Les Marines au Bois Belleau, autre 6 juin…

Quand on se penche sur la carte des combats de juin 1918, on peut dire que l’engagement au Bois de Belleau (ou Bois Belleau) représenterait ni plus ni moins qu’un engagement tactique commun s’il n’eût pas été suivi d’un retentissement médiatique international. Pour Pershing, l’engagement des Marines pour la défense de ce secteur a prouvé aux Alliés que sa jeune armée était capable de mener une attaque localisée. La preuve avait été donnée à Cantigny mais le secteur de Belleau était beaucoup plus sensible en raison de la situation opérationnelle du moment. Pour les Français, ce combat qui n’a pas engagé des masses d’hommes a montré l’allant et le courage dont pouvaient faire preuve les « Sammies » de Wilson. Et pour le Corps des Marines (USMC), le combat du Bois Belleau a marqué au fer l’apprentissage de la guerre moderne et s’est durablement dans la mythologie de cette unité, au même titre que Guadalcanal, Tarawa, Tinian-Saipan, Peleliu, Iwo Jima, Okinawa ou même encore, Incheon. A tel point que ce bois déchiqueté du Pays Briard a donné son nom à un porte-avion et tient bonne place dans l’héraldique du 5th Marine Regiment.

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1 – RAPPEL HISTORIQUE

– L’histoire du Corps des Marines est quasiment consubstantielle de celle des Etats-Unis. Créés dans une taverne (authentique) par Samuel Nicholas en 1775 en prévision d’une guerre contre la couronne anglaise, les Continental Marines sont en fait des fusiliers chargés de combattre à bord des navires. Mais, épaulant George Washington, ils mènent également des actions de débarquement. Dissous en 1785 mais recréés en 1798 lors d’une période de forte tension avec la France du Directoire, ils sont employés par le Gouvernement américains dans des actions qui nécessitent des actions terrestres et navales. Malgré des effectifs particulièrement réduits (357 hommes en 1801), les Marines trouvent leur vocation de force destinée à être engagée outre-mer. Pour le coup, ils sont une force autonome qui ne dépend pas du commandement de la petite armée de Terre. Ils sont en effet directement placés sous les ordres de l’état-major des forces américaines dépendant du Président.

– On les retrouve ainsi engagés, pêle-mêle, dans la Guerre de 1812, contre les pirates de Tripoli (ville inscrite dans leur hymne), à Sumatra, contre les Indiens Séminoles en Floride, en Chine à plusieurs reprises, puis lors de la Guerre de Sécession, au cours de laquelle ils restent en majorité fidèle à l’Union. C’est notamment un détachement de Marines qui escorte Abraham Lincoln lors de sa visite de Richmond à l’hiver 1865. Durant la fin du XIXe siècle, à mesure que les Etats-Unis deviennent une puissance navale, l’importance de l’United States Marine Corps s’accroît, d’autant que Washington est dépourvu d’armée nationale digne de ce nom. Par conséquent, les Marines sont régulièrement envoyés  défendre les intérêts américains, d’autant qu’ils bénéficient de la modernisation des moyens de transports navals. Ils participent ainsi à la Guerre Hispano-Cubaine, ainsi qu’à la féroce répression contre les insurgés Moros aux Philippines. Il sont aussi expédiés en Chine contre les Boxers, ainsi qu’en République Dominicaine, aux Îles Fidji, au Nicaragua (contre les Sandinistes) et à Vera Cruz afin d’effectuer des opérations de police contre les insurgés locaux. On l’oublie en France mais pendant que les combats font rage en Europe, Thomas Woodrow Wilson emploie régulièrement l’USMC dans des opérations dans le Golfe du Mexique. Et par conséquent, de nombreuses unités restent stationnées outre-mer et ne seront pas intégrées à l’American Expedtionnary Force.

