Bataille du Matz : échec à « Gneisenau » (9-13 juin 1918)

Comme nous l’avons vu dans les articles concernant l’Offensive « Blücher-Yorck », Erich Ludendorff avait décidé de séquencer l’attaque contre les forces françaises par une double attaque : la première visant le franchissement de l’Aisne (et qui finit par viser celui de la Marne) et la seconde qui devait percer sur l’Oise et le Matz et atteindre Compiègne. Mais l’exécution du second plan a été retardée en raison du manque d’artillerie. Mais dans la dernière phase de la Troisième Bataille de l’Aisne, Ludendorff décide de déclencher son offensive sur l’Oise et le Matz en la confiant à Oskar von Hutier. Le plan a été rebaptisé « Gneisenau », en référence à August Neidhardt von Gneisenau, Maréchal prussien qui contribua à la lutte contre Napoléon. Mais les deux généraux allemands vont se heurter à deux généraux français coriaces et prévenus : Humbert et Mangin.

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1 – UNE OFFENSIVE HÂTIVEMENT PRÉPARÉE  

– La gestation du plan « Gneisenau » est antérieure à celle du plan « Blücher-Yorck ». En effet, suite à l’essoufflement de « Michael » sur l’Avre, Erich Ludendorff ordonne à von Hutier de plancher sur une possible attaque entre Noyon et Montdidier. Mais finalement, le 28 avril, Georg Wetzell propose que la nouvelle offensive soit lancée en coopération avec le plan visant à percer sur l’Aisne. C’est à ce moment qu’il reçoit le nom de « Gneisenau », en référence à August Neidhardt von Gneisenau, Maréchal prussien qui contribua à la lutte contre Napoléon.
– Mais dès la mise au point de « Blücher – Yorck », il apparaît clairement que « Gneisenau » sera lancée plusieurs jours après le 27 mai, car la XVIII. Armee de von Hutier n’a pas la puissance de feu nécessaire pour déclencher une courte mais violente préparation d’artillerie selon la méthode de Georg Bruchmüller (1). Or, dès les débuts de la planification, l’état-major de von Hutier estime que l’offensive nécessite 179 batteries d’artillerie et 12 divisions, dont 3 d’assaut. Or, à l’état-major du Kronprinz, on estime que les moyens demandés ne pourront pas forcément être déployés le Jour-J. Du coup, les planificateurs allemands doivent revoir les objectifs initiaux à la baisse. En lieu et place d’une puissante poussée vers le sud, le plan présenté le 19 mai privilégie le franchissement du Matz et la prise de la route Montdidier – Ressons comme premier objectif. Et le second objectif sera  la ligne Elincourt – Cambronne – Primpez, sur l’Oise. Mais la limitation de l’attaque est étalement lié à la diminution du nombre de batteries allouées qui tombe à 120 (2).

– Von Hutier doit donc attendre une évolution favorable de l’offensive de la VII. Armee de Max von Böhn pour obtenir l’octroi de 29 batteries d’artillerie supplémentaires. C’est le 1er juin, soit cinq jours après le déclenchement de l’Offensive sur l’Aisne qu’Erich Ludendorff décide de privilégier un nouvel axe de progression entre l’Aisne et l’Oise. Du coup, il ordonne à von Böhn de déplacer son axe de progression vers le sud-ouest afin de menacer Paris en franchissant la Marne à Château-Thierry, en dégageant Soissons et en faisant sauter le verrou de Villers-Cotterêts. Cette nouvelle progression doit donc être couplée à l’Offensive « Gneisenau » qui vise à franchir successivement le Matz et l’Aisne et marcher sur Compiègne. Ce que propose « Pollux » consiste à exercer une double mâchoire nord-est – sud-ouest afin de fixer et repousser deux armées françaises ; la Xe qui tient le front entre la Forêt de Laigue et Villers-Bretonneux et la IIIe  Armée qui tient le front depuis mars entre Montdidier et le secteur Ribecourt – Moulin-/s-Touvent. En attaquant sur d’Estrées-Saint-Denis et Compiègne (siège du GQG français) pour ensuite s’emparer des collines autour de Gury et Mareuil, Ludendorff espère réunir les pointes des deux saillants constitués suite à « Michael » et « Blücher-Yorck », pour ensuite contraindre Foch et Pétain à évacuer le Soissonnais et le Pays Briard afin de rabattre leurs forces en direction de Paris (3). De là, il pourra talonner les forces françaises en retraite et s’approcher de la capitale, ce qui ne manquera pas de créer de la panique chez les civils et dans les milieux politique. Le Quartier-Maître Général fixe donc l’attaque au 9 juin. Ludendorff donne aussi ordre à l’état-major de la VII. Armee de préparer un plan d’attaque afin d’appuyer « Gneisenau » par une attaque dans le secteur de Verberie, Crépy-en-Valois et Mareuil.  Confié au VII. Korps de von François comme au LIV. AK d’Alfred von Larisch et baptisé « Hammerschlag » (« Coup de marteau »), le plan est hâtivement monté et fait vite l’objet de difficultés mais il est maintenu pour le 3 juin. Une autre attaque, « Baumfallen » est prévue également plus au nord (II. Armee de von der Marwitz) mais là encore, le projet est abandonné par manque de moyens (4)

