En ce qui concerne l’année 1944, la mémoire régionale bretonne s’est beaucoup attachée aux combats de la Résistance, aux bombardements, ainsi qu’aux destructions des ports de Lorient, Brest, Saint-Nazaire etc. Pourtant, peu de monde n’a eu conscience de l’impact opérationnel de phase des combats de la Libération. Dans son dernier ouvrage, l’historien Nicolas Aubin pose un constat qui peut nous paraître étonnant : les Américains se sont englués pendant un mois en Bretagne, situation qui a pesé sur la libération de la Lorraine et de la Moselle et finalement, pour un résultat négligeable. Tactiquement et techniquement, la prise de Brest par Middleton est un exemple mais c’est oublier que s’ils ont, apparemment, dilapidé des milliers d’hommes, les Allemands y ont obtenu un répit beaucoup plus important qu’il y paraît. Explications
1 – QUAND EISENHOWER COURT DEUX LIÈVRES
– Remontons tout d’abord en arrière. Comme le signale Nicolas Aubin, la Bretagne devient un élément de la planification du SHAEF dès l’été 1944. La raison est logistique et stratégique. Eisenhower souhaite en effet s’emparer des ports de Saint-Malo, Saint-Nazaire, Brest et Lorient, afin de faire taire la menace des U-Boote, comme de pouvoir débarquer plus de renforts et de ravitaillement dans l’Ouest de la France. Mais l’idée va même plus loin, puisque le SHAEF prévoit de transformer le port d’Auray (Saint-Goustan) en débarcadère. Il est vrai qu’Auray est abrité par le Golfe du Morbihan, lequel est protégé des courants de l’Atlantique par la presqu’île de Quiberon. Mais il y a un hic et de taille : la
météorologie. En effet, quand arrive l’automne, les vents et les courants de l’Atlantique rendent les traversées de la Manche plus risquées. Eisenhower veut donc aller vite. En juillet, il donne des ordres clairs à Bradley et Patton :
1 – La percée « Cobra » aura pour objectif de faire sauter le verrou d’Avranches qui commande les routes de Fougères, Dol et Rennes.
2 – Aussitôt la percée obtenue par la First US Army, la Third US Army de Patton s’introduira dans la brèche et lancera plusieurs divisions à la conquête de la Bretagne, puis de la Mayenne.
3 – En Bretagne, Patton aura pour mission de prendre rapidement les ports et empêcher les Allemands de s’y replier et de procéder aux destructions des infrastructures.
– Or, dès sa conception, ce plan présente un problème qui va s’accentuer avec la tournure que prend la Campagne de Normandie. Premièrement, Patton a pour ordre de déployer son armée sur deux axes divergents. Omar N. Bradley – qui a pris la tête du 12th Army Group – a attribué à Patton le VIII Corps de Troy H. Middleton, en plus des XII (Cook), XV (Haislip) et XX (Walker). Patton doit donc coordonner la libération de la Bretagne ainsi que l’exploitation de la percée obtenue par « Cobra » en direction de la Loire. Autre point intéressant, Troy H. Middleton : ce fantassin méticuleux doit coopérer avec le Cavalier Patton qui pense « manœuvre en profondeur ». Et pour couronner le tout, Middleton doit coordonner l’action de 2 divisions blindées – 4th et 6th Armored Divisions –, ce qui n’est pas sa spécialité. Mais pour faciliter les opérations, Patton a attribué à Middleton le 15th Cavalry Groups, dont les automitrailleuses M8 Greyhound – qui couvriront les flancs des unités blindées et mécanisées – sont équipées de radios à longue portée, ce qui devra faciliter la coopération et la coordination entre les chefs de divisions.
