Bataille de Cambrai – 2 : Contre-attaque allemande. Riga et Caporetto en réduction

Suite à leur succès défensif, en partie dû aux mauvaises décisions britannique, les Allemands décident de passer à la contre-attaque qu’ils planifient durant la bataille. L’objectif principal est de reconquérir les portions perdues de la « Siegfried Stellung ». Pour cela, Rupprecht et von der Marwitz vont employer les nouvelles techniques d’assaut qui ont fait le succès de l’Armée du Kaiser en Russie comme en Italie.

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1 – STURMTRUPPEN ÜBER ALLES !

– Pour l’état-major allemand, une nécessité s’impose très vite : reprendre les portions de la Ligne « Hindenburg » conquises par les Britanniques et repousser ces derniers le plus loin possible afin de sécuriser le secteur de Cambrai. Il faut dire aussi que le secteur de Cambrai servira de base arrière et de soutien à l’offensive qu’Erich Ludendorff prévoit de lancer en direction de Saint-Quentin pour le printemps 1918. Raison de plus pour déclencher une contre-offensive localisée. Aucune volonté de la part des Allemands de chercher une victoire décisive, tout simplement parce qu’ils ne disposent nullement des effectifs humains requis*. La contre-attaque allemande vise donc davantage un rééquilibrage tout en cherchant à infliger aux Britanniques une sévère correction.

– L’idée est posée sur la table de lu Grand Etat-Major impérial par le Kronprinz Rupprecht de Bavière. Marque de la souplesse opérationnelle allemande, elle sera lancée par 3 Gruppen – 1 de la VI. Armee (Gruppe « Arras ») et 2 de la II. Armee (Gruppen « Busigny » et « Caudry ») – qui attaqueront, avec 7 divisions en tout, de façon convergente contre les ailes gauche et droite de la Third Army. Les Gruppen « Caudry » de Theodor von Watter (28., 30., 107. et 220. ID ; 9. Res.Div. ) et « Busigny » de Hugo von Kathen (XXIII. Korps 34., 183. et 208. ID) attaqueront au sud de Bonavis et Bantouzelle, tandis que le Gruppe « Arras » d’Otto von Möser (XIV. Korps 20. et 240. ID ; 21. et 49. Res.Div.)  attaquera par le nord pour dégager le secteur de Bourlon. Les 214. ID (R. Brauchitsch), 221. ID (Sie. von La Chevallerie), 119. ID (K.W. Berger) et 3. Gardes-Division (Ar. Von Lindequist) sont placées en réserve en arrière des divisions d’attaque. Enfin, von der Marwitz peut aussi compter sur sa réserve tactique, avec la 185. ID (P. von Uthmann) positionnée au nord et la 9. Königlich Bayerische-Reserve-Division (Eu. von Clauss) au sud.

