Evolution de l’emploi de l’Infanterie française en 1916

– Le public a tendance à l’oublier mais en 1916, l’emploi des fantassins français commence à connaître de notables mutations. On se cantonne bien souvent à la vision des « Poilus » défendant leurs positions à Verdun. Mais à l’instar des Britanniques, les Français commencent à réfléchir à l’amélioration de l’emploi de leur Infanterie pour les assauts. Il s’agit là d’un impératif au regard des saignées de 1914 et de 1915. Constatant (enfin) que l’emploi des grandes vagues d’infanterie envoyées pour déborder les positions ennemies ne donne que des résultats sanglants, les généraux français débattent de l’utilité de ne plus miser essentiellement sur le nombre mais sur la mobilité et la puissance de feu.

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Fantassins français s’entraînant au maniement du Canon de 37mm Mle 1916 à tir rapide

– Le Commandement comprend très vite l’intérêt de maintenir temporairement des unités à l’arrière pour leur dispenser une instruction plus poussée sur les nouvelles méthodes de combats. Ainsi, Joffre ordonne-t-il de « réduire au strict minimum les forces laissées en première ligne pour permettre de perfectionner l’instruction des troupes » (octobre 1915). Contrairement aux Britanniques où les réflexions se font individuellement ou collectivement dans les états-majors des Divisions ou des Corps (Ivor Maxse), les débats chez les Français s’effectuent dans les états-majors d’Armées et de Corps d’Armée. Préparant son offensive sur la Somme, Ferdinand Foch (alors à la tête du Groupe d’Armées du Nord) préconise une « progression par bonds » et non plus une attaque par vagues. Foch souscrit également aux idées nouvelles du Capitaine André Laffargue, fondées sur son expérience des combats d’Artois. Dans « Étude sur l’attaque dans la période actuelle de la guerre, impressions d’un commandant de compagnie », et « Conseils aux fantassins pour la bataille » préconise d’envoyer une vague de fantassins « sonder » le dispositif ennemi avant de s’en retirer. Seulement les idées fécondes – quoique critiquables par endroits – de Laffargue sont écartées par Maurice Gamelin – alors Chef du Cabinet de Joffre – qui voit d’un mauvais œil l’influence du jeune officier.

1 – L’évolution de l’emploi offensif

– Mais comme l’a expliqué Michel Goya l’Armée française comprend que l’Infanterie a perdu sa place de Reine des batailles. L’industrialisation de la guerre vient de montrer que la chair à canon ne peut lutter efficacement contre les mitrailleuses et les bouches à feu. Les charges en rangs serrés n’ont donné – en très grande majorité – que des résultats meurtriers pour des gains médiocres. Résultat de cette industrialisation de la Guerre pour l’Armée française, la part des effectifs de l’Artillerie augmente, tandis que ceux de l’Infanterie, déjà sérieusement entamés, vont décroissant. Tout l’emploi des hommes de première ligne doit être revu. Assistant aux exercices de sa 121e Division d’Infanterie en préparation de l’attaque de la Somme (8 juin 1916), le Général Edmond Buat montre ce changement notable. Il y décrit l’envoi à l’assaut de tirailleurs en densité ni trop forte, ni trop, afin de favoriser la vitesse et la puissance de feu. Ils doivent avancer par bonds et en groupes espacés. Voici les détails du mode opératoire donnés par Buat : « Tout consiste à maintenir dans cette chaîne sa densité idéale, c’est-à-dire sa capacité de feu maxima avec la surface vulnérable minima. C’est pour cela qu’on met, en arrière de la chaîne, de petits réservoirs qui, en langage ordinaire (combat d’approche) sont des ‘soutiens’ et, en langage d’assaut, 2e vague. En arrière des soutiens, viennent, à leur tour, des fractions (réserves de compagnie) – 3e vague, dans l’assaut – qui sont destinés à remplacer les soutiens, si ceux-ci sont absorbés par une chaîne où les pertes ont créé des vides. Et ainsi de suite, en allant vers l’arrière. Ce sont donc les besoins de la chaîne qui provoquent le glissement continu des forces de l’arrière vers l’avant. Il en résulte que si la chaîne ne subit pas de pertes, ou peu, il n’y a aucune raison pour que les vagues suivantes se confondent avec elle.  Et cette non-confusion est indispensable si l’on songe que la chaîne d’une unité peut avoir gagné plus de terrain que celle des unités voisines et qu’elle resterait exposée à toutes les contre-attaques de flanc s’il n’existait pas d’échelons en arrière ».
Cette technique de combat qu’expose Buat n’est pas sans rappeler – avec des variantes certes – le triptyque posé par le britannique Maxse : percée – soutien – sécurisation (voir ici : https://acierettranchees.wordpress.com/2015/11/22/lemploi-de-linfanterie-britannique-seconde-partie/).

