Safari et guérilla allemande à l’ombre du Kilimandjaro (1916-1918) »

Edmund Allenby : « j’ai offert Jérusalem en cadeau de Noël à la Grande-Bretagne »

Le 9 décembre 1917, quelques esprits instruits à Jérusalem, à Londres et à Sydney se souviendront de la prise de la Ville Sainte par les troupes anglo-indo-australo-néozélandaises. Soit un fait exceptionnel, plus de huit siècles après la Première Croisade. Pour en savoir davantage sur cet événement – plus médiatico-politique que réellement stratégique – la rédaction « d’Acier & Tranchées » a eu la permission d’entrer chez Athéna pour interroger son principal artisan, Edmund Allenby. Bien qu’il ait conservé son mauvais caractère, le Vicomte de Meggiddo et de Felixstowe nous octroie plusieurs dizaines de minutes entre deux conversations animées avec Douglas Haig et Lawrence d’Arabie.

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– A&T : « Sir Edmund, merci de nous recevoir. Tout d’abord, nous voudrions savoir pourquoi vous diriger vers Jérusalem ? Au vu de sa configuration et de son manque d’infrastructures lourdes, la Ville Sainte n’est pas vraiment d’une importance hautement stratégique ?

– Edmund Allenby : Je m’en suis rendu compte après-coup, ça n’est sûrement pas Amiens ou Arras question logistique ! Mais au moins les vallons décharnés et arides permettent d’effectuer des manœuvres correctes qui changent des plaines boueuses de Picardie. Mais passons. Si j’ai ordre de la prendre c’est aussi symbolique que politique. Le Premier Ministre [David Lloyd-George, NDLR]  m’a donné ordre de Continuer à lire … « Edmund Allenby : « j’ai offert Jérusalem en cadeau de Noël à la Grande-Bretagne » »

Lawrence d’Arabie :« Contenir l’ennemi par la silencieuse menace d’un désert inconnu »

Parmi les personnalités excentriques et anti-conformistes qui peuplent l’histoire militaire britannique, Lawrence d’Arabie reste incontestablement la plus connue. Une célébrité en très grande partie due par la magistrale interprétation du grand Peter O’Toole dans le chef-d’œuvre au sept Oscars de David Lean. Le portrait qui est dressé du personnage historique est plutôt proche de la réalité : cultivé, charmeur, habile rhétoricien mais idéaliste jusqu’à la mégalomanie, irréaliste, prisonnier de ses rêves et finalement, un « pion » dans l’échiquier stratégique britannique qui le dépasse. Cependant, d’un point de vue de l’Histoire militaire, Lawrence reste sûrement l’un des grands novateurs de la Première Guerre mondiale. Son hétérodoxie militaire et son absence de préjugés l’on conduit à mener une guerre de guérilla, particulièrement efficace, qui tint compte des réalités arabes et qui a longtemps fait école.

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1 – DE L’ARMÉE D’UN EMPIRE AUX TRIBUS ARMÉES 

– Après les échecs de Gallipoli et de la première expédition de Mésopotamie (Kut al-Amara) en 1915-1916, le Foreign Office décide de jouer la carte des Tribus arabes afin de pressurer et d’épuiser « l’Homme malade de l’Europe ». Jamais à cours de promesses quand il s’agit de se trouver des alliés, les Britanniques, par l’entremise de Sir Henry MacMahon, ont promis à Hussein de constituer un grand royaume arabe qui engloberait La Mecque et Médine mais aussi, Bagdad, Jérusalem et Damas. Or, en 1916, les accords Sykes-Picot (signés hâtivement et sans vision à long terme) ont défini les zones de partage des restes de l’Empire Ottoman entre la France et la Grande-Bretagne dans le dos de Hussein, bien évidemment. Et comme si cela ne suffisait pas, influencé par Chaim Weissmann, Sir Arthur Balfour signe en 1917, sa fameuse Continuer à lire … « Lawrence d’Arabie :« Contenir l’ennemi par la silencieuse menace d’un désert inconnu » »

