– Est-il nécessaire de présenter le Lieutenant-Colonel Rémy Porte ? Docteur en Histoire (HDR) et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la Grande Guerre. La sortie de son dernier ouvrage présenté ici, « Les Etats-Unis dans la Grande Guerre. Une approche française », paru aux éditions Soteca, tombe à point pour le Centenaire de l’entrée en Guerre des Etats-Unis commémorée en cette année 2017. Il n’est pas le seul ouvrage sur ce thème également diffusé cette année, puisque l’on peut mentionner celui d’Hélène Harter « Les Etats-Unis dans la Grande Guerre » (Tallandier), ou même celui de Thomas Saintourens « Les Poilus de Harlem » (Tallandier).
– L’ouvrage du Lieutenant-Colonel Porte brosse de manière complète et limpide l’engagement américain dans la Première Guerre mondiale. Le premier tiers du livre concerne la neutralité du Président Wilson sans omettre les volontaires américains présent sur le Front français avant l’été 1917 ; le second s’attarde sur la déclaration de guerre et les conséquences de l’engagement (politique intérieure, instauration de la conscription, impacts économiques), tandis que le troisième traite de la formation et des combats de l’American Expeditionary Force (AEF) ainsi que des rapports entre les militaires américains et leurs alliés français et britanniques. Notons qu’un chapitre intéressant est consacré à l’engagement de l’US Army durant la Guerre Civile russe en 1918.
– Pour ce qui nous intéresse ici, Rémy Porte montre comment la jeune nation, première puissance économique mondiale, est entrée dans une guerre de masse européenne alors qu’elle n’est qu’un nain militaire terrestre. Créditeurs et fournisseurs de la France et de la Grande-Bretagne durant la Première Guerre mondiale, les Etats-Unis n’ont qu’une armée active de 120 000 hommes (sans compter la National Guard) dépourvus de matériels lourds et qui ne connaissent rien à la Guerre moderne. Ceci-dit, les Etats-Unis entrent de plein pied dans la Guerre de masse en intégrant aussi bien les dimensions militaire, industrielle et économique. D’une part, en incorporant plusieurs millions d’hommes sous les drapeaux, bien que certains ne combattront jamais sur le front. Et d’autre part, l’industrie tourne à plein et les échanges avec les alliés du Vieux Continent s’accroissent. Mais pour des raisons techniques, les usines américaines fabriqueront sous licence des véhicules et du matériel français et britanniques (exception faite de certains modèles de camions). Et concernant cet aspect économique, l’ouvrage décrit très bien les impacts locaux et régionaux, liés à l’arrivée des troupes américaines en France.
– L’entrée en guerre américaine dans le conflit marque le tournant du conflit en faveur des alliés mais former l’AEF prend du temps, d’autant que les Sammies, enthousiastes et frais, n’ont aucune expérience. Britanniques et Français s’emploient à les former et les équiper (notamment en mitrailleuses modernes et en armes lourdes) mais les deux alliés finissent par entrer en concurrence pour fournir et intégrer les unités américaines. En outre, les Américains apprennent le travail d’état-major, perfectionné depuis 1914. Et pour les officiers de l’AEF, c’est un tout nouveau mode de fonctionnement qu’ils appliqueront que très difficilement, ce qui va expliquer leurs lourdes pertes consenties durant l’été et l’automne 1918. Le Lieutenant-Colonel Porte n’omet nullement d’expliquer en quoi – et pourquoi – le Commandement français et le Général Pershing (qui obéit d’abord à Wilson) vont entrer en désaccord sur l’intégration des divisions américaines sur le Front. Le problème allant être résolu par la diplomatie de Ferdinand Foch, au détriment de la vision de Philippe Pétain. L’ouvrage offre également lignes très intéressantes sur la l’installation de bases logistiques et d’ateliers en arrière du front qui vont employer des centaines de milliers d’hommes. Enfin, l’histoire des Afro-Américains entrés dans le conflit n’est nullement oubliée.
– Un seul regret que les passionnés d’histoire militaire pourront souligner : l’absence d’explication critique sur la décision de Pershing de former des divisions « lourdes » de 28 000 hommes. Et pourquoi, comme l’avait souligné le jeune Colonel Douglas MacArthur en mai 1917, cette idée n’était pas bonne en soi. C’est là un choix de l’auteur de ne pas en parler. Oubli que l’on pardonne très facilement.
– A lire donc !
* Ce qui correspond, peu ou prou, aux effectifs pleins de 2 divisions françaises et britanniques et de 2,5 divisions allemandes.