En 1944, l’arme blindée britannique est une arme qui a connu plusieurs changements tout en demeurant imparfaite. Premièrement, nous verrons que les formations mécanisées britanniques sont devenues dépendantes de l’industrie américaine et ensuite, qu’en 1944, la doctrine d’emploi tactique des blindés est encore marquée par un sérieux retard intellectuel. Retard qui sera partiellement rattrapé en août 1944 sans pour autant atteindre le niveau tactique et opérationnel des divisions blindées américaines, voire même des Corps blindés soviétiques.
Cromwell du 2nd Bn. Northamptonshire Yeomanry, régiment de reconnaissance de la 11th Armoured Division (insigne peint sur le châssis du char de tête, à droite sur la photo)
A – UNE ARME DÉPENDANTE DE L’ANCIENNE COLONIE
– En 1918, après avoir suivi les idées d’Ernest Switon et de John Frederick Fuller, l’Armée britannique est, avec son alliée française, au sommet de la mécanisation, même si ces deux modèles de chars (Tanks) dominants (Mark IV, Mark V et Medium Mark A « Whippet ») n’ont pas la sophistication et l’agilité du Renault FT. Cependant, les Britanniques (avec les Canadiens et les Australiens*) ont su utiliser leurs engins blindés dans des engagements en masse qui ont contribué à la dislocation progressive du front ennemi. Mais la paix revenue, les réalités économiques et la culture militaire britannique ont tôt fait de se rappeler aux
artisans de la création du Royal Armoured Corps. Par conséquent, les politiques de restriction budgétaire et le manque de volonté des gouvernements successifs, ont clairement nui au développement d’une puissante arme mécanisée. Il faudra attendre 1935 pour que Londres relance la production de blindés plus modernes (les modèles « Cruiser » notamment) sans pour autant rattraper le niveau de production de l’Allemagne nazie, de la France et encore moins de l’URSS.
En 1940, à l’issue de la campagne de France, la Grande-Bretagne perd quasiment tout son parc blindé dans le Pas-de-Calais et sur les plages de Dunkerque (exceptée la « Desert Force » en Egypte). Du coup, le War Office et le Ministère de la Production/de l’Armement sont obligés de sortir des chars d’assaut rapidement sans pouvoir se consacrer à la révision de l’utilisation tactique. Or, les Britanniques produisent deux types de chars, les « Cruisers » qui sont clairement conçus pour des assauts en masse et concentrés et les « Infantry Tanks » (les « Churchill » fabriqués par les usines Vauxhall), un héritage direct de la Grande Guerre, dont le rôle reste d’accompagner les fantassins.
– Mais à partir de 1941, la production de guerre anglaise n’est pas en mesure de fournir un nombre important de chars modernes au regard des besoins de la Campagne d’Afrique du nord. Du coup, le War Office envoie une délégation d’officiers négocier un contrat d’achat de M3 « Grant » (rebaptisé « Lee » et modifié) à Washington. Ensuite, Roosevelt en fera livrer par le Prêt Bail. Sauf que la Grande-Bretagne devient clairement dépendante de l’Industrie de guerre et de l’Economie américaine. Mais comme l’a bien montré Nicolas Aubin, l’industrie militaire britannique n’est plus en mesure de fournir un parc blindé adéquat. Premièrement, pour des raisons structurelles. En effet, en privilégiant l’industrie aéronautique et navale, Londres n’a pas refondé ses usines de fabrication de blindés, certaines n’ayant pas tourné depuis 1918. Et le Patronat britannique ne voulait pas entendre parler de nationalisation. Les chiffres sont éloquents. En 1942, la production intérieure monte à plus de 8 000 engins mais en 1944, elle chute à plus de 5 000. Cet essoufflement de la production conduit donc l’Armée britannique à devenir dépendante de son ancienne colonie. Ainsi, la création et le renforcement des unités anglaises deviennent tributaires des fournitures américaines. Et comme le souligne Nicolas Aubin, en 1943, les Britanniques auraient été ainsi bien incapables de projeter une division sur le continent européen. Par conséquent, dès 1942, Sherman et Stuart viennent muscler la dotation des divisions blindées. Les premiers M4 Sherman servis par des équipages britanniques sont engagés à El-Alamein. Mais c’est encore plus manifeste en 1943. La production du Mk VIII Cromwell (A27M) étant limitée, le nouveau char vient à équiper tous les bataillons de chars de la 7th Armoured Division. Mais il n’équipe que les Bataillons de reconnaissance des 11th Armoured Division, Guards Division, 4th Canadian Armoured Division, 1re Division Blindée Polonaise. Les autres Bataillons de ses 2 divisions sont dotés de M4 Sherman et de M3 Stuart. C’est encore plus flagrant dans les 4 Armoured Brigades britanniques (4th, 8th, 27th et 33rd**) et la 2nd Canadian Armoured Brigade engagées dans la Campagne de Normandie. Aucun Cromwell n’y est en dotation. En revanche, les équipages de chars britanniques reprocheront au Sherman la faiblesse de son canon de 75 mm et surtout, sa propension à s’enflammer à tout impact d’obus allemand, à cause de l’utilisation de diesel. A tel point qu’ils le surnommeront « Ronson », du nom d’une marque de briquet très utilisée par les Tommys.