– Mais alors que Patton chevauche en Bretagne et vers la Loire, Bradley entrevoit la possibilité d’encercler le gros du Groupe d’Armées « B » de von Kluge en Normandie. Mais Bradley voit trop grand. Il estime qu’il faut encercler les Allemands par un enveloppement géant en direction de la Seine. On connaît la suite : au lieu de priorisé la fermeture du « Chaudron » de Falaise, Patton fait changer l’axe offensif à Patton en direction de Chartres et Mantes. Inutile d’entrer ici dans les détails de la Course à la Seine. Il n’en reste pas moins que fin août, les Alliés ont fait sauter le verrou normand, libérer Paris et passé la Seine. Les Britanniques foncent alors vers la Belgique… pour manquer l’occasion de dégager rapidement Anvers. Mais ils disposent du Havre et de Rouen, avant de dépenser plusieurs mois à dégager Boulogne et Calais. Mais le constat est là. Le franchissement de la Seine sécurise davantage les rives de la Manche, notamment à l’entrée de la mauvaise saison. Par conséquent, la prise des ports bretons revêt une utilité des plus limitées. Mais Ike veut Brest et Lorient.
2 – DE L’UTILITE DES « FESTUNGEN »
– Les opérations de libération de la Bretagne commencent sur les chapeaux de roues mais la machine ne va pas tarder à se gripper. Le VIII Corps entre en Bretagne le 1er août et bouscule les restes du LXXIV. Armee-Korps d’Erich Straube qui tente de lui barrer le passage. Placées en fer de lance, les 4th Armored Division (John S. Wood) et 6th Armored Division (Robert W. Grow) s’enfoncent profondément dans le dispositif ténu des LXXIV. et XXV. AK. Les 2-3 août, Pontorson, Fougères, Antrain, Combourg et Dol sont libérés. Entraînant à sa suite le 121st Infantry Regiment (Col. Robert R. Jeter), « Tiger Jack » Wood fonce sur Rennes qu’il prend soin de contourner après un sérieux accrochage au niveau de Betton. Finalement, la ville est investie par l’Infanterie américaine, aidée de la résistance le 4 août. Wood fonce ensuite vers le sud et le sud-ouest, en lançant ses Combat Commands en direction de Saint-Nazaire et Lorient, bousculant des détachements administratifs et techniques qui fuirent vers Lorient.
– Plus au nord, la 6th Armored Division de Grow s’élance vers Morlaix et Brest, laissant la 83rd US Division (Robert C. Macon) de nettoyer les arrières. Cette division d’infanterie, sévèrement secouée lors de la « Bataille des Haies », réussit à repousser la 77. Infanterie-Division (Bacherer), de même que les résidus des 91. Luftlande-Division et 265. ID dans la poche de Saint-Malo après avoir libérer Dinan et dégager les deux rives de la Rance. Mais Ike veut aussi Saint-Malo. Si l’ancien port des corsaires possède une capacité de débarquement plus faible que Brest ou Lorient, au moins est-il placé à proximité de la Normandie, ce qui n’est pas négligeable en termes de logistique. Or, 12 000 allemands s’y sont retranchés, comptant pêle-mêle des restes de 2 divisions de Normandie, du personnel administratif et du personnel de la Kriegsmarine (artillerie, hôpitaux, dépôts). L’Oberst von Aulock qui commande à tout ce monde de qualité très inégale décide de résister, d’autant qu’il peut s’appuyer sur un puissant réseau de fortifications (Alet, Cézembre, Saint-Ideuc et la Pointe de la Varde). En bon fantassins, Troy H. Middleton charge alors Macon de prendre la ville et lui attribue plusieurs Bataillons d’Artillerie lourde (pièces « Long Tom » et M1 de 155 mm), 1 Bataillon de Tank Destroyers, ainsi que des unités de mortiers chimiques. Ajoutons à cela les chasseurs-bombardiers du XIX US Tactical Air Command (E.R. Quesada) et des unités de la Royal Navy. Sauf que la division de Macon devenue (douloureusement) plus familière des combats en rase campagne qu’en ville. Comme Patton lui impose un tempo, Macon doit passer outre l’entraînement au combat urbain de ses régiments pour compter en priorité sur la puissance de feu collective (N. Aubin). Résultat, il faut douze jours aux Américains (du 6 au 17 août), avec des destructions considérables, pour venir à bout de la résistance allemande en jouant du gros calibre et du napalm. La coopération interarmes en zone urbaine, notamment entre les régiments d’infanterie et le 709th Tank Battalion, a été médiocre. La division de Macon a été méthodique et lente. Opérationnellement, les jours passés à dégager les ruines de Saint-Malo ont immobilisé une division qui avaient assez de mobilité pour aller suivre l’une des divisions blindées engagées en Bretagne.
