Quand des soldats de la Grande Guerre redeviennent arbalétriers et piétons

– Lorsque éclate la Guerre de mouvement à la fin de l’été 1914, les belligérants des deux camps usent de procédés tactiques et techniques fondés sur l’offensive, avec mouvements et puissance de feu. Seulement, avec l’apparition des tranchées et l’installation de la « guerre de positions », les adversaires sont contraints de « créer du neuf avec du vieux » en puisant du côté de l’Époque médiévale. On va donc assister à une forme de réappropriation des armes blanches, des cuirasses et des armes de jets mais davantage pour des coups de mains et des opérations qu’avec anachronisme assumé, nous pourrions qualifier de « commandos ». Français et Allemands s’y sont investis mais comme nous le verrons, les plus « novateurs » dans le domaine seront les Italiens et les Austro-Hongrois. Si l’adoption de ces nouvelles techniques peut paraître anecdotique, elle est intéressante pour être soulignée. Mais pour terminer cette introduction, laissons parler l’historienne Béatrice Heuser : « De nombreuses formes de technologies anciennes ont survécu jusqu’à l’ère nucléaire. La technologie n’a guère évolué depuis la Guerre de Trente Ans jusqu’au milieu du XIXe siècle » (1).

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Landser posant avec leurs Stirnpanzer

1 – Le retour des armes de jet

– Avec l’apparition des Minenwerfer allemands à la fin de 1914, les Français se retrouvent dépourvus de réplique adéquate. Du coup, en attendant l’arrivée du célèbre « crapouillot » et des lance-bombe, des esprits ingénieux mettent à profit leur savoir-faire pour « bricoler » des lance-grenades avec les quelques moyens dont ils disposent. Reprenant les systèmes des arbalètes, ils mettent donc au point des armes de jets sophistiquées. Les plus célèbres d’entre elles étant la baliste Blondel, la « Sauterelle d’Imphy » et la baliste Vincent. Elles représentent ainsi une artillerie moyenne en-dessous de l’artillerie de campagne, avec un certain avantage, le tir silencieux de grenades ou de petites bombes. L’utilisation de ces nouvelles armes est dévolue à des détachements au sein de régiments d’artillerie.

a) Les lance-grenades

– La baliste Blondel est une sorte de roue avec casemate, actionnée par deux manivelles produisant une force centrifuge par rotation qui permet de propulser les grenades jusqu’à 250 m plus loin. En outre, le poids des projectiles pouvait être variable mais l’engin était plutôt efficace malgré son poids. Malgré un incident qui coûta la vie à trois artilleurs en 1917, le Lieutenant Blondel améliore je système de jet par l’ajout d’une chambre de tir séparée de la casemate. Avant son remplacement définitif par des Crapouillots et mortiers de tranchées, la Baliste Blondel fut produite à 50 exemplaires.

* On trouve aussi d’autres types d’engins imaginatifs. Présentant un aspect ressemblant au Trébuchet, la mitrailleuse à grenades Goldschmidt, mise au point par l’ingénieur d’artillerie éponyme, consiste en deux bras creux actionnés par une roue. Malgré sa portée de plusieurs centaines de mètres, elle n’est pas retenue.

** La Baliste Bon est un engin sophistiqué et précis mais nécessitant trois hommes pour son maniement. En revanche, l’engin est lourd et son maniement entraîne la fatigue de ses trois servants. Autre inconvénient, il requiert une maintenance seulement en atelier et non sur place. Prévue pour lancer des projectiles de 2,5 – 5 kg, elle n’est pas retenue en raison de sa complexité. Néanmoins, son concepteur le Sous-Lieutenant Bon est autorisé à poursuivre son développement. En août 1918, il présente les plans de deux nouveaux modèles corrigés mais l’Armée n’engage pas davantage de recherches.