– Or, à partir de 1942, les Alliés se rendent compte que la balistique des chars allemands surpasse celle de leurs engins. Mais les Britanniques sont complètement passés à côté de la conception de canons antichars autopropulsés. Du coup, ils doivent encore se rabattre sur les matériels américains. Conçu rapidement, le M10 « Wolverine » peut se définir comme un « canon antichar automoteur à tourelle ». En revanche, l’engin est vulnérable avec sa tourelle peu blindée et découverte. Et son canon de 76 mm ne donne pas satisfaction face aux engins allemands. Les Britanniques trouvent une solution rapide avec le M10 « Achilles ». Il s’agit tout simplement d’un Wolverine avec masque de tourelle modifié pour y loger le puissant canon antichar de 17-pounder (17 livres) dont l’obus APDS (Armoured-piercing discarding sabot) est capable de perforer 140 mm de blindage à 910 m de distance. En revanche le poids de la culasse contraint à fixer un contrepoids sur le tube en arrière du frein de bouche. Sauf que les M10 Wolverine sont disponibles qu’en nombre limité et leur conversion en Achilles ne concernera que plusieurs dizaines d’engins qui équiperont en priorité les divisions blindées. L’autre solution qu’ont trouvée les Britanniques repose tout simplement sur le M4 Sherman. Il suffit, là encore, de modifier le masque de tourelle pour y loger le canon antichar de 17-pounder. Mais là encore le poids de l’arme contraint de fixer un caisson additionnel à l’arrière de la tourelle afin de l’équilibrer. Cette nouvelle version est connue sous la dénomination M4 Sherman Vc « Firefly » (« Luciole »), modèle intégré à chaque Troop à hauteur de 1 « Firefly » pour 3 M4 Sherman. Mieux protégé que le M 10 (avec l’ajout de patins de chenilles sur le châssis ou les flancs de tourelle), le « Firefly » donne assez bonne satisfaction dans les duels contre les chars allemands. En revanche, le canon antichar de 17-pdr ne peut tirer que des obus et perforants et non des obus explosifs. Cette spécialisation empêche donc le « Firefly » de servir d’appui feu direct dans des engagements contre des nids de résistance ennemis en milieu rural ou urbain. Il faut néanmoins concéder que le « Firefly » et l’« Achilles » traduisent la dépendance matérielle et technique de l’Armée de Sa Majesté envers l’industrie et l’armée américaines. Outre les « Achilles » et « Firefly », les Britanniques tentent bien d’introduire un nouveau char type de char pour mieux faire face à la menace des engins allemands. L’idée est tout simplement d’installer le canon antichar de 17-pdr sur un « Cromwell ». Une incohérence en somme, car il prive complètement le char de sa vocation première pour le réduire au combat antichar. Mais l’A-30 « Challenger » – qui équipe les 7th et 11th Armoured Divisions – ne se révèle pas un grand succès. Avec une tourelle surdimensionnée pour abriter l’imposante culasse du canon, l’engin se révèle pataud et déséquilibrée.
IT « Churchill » de la 6th Tank Guards Brigade embarquant des fantassins écossais (15th Division) durant l’Opération « Bluecoat ».
2 – STRUCTURE LOURDE ET RETARD TACTIQUE
– Le logiciel intellectuel britannique en termes de guerre mécanisée n’a quasiment pas été actualisé depuis Cambrai et Amiens. Conçu au départ comme un engin de franchissement de tranchée et de rangées de fils barbelés, le char est confiné à la recherche de la rupture du front ennemi. Si la rupture est obtenue, on consolide les conquêtes, avant de relancer un nouvel assaut frontal mais puissant et combiné au feu de l’artillerie et à l’action de la Royal Air Force. Puis on exploite par l’engagement de chars dans la profondeur du dispositif ennemi.
