L’emploi des chars et canons d’assaut en Normandie – 3/3


PARTIE 3 : LES AMÉRICAINS

La campagne de Normandie a bien montré que les chars américains restaient inférieurs technologiquement aux « fauves » allemands, Washington ayant privilégié la quantité au détriment de la qualité. Il ne faut pas oublier que cette logique répondait aux besoins d’une guerre de masse. Durant le conflit, les Américains seront toujours en mesure de remplacer leur matériel perdu au combat grâce à leur industrie de guerre. Par conséquent, à rebours de la Panzerwaffe, les First et Third US Armies ont clairement utilisé leurs blindés dans une logique offensive, que ça soit en appui des unités d’infanterie ou en exploitation de percée. Hasardeuse dans le bocage, l’utilisation des forces mobiles mécanisées par les Américains a trouvé sa maturité lors de l’Opération « Cobra ». Le sens tactique et l’agressivité des commandants de divisions et de Combat Commands ont beaucoup bénéficié aux opérations de manœuvre. Mais si les blindés américains ont été employés avec succès, c’est également grâce à une puissante logistique et à leur intégration dans un ensemble offensif qui a été redoutable durant la campagne de Normandie.

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1 – MATURATION D’UNE DOCTRINE
NÉE DE LA GRANDE GUERRE

– L’US Tank Corps naît le 1er janvier 1918 quand les Américains font la connaissance des Tanks britanniques et des Renault FT français. Confiée au Colonel Samuel Rockenbach, la mise sur pied des unités blindées américaines doit beaucoup à un Major de Cavalerie du nom de George S. Patton Jr. qui se « convertit » très vite à la mécanisation. A la fin de l’année 1917, il suit de près à la Bataille de Cambrai et correspond avec la tête pensante du Royal Tank CorpsJohn Frederick Fuller. En mars 1918, c’est avec 10 chars que Patton entraîne les deux premières compagnies qu’il a formées. C’est aussi Patton qui pose la doctrine américaine en matière d’emploi des chars. Piochant chez les Britanniques comme chez les Français, Patton insiste sur un double rôle des chars : la rupture pour les tanks lourds et l’exploitation de la percée pour les chars légers. Lors des offensives de l’automne 1918 (Saint-Mihiel, franchissement de la Ligne « Hindenburg » et « Meuse-Argonne »), les divisions américaines sont appuyées par 1 bataillon de chars. Mais la coopération infanterie-char chez les Américains n’est pas du niveau de celle des Britanniques et des Français. Cependant, Patton a déjà posé les bases de l’emploi des chars chez les Américains, avec une prépondérance nette pour le rôle offensif.

– Durant l’Entre-deux-Guerres, la démobilisation, l’isolationnisme et la crise économique de 1929 ne sont guère propices au développement de l’arme blindée, même si quelques cerveaux comme Patton y réfléchissent hardiment. Mais il faut bien voir que les Américains reprennent vite l’idée du char à tourelle mobile des Français. Ils recherchent la conception d’engins à bonne mobilité, polyvalent, économiques à produire et pouvant tirer tous azimuts. Mais les engins lancés dans les années 1930 (comme le M2), se révéleront 

périmés et inadaptés aux nouvelles donnes de la Guerre mécanisée. Washington ira même jusqu’à acheter des modèles à Londres et à Paris. Etrangeté américaine, une loi votée par le Congrès en 1920 interdit à la Cavalerie de mettre en œuvre des engins blindés. En revanche, dès 1938, inquiet de la situation géopolitique en Europe et en Asie, Franklin D. Roosevelt lance un programme d’armement, notamment en avions et en chars. Ce programme répondra ensuite à la demande britannique. En 1938, le War Secretary lance l’idée des Medium Tanks, soit des engins qui doivent combiner puissance de feu et mobilité. Ces chars doivent être suffisamment protégés tout en conservant une certaine agilité pour les manœuvres. C’est dans cette optique qu’est conçu le M3 Grant (Lee chez les Britanniques) suivant le Renault B1 bis français. Mais cet engin se révélera inadéquat en Tunisie (trop haut, armement inadapté…). En 1940, l’état-major commande un char davantage calqué sur les modèles allemands. Testé en 1941, le modèle T26 est approuvé et prend la dénomination de M4 Sherman. Or, dès 1942, la rationalisation de l’industrie de guerre et la correction de problèmes d’assemblage (ajout de moteurs d’avion pour la motorisation du M4) vont permettre à l’engin d’être produit en masse.  Parallèlement, en 1941, Washington lance la fabrication d’un char léger et rapide, le M3 Stuart. Nous reviendrons sur ces deux modèles.

