– A la mi-avril 1918, la lourde chape de plomb de la déception s’est abattue sur l’état-major du Heeres-Gruppe « Rupprecht », comme sur ceux de von Quast et von Arnim. Si les divisions d’assaut allemandes ont franchi la Lys et atteint la Lawe , elles ont manqué de crever les lignes anglo-portugaises. « Georgette » souffre donc des mêmes affres que « Michael » : un remarquable succès tactique dès le premier jour de l’offensive qui ne peut être exploité en raison de la fatigue des troupes allemandes et l’envoi de renforts alliés en toute urgence pour combler les brèches. Cependant, Ludendorff ne désarme pas et croit encore possible la percée vers Calais et Dunkerque. Mais avant, il faut percer les lignes des quatre « Monts » des Flandres. La bataille qui sera celle du Mont Kemmel va donc marquer l’échec de l’option flamande de Ludendorff.
– Le 19 avril, après de sanglants combats, les deux camps font une pause. Ludendorff ordonne alors au Kronprinz Rupprecht von Bayern de relancer l’offensive pour le 25 avril avec pour but de percer la ligne des quatre grosses cotes (100 – 120 m d’altitude) qui barrent le passage à aux Allemands entre Ypres et Bailleul. C’est l’Oberst Otto von Lossberg, le talentueux chef d’état-major de von Arnim (IV. Armee), bête noire des Britannique et reconnu pour son expertise en stratégie défensive* qui est chargé de dresser le plan. Le 20 avril, Guillaume II se rend au
QG de la IV. Armee à Saint-Vith. C’est à ce moment précis que von Lossberg présente son plan dressé rapidement. La prochaine attaque contre la ligne des quatre « Monts » (Kemmel, Rouge, Noir et des Cats) est confiée au XVIII. Reserve-Korps de Ludwig Sieger, composé des 28. ID (O. von Arnim), Alpenkorps (L. von Tutschek), 7. ID (H. von der Esch), 17. Reserve-Division (A. von Mutius) et 49. RD (E. von Üchtritz und Steinkirch). Sieger devra obtenir une percée afin d’atteindre Poperinge, à l’ouest d’Ypres, ce qui pourrait isoler une bonne partie de la Second Army. Elle s’effectuera sur un schéma classique : bombardement brutal de 4 heures (avec emploi des gaz) par 250 batteries pour museler l’artillerie, puis attaque de l’Infanterie d’assaut (appuyée par des mitrailleuses et des lance-flammes) derrière un barrage d’artillerie. Seulement, avec l’arrivée de 2 divisions britanniques – la 9th (Scottish) de H. Tudor et la 21st de D. Campbell – et de 3 françaises, Herbert Plumer a pu consolider le dispositif défensif de sa Second Army, tandis que les Français s’implantent sur les Monts. Pour l’heure, les Allemands prévoient déjà un assaut pour le 25 avril et c’est la 28. Division d’Otto von Arnim qui doit ouvrir le bal pour conquérir les pentes du Monts des Cats, en emmenant les 7. et 49. Divisionen. Mais la mission principale, celle de prendre le Mont Kemmel, revient à l’Alpenkorps de Ludwg von Tutschek, dont la réputation en matière de combats d’infiltration n’est plus à faire**, doit déboucher sur la pente nord du Mont Kemmel et exploiter la percée. Notons que contrairement aux autres divisions, l’Alpenkorpsa conservé la constitution en 2 Brigaden à 3 Regimente (à 3 Bataillonen) chacune***.
– Seulement, les Allemands ne vont pas attaquer dans du mou. En effet, conformément aux accords de Doullens qui prévoient une assistance coordonnées entre les Fronts français et britanniques, Ferdinand Foch a expédié d’urgence le Détachement d’Armées du Nord (DAN) d’Antoine de Mitry dans les Flandres à partir de divisions ponctionnées à la Ire Armée en Picardie (3e et 5e Divisions de Cavalerie du Corps d’A. Robillot) et d’autres fraîches (28e, 34e et 154e DI) retirées à la IXe Armée qui reste prudemment en Champagne. Exception faite des divisions montées (qui comptent des automitrailleuses Panhard et Peugeot dans leurs escadrons) qui ont combattu en Santerre, les divisions d’Infanterie du DAN sont à effectif plein (soit 12 000 hommes à cette date de la guerre), reposées et aguerries. Or, à ce stade de la guerre, Ferdinand Foch estime souhaitable de reprendre les offensives contre les Allemands. Il en planifie une en Picardie (Ire Armée) mais ordonne également à Antoine de Mitry de reprendre une partie du terrain perdu par les Anglo-Portugais en contre-attaquant vers la Lawe et la Lys à partir de la ligne des « Monts ». Du coup, les « Poilus » n’ont pas le temps de renforcer pleinement leurs positions défensives en se consacrant à la préparation de l’Offensive. Mais dans ce jeu de « frictions », comme aurait dit Carl von Clausewitz, la décision de Foch aura un impact salutaire. Si en terme de conquêtes le score des Français sera quasi-nul, en terme tactique la décision de Foch va permettre de tuer l’effet de surprise.