– Ainsi, en 1943-1944, les Britanniques estiment encore que les chars doivent percer – en coordination avec un puissant barrage d’artillerie – et entraîner l’infanterie derrière eux. Le choc opéré par une concentration de blindés suffit à rompre le front ennemi. L’Infanterie arrive ensuite pour la phase de conquête, nettoyage et consolidation (« mopping up »). Ce diptyque conquête – consolidation est directement hérité de la Première Guerre mondiale. Idéal pour une guerre de position (en 1918, l’Armée britannique maîtrise ce procédé à la quasi-perfection), il ne correspond plus à une guerre dans laquelle les engagements mécanisés deviennent interarmes et où la cuirasse ne peut se passer des fantassins. Ainsi, la conception des chars britanniques pâtit d’une doctrine erronée et périmée dont le logiciel n’a pas été renouvelé depuis les publications de John Frederick Fuller en 1919. Or, Fuller insiste bien sur l’action indépendante des chars par rapport à l’Infanterie. Placés à l’avant, les chars sont chargés de la rupture du front ennemi. L’infanterie suit, occupe le terrain et consolide les conquêtes, avant que l’attaque ne soit relancée, afin d’aboutir à la dislocation du dispositif ennemi. La rupture ainsi obtenue par de puissants engagements frontaux peut donc laisser place à la poursuite dans la profondeur qui revient à des chars rapides et des unités plus mobiles.
– Cette absence de réactualisation et de réalisme quant aux nouvelles donnes de la guerre mécanisée ne sont donc pas sans incidence sur la conception des chars. Inutile ici de revenir en détail sur les « Matilda » ou « Crusader ». Dans le cadre de cet article, nous nous tiendrons à deux chars illustrant la dualité percée/exploitation/appui. Les M4 Sherman seront donc les chars dévolus à la percée du front ennemi par des engagements concentrés contre des secteurs définis. A l’inverse, l’A27M « Cromwell » est clairement conçu pour la poursuite. Pouvant atteindre 64 km/h sur route (51 km/h bridé), il est alors le plus rapide char de combat de sa génération. Mais sa vélocité impacte sa résistance et sa puissance de feu. Ainsi, trop faiblement blindé (76 mm au châssis avant et à la tourelle), le « Cromwell » ne peut résister aux tirs des « fauves » allemands, à ceux des StuG, canons PaK et FlaK. Enfin, son canon Ordnance QF 75 – qui a pour tâche la destruction de points de résistance ou de cibles logistiques mobiles ou fixes – ne peut qu’égratigner les chars allemands, sauf en trouvant le bon angle pour pointer l’arrière du châssis, ce qui implique des manœuvres particulièrement risquées. Enfin, le troisième modèle de char engagé par les Britanniques en Normandie n’est autre que l’Infantry Tank « Churchill » Mk VII. Cet engin fortement blindé (152 mm de blindage en casemate et 91 pour les tourelles) et lent (28 km/h maximum) sont un héritage de la Grande Guerre. Ils ne sont pas destinés à rompre le front ennemi mais à appuyer l’infanterie pour les séquences de conquête/consolidation. Son canon Ordnance QF 75 mm est efficace contre des points de résistance et des bâtiments mais pas contre des blindés ennemis.