– Cherchant un char pouvant appuyer l’infanterie et contribuer à obtenir des percées, les Américains privilégient d’abord la quantité. Après l’attaque de Pearl Harbor, l’Etat-major américain souhaite former une force blindée qui dépasserait les capacités des Allemands. Washington table alors sur la création de 61 divisions blindées (Armored Divisions) qui seraient regroupées au sein de puissants Armoured Corps, constitués sur le modèle allemand. Mais cette idée est vite battue en brèche par le Général Lesley J. McNair, patron des Army Ground Forces. McNair estime que la constitution d’Armored Corps est impossible pour une armée qui grandit mais n’est pas encore arrivée à maturité. Ensuite, comme l’explique Nicolas Aubrin, plusieurs généraux doutent de l’utilité de ce type d’unité alors que le couple Infanterie – Artillerie peut se prévaloir d’une meilleure balistique antichar. Les expériences de Tunisie, d’Italie, ainsi que les pertes subies par les Corps de Chars de l’Armée Rouge. Les chars doivent servir d’appui feu aux divisions d’Infanterie. Du coup, la production de M4 Sherman en grand nombre permet de former 20 Divisions blindées et un grand nombre de Bataillons blindés. Lesquels appuieront les divisions d’infanterie lors des opérations en campagne.

– Intellectuellement, cette « musculation » de l’Infanterie par des unités tactiques blindées répond également à une conception américaine des opérations. Pour reprendre les propos de Nicolas Aubin, les Américains ne cherchent pas tant la percée sur une partie du front ennemi que sa rupture par une série d’offensives sur son ensemble. Il s’agit donc d’engager l’ensemble des forces de façon coordonnée sur l’ensemble de la ligne, afin de compresser, étouffer, puis faire craquer le front allemand. Et quand celui-ci est rompu, les formations mobiles sont introduites en dernier échelon pour disloquer le dispositif ennemi dans sa profondeur. Le rôle d’est formations blindées n’est donc pas de rompre le front ennemi, vu comme un gaspillage de chars, mais de s’enfoncer dans la profondeur du dispositif ennemi pour le disloquer afin de lui ôter toute coordination possible pour lancer une contre-attaque. D’ailleurs, cette doctrine allant à rebours de celle de la Panzerwaffe explique – en partie car il ne faut pas négliger l’aspect qualitatif de la balistique des chars américains – pourquoi les équipages de chars obtiendront un faible score en matière de Panzer ou StuG détruits. Chez les Américains, les chars ne sont donc pas conçus pour servir d’engins purement antichar mais bien pour réduire et neutralisation des positions défensives ennemies.
Ce principe d’engagement sur un plan d’ensemble implique un équilibrage de la répartition des divisions et unités de Corps. Ainsi, les Américains n’engagent pas plus de 3 divisions par Corps, selon le triptyque : 3 Divisions d’infanterie OU 2 DI + 1 Division blindée OU 1 DI + 2 DB (plus rare). Dans cette même logique d’équilibrage, les Américains « musclent » leurs divisions d’infanterie par le rattachement de bataillons de chars (1 voire 2), de 1 bataillon de chasseurs de chars, d’artillerie supplémentaire, de mortiers chimiques, d’unités du train, etc. Ainsi, pour reprendre les mots de Nicolas Aubin, chaque division d’infanterie devient un corps d’armée « miniature » avec une dimension interarmes plus qui atteint sa maturité 1944. Et il arrive même qu’une division d’infanterie compte plus de chars et de chasseurs de chars qu’une Panzer-Division, surtout à l’été 1944.