– Ceci-dit, avec son importance accrue, le Corps des Marines compte 13 000 hommes lors de l’entrée en guerre. Sous la direction de son commandant, le Major-General George Barnett, il gonfle à plus de 30 000 en août 1917 et finira par monter à plus de 73 900 hommes et femmes*. Mais tous ne seront pas envoyés en France. Une seule brigade de 6 000 hommes est formée pour servir comme force de combat terrestre. Elle est donc instruite en France sous la direction d’officiers et sous-officiers de Chasseurs Alpins et Chasseurs à Pied. A l’exception de leurs pistolets automatiques Colt 45 M1911, de leurs excellents fusils Springfield M1903 et de fusils à pompe, les Marines reçoivent tout un arsenal provenant des dépôts français : mitrailleuses Hotchkiss (les Browning 1907 américaines n’étant pas disponibles en nombre suffisant), canon d’Infanterie 37 mm M 1916, mortiers, FM Chauchat, tromblons Vivien-Bessières. Et, exceptés la pelle, le couteau et d’autres outils, toute une partie de leur équipement individuel (casque Brodie, masque à gaz, etc.) est fournie par l’Armée britannique, tout comme pour leurs collègues de l’Army (comprendre l’Armée de Terre). En revanche, il est bon de rappeler, comme l’a montré le Lieutenant-Colonel Rémy Porte, que l’instruction des Marines au combat moderne (comme celle des autres régiments d’infanterie engagés dans les combats de juin 1918) n’est pas pleinement achevée. Si les soldats et sous-officiers ne déçoivent pas, la coordination entre les officiers et les échelons de commandement n’est pas encore acquise. Ce qui se fera nettement sentir à partir du 6 juin.

– Autre originalité qui distingue nettement l’USMC de l’Army : la création d’une unité aéronavale. En effet, dès 1914, le Corps des Marines commence à former quelques pilotes à Annapolis. Convaincu de l’utilité des appareils, Barnett autorise la création d’une Marine Corps Aviation Company au Philadelphia Navy Yard. 10 premiers pilotes et 40 hommes du personnel sont formés en 1917 mais leur nombre va très vite s’accroître, pour atteindre 2 500 hommes en fin d’année suivante. En janvier 1918, le 1st Marine Air Squadron est formé et envoyé en France où il est renommé 1st Marine Aviation Force. Il compte alors 8 escadrilles (Squadrons) basés à Oye, La Fresne et en Champagne. Les unités aériennes des Marines vont donc participer à des missions de bombardement, de reconnaissance, de chasse mais aussi de repérage et de chasse aux U-Boote en Mer du Nord.

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James G. Harbord, commandant de la 4th Marine Brigade

2 – PREMIÈRES ATTAQUES DE DÉGAGEMENT DU BOIS

– Le 6 juin les Alliés lancent une attaque contre les Allemands qui se préparent à lancer la leur.  Celle-ci a été communément décidée par les états-majors français et américains, les seconds n’ayant aucune envie d’aller se replier plus au sud. Les Américains y sont encouragés par le rapport d’une reconnaissance nocturne. En effet, pendant la nuit du 4 juin, l’Officier du renseignement du 6th Marines, le Lieutenant William A. Eddy et 2 hommes, s’aventurent au plus près des lignes allemandes afin de récolter des informations sur les forces allemandes qui tiennent le bois. Les trois hommes découvrent que leurs ennemis sont en train de consolider des positions de mitrailleuses et d’acheminer de l’Artillerie. Pour les Américains, cela signifie que les Allemands sont en train de constituer une base pour une nouvelle attaque. Donc, il faut agir au plus vite. Par une curiosité de l’Histoire, l’attaque est fixée au 6 juin.

A 03h45, la 167e DI (Schmidt) attaque à la gauche des Américains qui s’en prennent à la Cote 142. Le plan prévoit que la 2nd US Division prennent les crêtes dominant Torcy et le Bois Belleau, tout en occupant le Bois. Malheureusement, les Marines échouent à reconnaître le Bois. Du coup, ils ne s’aperçoivent pas que l’IR Nr. 461 (237. ID) s’y terre avec un réseau de nids de mitrailleuses et d’artillerie légère.