– Après-Guerre, beaucoup de généraux allemands qui commandaient en France en 1944 ont émis des avis similaires : la stratégie d’Hitler de transformer les ports de l’Atlantique en Forteresses (« Festungen ») n’a servi à rien, sinon qu’à sacrifier des dizaines de milliers d’hommes qui aurait pu être utiles ailleurs. L’image qui a longtemps été retenue fut celle de Cherbourg qui ne pouvait être tenu pendant des mois. Mais c’est oublier que pour la prise de Cherbourg, les Américains bénéficiaient des ports artificiel, de la proximité de l’Angleterre pour l’appui tactique, ainsi que du puissant feu des forces navales. Pour les ports bretons, la situation est changée.
– Premièrement, regardons l’état des unités qui sont restées en Bretagne durant la campagne de Normandie. Pour la surveillance des côtes, ont compte les unités d’artillerie et d’observation de la Kriegsmarine ainsi que le XXV. Armee-Korps de Wilhelm Fahrmbacher, dont l’état-major assure l’administration des forces de la Heer placée en occupation – ou au repos – en Bretagne depuis la fin de 1940. Amputé de 2 divisions parties en Normandie (353. ID et 275. ID), Fahrmbacher assure seul la défense de la Bretagne depuis le 6 juin, surtout depuis que les départs successifs des II. Fallschirm-Korps et LXXIV. Korps. Il ne lui reste que les 266. ID (Hans Junck) et 343. ID (Erwin Rauch). Ces deux divisions sont en sous-effectifs (8 000 hommes chacune), n’ont qu’une faible puissance de feu collective, composées de soldats trop jeunes ou trop vieux ou sous-motorisées. Elles comptent aussi des bataillons d’Osttruppen (Russes et Ukrainiens) à la valeur combattive douteuse. Aurait-il donc été utile de les replier vers la Seine avec une mobilité pauvre, sinon famélique. En revanche, Fahrmbacher peut compter sur l’arrivée de la 2. Fallschirmjäger-Division d’Hermann-Bernhard Ramcke, un ancien des campagne de France, de Crète, de Russie et d’Afrique du Nord. Cependant, la Division parachutiste a dû se séparer de son Fallschirm-Regiment 6 du non moins célèbre Oberst von der Heydte, parti combattre en Normandie dès le Débarquement. Pour ses effectifs d’infanterie, elle ne dispose donc plus que du Fallschirm-Regiment 2 (Erich Pietzonka) et du Fallschirm-Regiment 7 (Hans Kroh). Comme toutes les unités bichonnées par Hermann Göring, la division de Ramcke bénéficie d’une acceptable puissance de feu collective (mitrailleuses MG 42, canons antichars PaK 40, canons FlaK de 20 mm, 37 mm et 88 mm et mortiers) La 2. FjD reçoit alors l’ordre de défendre Brest et de rien laisser aux Américains.