 

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M5A1 Stuart


2 – LES ARMORED DIVISIONS

– A côté des nombreux Tank Battalions autonomes qui musclent la capacité offensive des divisions d’infanterie, les Américains forment donc 20 Armored Divisions mais suivant deux types en cherchant à répondre aux impératifs de mobilité. En effet, à rebours des Allemands et des Soviétiques qui préconisent l’emploi de puissantes formations blindées (mais selon deux logiques différentes*), les Américains privilégient l’emploi de divisions blindées dont l’action et centralisée et coordonnée par un général de Corps d’Armée. On en trouve 1 par Corps mais parfois 2, comme durant l’Opération « Cobra ». En fait, les Américains cherchent à maintenir un tempo offensif en n’engorgeant pas les routes, ce qui explique que l’effectif d’une division blindée ne doit pas franchir un certain palier. Comme le montre Nicolas Pontic, cet impératif opérationnel va aboutir à la création de 2 types de divisions.  Formées dès 1942, les 1st,  2nd et 3rd Armored Divisions (16 000 hommes) de type lourd (« heavy » – avec abandon de l’échelon de la Brigade dès 1941), possèdent 2 régiments blindés, 2 régiments d’infanterie mécanisée (montée sur half-tracks), 3 bataillon d’artillerie et  1 Bataillon de reconnaissance de reconnaissance. A ces unités viendront s’ajouter des formations de DCA, du Génie, d’intendance et les indispensables ateliers d’entretien et de réparation.  Elles se distinguent des divisions de type « léger » (« light ») qui alignent 10 500 à 11 000 hommes répartis en 3 bataillons de chars, 3 bataillons d’infanterie, 3 bataillons d’artillerie, unités d’appui, etc. Leur effectif particulièrement réduit a pour objectif de ne pas encombrer les routes. Mais les généraux américains se rendent vite compte que ces divisions peuvent être vulnérables sans un soutien plus important, d’où l’adjonction d’unités antichars, de DCA, de maintenance, de transports et de soins (N. Pontic).

La grande spécificité des divisions blindées américaines est de pouvoir former des Combat Commands, soit des groupements interarmes mécanisés. On a beaucoup comparé les CC » américains aux Kampfgruppen allemands. S’ils traduisent une certaine souplesse tactique, la comparaison s’arrête là. Les KG sont bien des unités ad hoc mais constituées selon les nécessités tactiques du moment, à partir de une ou deux divisions. D’autre part, leur effectif peut varier du simple au triple et leur composition s’avère souvent hétérogène. A l’inverse, les CC n’appartiennent qu’aux Divisions blindées dont ils sont des modèles réduits. Leur composition est quasiment standardisée (un PC de commandement + 1 bataillon d’infanterie mécanisé + 1 bataillon de char + artillerie + Tank Destroyers rattachés + canons automoteurs M7 Priest + Génie + services de santé etc.). Les CC disposent de leur propre état-major ce qui les rend tactiquement autonomes. Mais leur action est coordonnée et centralisation au sein du PC divisionnaire. Leur effectif varie de 1 800 à 2 200 hommes. Et à la différence de nombre de KG, les CC bénéficient d’un bon rapport puissance de feu – mobilité. Les CC peuvent aussi constituer des « Task Forces » suivant une structure interarmes identique. Pour « Cobra », les CC doivent sécuriser les routes. Ainsi, des « TF » doivent avancer à travers champs, en perçant le bocage avec des chars « Rhinoceros ». D’autres TF avanceront sur les routes, avec chars-bulldozers à l’avant mais entraînant de longues colonnes mécanisées. Afin de rendre ses colonnes autonomes sur plusieurs kilomètres (voire dizaine de kilomètres…), les soldats des deux divisions blindées remplissent camions et half-tracks de ravitaillement, de munitions, de vivres et de médicaments. Les fantassins qui ne peuvent embarquer sur half-tracks s’agrippent à la cuirasse des Sherman.
Nous ne pouvons pas rester sans évoquer l’exemple de la 2e DB du Général Leclerc. En effet, si elle conserve l’appellation originelle de ses régiments (1er Spahis, 501e RCC, 12e Cuirassiers, 12e Chasseurs d’Afrique, RMT, RBFM etc.), elles est quasiment formée sur une structure à l’américaine (le rattachement direct du régiment de chasseurs de chars en plus). Cavalier novateur et agressif, Leclerc reprend l’idée des Combat Commands rebaptisés « Groupements Tactiques » (1 bataillon du RMT + 1 Régiment blindé + 1 Escadron de Spahis + 1 Escadron de chasseurs de chars), eux-mêmes scindés en « Sous-Groupements » (l’équivalent des Task Forces). Faisant preuve de souplesse tactique, la 2e DB se révélera une très bonne unité tactique d’Alençon à Strasbourg, en passant par Dompaire. La bonne entente entre Leclerc et son supérieur Wade H. Haislip** jouera aussi beaucoup.
– Toutefois, les divisions blindées américaines sont des unités particulièrement gourmandes en carburant. Dans son ouvrage consacré au Débarquement et à la Bataille de Normandie, Anthony Beevor reprend les chiffres vertigineux de consommation affichés par la 3rd Armored Division :