– La structure des divisions blindées britanniques ne facilite aucune souplesse, quand on la compare à celle des divisions américaines, allemandes et des Corps de Chars soviétiques. Héritage de la Grande Guerre, les Britanniques maintiennent l’échelon de la Brigade, ce qui contraint l’état-major divisionnaire à contrôler les actions de la brigade blindée et de la brigade d’infanterie, ainsi que l’emploi de l’Artillerie. La structure divisionnaire est aussi marquée par une bizarrerie : le Reconnaissance (Reece) Regiment. En effet, celui-ci est tout simplement un régiment blindé combinant « Cromwell » et « Stuart ». En comparaison, le détachement de reconnaissance des Panzer-Divisionen (Panzer-Aufklärungs-Abteilung) bénéficie d’une dotation en blindés légers, mieux adaptés aux missions de reconnaissance. Et les Américains allègent clairement le poids de la reconnaissance au sein de leur division blindée, avec 1 seul Reece Troop. A cela s’ajoute une confusion des rôles : le Reece Regiment des divisions blindées doit donc reconnaître mais aussi engager et en cas de poursuite, le talonner et le harceler constamment. Ensuite, chaque régiment blindé et chaque escadron dispose d’un détachement de reconnaissance qui combine des chars légers M3/M5 « Stuart » et des Scout Cars équipés de radios. Cette confusion des rôles apparaît lors de la bataille de Villers-Bocage (13 juin 1944). George Erskine, patron des Desert’s Rats dispose de l’appui d’un Squadron (Escadron) du 11th Hussars Regiment mais ne l’utilise pas, préférant expédier une colonne forte formée du 4th County of London Yeomanry, ainsi que d’une partie de… son régiment de reconnaissance, le 8th King’s Royal Irish Hussars. Du coup, Erskine se rend aveugle et la colonne du Lt.Colonel Cranley ne repère par les « Tiger I » du s-SS-Pz-Abt. 101. Nous connaissons la suite. En août 1944, Montgomery et Dempsey ordonneront que les 4 Armoured Car Regiments** (régiments de reconnaissance des Corps d’armées, équipés d’automitrailleuses « Humber », « Dingo » et « Staghound ») soient directement rattachés aux divisions blindées afin d’alléger la charge de missions des régiments blindés de reconnaissance.
– Enfin, à côté des divisions blindées, Britanniques et Canadiens alignent deux types de brigades indépendantes. Premièrement, les Armoured Brigades (« Brigades blindées » – 4th, 8th, 27th, 33rd et 2nd Canadian.) sont composées de 3 bataillons de chars. Cas exceptionnel, en Normandie, la 4th Armoured Brigade compte une unité d’infanterie d’accompagnement, le 2nd Bn. King’s Royal Rifle Corps. Plus souple à manier que les divisions blindées, les Brigades blindées – toutes dotées de M4 Sherman et de M3/M5 Stuart – sont des armes de percées utilisées dans le cadre d’une puissante concentration de forces contre un secteur donné. En outre, les Armoured Brigades peuvent être placées sous l’autorité d’une division, ce qui offre théoriquement un surcroît de puissance de feu aux fantassins. Mais bien souvent, fantassins et chars combattent séparément, ce qui profite aux défenseurs allemands. Les Britanniques alignent également 3 Tank Brigades (31st, 34th et 6th Guards) entièrement équipées de Mark VII « Churchill ». Ces unités sont clairement un héritage de la Grande Guerre. Véritables cuirasses montées sur chenilles, les « Churchill » n’ont pas un rôle d’assaut et encore moins antichar. Leur mission – logique en un sens – est de fournir un appui feu rapproché à l’Infanterie dans les phases d’assaut.
Enfin, on ne peut terminer cette partie sans mentionner les « Funnies » (« farces et attrapes ») de la 79th Armoured Division de Sir Percy Hobart. Spécialisée dans le soutien direct à l’infanterie et aux unités mécanisées, elle aligne toute la gamme de chars démineurs, lance-flamme, « Petard », chars lance-flamme « Crocodile », chars-ponts, « fascines » etc. En fait, cette division spécialisée marque clairement la mécanisation du génie avec un emploi au combat pour la neutralisation d’obstacles et de réduits défensifs. Engagée lors du Jour-J pour la prise des trois plages anglo-canadiennes, elle effectuera toute la campagne de Normandie. Mais avec ses Squadrons ventilés au sein des unités combattantes et jamais de façon centralisée.

3 – OPÉRATIONS EN NORMANDIE : RIGIDITÉ TACTIQUE ET TARDIVE ADAPTATION
– Arrivées en Normandie, les forces blindées britanniques disposent d’une nette supériorité en matière d’effectifs et de matériels. Grâce aux flots de véhicules qui débarquent sur les plages, les commandants de brigades et de divisions seront toujours en capacité de renouveler leur parc dans des délais acceptables. Outre les chars de remplacement qui arrivent de Grande-Bretagne, les ateliers de réparation peuvent retaper des engins grâce aux fournitures en pièces détachées, avec un personnel qualifié. Ainsi, il faut trois semaines à la 11th Armoured Division de Roberts pour combler ses pertes entre « Epsom » et « Goodwood ». Et après l’échec de « Goodwood », malgré certaines difficultés dues à des délais raccourcis, Roberts et Allan Adair (commandant de la Guards Division) pourront remettre leurs unités blindées sur pied afin de participer à « Bluecoat ». Enfin, grâce à de meilleurs systèmes radios, les unités blindées britanniques pourront mieux coordonner leurs efforts avec l’Artillerie, la Royal Navy et l’aviation tactique.