*** On peut aussi évoquer les « systèmes Simon » mais leur emploi n’est pas attesté sur le Front. Néanmoins, on sait qu’il s’agissait d’un système sophistiqué constitué de lames d’acier comme propulseur.
b) La « sauterelle d’Imphy » (voir photo ci-dessous)

– Fin 1914, on voit quelques soldats français utiliser des arbalètes pour lancer des bâtons à grenades. Mais en 1915, l’officier d’artillerie Elie André Broca – Polytechnicien, Agrégé de Physique et Docteur en médecine dans le civil – propose à l’Armée un nouveau type d’arbalète. Esprit ingénieux, Broca va aussi travailler sur les systèmes d’optiques, les systèmes d’écoutes pour les submersibles et les dirigeables. Pour le moment, l’arbalète de Broca se présente comme une arme simple, facile d’emploi, économique et facile à produire. Bien que d’une portée inférieure aux modèles décrits plus haut (125 m maximum), elle est particulièrement maniable, ne pèse que 29 kg, tire quatre coups par minute et peut être actionnée par deux hommes seulement. Le brevet est demandé fin mars 1915 à la société anonyme Coventry Fourchambault et Decazeville. L’Armée donne aussitôt son accord à la production qui démarre dans l’aciérie d’Imphy dans la Nièvre (aujourd’hui propriété du groupe Arcelor-Mittal). L’arme est bientôt surnommée « la sauterelle d’Imphy ». Plusieurs types seront conçus (A, B et C) mais seul le A est distribué sur le front, au titre de 800 exemplaires sur 1 000 commandés. Le Type A comprend un arbre en bois et mécanisme de tir en acier. Celui-ci compte une luge d’armement à crémaillère avec treuil, curseur coulissant, manivelle et cliquet anti retour ; un cliquet pour armer les grenades, un chariot, une règle de graduation (en cm) et un cadre pour fixer le ressort de tension. Pour faciliter le réglage du tir, une table de tir est fixée sur l’arme. Il est recommandé de positionner la « sauterelle » sur un angle de 45° pour obtenir des conditions optimales de tir. Enfin, le projectile est placé dans une fronde fixée au ressort.
Enfin, la « sauterelle d’Imphy », peut tirer des grenades réglementaires de 1,5 kg, des grenades suffocantes et des grenades incendiaires. La grenade est projetée par un cordon fixé à un crochet au-dessus du « cliquet », qui arrache l’allumeur et met le feu à la mèche de la grande.

La sauterelle d'Imphy (Source : http://lagrandeguerre.cultureforum.net)
La sauterelle d’Imphy
(Source : http://lagrandeguerre.cultureforum.net)


Chez les Britanniques
d’autres inventions similaires à celles des Frnaçais voient le jour. Ainsi, Claude Pemberton Leach met lui aussi au point une arbalète inspirée de la Sauterelle d’Imphy, baptisée Leach Trench Catapult (photo ci-dessous). Présentée en 1915 à Sir Louis Jackson (Chef du Trench Warfare Department du Ministère des Munitions) et testée au sein de l’Experimental Section de l’Ecole de tir de Hythe, elle est par la suite améliorée par le Captain Todhunter. La version finale permet de tirer un projectile toutes les 15 secondes (on espérait en 4,5) sur un angle de 35° pour une portée d’environ 150 mètres. Mais Todhunter recommande plutôt d’utiliser un angle de 41,5° pour rendre le tir efficace. Les servants de cette arbalète peuvent envoyer des grenades cylindriques artisanales « Jam Tin » ou des grenades sphériques (Ball Grenades) No 15.

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Reconstitution d’une Leach Trench Catapult 