– 1 char : 30 200 litres d’essence / semaine
– Régiment blindé et autres chars : 227 400 litres / jour
– Division : 473 750 litres /100 m/jour.

2nd Armored

4th Armored

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3 – LE MATÉRIEL EMPLOIE

– Le célébrissime Medium Tank M4A1 Sherman est le char principal de l’US Army. Il répond en fait aux besoins de l’économie de guerre. Rapide à produire (il le sera à près de 50 000 exemplaires), il est propulsé par un moteur diesel General Motors ou par un moteur Chrysler (30 cylindres) pour les modèles à essence. Ses faiblesses résident dans son canon M3 de 75 mm incapable de venir à bout des chars allemands et dans son blindage trop faible. Les équipages américains seront souvent contraint de recouvrir les parties moins bien protégées, du châssis et de la tourelle, par des sacs de sable, des rondins ou des patins de chenille. Les modèles à caisse coulée (ou moulée) restent moins vulnérables que ceux à caisse soudée/rivetée. Et les britanniques lui reprochent sa propension à s’enflammer rapidement aux impacts d’obus, d’où son surnom « Ranson », donné à partir d’une marque de briquet très utilisé par les Tommys. Cette faiblesse de la balistique s’explique par la conception d’emploi du M4A1 Sherman, un char offensif employé pour l’appui de l’infanterie, l’exploitation de percée et la poursuite. Par conséquent, l’engin taillé pour l’offensive possède de réelles qualités : fiabilité, vitesse (48 km/h sur route) et autonomie (un Sherman peut avaler 160 km). Au cours de la campagne de Normandie, les Armored Regiments et Armored Battalions bénéficient de l’introduction dans leur parc des Sherman M4A1 (76) W, un modèle à la tourelle modifiée (T 23) doté d’un canon de 76 mm. Mais si la puissance de feu est augmentée, les capacités perforatrices du tube et de sa munition M62 APC restent bien inférieures à celles des engins allemands.

– Le second char utilisé par l’US Army en Normandie est le petit mais agile M5 A1 Stuart, qui supplante le modèle M3 toujours utilisé par les Britanniques. Bien incapable d’endommager tout Panzer, StuG ou chasseur de char à l’aide de son canon de 37 mm et faiblement blindé, il est cependant fiable et mécaniquement et rapide (58 km/h sur route) grâce à son moteur Wright (Continental). D’autre part, le M5 possède un châssis et une tourelle mieux profilés, ce qui le rend moins vulnérables aux projectiles légers allemands. En 1943, l’US Army a abandonné l’idée de concentrer les Stuart au sein de bataillons propres. En 1944, les Stuart sont intégrés dans les Tank Battalion à l’échelon de la compagnie et ventilés au sein de chaque Troop des bataillons/régiments des divisions blindées. Ils tiennent alors les rôles de flanc-garde et de reconnaissance, tout en servant d’appui-feu rapproché aux fantassins dans les phases d’assaut, se montrant d’ailleurs utiles en combat urbain. Très apprécié par ses équipages, le Stuart est gratifié du surnom de « Honey ».