– Ces nouvelles dispositions appellent un remodelage du Bataillon – alors unité tactique de combat. Redonnons la parole au Général Buat : « le bataillon de guerre ne comprendra plus désormais que 3  compagnies à 200 hommes et 1 compagnie de mitrailleuses. La 4e compagnie sera compagnie de dépôt ». Les unités de dépôts (créées de la compagnie à la division) incarnent la nécessité de former des bases-arrières qui pourvoiront les compagnies en effectifs perdus. On compte alors 3 compagnies de dépôts par Régiment (soit 1 par bataillon) qui forment un groupe et 4 groupes par Division. Mais les groupes de dépôt ne servent pas qu’exclusivement au complément des effectifs. Ainsi, toujours selon Buat, ils doivent dispenser des cours de formation aux officiers (commandants de compagnie comme chef de section), sous-officiers et soldats au maniement des grenades, mais également à la spécialisation au tir à la mitrailleuse, au maniement d’outils de tranchées et à l’utilisation des téléphones de campagne.

– D’autre part, l’évolution de l’armement du fantassin contraint aussi à ses actions en groupes. Durant l’assaut les lanceurs de grenades (à la main ou au fusil) doivent s’arrêter avant d’expédier leur projectile sur la ligne adverse. Il en va de même pour les soldats tireurs au fusil-mitrailleur – de même que leurs pourvoyeurs – qui sont contraints souvent de poser leur arme sur trépied. Ainsi, l’augmentation de la puissance de feu des compagnies et bataillons s’accompagne de nouvelles interactions et nouveaux savoir-faire collectifs.

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2 – Amélioration de l’instruction

– Les sphères supérieures de l’Armée française misent sur un meilleur enseignement pour les soldats et les fantassins dans le combat d’infanterie. Ainsi, en 1916, ce type d’initiative devient également l’apanage des commandements de Groupes d’Armées. Ainsi, pour la préparation de la bataille de la Somme, Foch crée pour le GAN des centres d’instruction à Amiens et Montdidier. Pétain fait de même pour le GAC. On crée ainsi une école pour les chefs de bataillon, comme des écoles pour les fantassins, les mitrailleurs, les fusiliers-mitrailleurs, les grenadiers, les téléphonistes, les agents de liaison, etc.
Un camp de manœuvre est également mis en place dans chaque armée avec tranchées, réseaux téléphoniques. Les officiers reçoivent également toute une série de reproductions de bulletins de renseignements récoltés par les services du 2e Bureau ou l’Aviation.

– En revanche, toujours selon Michel Goya, l’enseignement des acquis manque un temps de centralisation. C’est manifeste à Verdun quand une division en relève une autre. Les officiers et sous-officiers des deux n’ont pas forcément reçu le même enseignement au sein des centres d’instruction d’Armées ou de Corps d’Armées. Cela provoque une forme de confusion dans l’échange des expériences lors d’une relève de divisions, comme cela se produit à Verdun.

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Fusil-mitrailleur CSRG Chauchat (photo de l’auteur)

3 – Les nouvelles armes collectives et individuelles

– En 1915-1916, on peut aussi parler d’un retour des Grenadiers (voir cet article : https://acierettranchees.wordpress.com/2016/02/14/le-retour-des-grenadiers/). Ainsi, un soldat bien entraîné au lancer de grenade peut expédier son projectile à 35 mètres, voire à 50 pour les plus doués. Mais avec l’apparition de la grenade à fusil Vivien-Bessières, une compagnie d’Infanterie accroît sa puissance destructrice grâce à cette « petite artillerie ». Un soldat doté de cette nouvelle arme peut envoyer son projectile quadrillé de 475 grammes de 85 m (angle de tir de 80°) à 190 m (angle de 45°). Chaque compagnie est dotée de 8 fusils lanceurs de grenade.