2 – Cuirasses et casques
– Avant l’enlisement du conflit, seuls les Cuirassiers portent des plastrons pour les protéger des coups de sabre. En revanche, les Allemands, avec la guerre de tranchée, les Allemands adoptent des cuirasses afin de garantir une meilleure protection à leurs tireurs d’élite. Utilisant d’abord des plaques blindées comme protection de parapets, les Landser utilisent en 1917 des Sappenpanzer et Stirnpanzer comprenant un plastron et des tassettes qui ne sont pas sans rappeler les armures de plates du XVe siècle. 500 000 Sappenpanzer ont été produites mais elles se sont révélées lourdes (12 kg) et inconfortables.
Pour la protection de la tête, les Allemands font aussi preuve d’imagination. Jusqu’en 1916, lorsque les soldats sont encore coiffés du Pickelhaube (« casque à pointe ») – qui est en cuir et non en métal –, plusieurs officiers de l’Armée impériale font preuve d’imagination. La première surgit du cerveau de l’Oberstleutnant (Lieutenant-Colonel) Hesse, alors en poste sur le Front des Vosges au sein de l’Armees-Abteilung Gaede (Détachement d’Armée « Gaede »). Hesse se rend compte que le sol rocailleux de la région est source de graves blessures à la tête. En effet, les explosions provoquent des éclats de pierres qui blessent les soldats au visage. Du coup, Hesse imagine une protection qui consiste en un Pickelhaube sans sa pointe mais renforcé calotte d’acier rivetée et taillée pour protéger – en partie – le crâne, les yeux et le nez. Pesant 2,6 Kg, avec l’avantage d’être réglable par le soldat, la protection Gaede n’est pas sans rappeler les salades des chevaliers des XIe – XIIe siècles.
On trouve aussi les différentes variantes de la « Kopfschild mit Kappe aus Drell » (« protège-tête avec coiffe en drap ») mises au point par la firme Berg & Co. Il s’agit en fait d’une plaque d’acier incurvée, adaptable sur les Pickelhaube ou bien sur des coiffes spécialement taillées, grâce à des sangles et des encoches (voir photo ci-dessous). Mais elles ont été bien moins distribuées que les Gaede, même si leurs fabricants en ont vanté la grande efficacité, sans que nous en ayons des preuves solides.
Enfin, pour mieux protéger leurs tireurs d’élite, les Allemands mettent au point une curieuse plaque surnommée « Elephantsmask » car sa forme fait penser à la tête du pachyderme. Distribuée en petit nombre sur le front en 1915, elle est taillée afin de permettre au tireur de garder libre son œil de visée. En revanche, ce type de protection à l’inconvénient d’être lourd (6 kg), contraignant les Landser à tirer couchés.

 

Quatre différents modèles du protège-tête avec coiffe en drap Source : humanbonb.free.f
Quatre différents modèles du protège-tête avec coiffe en drap
Source : humanbonb.free.f

– Sur le front de l’Ouest, si l’on ne voit pas de telles innovations chez les Britanniques (même si ceux-ci se réapproprieront des Stirnpanzer), les Français ne sont pas en reste. Ainsi, dès l’automne 1914, les modèles Heslouin et Louppe font leur apparition sur le Front. 100 000 exemplaires sont déjà distribués sur le Front à la fin de la première année du conflit. Mais le modèle mis au point par Louppe est lourd (12 kg) et encombrant. En 1915, la firme Daigre met au point une autre cuirasse pour fantassin. Il s’agit d’une simple plaque d’acier en forme d’écu, portée par le soldat grâce à des sangles. Bien que plus perfectionné au niveau de la protection, ce modèle reste lourd et encombrant. Daigre en sort une version plus perfectionnée courant 1917.
Adrian – concepteur du célèbre casque des « poilus » – se lance aussi dans la fabrication de plaques protectrices. Le modèle de protection abdominale (avec tassettes) qu’il propose en 1916 est beaucoup plus léger que ceux de Louppe et Daigre (3,5 kg) mais reste encombrant. Adrian en sort un nouveau modèle en 1917, sans tassettes mais bien plus léger (1,5 kg).
Enfin, chez les Français, on trouve aussi toute une gamme de protection en acier comme un protège bras, une sorte de « brouette blindée » et différents types de boucliers.