– A l’aube le 1/5th Marines du Major Julius Turrill doit attaquer la Cote 142 mais seulement 2 Compagnies sont prêtes. N’ayant pas l’expérience tactique des combats modernes, les Marines attaquent en rangs serrés, baïonnette au canon. Une attaque qui n’est pas sans rappeler la Guerre de Sécession mais une folie ! Ceci dit, les jeunes américains et leurs officiers attaquent rageusement et sont fauchés par le tir des Maxim allemandes. Néanmoins, le Captain Hamilton, commandant de la 67th Company – qui a déjà perdu 5 officiers – réussit l’exploit à dégager une première tranchée allemande après un violent combat. Puis, il établit une solide position défensive. Mais les Allemands passent à la contre-attaque qui est repoussée après un engagement féroce. Le Gunnery Sergeant Ernest A. Janson (qui sert sous le nom d’emprunt Charles Hoffman) se lance en contre-attaque seul face à 12 Allemands, en tue deux et les mets en fuite. Il est le premier Marine à recevoir la Congress Medal of Honor. Finalement, tout le 1/5th arrive dans l’action mais ses flancs sont encore à découvert. Toutefois, pendant l’après-midi, Turrill et ses hommes sont maîtres de la Cote 142, après avoir perdu 334 hommes dont 9 officiers.

– Pendant ce temps, le reste de la Brigade de Marine reçoit l’ordre de dégager le Bois de Belleau. Pour cela, ils relèvent le 152e RI qui leur a tenu ouverte l’entrée de ce qui reste du Bois. Plus de 3 400 hommes se regroupent face au Bois.

– Pendant la journée du 6 juin, les Marines se massent au nord-ouest du Bois de Belleau pour lancer leur attaque. Celle-ci est confiée aux 3/5th (droite) et 3/6th Marines (gauche), commandés respectivement par les Majors Benjamin S. Berry et Berton W. Sibley. Alors que les Français combattent encore par endroits pour tenir la ligne,  environ 1 600 Marines s’apprêtent à faire entrer leur Corps dans l’Histoire dans une charge folle. Parmi eux se trouve le 2nd Lieutenant Lemuel C. Shepherd Jr., futur commandant de la 6th Marine Division à Okinawa et futur commandant de l’USMC.

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3 – LA GLOIRE SANGLANTE DES « DEVIL’S DOGS »

– A 17h00 les 2 Batallions de Marines se lancent à l’assaut à travers champ en hurlant comme aux grandes heures de la Guerre de Sécession mais avec des armes beaucoup plus modernes. Les officiers français témoins de l’attaque n’ont pas dû en croire leurs yeux. Les jeunes et intrépides soldats américains chargent comme en 14 ! Très vite, les pertes sont lourdes car les mitrailleurs allemands et les servants de Granatwerfern et Minenwerfern tirent comme à la parade. Cependant l’assaut des Marines ne s’arrête pas et les premiers rangs clairsemés atteignent les lignes allemandes. Le Gunnery Sergeant Daniel Daly, déjà deux fois récipiendaire de la CMOH pour ses services en Chine et à Haïti – mène un groupe de soldats en les houspillant et engage courageusement le combat sous un feu d’enfer. Dan Daly se verra recommandé pour une troisième Congress Medal of Honor mais il recevra la Distinguished Service Cross. Autre acte héroïque, le jeune Lieutenant Osborne A. Weedon, issu du Naval Dental Corps mais attaché au 6th Marine, secoure ses camarades blessés sous le feu allemand sans discontinué. Mortellement fauché par une balle allemande, il sera également décoré de la CMOH à titre posthume.

– Il n’empêche que les premières vagues de Marines qui avancent de façon disciplinée à découvert se font massacrées. Le Major Berry est lui-même blessé. Et quand les Américains abordent la lisière du bois, ils doivent franchir des lignes de fils barbelés, tout en étant pris sous un feu d’enfer de mitrailleuses, couplé à celui de tireurs d’élite. Mais les Marines ne lâchent rie malgré 1 087 des leurs déjà à terre. Ceux qui sont encore valides, engagent les Allemands dans un sanglant corps-à-corps. Tout comme leurs soldats, les officiers font le coup de feu, le Browning Colt 45 au poing. Mais les combats sont particulièrement décousus  et tournent d’avantage aux duels à la grenade, à la baïonnette et au couteau. Jusqu’au 10 juin, Marines et Allemands vont férocement se disputer le Bois de Belleau. 400 Marines de plus sont perdus. Le 9 juin, l’Artillerie franco-américaine déclenche un violent barrage qui déchiquette les arbres.