– Ceux-ci sont encore sur les routes bretonnes, bien aidés par les FFI Bretons qui servent de guides. Mais Patton ne fait pas confiance aux Résistants bretons (pourtant bien organisés et encadrés par des SAS). Mais il reconnaîtra par la suite que les opérations en Bretagne auraient pu être beaucoup plus difficiles sans leur concours. Seulement, à la tête de leurs seules divisions qui foncent sur trois axes divergents, Grow et Wood n’ont pas le « punch » suffisant pour s’emparer rapidement des ports. Premièrement, leurs lignes se sont étirées et le ravitaillement met plus de temps à parvenir aux unités de combat. Mais il y a plus évident voire plus grave. La structure même des divisions blindées américaines est taillée pour des opérations de mouvement ET NON POUR DES SIEGES. Pour preuve, elles possèdent de l’artillerie de campagne mobile (pièces de 105 mm) mais aucun obusier/canon lourd. Pour le coup, en dépit du mépris que lui affiche Ramcke, Fahrmbacher a le bon réflexe. D’une part, il s’enferme avec son état-major et des restes d’unités dans Lorient, suffisamment soutenu par de l’artillerie navale. Du coup, Wood ne peut rien tenter avec un seul Combat Command dépourvu de puissants soutiens en bouches à feu et surtout, sans l’appui direct de l’élément aérien. De son côté, Grow voit son avance vers Brest freinée. En effet, des détachements de Fallschirmjäger harcèlent ses colonnes entre Carhaix et Brest. Bientôt, Ramcke qui a pris la tête de la « Festung-Brest » commande à 40 000 hommes, dont des jeunes parachutistes prêts à en découdre, des fantassins de valeur inégale.
– Par conséquent, le bilan de la percée en Bretagne est bien loin des attentes d’Eisenhower et de Patton. Saint-Malo est en ruines, Brest et Lorient sont encore aux mains des Allemands qui ont réussi ce qui paraissait alors impensable : imposer à une grande formation tactique américaine une guerre de positions. Un comble pour Patton qui mise tout sur le mouvement. Mais l’impact pour le bouillant général américain se situe clairement sur le PLAN OPERATIONNEL. Convaincu qu’il faut percer sur la Sarre pour entrer en Allemagne et flanquer une ultime dérouillée aux Reich hitlérien, Patton a convaincu « Ike » et Bradley (qui le soutient) d’engager une offensive en Lorraine mais avec ses 3 autres corps (XII, XV et XX). Mais comme l’explique très bien N. Aubin, outre les problèmes du ravitaillement liés aux déficiences du « Red Ball Express », Patton tient une épée émoussée. Ces 3 Corps ont plusieurs centaines de kilomètres dans les bottes et les chenilles et ils vont devoir progresser dans un terrain difficile. Et plus grave encore, Patton sous-estime les forces allemandes placées entre Thionville et le Canal Rhin – Marne. Résultat, surestimant les capacités de son armée, il l’estime capable de foncer sur la Sarre en quelques jours. Grave erreur. Pire, il est amputé du VIII Corps qui aurait pu apporter un précieux soutien car Patton doit répondre aux ordres d’Eisenhower de prendre Brest et Lorient. Au moins il réussit à ponctionner ses deux divisions blindées qui n’ont pu vraiment d’utilité en Bretagne. Mais elles n’arriveront pas sur la Moselle avant le 10 septembre. En revanche, il doit se passer de 3 Divisions d’infanterie (2nd, 8th et 29th) qui auraient été bien plus utiles dans le secteur de Metz et le massif vosgien. Pour preuve, le savoir-faire déployé en matière de combat urbain à Brest, par les 2nd US Division (Walter M. Robertson) et la 29th US Division (Charles H. Gerhardt) va faire défaut à Metz. On peut voir aussi comme cause le manque de confiance de Patton envers la Résistance bretonne. Or, la région comptait énormément de jeunes FFI prêts à en découdre avec les « Boches ». Il aurait suffi de les armer (l’US Army pouvait le faire) et de leur laisser suffisamment d’officiers aguerris en combat urbain pour les instruire. Au pire, on aurait laissé ses unités de FFI aux mains de généraux français pour des raisons politiques et rameuter l’ensemble du VIII Corps vers la Moselle. Mais il aurait aussi fallu qu’Eisenhower fasse le deuil de l’utilité des ports bretons à ce stade de la Guerre, ce qui n’a pas été le cas. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la situation opérationnelle en Bretagne s’imbriquer dans la campagne de Lorraine.