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– Ludendorff confie donc l’exécution  du plan « Gneisenau » à son redoutable cousin par alliance Oskar von Hutier, patron de la XVIII. Armee. Depuis la fin du mois de mars, la XVIII. Armee est restée au repos entre Montdidier et Noyon mais a dû céder une bonne partie de son  parc d’artillerie afin d’alimenter les Heeres-Gruppen « Rupprecht » et « Kronprinz » pour les offensives « Georgette » et « Blücher-Yorck » (5). Par conséquent, au début de juin, lorsque l’offensive de von Böhn approche de la Marne, la VII. Armee libère 29 batteries en faveur de la XVIII. Du coup, von Hutier peut compter sur 616 pièces d’artillerie de tous calibres. Le plan d’attaque de von Hutier consiste à forcer les lignes françaises sur le Matz à hauteur de Ressons, en attaquant à partir de la ligne Montdidier – Lassigny – Moulin-s/-Touvent. Ensuite, les divisions d’assaut devront progresser en direction de Compiègne en étant engagées par échelons en ayant pris les communes de Ressons et Ribecourt.

– Enfin, le procédé d’attaque est le même que pour les offensives précédentes : préparation de feu courte mais violente avec emploi d’obus à gaz, puis assaut des Sturmtruppen appuyés par un tir de barrage et des détachements de Panzern. Cependant, à ce stade de la guerre, les artilleurs allemands doivent compter leurs munitions et les Bataillons d’assaut ne sont plus à effectifs pleins. Pour cela, von Hutier dispose de 17 divisions, dont 13 qui constituent la masse offensive du 9 juin. Elles appartiennent aux IX. Korps (Heinrich Ritter von Öttinger), I. Reserve-Korps (Curt von Morgen) et XXVI. RK (Oskar von Watter).

– Mais comme l’explique très bien David T. Zabecki, à ce stade du conflit, les Allemands dont face à de sérieux problèmes de ravitaillement. En raison du manque de carburant et de véhicules, l’acheminement de l’artillerie et du ravitaillement (déjà fort réduit) dépend du rail, ce qui cause des engorgements de tronçons de voie ferrées (1). Et par un coup du sort, lors de la planification de « Gneisenau », Georg Bruchmüller – chargé de la coordination de l’artillerie sur le front du HG « Kronprinz »  –  tombe malade et ne peut revenir en fonction que juste avant l’offensive. Or, Bruchmüller s’est retrouvé en opposition ouverte avec une partie de l’état-major de von Hutier, notamment avec l’Oberst Stuckenschmidt commandant de l’Artillerie de la XVIII. Armee, autant pour des raisons d’utilisation des tubes que pour des questions d’autorité. Et du coup, la planification du tir de préparation du 9 juin s’en ressent sensiblement, notamment en termes d’efficacité. Et pire encore, en raison des problèmes de transports, les batteries allemandes ne sont pas toutes pourvues suffisamment en obus le jour même de l’attaque (6).
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2 – LES FRANÇAIS SE TIENNENT PRÊTS

– Comme le signale toujours David Zabecki, contrairement à ce qui s’est produit sur le Front de l’Aisne, les Français sont nettement au courant des intentions allemandes d’attaquer entre Montdidier et Noyon. D’une part, l’aviation de reconnaissance rattachée à la IIIe Armée remarque un large déploiement de forces au sud du plateau de Santerre. Ensuite, les Français lancent des « Groupes francs » ou « Corps francs » dans des actions de sondage des premières lignes ennemies. Les fantassins français rompus aux actions nocturnes constatent vite que les tranchées allemandes sont davantage occupées. Et le 3 juin, les Français ont la preuve que l’attaque se produira le 9.