– Comme l’explique Jean-Claude Laparra, les Poilus des 22e et 30e Régiments d’Infanterie (28e DI) ont reçu l’ordre d’ouvrir la contre-attaque pour le 24 avril. Mais un brouillard dense, annonciateur de beau temps, recouvre les Monts. Toutefois, les soldats français qui surveillent la ligne allemande depuis leurs avant-postes ne tardent pas à déceler une nette agitation chez l’ennemi. C’est sûr, le Boche prépare un sale coup. De Corn en est informé et fait remonter l’information mais les ordres de Foch sont les ordres et la contre-attaque doit avoir lieu (1).
– Le 24 avril donc, les Français déclenchent un tir d’artillerie couplé à une attaque d’infanterie, appuyée par des armes automatiques (FM Chauchat et mitrailleuses Hotchkiss) et par des canons Puteaux M37. Mais les « Poilus » se retrouvent face au ligne de l’Alpenkorps qui réplique violemment à la mitrailleuse et au lance-grenade. L’assaut français est donc repoussé avec des pertes (1 300 hommes) et les lignes de bougent pas. Mais une chose est sûre, la violence de la riposte allemande en dit long sur les intentions ennemies. Les jours prochains risquent d’être rudes (2).
– Les Poilus n’ont pas à attendre longtemps puisque le 25 avril à 02h30, ils sont réveillés par 250 batteries des IV. et VI. Armeen. Celles-ci déclenchent donc un ouragan de feu de quatre heures sur la seconde et la troisième lignes françaises, en employant obus au gaz et obus explosifs. Les lignes des 28e DI, 154eDI, 9th (Scottish) Divisions, ainsi que celles d’une brigade de la 21st sont littéralement matraquées par l’artillerie allemande. A tel point que le Mont Kemmel va perdre plusieurs mètres d’altitude. « Poilus » et « Tommys » doivent enfiler les masques à gaz mais un vent de nord-ouest et la chance sont avec eux, puisque les nuages de gaz sont poussés vers les lignes allemandes. Mais pour reprendre les mots de J-C. Laparra, le feu allemand n’en est pas moins implacable, balayant la profondeur du dispositif allié. Ensuite, les Minenwerfern entrent dans la danse en arrosant les premières lignes. Mais cette fois-ci, les « artiflots » français ne s’en laissent pas compter et déclenchent une violente contre-batterie à l’aide de 105 mm (Schneider) et 155 mm (Filloux et Schneider). Pour les Allemands, la partie sera donc plus rude.
– L’assaut des Sturmtruppen du XVIII. Reserve-Korps démarre à 05h45 contre l’aile gauche des Alliés. Cette première attaque est un succès qui permet de dégager la Crête de Vroilanghoek. A 06h30, l’Alpenkorps de von Tutschek entre dans la danse et attaque la pente sud-est du Mont-Kemmel. Un violent combat, marqué par des combats au corps-à-corps, s’engage entre Alpenjäger et fantassins de la 28e DI. Mais à 10h00, le Mont Kemmel est pris et de Corn déplore 4 000 soldats tués, blessés ou disparus en plus, soit presque toute sa capacité de combat. De son côté, le XVIII. RK pulvérise toute une brigade d’Ecossais de la 9th Division et conquiert le Mont des Cats. Cependant, les Allemands ménagent leurs forces et se contentent de se cramponner aux Crêtes. Mais l’objectif d’atteindre Poperinge est décidément loin. Aussi brutale soit-elle durant son premier jour, l’offensive ne tarde pas à s’émousser. Les Allemands ne tentent plus rien et Foch ordonne de relancer une contre-attaque pour reprendre le Mont Kemmel. Antoine de Mitry fait donner les 34e DI (Gén. Savatier) et 154e DI (Gén. Breton). Mais les Alpenjäger et fantassins allemands tiennent bon et repoussent toutes les contre-attaques. Ceci-dit, Français et Britanniques sont gagnants même si leurs attaques sont stériles, puisque les Allemands ne tentent rien de plus. Avec le Mont Kemmel, la guerre de position reprend ses droits pour plusieurs semaines encore.
(1) LAPARRA Gén. J-C. : « 1918. L’année décisive », tome 1 « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris, 2018
(2) LAPARRA Gén. J-C., Op. Cit.