– Le procédé d’attaque allemand copie – sur une échelle géographique plus restreinte – les procédés tactiques employés à Riga et Caporetto. Les Allemands ne reprennent pas la tactique de la « défense élastique » mais privilégient une contre-attaque minutieusement planifiée. Pour reprendre les mots de l’historien britannique Nick Lloyd, il ne s’agit pas de contre-attaques immédiates pour reprendre le terrain lancées par des unités autonomes (Gegenstoss) risquant la perte de cohésion, mais bien d’une action plus générale sur des objectifs clairement définis (Gegenangriff) (1). L’attaque démarrera par un court mais violent bombardement des lignes britanniques avec obus explosifs et au gaz. Les pièces de campagne seront chargées de matraquer les premières lignes britanniques pendant que les canons et Mörsers lourds pilonneront la profondeur du dispositif. Derrière le tir de barrage, des petits groupes de soldats de Sturm-Bataillonen, bien armés, bien dotés en grenades et regroupés autour d’armes collectives (mitrailleuses Maxim MG. 08/15, Minenwerfern et lance-flammes) devront percer les premières lignes ennemies et s’infiltrer dans les arrières britanniques sans s’occuper du terrain conquis. Le tout est de créer la confusion dans le dispositif ennemi afin de créer les conditions de sa dislocation et reconquérir le terrain perdu. Les Allemands ne cherchent pas ainsi à infliger de gros dégâts humains et matériels aux Britanniques (on ne retrouve pas la logique du « Bite and Hold ») mais de les contraindre à abandonner le terrain conquis. Derrière les unités de Sturmtruppen, des Bataillonen de seconde vague seront chargés de sécuriser le terrain en entraînant des artilleurs afin de répliquer aux possibles contre-attaques de Tanks. Les Tanks justement ; les Allemands ont appris à ne plus craindre ces armureries ambulantes lourdes et peu maniables et ont trouvé des parades pour les neutraliser ou les détruire. Rupprecht et von der Marwitz misent plutôt sur leurs Sturmtruppen, rapides et fluides, pour disloquer le dispositif défensif adverse, ce qui – pensent-ils – réduira à néant la puissance de feu des engins cuirassés. Car, que vaut un Tank sans un sérieux soutien d’Infanterie ? Pas grand-chose et il devient facile de l’immobiliser à la grenade ou grâces aux bouches à feu**. Les Allemands peuvent tenir pour exemple la Somme, le Chemin des Dames et Passchendaele. Mais sans renier la qualité technique et tactique des Sturmtruppen, on voit apparaître un déficit intellectuel. Peu confiants dans « l’Artillerie spéciale », les généraux du Kaiser négligent complètement le développement et l’emploi des formations blindées (il est vrai, à cause également d’une politique d’économie en acier qui privilégie les obus), ce que ne font pas les Français et les Britanniques. Les Allemands voient dans les chars un danger qui peut être écarté facilement. En revanche, ils ne voient pas que l’arme commence à croître en maturité.
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2 – ÉCHEC DE LA DÉFENSE BRITANNIQUE AU SUD

 

– Dans le succès qui se profile, les Allemands sont aidés par les Britanniques eux-mêmes. La première responsabilité est, dirons-nous, intellectuelle à l’instar du manque de clairvoyance qui a frappé les Généraux italiens avant Caporetto. En effet, Byng et ses officiers n’ont ni la connaissance, ni l’expérience de ce type d’attaque sophistiquée. Jusque-là, les Tommys ont acquis un savoir-faire tactique notable pour repousser les contre-attaques allemandes qui visaient à reconquérir du terrain. Or, c’est à un nouveau type d’attaque auquel la Third Army devra faire face. L’autre responsabilité vient du Commandement britannique lui-même. En effet, se fondant sur des renseignements erronés, les Britanniques ne prennent pas la peine de renforcer leurs lignes. Celles-ci sont déjà affaiblies à cause des pertes, d’autant que des divisions ont été retirées pour être mise au repos. Du coup, certaines unités occupent des secteurs trop étendus pour leurs seuls effectifs. Il y a toutefois bien un général pour s’inquiéter, Richard d’Oyly Snow, commandant du VII Corps (21st et 55th Divisions), d’autant qu’il couvre l’aile la plus faible du dispositif de la Third Army. D’Oyly Snow ordonne alors d’effectuer des reconnaissances nocturnes dans le dispositif ennemi. Les renseignements collectés révèlent que les Allemands préparent une attaque. Et celle-ci sera un modèle du genre.

– Le 30 novembre à 06h20 du matin, les lignes britanniques sont sévèrement réveillées par un violent ouragan de feu. Suivant le feu de leur artillerie, les Sturmtruppen s’élancent à l’attaque et prennent complètement les britanniques par surprise. Selon un témoin anglais, alors officier au 1st Bn. Berkshires, les « Allemands déferlaient par milliers ! » (2). Le propos exagère sûrement le nombre mais il est certain que la présente de plusieurs petits groupes de soldats d’élite déterminés dans leurs propres lignes, ont semé la panique chez les Britanniques qui finissent par refluer en désordre. Les Allemands reconquièrent alors un front de plus de 3,5 km de profondeur. Et c’est sur le flanc droit, au sud de la route Gouzeaucourt – Bonavis que les Allemands remportent leur plus beau succès. Les 12th (Eastern), 20th (Light) et 55th (West Lancashire) Divisions qui manquent d’être complètement disloquées et anéanties. Non moins surprise, la Guards Division fait montre d’un peu plus de solidité en combattant retenir les Allemands à Gouzeaucourt. Mais il n’en reste pas moins que les Allemands sont sur le point de réduire le saillant constitué par les Britanniques. Au soir du 30 novembre, ils sont déjà dégagé tout le bois d’Havrincourt et repris le Bois de Lateau. Ils s’infiltrent ensuite par l’ensemble de ravins au sud de Banteux, attaquent Villers-Guislain et passent Gouzeaucourt, défendus tant bien que mal par les Guards, des artilleurs et même par les soldats américains fraîchement arrivés de la 11st US Engineer Company.