– Toutefois, il faut chercher sur le Front des Alpes italiennes pour voir aussi d’importantes innovations en ce domaine. On pourrait presque dire que certains soldats Italiens affichent une ressemblance avec les hommes d’armes des Cités et des chefs mercenaires du XVe siècle.
En 1915, la Reggia Escercita subit de très lourdes pertes face au feu des austro-hongrois. En attendant d’être livrés en protections Daigre par les Français, les officiers italiens pratiquent des essais sur des modèles fabriqués dans la péninsule. Mais les premiers modèles de cuirasses visant à protéger une grande partie du corps, sont aussi lourds et encombrants qu’inutiles. Toutefois, courant 1915, la Société Farina met au point une plaque de protection en forme de trapèze de 8,6 kg, mesurant 40 x 30 cm, épaisse de 8 cm et composée de cinq couches de tôle d’acier au nickel-chrome. Farina met aussi au point le modèle « Corsi » avec plaques de tôle d’acier au nickel-chrome très résistante. Pesant 6,5 kg (3,3 pour le modèle plus petit) se compose de quatre plaques métalliques (pectorale, deux abdominales et une inguinale) séparées mais reliées entre elles, ce qui permet au fantassin de la porter avec plus d’aisance. Farina garantit que ce nouveau modèle est résistant aux balles, aux shrapnels et aux armes blanches. Le Ministère de la Guerre italien fait essayer ce modèle à l’École de tir de Nettuno et à l’Ecole d’application d’Infanterie de Parme. Se révélant concluant, le modèle « Corsi » est venu à l’Armée royale à des exemplaires limitées mais aussi aux Armées alliées. En raison de cette production restreinte, la cuirasse est surtout distribuée aux « Compagnie della morte » (« compagnies de la mort »), soit des petits détachements chargés d’ouvrir des passages dans les lignes des barbelés ennemis.
D’autres soldats italiens disposeront aussi du modèle « Orfei » ou d’autres cuirasses produites artisanalement à l’échelon de l’atelier militaire. Enfin, d’autres détachements – les « Compagnie Scudate » – chargées d’ouvrir des passages dans les lignes austro-hongroises seront équipés de boucliers.
Pour les casques, Farina produit aussi des casques rappelant les coiffes de guerre médiévale. Mais s’ils sont conservés au sein des « Compagnie della Morte », le Commando Supremo opte pour l’emploi du casque français Adrian, auquel on ajoute soit des mailles protectrices ou des plaques additionnelles. Enfin en 1917-1918, les Doughboys américains reprendront l’idée des casques à protections additionnelles pour leurs tireurs d’élite (visière Polack), donnant ainsi naissance aux Model 5 et 8.

Protection et casque Farina (Photo personnelle)
Protection et casque Farina
(Photo personnelle)

3 – Les masses d’armes

– Il est bien connu que dans les combats de tranchée, nombre de fantassins employaient des poignards (les Allemands en utiliseront des versions modifiées), tout comme des pelles aiguisées. Mais ce sont les Austro-Hongrois qui « ressuscitent » la masse d’arme, arme de combat médiévale très répandue chez les piétons des XIVe et XVe siècles. Elles font donc leur réapparition en 1916. Quand elles ne sont pas produites en série, elles sont fabriquées dans les ateliers du front à partir de matériaux de récupération (bâtons, manches de grenades, manches de pelles, morceaux d’acier). Mais toutes ont la particularité de s’inspirer de l’ancienne « Morgenstern », soit un bâton ferré hérissé de pointes d’acier. Elle est très vite employée dans des accrochages et coups de main dans les Alpes.
La masse d’arme trouve son heure de gloire dans la Grande Guerre le 29 juin 1916 lors des combats du Monte San Michele. En effet, après une attaque au gaz qui disloque les rangs de la 21a Divisiona, des soldats hongrois achèvent les survivants italiens à la masse d’arme. Le choc est si rude dans l’opinion transalpine que le Commando Supremo édicte un ordre spécial stipulant de ne faire aucun prisonnier chez les soldats de l’armée Habsbourg qui combattent à coups de masse.

(1) : cité in « La part médiévale de la Grande Guerre », Ligne de Front, N°53

Sources :
– « La sauterelle d’Imphy », in 14/18, Novembre 2009
– THERS A. & CALO G. : « La part médiévale de la Grande Guerre », in Ligne de Front, N°53, Janv.-Fév. 2015
– BULL Dr. Stephen : « World War I Trench Warfare (1) 1914-1916 », Osprey Publishing, London
– http://theriflesww1.org/The-Leach-Gammage-Trench-Catapult.php

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