– Enfin, les deux divisions d’infanterie et de chars de la First US Army sont « musclées » par l’ajout des Tank Destroyers M 10 Wolverine. Concentrés au sein de Tank Destroyers Battalions (lesquels sont rattachés à 1 division), les M10 sont des chasseurs de chars à tourelle mobile qui répondent au besoin de rendre l’artillerie antichar plus mobile. Engin économique (plus de 6 406 exemplaires complets), le M10 est rapide (51 km/h sur route et 40 km/h en tout terrain) mais faiblement protégé, ce qui le rend vulnérable. Et son canon M7 de 76 mm ne peux percer la cuirasse des fauves allemands qu’en se rapprochant d’eux. La technique de l’embuscade ou de l’attaque de flanc resteront les plus prisées car relativement moins risquées.

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4 – AU COMBAT EN NORMANDIE

– Dès le Jour-J, les Tanks Battalions, assurent l’appui feu rapproché aux 3 divisions qui débarquent sur Utah et Omaha Beaches. Durant la consolidation de la tête de pont et la conquête du Cotentin, chaque division d’infanterie compte donc 1 TB – voire 1 Tank Destroyer Battalion – qui lui est rattachée. Lors de la bataille pour Cherbourg, 3 TB sont engagés en combat urbain servant d’appui-feu rapproché à l’Infanterie, ce qui contraint à une progression méthodique avec couverture de chaque bâtiment. Mais suivant une séparation des tâches, les Tank Destroyers M 10 ne doivent être employés qu’en combat antichar afin de laisser aux Sherman des missions offensives. Notons qu’en juillet, les M10 du 899th TDB (appui de la 9th US Division) contribuent à mettre en échec une contre-attaque de la Panzer-Lehr. Jusqu’à la mi-juillet, Bradley n’engage que très partiellement les 2nd et 3rd Armored Divisions afin d’économiser leurs forces en vue d’une opération de perce. Ainsi, la 2nd Armored est engagée en soutien rapproché des parachutistes de la 101st Airborne au sud de Carentan lors des combats pour « Bloody Gulch » contre la 17. SS-Panzergrenadier-Division « Götz von Berlichingen », tandis que la 3rd Armored engage des Task Forces lors des combats au nord de Saint-Lô.

– Les chars américains rencontrent également un ennemi inattendu et qui a été négligé lors des entraînements : le bocage normand. L’engagement à l’intérieur d’un environnement cloisonné par des haies implique une bonne coopération avec l’infanterie. Or comme nous l’avons vu dans l’article consacré à la bataille des haies, celle-ci n’est pas au rendez-vous. La communication est rendu d’autant plus mauvaise que les radios utilisées par l’infanterie et les équipages de blindés utilisent des fréquences différentes. Le problème sera résolu avant « Cobra ». D’autre part, les Sherman et Stuart sont vulnérables dans le bocage, très propice aux embuscades à coup de Panzerfaust et de Panzerschreck, quand ils ne sont pas « allumés » par des Panzer, StuG ou Jagdpanzer correctement dissimulés. La supériorité des tubes allemands entraîne donc un changement de pensée chez les généraux américains. Jusque-là, les chars avaient un rôle purement consacré à l’assaut et à la percée. D’où l’intégration de chars mieux armés et surtout, l’appui systématique de M10 mais aussi des avions.