Février-Mars 1917 : revanche sur le Tigre et prise de Bagdad

– Lorsque l’on pense à la prise de Bagdad, nous viennent bien évidemment les images de la Guerre de 2003. Guerre qui a engendré l’atroce situation géopolitique que nous connaissons aujourd’hui. Mais on pense bien moins à celle de 1917, qui fut une victoire de « libération » britannique sur l’Empire Ottoman. Et pourtant, après l’humiliation de Kut al-Amara (avril 1916), les forces expéditionnaires britanniques reviennent presque de loin. Profitant de l’affaiblissement militaire constant de l’Empire Ottoman, les unités des Généraux Maude et Monro vont mener une campagne tambour battant, savamment préparée et très bien menée, qui n’aurait peut-être rien à envier à l’offensive conventionnelle de l’ère Bush (toute proportion gardée au vu des moyens technologiques de l’époque, bien entendu). Et en l’occurrence, cette campagne vient encore tordre le cou à l’idée trop répandue selon laquelle la Grande Guerre ne s’est déroulée que dans des tranchées statiques.
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1 – RESTAURER LE PRESTIGE BRITANNIQUE

– Quand Frederick Maude prend la tête des restes épars et démoralisés de l’Indian Expeditionnary Force « D », il s’atèle très vite à sa réorganisation et à son renforcement. Par catharcis, elle est même rebaptisée Mesopotamian Expeditionnary Force (MEF). Durant la deuxième moitié de 1916, une Commission d’enquête est même envoyée au Moyen-Orient pour examiner les échecs des Dardannelles et de Kut al-Amara. Pendant près de sept mois, ces membres recueillent un flot de critiques mettant en avant le manque de planification stratégique et opérationnelle, ainsi que la faillite logistique qui mena à la reddition des forces de Townshend (1). La Commission de Mésopotamie rend son rapport en mai 1917, deux mois après la chute de Bagdad mais elle a pour conséquences d’acculer Austen Chamberlain (Secretary of State for India) à Continuer à lire … « Février-Mars 1917 : revanche sur le Tigre et prise de Bagdad »

1915-1917 : Campagne britannique contre les Sénoussi (Libye – Egypte)

Comme en écho avec l’actualité brûlante concernant l’actuel état de la Libye, cet article va traiter d’un front mouvant et périphérique de la Grande Guerre, puisqu’il s’agit de la campagne menée par les forces britanniques d’Egypte contre les Sénoussis de Tripolitaine entre 1915 et 1917. Une campagne qui opposa une force constituée relativement moderne à un ensemble de tribus réunis autour d’une Confrérie musulmane.
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– Juste avant la Première Guerre mondiale (1912-1913), l’Italie et l’Empire Ottoman s’étaient affrontés pour la possession de la Libye. Courte guerre qui s’était soldée par une victoire de la Reggia Escercita contre « l’Homme malade de l’Europe » et qui vaut au Royaume d’Italie d’obtenir l’administration de ce nouveau territoire situé entre la Méditerranée et le Sahara (Traité d’Ouchy), qui réunit d’ailleurs deux anciennes provinces romaines (1). Le cadeau est quelque peu empoisonné, puisque la Tripolitaine se trouve jusque-là aux mains des Senoussi. Le terme, qui désigne davantage une confrérie hétérodoxe de l’Islam, vient de son fondateur Mohammad Ibn Ali as-Senoussis (1787-1859), un étudiant en théologie du Caire natif de Mostaganem qui critiqua l’interprétation littérale du Coran par les Oulémas d’al-Azhar. Après un séjour près de La Mesque Mohammad as-Senoussis s’installe au « Monastère blanc » de Zawiya Bayda, près des montagnes de Sidi Rafaa (1843) où son enseignement d’influence soufie et son mode de vie austère suscite l’attirance des Bédouins et des tribus berbères des environs.

– Mais les Ottomans le placent « sous surveillance » à l’oasis de Jaghub, près de Siwa, non loin de la Frontière de l’Egypte. Son fils aîné qui lui succède, Sayyid Muhammad al-Mahdi bin Sayyid Muhammad as-Senussi (1845-1902) est soutenu par le Sultan Youssouf, sensible à l’enseignement d’as-Sennous. Mais il exerce de facto le pouvoir dans la région, bien plus que Continuer à lire … « 1915-1917 : Campagne britannique contre les Sénoussi (Libye – Egypte) »