– Le 10 juin, le 1/6th Marine Regiment du Major Hughes, appuyé par des éléments du 6th Marine Machine Gun Battalion, attaque au nord du Bois de Belleau. Et parmi les mitrailleurs, on trouve le Lieutenant Holland M. Smith, celui-là même qui commandera plusieurs assauts majeurs dans le Pacifique vingt-cinq ans plus tard**. Mais si l’attaque de Hughes commence bien, elle est vite arrêtée par un violent feu de mitrailleuses et les Allemands n’hésitent pas à faire tirer des obus au gaz moutarde. Le Major Cole, commandant du 6th MMGB est mortellement blessé et remplacé au pied-levé par le Captain Harlan, son commandant en second. Hughes reçoit l’ordre continuer son attaque vers le sud, tandis que le 2/5th Marine Regiment du Major Wise doit attaquer le Bois par l’ouest. Le 11 juin, à 04h00 du matin, le 2/5 Marine, appuyé par les 23rd et 77th Companies du 6th MGB et d’éléments du 2/2nd Engineers Regiment. Mais ce groupe d’unité avance dans l’obscurité et se trompe de direction en progressant dans le Bois et se dont décimer. Cependant, les Américains se ressaisissent et culbutent les Allemands positionnés plus au sud. Les combats sont particulièrement durs mais les Marines finissent par avoir le dessus. Illustration de la dureté des combats, une compagnie allemande ne compte plus 30 soldats valides sur 120 au départ. A partir du 11 juin, les Américains prennent le dessus. Mais il leur faudra six jours de plus pour nettoyer les débris d’arbres. Ce n’est que le 26 juin, que le 3/5th Marine du Major Maurice E. Shearer, appuyé par 2 compagnies du 4th MGB et de la 15 Coy/6th MGB, achève de nettoyer le Bois.

– L’engagement du Bois Belleau marque la fin de l’Offensive « Blücher-Yorck ». Français et Américains ont tenu le front et les Allemands comprennent que leur offensive ne peut déboucher sur la rive gauche de la Marne. D’autant que leurs divisions sont presque laminées et aucune réserve ne peut être engagée. Pire encore pour Ludendorff, l’Offensive « Gneisenau » sur l’Oise a nettement échoué face à la savante défense échelonnée de la IIIe Armée du Général Humbert. C’est est donc terminé.

– Les Allemands sont particulièrement impressionnés par la combattivité des Marines, à tel point qu’ils vont les surnommer les « Teufelshunde » ou« Devil’s Dogs » (« les chiens du diable »). Du côté français, on est tout aussi impressionné. Foch et Degoutte leur dressent très vite des lauriers. Et la presse française ne tarde pas à louer l’héroïsme de cette unité jusque-là méconnue. Mais quel fut l’impact tactique ? A vrai dire, il faut bien admettre qu’en dépit des pertes subies, les Marines ont nettement contribué à arrêter l’Offensive « Blücher-Yorck ». Mais sans la charge sanglante du 6 juin et les combats qui s’en sont suivis, les divisions allemandes fatiguées auraient été quand même arrêtées, d’autant que la VII. Armee – comme les autres – accuse un manque sérieux de moyens humains et matériels. Le prudent plan défensif du Général Degoutte n’était pas idiot, loin de là. Ceci dit, l’engagement des deux divisions américaines a soulagé les efforts des Français qui ont pu économiser des réserves pour la suite. L’impact des combats du Bois Belleau fut surtout triplement moral : pour les Américains nous l’avons vu, pour les Français qui voient enfin les alliés d’Outre-Atlantique s’engager de plein pied dans les combats mais aussi pour les Allemands. En effet, ceux-ci ne s’attendaient pas à devoir affronter des unités particulièrement combattives, en dépit de sérieuses lacunes tactiques dues à une instruction interrompue. En fait, à défaut d’un succès tactique décisif pour la suite, les Marines auront gagné la bataille de la postérité.

* 269 auxiliaires féminines
** Tarawa, Betio, Saipan-Tinian et Iwo Jima. Pour sa contribution aux combats du Bois de Belleau, Holland M. Smith se verra décerné la Croix de Guerre française.


(1) PORTE Lt-Col. R. : « Les Américains dans la Grande Guerre. Une approche française », SOTECA, Paris, 2017

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