– Ce dernier élément nous permet d’aborder l’appui tactique aérien dans la configuration d’une guerre de mouvement. Comme l’explique très bien l’historien Nicolas Aubin, les rapports d’expériences sont traités en arrière et font l’objet de brochures distribuées auprès des unités. En parallèle, le Major-General Elwood R. « Pete » Quesada, patron du IX Tactical Air Command effectue des visites permanentes auprès de ses escadrilles mais aussi auprès des officiers terrestres afin d’élaborer des procédures de coopération plus efficaces. Dans cet optique, Quesada est aidé par ses collègues commandants de divisions, notamment Edward H. Brooks patron de l’efficace 2nd Armored Division « Hell on Wheels ». Déjà, la division blindée qui est restée au calme pendant la Bataille des haies a fait une analyse des difficultés causées par le bocage avant d’échanger ses travaux avec le IX TAC. Cette très bonne coopération a permis de convertir des chars M4 Sherman en véhicules d’observation équipés de radios VHS. Les Américains se sont aussi rendu compte que les officiers terrestres qui contrôlaient les attaques au sol pouvaient commettre des erreurs qui pouvaient engendrer des tirs fratricides. Cette fois, des pilotes chevronnés sont débarqués de leurs cockpits et envoyés au sein des unités mécanisées comme « Forward Air Controllers » afin de guider les chasseurs bombardiers au plus près, dans un mouvement plus fluide et constant. Quesada a également obtenu que des représentants de l’Air Force accompagnent les états-majors, tandis que des patrouilles de 4 P-47D Thunderbolt (« Close Armed Reconnaissance ») survolent les colonnes blindées ou mécanisées en permanence afin d’identifier des cibles potentielles qui seront rapidement « traitées » (parfois en moins de quinze minutes). L’ensemble de ces procédés permet ainsi aux avions d’intervenir très rapidement en ne suivant pas forcément une planification préalable, ce qui entraîne une nette accélération du rythme offensif. Illustration de cette efficacité : le Lieutenant-Colonel Leander E. Doan, commandant du CC « X » de la 3rd Armored Division sera en liaison permanente avec un P-47 qui sera capable de localiser la présence d’un Panzer à 50 m seulement du char de tête de Doan.

– En revanche, pour les Opérations au sol, les Américains ont apporté de nettes modifications, notamment en matière de coopération interarmes et quant au binôme avions – chars. Premièrement, la coopération entre fantassins et chars est améliorée par la dotation en radios de même fréquence. Les Américains innovent également dans leurs tactiques visant à mieux avancer dans l’environnement cloisonné du bocage. Premièrement, Ainsi, les équipes de l’état-major de la First US Army traitent les rapports soulignant les échecs offensifs comme les idées novatrices. Celles-ci germent à différents échelons mais sont traités en amont puis diffusées. D’autres unités envoient aussi des officiers effectuer une visite des popotes chez leurs collègues afin d’échanger sur leur expérience. C’est notamment le cas des 2nd et 3rd Armored Divisions qui n’ont été engagées que partiellement jusque-là. Leurs commandants respectifs, Edward H. Brooks et Leroy H. Watson font traiter les informations récoltées auprès des fantassins des VIII et VII US Corps afin de trouver des solutions pour percer le bocage et faire manœuvrer leurs forces mécanisées à travers les haies. C’est notamment au sein de la 2nd Armored Division qu’est trouvée la solution la plus célèbre, soit l’invention du S-Sergent Curtis Culin, lequel a l’idée de souder, des dents en acier à l’avant de chars moyens (M4 Sherman ) ou légers (M5A1 « Stuart »). Idée applicable grâce à la présence de hérissons tchèques en acier à proximité des plages Utah et Omaha. Ce recette donne naissance au « Culin’s Cutter » ou au « Rhinoceros ». Mais si Culin est passé à la postérité, il ne fut pas le seul à imaginer des moyens de franchissement. Parmi eux, le Sherman Dozer équipé d’un simple bulldozer, les « Chars Tamponneurs » ou « Fourchettes à Salades » mis au point par le Lieutnant Charles Green. Toutefois, l’efficacité de ces accessoires de la configuration du terrain. Ainsi, la 2nd Armored Division utilisera les Culin’s Cutters avec succès, ce qui ne sera pas le cas de la 3rd Armored qui dut manœuvrer dans un terrain labouré par les bombes et les obus et criblé de cratères. De leur côté, les divisions de fantassins continueront à utiliser les techniques mises au point par le Colonel Ploger commandant du 121st Combat Engineer Battalion (29th US Division) consistant à placer des charges explosives contenues dans des douilles d’obus d’artillerie à la base des haies.

