Film de guerre britannique quasiment passé dans l’oubli, remake de « La fin du voyage » (J. Whale, 1931), « Le tigre du Ciel » aurait pu s’intituler « Vie et mort des pilotes britanniques de la Grande Guerre ». Bien moins connu que l’hollywoodien « Le crépuscule des aigles » (J. Guillermin), le film de Jack Gord relate la vie d’un groupe d’officier d’un Squadron du Royal Flying Corps en 1916-1917. Son mérite est de montrer la guerre des pilotes et donc, pas seulement depuis les postes de pilotage mais avec la vie de base et les temps de permission.
Ni pro-guerre ni antimilitariste, « Le tigre et du ciel » est sorti durant une période de l’histoire du cinéma où les films de guerre n’avaient plus la cote dans le monde anglo-saxon, surtout après la fin de la Guerre du Vietnam. Pourtant, le film de Jack Gold offre peut-être une vision assez juste et humaine d’un pan de l’histoire militaire de la Grande Guerre qui est longtemps resté connu sous l’angle des combats aériens « mythifiés » comme la dernière épopée chevaleresque d’une aristocratie militaire européenne. L’historiographie a fait lit de cette mythologie pour montrer que dès 1915, la guerre aérienne s’est « brutalisée » (pour reprendre le terme cher à George Mosse).
Le film s’ouvre sur une
Garden Party de la bonne société britannique, avec fanfare militaire. Il y est fait présentation des armes et des uniformes, avec un appel à l’engagement dans le Royal Flying Corps**. S’ensuit une scène très « edwardienne » dans un College, avec un office anglican (présidé par Sir John Gielguld) qui introduit le Major John Gresham (Malcolm McDowell) qui témoigne des combats aériens mais de façon à susciter l’engouement des jeunes de bonne condition. Les plans serrés sur les enfants évoquent clairement. Le film suit ensuite le personnage du Lieutenant Stephen Croft (Peter Firth), jeune officier frais émoulu qui arrive au 74 Squadron avec seulement quinze heures de vol d’entraînement. Il est pris en main par le Greesham, plus aguerri et par le Major « Uncle » Sinclair (Christopher Plumer). Il rencontre également le Lieutenant Crawford (Simon Ward), un officier taciturne et solitaire, hanté par des cauchemars dus aux images d’horreur qui ont marqué son expérience en vol. Très vite, Stephen Croft fait l’apprentissage du danger, de la peur, de la douleur, comme de la fraternité d’armes. Il apprend notamment à voir disparaître ses amis, abattus dans des missions sans gloire chevaleresque. Il comprend lui-même que les missions en vol sont très risquées et n’ont pas la dimension héroïque et romantique qu’on lui a vantée.
Le film met très bien en évidence un élément qui est resté longtemps à la discrétion du public : la vie des bases aériennes et la culture de guerre – encore aristocratique – des pilotes. Premièrement, il apparaît vite, lors de séquences, que les pilotes du RFC bénéficient d’un traitement privilégié (hébergements en dur, vie loin des premières lignes, l’ennui entre les missions, les repas chauds réguliers, distractions régulières…). La séquence où l’on voit Croft et un officier français débouler dans une zone de repos d’un régiment français est évocatrice. Les pilotes apparaissent comme surgis tout droit d’un autre monde, au milieu de blessés agonisants, de soldats sous le choc après des combats « industriels », de médecins militaires qui font leur besogne avec consentement résignée. La même séquence est aussi révélatrice d’un décalage, voire d’un anachronisme chez les pilotes britanniques : la recherche des pilotes ennemis pour comptabiliser une victoire. Cette pratique était bien entendu courante chez les trois belligérants mais elle est le marqueur d’une culture de « chasse aristocratique » où le « gibier » devait être compté et une partie de l’appareil – sinon le pilote – ramenée à la base comme trophée. L’arrivée du pilote allemand dans la base britannique, avec la fête donnée en son honneur reste sûrement l’une des séquences qui touche à l’absurde… pour mieux souligner l’absurdité de la Guerre. Mais ce geste « chevaleresque » entre vite en décalage les séquences de combat aérien qui montrent combien l’instinct de chasseur-tueur comme la ruse, prennent vite le dessus dans la violence des combats. De plus, le film montre un autre aspect intéressant qui est occulté dans « Le crépuscule des aigles » : les risques engendrés par l’accroissement et l’amélioration de la DCA allemande. Et au moins, les personnages français ont bien un accent français. Nous vous laissons découvrir la scène finale, sobre et intelligente.
Techniquement, « Le tigre du ciel » a vieilli, incontestablement. On remarque vite les tournages en studios à l’aide de maquettes. Cependant, on appréciera (peut-être d’autant plus) la mise en scène intelligente des combats aériens, avec des plans resserrés, notamment sur les pilotes et les dégâts encourus par les avions. Mise en scène renforcée par la belle photographie de Gerry Fisher.
*Le RFC dépend de l’Army (Armée de terre) jusqu’à sa transformation en arme indépendante en avril 1918, suite à un accroissement sensible du nombre d’appareils et de pilotes. Il est alors renommé Royal Air Force (RAF).
« Le Tigre du ciel » (« Aces High »)
Réalisation : Jack Gold
Production : Benjamin Fisz, Basil Keys et Jacques Roitfeld
Scénario : Howard Barker
Photographie : Gerry Fisher
Musique : Richard Hartley
Distribution
– Malcolm McDowell (Major John Gresham)
– Christopher Plummer (Captain « Uncle » Sinclair)
– Simon Ward (Lieutenant Crawford)
– Peter Firth (Lieutenant Stephen Croft)
– David Wood (Lieutenant Thompson)
– Trevor Howard (Lieutenant-Colonel Silkin)
– Sir John Gielguld (le Directeur d’Eton)
– Richard Johnson (Colonel Lyle)