– En revanche, la rencontre avec l’environnement normand et les Allemands va être un calvaire pour nombre d’équipages de régiments blindés de Sa Majesté. Ainsi, le bocage (pourtant moins dense autour de Caen que dans le Cotentin) et le maillage de petites localités du Calvados offrent aux Allemands de multiples points défensifs qui ne peuvent être enlevés que difficilement, sans coopération interarmes. Du coup, les tactiques de manœuvre apprises dans le désert et en Angleterre sont sérieusement mises à mal. Dans ce cas, il ne faut pas nier la rigidité tactique d’officiers divisionnaires. Mais la faute de la « non acclimatation » au bocage est à mettre aussi sur le compte des généraux alliés qui, en amont, on complètement oublié cette donnée. Ainsi, les équipages britanniques et canadiens ne reçoivent aucune formation adéquate pour mieux manœuvrer dans la campagne normande. Et il devient également difficile pour les unités de reconnaissance de donner une estimation précise des forces ennemies. Ce manque d’anticipation, couplé à la rigidité tactique des unités britanniques va avoir de sérieuses conséquences sur le plan opérationnel. C’est le cas lors de l’Opération « Epsom » (26-29 juin). Fantassins et tankistes attaquant séparément et sans réelle coordination, il en résulte des attaques pataudes et prévisibles, durant lesquelles les Sherman et Cromwell se retrouvent sous le feu des PaK, FlaK et Panzer embusqués. Et les Allemands pratiquent également, avec succès, les embuscades au Panzerfaust, ou au Panzerschreck. Et pour « percer » les haies, les Britanniques innovent assez peu, s’en remettant beaucoup aux Churchill « Petard » dans la volumineuse roquette peut trouer des haies. Ils adopteront les « Rhinoceros » en août 1944 mais ils n’auront pas la souplesse et l’imagination des américains. Enfin, la chaîne de commandement britannique, bien plus rigide, corsette l’initiative personnelle.
– A l’inverse « d’Epsom », l’Opération « Goodwood » est pensée comme un retour à la manœuvre par un puissant engagement des chars en masse (1 000 en tout) répondant au principe de concentration des forces. Afin de dégager la Plaine de Caen, un partie du cour l’Orne et prendre la route Caen – Falaise, Richard O’Connor – commandant du VIII Corps – place ses 3 divisions blindées en échelon. La 11th de Roberts mènera la charge, suivie de près par les Guards d’Adair, pendant que la 3rd Infantry Division (Whilster) tiendra le flanc gauche. Enfin, la 7th Armoured Division d’Erskine – considérée comme unité à problème – interviendra en troisième échelon pour consolider les conquêtes. Mais le plan ne fonctionne pas comme prévu en raison des retards et du manque d’effet de surprise (les Allemands s’attendent clairement à une puissante attaque britannique au sud de Caen). A la puissante concentration d’O’Connor répond la savante défense en profondeur dirigée par Heinrich Eberbach qui utilise Panzer, StuG, Panzerjäger et canons (PaK et Flak) comme arme défensives fixes et mobiles. Échelonnée sur trois lignes, la défense allemande « casse » le tempo britannique et fait échouer la charge de Roberts et d’Adair sur Bourguébus.
– Pour l’Opération « Bluecoat », des évolutions tactiques, bien qu’incomplètes, sont à noter. S’il reste assez rigide dans la conduite tactique, Allan Adair ordonne cependant que des téléphones soient installés sur les chars afin de permettre aux fantassins de mieux communiquer avec les chefs de chars et mieux leur signaler des cibles ou des dangers. Mais c’est George Roberts qui innove le plus. Le jeune général (trente-sept ans en 1944) qui milite pour former des unités interarmes (« Battle Groups ») à l’exemple des Kampfgruppen allemands, décide de coller 1 régiment blindé avec 1 bataillon d’Infanterie pour une meilleure coopération. Bien qu’imparfaite, celle-ci porte de meilleurs fruits lors de l’avancée sur la Vire et Flers. Cependant, Roberts avouera « ne rien connaître à l’infanterie », ce qui, malgré une bonne volonté, révèle un trou béant originel chez les officiers britanniques en comparaison de leurs ennemis. En revanche, comme l’explique Nicolas Aubin, si elle commence bien, « Bluecoat » se mue en une série de durs combats dans des espaces cloisonnés. Il faut dire que le XXX Corps de Brian Horrocks doit avancer dans un terrain détestable fait de petites routes, de hauts talus, de haies épaisses et de vallons. Il devient alors aisé pour des petits Kampfgruppen allemands dépêchés en urgence par Eberbach pour ralentir la progression britannique. Là encore, les Allemands s’embusquent et profitent de leur balistique supérieure pour allumer les chars anglais. C’est ainsi que le 3rd Scots Guards (6th Tank Guards Brigade) se fait sévèrement étrillé par des redoutables Jagpanzer V « Jagdpanther » du Panzerjäger-Abteilung 654.