– Si Oskar von Hutier est, à raison, réputé tacticien redoutable, ses adversaires ont appris à le connaître. Et les Généraux français qui ont eu affaire à lui savent, depuis les combats pour Montdidier, qu’il n’est pas si infaillible que cela. L’expérience des combats de Montdidier a montré aux Français que, mal ou peu appuyés par l’Artillerie, les Sturm-Truppen ne peuvent emporter des succès décisifs. Mais pour empêcher les Bataillons d’assaut allemands de percer en divers endroits du front, il est impératif d’échelonner la défense. Or, Humbert doit aussi faire face à un autre problème : des effectifs réduits. En effet, si la portion de front qu’occupe la IIIe Armée est calme depuis la fin du mois de mars, Foch et Pétain ont expédié la majorité des réserves française pour freiner l’avancée des Allemands sur la Marne. Humbert sait donc qu’il doit économiser ses forces, soit 13 divisions. Celles-ci sont réparties entre le XVe Corps d’Armée (Elie de Riols de Flonclare), XVIIIe CA (Gaston d’Armau de Pouydraguin) et XXXIVe Corps d’Armée (Marie-Georges Demange). Humbert et son état-major (que dirige le Général Louis Bernard) décide alors d’échelonner la disposition de ses divisions. 5 sont laissées à l’avant et 8 en réserve à l’arrière. Seulement, Humbert commet l’erreur de maintenir une force tactique importante à l’avant, ce qui aura des incidences par la suite.

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Georges Humbert

3 – L’ATTAQUE SUR LE MATZ

– Le 9 juin à 00h50, Oskar von Hutier déclenche son tir de barrage. Comme à l’accoutumée, le front français est saturé par un feu combinant obus explosifs et obus à gaz. Le bombardement ne manque pas d’efficacité car la contre-batterie de la IIIe Armée n’est pas efficace.

– Le bombardement est immédiatement suivi de l’attaque des Sturm-Truppen (fusiliers, grenadiers, mitrailleurs, Granatwerfern, et Pioniere armés de lance-flammes), appuyés par le tir de barrage (soumis à l’économie de munitions) et quelques Panzer A7V et Mark IV de capture. La matinée est plutôt favorable aux Allemands. S’infiltrant dans les lignes allemandes les Sturm-Truppen réussissent à percer et disloquer la tête du dispositif français. En deux jours de combat, le Mont Renaud (au sud de Noyon) est dégagé, de même que Lassigny, Maretz-s/-le-Matz, Belloy et Mery-la-Bataille. La 58e Division d’Infanterie (Gén. Leroux) est sérieusement malmenée, notamment son 295e RI qui perd après avoir subi le bombardement par obus à gaz, subi l’attaque des troupes d’assaut appuyées par des chars A7V. Mais très vite, les Poilus de Humbert se reprennent, même si leur défense manque d’abord de coordination. Conscients de l’enjeu de ne pas laisser l’ennemi de prendre Compiègne, les Français durcissent leur résistance. Les officiers subalternes, voire même les commandants de bataillon, font le coup de feu avec leurs soldats. On voit même un capitaine participer à la défense d’une route, aux côtés de son Intendance, comme le rapporte Henri Ortholan (7). Mais comme pour les combats de mars, les Poilus doivent tenir le terrain avant de se replier de façon échelonnée et creuser des positions improvisées qu’ils tiennent jusqu’au repli suivant.

– Cependant, le 10 juin, Humbert est forcé d’engager ses réserves mais réussit à freiner les divisions de von Hutier qui commencent à subir les défaillances de leur logistique. Le 10 juin au soir, l’avance allemande n’a fait que grignoter les positions françaises. Mais la situation inquiète vite le GQG. Emile Fayolle, patron du Groupe d’Armées de Réserve (G.A.R) en alarme Pétain qui n’a pas grand-chose à lui envoyer. Mais c’est à ce moment que Charles Mangin propose ce qui paraît presque être impensable.

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Charles Mangin

4 – LE DIABLE MANGIN RESSORT DE SA BOÎTE

– Charles Mangin… Ce nom reste incontestablement lié à la création de la Force noire, à la reprise du fort de Douaumont le 24 octobre 1916 mais aussi à la boucherie du Chemin des Dames de 1917. Cependant, bénéficiant de certains appuis à l’Assemblée, au Sénat et même dans les rangs de l’Armée, Mangin rentre en grâce par la petite porte au début de 1918. D’abord commandant du IXe Corps, il prend ensuite la tête de la Xe Armée (10 juin) lorsque le Général Maistre est envoyé à la tête du Groupe d’Armées de Réserve. Mais s’il a des appuis, ce fonceur a des adversaires. Pétain se méfie de lui et Edmond Buat le tient en mauvaise estime, le jugeant excessivement enthousiaste tout en ne faisant pas réellement preuve de réelles qualités de commandement (8).