3 – COMBAT URBAIN DANS BREST
– Grâce à son positionnement géographie, Brest est particulièrement bien défendue. Les Allemands peuvent compter sur l’important réseau fortifié français remanié et renforcé depuis 1942 par l’Organisation « Todt » pour protéger la base sous-marine. La Festung est donc connectée à un réseau de batteries d’artillerie de divers calibres protégeant les accès terrestres et maritimes de la ville. On trouve donc plusieurs batteries sur les Presqu’îles de Crozon et de Plougastel, dont des canons lourds de 280 mm. Sauf que toute une gamme des pièces d’artillerie réunies par la Heer et la Kriegsmarine est un armement de prise. En effet, comme sur l’ensemble du littoral atlantique, les Allemands disposent de tout un arsenal de bouches à feu de provenance française, tchèque, belge et même soviétique. Ceci ne facilite aucunement l’approvisionnement en munitions car les calibres sont sans cesse différents et les stocks sensiblement limités, surtout depuis l’exploitation de la percée d’Avranches par les forces de Patton. Enfin, Brest dispose est aussi fortement défendue par l’artillerie antiaérienne (FlaK), très concentrée dans et autour de la cité portuaire. A l’intérieur, les défenseurs peuvent toujours compter sur les remparts couvrant l’ancien quartier militaire des deux côtés de la Penfeld. Bâtis par Vauban durant le règne de Louis XIV, ils mesurent 10 m de haut. Les approches de la ville sont aussi garnies de nids de mitrailleuses, de champs de mines, de fossés antichars et d’obstacles. C’est donc une noix visiblement dure à casser qui se présente devant les Américains. Une noix dure qui va nécessiter près de trois semaines de combat.– Middleton veut aller vite mais cette fois, il a retenu la leçon de Saint-Malo. Et il a un plus net avantage avec la qualité de ses unités. Si la 8th US Division (Donald A. Stroh), engagée lors de la phase finale de « Cobra », n’a pas l’expérience du combat urbain, il n’en va pas de même pour les 2nd et 29th US Divisions. Celles-ci combattent depuis début juin (la 29th a débarqué sur Omaha) et ont en commun l’expérience de la prise de Saint-Lô. A cela, il faut ajouter les 2nd et 5th Rangers Battalions (infanterie d’élite) commandés respectivement par les Lt.Col. James E. « Bud » Rudder et Max Schneider ; le premier s’étant illustré lors de l’assaut de la Pointe du Hoc et le second ayant lui aussi connu le carnage d’Omaha Beach. Les deux bataillons ayant pu compléter et ré-entraîner leurs effectifs après une période de repos dans la région de Barneville-Carteret. Chaque division d’infanterie bénéficie de l’appui de Chemical Mortars Battalions, d’un Tank Battalion. Middleton compte surtout utiliser sa puissante artillerie. Malheureusement, en raison de l’étirement des lignes américaines, les stocks d’obus du VIII Corps se retrouvent considérablement rationnés. Il peut donc compter sur les 12 Field Artillery Battalions répartis au sein de ses divisions (obusiers de 105 et 155 mm), ainsi que sur les 10 FAB (artillerie lourde) qu’aligne déjà le Corps, bientôt portés à 18. Le général américain compte aussi sur l’appui fourni par la Royal Air Force (chasseurs bombardiers « Typhoon », « Tempest », « Hurricanes » et « Spitfire ») et les pièces lourdes du cuirassé britannique HMS « Warspite ». Enfin, pour le combat urbain, Middleton reçoit l’apport du 141st Royal Armoured Corps britannique, détaché de la 79th Armoured Division. Il s’agit d’une unité blindée spéciale car formée de chars Churchill Mk V « Crocodile » dotés de lance-flammes.
– Troy H. Middleton souhaite d’abord d’isoler Brest par le nord et le sud en s’emparant de Crozon et des batteries situées sur la côte sud-ouest de la rade. Pour conquérir Brest, il dispose de trois divisions d’Infanterie. Il ordonne ensuite à Robertson et Gerhardt de former chacun une Task Force à partir de leur division respective afin d’isoler Plougastel et Crozon. La Task Force « A » est donc constituée à partir d’éléments de la 29th Division, pendant que la Task Force « B » est constituée à partir du 38th Regimental Combat Team et commandée par le Colonel Ralph W. Zwicker. Les deux unités combinées devant agir de concert avec les 2nd et 5th Rangers.