Ensuite, pour les opérations « Totalize » et « Tractable » (août 1944), les commandant du II Canadian Corps, Guy Simmonds se montre le plus imaginatif. Montgomery le considère même comme un général brillant et prometteur. Pour « Totalize », Simmonds ordonne que de « mécaniser » son infanterie en convertissant des châssis de M4 Sherman en véhicules spéciaux « Kangaroos » afin d’offrir aux soldats meilleures mobilités et protections. Et les fantassins portés doivent coopérer de façon rapprochée avec les chars de tête. Mais pour des raisons techniques, le succès ne sera pas toujours au rendez-vous. Et par manque d’initiative, Simmonds ne profitera pas de son succès initial et gâchera une opportunité de porter un coup dur au I. SS-Panzer-Korps (Sepp Dietrich).
– C’est donc en août que les unités du Commonwealth s’approprient (enfin) l’idée d’unité interarmes mais avec plus ou moins de succès. Ainsi, lors de la poussée vers Falaise, George Kitching – patron de la 4th Canadian Division – crée la « Worthington Force » qui combine fantassins motorisés et tankistes. Sauf qu’après s’être trompé d’objectif cette unité se retrouve complètement isolée, encerclé et anéanti par un Kampfgruppe de la 12. SS-PzD « Hitlerjugend ». Victime d’une erreur d’itinéraire et privée de tout soutien aérien tactique, la « Worthington Force » a donc été gaspillée en pure perte.
Nous évoquerons ici le cas de la 1re Division Blindée polonaise de Stanislaw Maczek. Engagée seulement en août pour « Totalize », la 1re DB Polonaise connaît déjà l’idée de formations plus souples et interarmes avant son arrivée en Normandie. En effet, comme le signale Jean-Christophe Notin, cette unité s’est entraînée en Grande-Bretagne sous la férule de Patton et « contre » la 2e DB de Leclerc. C’est à ce moment qu’elle a assimilé la combinaison fantassins-chars. Ce que Maczek reprend lors de la Bataille de la Poche de Falaise en alliant dans 3 Groupements, 1 bataillon de fantassins avec 1 régiment blindé. Mais l’isolement du Groupement Stefanewicz sur le Mont Ormel les 20-21 août montre encore que ses unités autonomes sont vulnérables quand la coordination avec les unités voisines est mauvaise et sans soutien de l’aviation ou de l’artillerie. Concernant la coopération chars-avions, ce sont les Américains qui vont se révéler les meilleurs. En revanche, c’est dans la poursuite des troupes allemandes vers le nord et la Belgique, que les divisions et brigades blindées britanniques vont se montrer bien meilleures.

[Suite]
* A l’été 1918, le général australien John Monash, fort d’un esprit novateur, est sûrement celui qui maîtrise le mieux la coopération infanterie-char-artillerie-avions.
** Il s’agit des 11th Hussars (7th AD), Inns of Court (11th AD), 2nd Household Cavalry (Guards) et Manitoba Dragoons (4th Can. AD).
Sources :
– AUBIN N. : « La course au Rhin (25 juillet – 15 décembre 1944). Pourquoi la Guerre ne s’est pas finie à Noël », Economica, 2019, Paris
– BEEVOR A. : « D-Day et la Bataille de Normandie », 2009, Paris
– FORTIN L. : « Chars britanniques en Normandie », Histoire & Collections, 2004, Paris
– LODIEU D. : « Opération Goodwood », Histoire & Collections, Coll. Des Batailles et des hommes, 2008, Paris
– FORTIN L. : « Opérations Totalize et Tractable », Histoire & Collections, Coll. Des batailles et des hommes, 2008, Paris
– NOTIN J-Ch. : « Leclerc », Perrin, 2005, Paris
– KADARI Y. (Dir) : « Quelle était la meilleure armée 1939-1945 », Ligne de Front, Hors-Série n°26, éd. Caraktère, Aix-en-Provence