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Georg von der Marwitz

3 – LA THIRD ARMY LIMITE LA CASSE

– Alors que les Britanniques sont sur le point de connaître un désastre au sud, ils sont également violemment attaqués au nord. Après un violent barrage couplant obus explosifs et obus au phosgène, les Sturmtruppen du Gruppe « Arras » s’élancent à l’assaut sur la Chapelle d’Anneux afin de couper la route Bapaume – Cambrai. Mais ils sont repoussés par un violent feu de Lewis et Vickers des 47th (1/2nd London), 2nd et 56th (London) Divisions qui ont relevé les 36th et 40th et qui sont à effectifs pleins. A l’issue d’un combat particulièrement furieux, les Britanniques tiennent fermement Gonnelieu, Welsh Ridge, Les Rues Vertes et Masnières et tiennent la route Bapaume – Cambrai sous leur contrôle. Mais à l’issue de ses combats, un dangereux saillant s’est formé depuis la Crête de Bourlon jusqu’à Marcoing.

– Avec l’échec de leur assaut au nord, les Allemands n’obtiennent qu’en partie ce qu’ils cherchaient du point de vue tactique. En effet, le 3 décembre, Haig ordonne à Byng de raccourcir ses lignes en abandonnant le saillant Crête de Bourlon – Marcoing, ce qui a pour vertu de reconstituer un front plus solide et cohérent, malgré la constitution d’un autre saillant à Flesquières. Malgré une défense improvisée dès le 30 novembre, les Britanniques réussissent à ralentir puis stopper les Allemands. Ceux-ci, constatant que leurs offensive s’essouffle, s’échinent à lancer de nouveaux assauts dans l’espoir de percer. Mais ils se prennent à leur tour dans le jeu de l’arroseur arrosé, puisque toutes leurs attaques débouchent en des combats localisés qui perdent en cohérence. Le 5 décembre, la Bataille s’arrête et le front se stabilise.
– A l’issue de ses six jours de combats, les Britanniques ont échappé à un désastre en manquant de perdre plusieurs divisions en un temps record. Mais l’alerte a été particulièrement chaude. En dépit de leur échec contre Gonnelieu, les Allemands ont prouvé leur capacité à lancer une contre-attaque en utilisant des procédés tactiques et techniques novateurs. Seule la ténacité de trois divisions a permis d’éviter le désastre. Mais l’effet moral sur les unités du VII Corps ont laissé une trace sérieuse. Mais le demi-succès des Sturmtruppen à Cambrai ne va pas décourager le commandement allemand, au contraire. Suivant les expériences de Riga et Caporetto, Ludendorff décide d’accroître le nombre de Sturm-Bataillonen au sein de chaque division afin de constituer un nombre suffisant d’unités de percée. Et ce, dans le but de lancer une offensive de grande échelle en misant sur les tactiques d’infiltration.

* A ce stade de la Guerre, 60 divisions allemandes sont encore présentes en Russie, 2 dans les Balkans et 7 en Italie. Ludendorff n’a pas les moyens de lancer une vaste contre-offensive. Mais il prépare déjà son vaste projet du printemps 1918.

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(1) LLOYD N. (Dr.) : « Passchendaele. A new History », Penguin Publishing, Wiking, Londres, 2017
(2) BILTON D. : « The German Army on the Western Front 1917-1918 », Pen and Sword Publishing, Londres, 2007

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