– L’attaque démarre le 23 août avec l’appui du HMS « Warspite » qui pilonne les batteries allemandes du Conquet et de la Pointe Saint-Mathieu. Après plusieurs combats, la Task Force « B » réussit à mettre le pied dans la Presqu’Île de Plougastel et à conquérir la Cote 154 qui permet d’observer le port et Crozon. Les Allemands vont alors résister avec acharnement pendant sept jours de plus. Ce succès permet alors à Middleton d’envisager l’assaut direct sur Brest dès le 25 août. Il place alors ses forces comme suit : 2nd Division à l’ouest sur la ligne Landerneau – Guipavas – Saint-Marc) ; la 8th US Division au centre sur la ligne Gouesnou – Lambézellec et enfin, la 29th sur la ligne Saint-Renan – le Conquet – Quartier de Recouvrance.
– L’assaut sur Crozon démarre plus tardivement, dès le 1er septembre. La Task Force A qui est chargée de la mission d’isoler la presqu’île dispose d’éléments des Rangers, de blindés légers du 86th Cavalry Reconnaissance Squadron, de mortiers du 82nd Chemical Mortars Battalion et de la C Company du 480th Light Anti-Aircraft Artillery Battalion (artillerie antiaérienne légère). Pendant près d’une semaine, cette force combinée s’emploie à nettoyer Crozon, s’emparant successivement du Menez Hom (le point culminant des Monts d’Arrée). Pendant ce temps, la Task Force « S » – nouvellement formée – commandée par le Brigadier.General Leroy H. Watson (commandant en second de la 29th Division) s’enfonce dans Crozon sur 3 km pour attaquer la Presqu’Île du Conquet. Avec l’aide du 2nd Rangers, Watson réussit à s’emparer de Trébabu sur la route Le Conquet – Saint-Renan. Le 9 septembre, la Task Force « S » et les Rangers s’emparent de Lochrist. Rejointe par la 8th US Division et le 2nd Rangers de Rudder le 15 septembre, la Task Force « A » avance vers l’ouest de Crozon. Si la 8th peine sur des défenses bien établie, la TF « A » finit par s’emparer de Guennantec tout à l’est de la presqu’île le 17 septembre. Le 19, le 13th Infantry réussit à s’emparer de Quelern et de la Pointe des Espagnols. Le 20, la Task Force A s’empare de Pont-Croix à l’Ouest de Douarnnenez. Enfin, les Rangers de Rudder s’assurent le contrôle de l’Île Longue. Crozon est donc définitivement nettoyée.
– L’assaut contre le port de Brest commence le 26 août, avec l’appui des obusiers Howitzer et « Long Tom ». Il est méthodique. Chaque position ou nid de résistance préalablement repéré par l’infanterie est balayé par un barrage d’artillerie ou par un bombardement de l’artillerie tactique. Puis, des petits groupes de fantassins s’élancent, puissamment soutenus par des mitrailleuses, des grenades et des Bazookas. D’autres groupes les soutiennent par des feux directs délivrés par des canons antichars de 57 mm ou les pièces des M 10 « Wolverine ». Des soldats équipés de radios accompagnent les fantassins pour donner les coordonnées à l’artillerie et à l’aviation. D’autres Blockhäuse doivent être enlevés avec le soutien des chars lance-flamme britanniques. Seulement les fantassins américains rencontrent une vive résistance de la part des parachutistes qui tiennent fermement le terrain et causent de sérieuses pertes aux GI’s. Le 175th Infantry Regiment du Colonel William C. Purnell (29th Division) réussit à progresser et à sectionner les lignes de communication entre les défenseurs de Brest et les batteries sud-ouest. Seulement, la brume fait son apparition obligeant les appareils du RAF 2nd Tactical Group à réduire leur sortie, ce qui ralentit le rythme de progression de Middleton. Le 1er septembre, Middleton l’assaut reprend avec l’appui des bombardiers Hendley-Page « Halifax » et Avro « Lancaster » de la RAF. Mais les parachutistes allemands font preuve de mordant, n’hésitant pas à contre-attaquer sur les positions du 121st Infantry Regiment (8th Division)/ Mais le 2 septembre, la situation bascule en faveur des Américains le 2. En effet, la 2nd US Division réussit à s’emparer de la Cote 105 au sud-ouest de Guipavas qui domine la route Brest-Landerneau. Mais le secteur d’Elorn est là encore, le secteur est fermement tenu par les Allemands et les Américains marquent le pas. Cependant, au centre, la 8th Infantry Division de Stroh réussit à s’emparer de la Cote 80 évacuée par l’ennemi.