– La part des armes collectives augmente également au sein des bataillons et régiments. Tout d’abord les mitrailleuses Hotchkiss, dont le rôle varie du tir de barrage au feu de soutien en passant par la suppression, leur nombre croît de manière significative. Il passe ainsi de 6 par régiment en 1914, à 24 en 1916 ; soit d’une seule section à 3 compagnies à 8 armes chacune (avec 1 compagnie dans chaque bataillon).
Une nouvelle arme fait aussi son apparition au sein des compagnies d’infanterie afin de leur procurer davantage de puissance de feu tout en leur garantissant une plus grande mobilité sur le terrain, chose impossible avec les mitrailleuses. Il s’agit du fusil-mitrailleur CSRG* Chauchat Modèle 1915 (photo ci-dessus). Un premier prototype avait été expérimenté dans les Ateliers de Puteaux sous la direction du Colonel Louis Chauchat. Sa fabrication en série fait l’objet d’un ordre de Joseph Joffre en 1915. Rustique et peu ergonomique au tir debout, il est néanmoins économique en acier et en francs et très facile à fabriquer. Sa cadence de tir est de 500 coups par minute (pour un chargeur contenant 20 cartouches). Et pour le calibre, on conserve celui du Lebel (8 mm) ce qui lui permet d’utiliser les mêmes cartouches. Son emploi nécessite néanmoins un binôme de soldats, soit un tireur et son pourvoyeur Sa production est confiée aux usines Cycles-Gladiator dirigées par Louis Ribeyrolles et situées au Pré-Saint-Gervais, dans l’est parisien. Introduit au sein de plusieurs régiments d’infanterie dès l’hiver 1915-1916, le Chauchat n’acquiert pas une grande popularité auprès des soldats du fait de nombreux cas d’enrayements et des accidents de tir. En 1916, la dotation est de 8 fusils-mitrailleurs par compagnie d’infanterie, soit 24 par bataillon et 72 par régiment.

– Enfin, une dernière arme collective fait son apparition, le canon de 37 mm modèle 1916 à tir rapide (TR). Conçue également sans les Ateliers de Puteaux (APX), cette petite pièce d’artillerie (d’une portée maximale de 2,4 km) a pour emploi d’appuyer les fantassins dans la percée des lignes ennemies, la consolidation des positions et la défense. Pour les phases d’assaut, il est notamment engagé dans la neutralisation des positions de mitrailleuses, notamment celles placées derrière un abri. A cette fin, il utilise des obus de rupture capables de percer des plaques blindées. Pour la défense lors de contre-attaques, il peut tirer des obus explosifs. Pesant 108 kg mais pouvant se scinder en trois fardeaux (affût, canon, trépied), il nécessite cinq hommes pour son déplacement et huit pour son emploi total (chef, porteurs, pourvoyeurs et tireur).

Initiales de : Chauchat, Sutter, Ribeyrolles, Gladiator

Sources :
– GOYA Colonel Michel : La chair et l’acier, Tallandier
– BUAT Général Edmond : Journal 1914-1923, présenté par Georges-Henri Soutou et Frédéric Guelton, Perrin, Ministère de la Défense

 

3 réflexions sur « Evolution de l’emploi de l’Infanterie française en 1916 »

  1. Quelques coquilles à corriger :
    – « Mais les idées fécondes – mes critiquables par endroits – de Laffargue » : un « mes » à changer en « mais » pour former « mais critiquables » ;
    – « ils doivent dispenser des cours […] pour le maniement des grenades, mais pour la spécialisation au tir à la mitrailleuse, … » : il manque apparemment un « également », pour former « mais également pour la spécialisation » ;
    – « le Chauchat n’acquiert pas une grande popularité des soldats » : il manque visiblement un « auprès ».

    Ceci étant, article très intéressant, que j’ai lu bien en détail, mais ça, on peut s’en douter vu les coquilles que j’ai détectées. 🙂

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    1. Au fait, plutôt que de répéter « mais » et pour éviter la lourdeur d’une incise dans « Mais les idées fécondes – mais critiquables par endroits – de Laffargue », autant remplacer ça par « Mais les idées fécondes, quoique critiquables par endroits, de Laffargue ». Bon, d’accord, ça reste une incise, mais avec des virgules, c’est à mon avis plus léger.

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