– Ces innovations mécaniques nous amènent à parler de la formidable logistique qui bénéficie aux unités blindées américaines. En effet, contrairement aux Allemands les formations blindées US seront toujours capables de combler leurs pertes en matériels grâce aux réserves de chars stationnées en Angleterre et qui peuvent être acheminées en plusieurs jours dans des parcs spéciaux. Ensuite, les engins endommagés peuvent être réparés dans des ateliers installés en arrière où s’activent une foule de soldats spécialisés qui n’ont guère à se soucier du manque de pièces détachées.

– Au second jour de l’Opération « Cobra» (26 juillet), la coopération entre troupes mobiles des 2 divisions blindées engagées  et chasseurs-bombardiers fonctionne parfaitement. Les points de résistance que rencontrent les CC sont pulvérisées à l’obus ou à la bombe. En plusieurs heures, les deux divisions blindées américaines ont progressé de plusieurs kilomètres en direction de la route Saint-Lô – Coutances. Les constantes patrouilles de 4 P-47 localisent les positions allemandes dont les coordonnées sont transmises aux chars ou aux autres chasseurs. Devant la mobilité et la puissance de feu délivrée en deux dimensions (aérienne et terrestre), le dispositif allemand s’érode. Cette souplesse et cette coopération interarmes va aussi porter leurs fruits dans la prise d’Avranches et la mise en échec de la contre-attaque allemande de Mortain.
Cependant, dès que les divisions blindées américaines se retrouvent en pointe, l’appui aérien peut s’amenuiser. Ensuite, l’étirement des lignes de ravitaillement, couplé à la distance prise parfois trop importante prise avec l’Infanterie, isole les formations blindées et les prive de leur succès tactique. C’est notamment le cas lors de la chevauchée des 4th et 6th Armored Divisions en Bretagne qui atteignent bien les ports bretons mais n’ont pas les moyens de les prendre car l’artillerie lourde, l’infanterie et le Génie du VIII Corps de Middleton sont encore loin derrière. Et ces problèmes logistiques causeront le ralentissement de la conquête de la Lorraine.

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* Cherchant à obtenir des victoires rapides, les Allemands optent pour de puissantes Panzergruppe/Panzer-Armee et des Panzer-Korps qui doivent rompre le front ennemi en un temps réduit. Mais à partir de fin 1943, ces formations sont engagées dans une défense mobile à l’échelon opérationnel. Chez les Soviétiques, les Armées de Chars (qui équivalent à un gros Panzer-Korps) sont engagées en second échelon pour exploiter les percées et disloquer le dispositif ennemi dans sa profondeur.

** Leclerc détestait de Lattre qu’il jugeait inapte aux opérations mécanisées. Les combats de Colmar en décembre 1944 marqueront la rupture entre les deux hommes. A tel point que Leclerc exigeait d’être placé sous le commandement d’Alexander M. Patch (Seventh Army) en 1944 et 1945.


SOURCES :
– AUBIN N. :
« La course au Rhin (25 juillet – 15 décembre 1944). Pourquoi la Guerre ne s’est pas finie à Noël », Economica, 2019, Paris
BEEVOR A. : « D-Day et la Bataille de Normandie », 2009, Paris
– PONTIC N. : « Les tanks US en Normandie. Aboutissement d’un processus », 2nde GM Magazine, N°84, Paris, juin 2019
– KADARI Y. (Dir) : « Quelle était la meilleure armée 1939-1945 », Ligne de Front, Hors-Série n°26, éd. Caraktère, Aix-en-Provence

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