– Après une pause pour reconstituer les stocks de munition de ses unités, Middleton relance l’assaut contre la ville le 8 septembre. Après une violente préparation d’artillerie contre l’agglomération brestoise, les trois divisions américaines repartent à l’attaque à 10h00. La Division de Robertson combat durement pour enlever les Cote 90 et 105 défendues par des abris en béton. Les officiers américains font venir des canons antichars et les très bons obusiers Howitzer M1A1 de 105 mm qui pilonnent les abris allemands en tir tendus. Après un violent combat, les Américains ramassent 370 prisonniers. La Caserne de Pontanézen, Mesmerrien, Lambézellec, Loscoat et la Cote 82 tombent aussi. Preuve de son professionnalisme, la 29th US Division ne perd que 252 hommes mais capture 988 allemands.
– Les 9 – 10 septembre, le quartier de Rouvrance est nettoyé après de durs combats, puis le 9th Infantry Regiment du Col. Hirschfelder (2nd US Division) dégage la rive est de la Penfeld. Le 11 septembre, les hommes de Gerhardt – général maniaque et moins brillant que ses Colonels – franchissent le Fossé Saint-Pierre, avant de prendre la Cote 97. Le 13, puissamment soutenus par l’Artillerie, ils s’emparent des Fort de Kéranroux et Montbarey, tandis que le 5th Rangers Battalion s’empare du Fort de Portzic. Pendant ce temps, les hommes de Walter M. Robertson achèvent le nettoyage de la Penfeld, ramassant 2 900 Allemands. Mais c’est seulement le 20 septembre, qu’après avoir appris la chute de Crozon que Ramcke décide de cesser le combat. Il dépose alors les armes au Brigadier.General Charles W. Canham, celui-là même qui poussait ses soldats sur Omaha Beach le 6 juin. Middleton ne déplore que 4 000 soldats de perdus. 38 000 Allemands partent alors en captivité.
– A première vue, on pourrait croire que les Allemands ont gaspillé plusieurs milliers d’hommes dans une bataille de poche perdue d’avance. Mais ne nous y trompons pas. C’est bien Patton qui a été le perdant car les jours dépensés par Middleton pour conquérir Brest, sont autant de jours gaspillés devant Metz et au sur les rives de la Seille. Les 3 divisions américaines mobilisées étaient à effectifs pleins, bien équipées et bien soutenues en puissance de feu collective. Leur absence va se faire sentir en Lorraine car elles ne pourront relever à temps celles de la Third US Army qui vont s’épuiser dans des combats de positions. L’affaire ne s’arrête pas là car les Américains immobiliseront une autre division devant Saint-Nazaire (la 94th) pendant plusieurs mois et en maintiendront une devant Lorient (la 66th) devant Lorient jusqu’au… 9 mai 1945. Laissons le mot de la fin à Nicolas Aubin qui conclut de façon lapidaire : « Brest a été un succès tactique américain mais un succès opérationnel allemand ».
SOURCES
– AUBIN N. : « La Course au Rhin (25 juillet – 15 décembre 1944). Pourquoi la Guerre ne s’est pas arrêtée à Noël », Economica, Paris, 2018
– BLUMENSON M. : « Liberation. The official History of US Army », Charles Corlett
– Rapport d’Opérations du VIII Corps pour la Bataille de Brest
– Rapport d’activités du XXV. Armee-Korps en Bretagne, SHAT