– Quand Mangin arrive à la tête de la Xe Armée, le cours de la Bataille du Matz atteint un point critique. Si von Hutier continue à pressurer Humbert, les Allemands peuvent sérieusement menacer Compiègne, sectionner la jonction entre les IIIe et Xe Armées et mettre un pied sur la rive gauche (sud) de l’Oise. Mangin est vite mis au courant de la situation et ne se démonte pas. Mieux, il propose à Fayolle de contre-attaquer pour cogner dans le flanc gauche (est – sud-est) de la XVIII. Armee avec 4 divisions de l’aile gauche de la Xe Armée et ce, avec des chars. Humbert n’aura qu’à tenir pendant qu’on leur percera le flanc (rantanplan). Fayolle, qui connaît l’animal, passe la proposition à Pétain qui accepte. Et Mangin ne s’arrête pas là puisqu’il prévoit de contre-attaquer le 11 juin ! Cela ajoutera à l’effet de surprise. Fayolle se donne des sueurs froides mais puisque le patron a donné son assentiment, on va laisser Mangin contre-attaquer.

– Hâtivement, Mangin présente son plan qui est approuvé. Il suffira donc d’attaquer avec 4 divisions fraîches (48e, 52e, 129e et 165e) mais sans préparation d’artillerie pour accroître l’effet de surprise. L’appui-feu sera fourni par 5 bataillons de chars, exclusivement dotés de lourds et patauds Schneider CA1 et Saint-Chamond, déjà dépassés. Aucun Renault FT ne participera à l’attaque. Ayant eu l’expérience du Chemin des Dames, Mangin ne prévoit aucun barrage afin que les chars lourds progressent plus facilement à travers champs, sans se renverser dans des trous d’obus. Dans la nuit du 10-11 juin, les bataillons de tête des 4 divisions désignées se postent sur leurs lignes de départ.

– Le 11 juin donc, profitant d’un brouillard opportun, les 48e (Gén. Prax), 52e (Gén. Boyer), 129e (Gén. de Corn)* et 165e DI (A. Caron) passent à l’attaque avec l’appui des chars. Les combats sont particulièrement furieux. En revanche, l’utilité des chars est vite limitée car beaucoup d’engins sont vite mis hors d’état de nuire. En revanche, la contre-attaque des Français surprend complètement von Hutier qui doit tenir son flanc gauche.En outre, les divisions allemandes, mal ravitaillée et mal nourries, sont épuisées. Et par conséquent, il doit abandonner son attaquer vers Compiègne. Mais cela n’empêche pas les divisions de Mangin de reprendre Belloy, Méry-la-Bataille et Marquéglise. Le 13 juin, von Hutier jette l’éponge et ancre sa défense sur les lignes conquises dans la « Petite Suisse », consacrant ainsi l’échec de « Gneisenau ».

– Les pertes françaises ont été particulièrement lourdes : 40 000 tués, blessés et disparus pour la IIIe Armée. Mais les Français ont maintenu la porte de Compiègne et donc, de Paris verrouillée. Mieux encore, comme l’explique Jean-Yves Le Naours, si la contre-attaque de Mangin n’a permis « que » de reprendre plusieurs localités, elle a dopé le moral des Poilus, puisqu’elle a montré que les Allemands peuvent être repoussés avec des contre-attaques. Enjolivée par la presse, la nouvelle fait vite le tour des popottes et un mot de d’ordre ressort : « les boches, on les aura ! (9) »

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* Division qui a lutté pour la défense du Mont Kemmel en avril 1918.

 

(1) LAPARRA Gén. J-Cl. : « 1918. L’année décisive », tome 1, « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris, 2018
(2) ZABECKI D.T. : « The German 1918 Offensives : A case Study in the Operationnal Level of War », Routledge Series, Strategy & History
(3) ZABECKI D.T., Op. Cit.
(4) Ibid.
(5) LAPARRA Gén. J-Cl., Op. Cit.
(6) ZABECKI D., Op. Cit.
(7) ORTHOLAN H. & GIOVANANGELI B. : « 1918. Le dénouement », Giovanangeli Editeurs/Ministère de la Défense, 2008, Paris
(8) BUAT Gén. Ed. : « Journal de Guerre 1914-1923 », SOUTOU G-H. & GUELTON Col. Fr. (présentation), Perrin, Paris, 2015
(9) LE NAOURS J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin, Paris

 

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