Sylvain Ferreira : « La campagne de Virginie de Grant (1864) » (Economica)

– Même si l’on connaît les noms de Lee, Grant, Lincoln ou encore celui de Gettysburg, la Guerre de Sécession reste largement méconnue en France. Force est de constater que c’est bien plus par le prisme de la question de l’esclavage que nous l’abordons. En témoigne la couverture médiatique. Or, l’histoire militaire de la Guerre civile américaine a été largement minorée sinon méprisée dans l’historiographie française. Toutefois, les travaux biographiques de Vincent Bernard sur les personnalités de Robert E. Lee et Ulysse S. Grant ont, très récemment, apporté un vent nouveau sur l’étude des campagnes de la Guerre de Sécession.
La campagne de Virginie
– Dans ses biographies de Lee et Grant, Vincent Bernard a brisé plusieurs mythes tout en montrant que Grant et Lee avaient une approche différente de la Guerre. Quand le Nordiste souhaite atteindre des objectifs stratégiques et politiques (fixés par Lincoln) dans une vision plus Clausewitzienne, le Confédéré manie son armée de Virginie du Nord dans une vision plus conforme à la pensée d’Antoine de Jomini*. Ainsi, quand Grant cherche à anéantir le potentiel des Confédérés par une campagne séquencée et échelonnée dans le temps et l’espace, Lee cherche à forcer les Nordistes à la paix par une victoire décisive. Or, après sa défaite de Gettysburg, Lee n’a plus d’autre choix que d’opérer une stratégie défensive pour éviter l’invasion de son Etat natal.

– Ainsi, dans « La campagne de Virginie de Grant », Sylvain Ferreira nous offre une

 analyse détaillée de l’une des phases les plus méconnues de la Guerre de Sécession : la campagne de Virginie. L’ouvrage est construit sur un schéma classique mais clair : 1 – état des forces et plans ; 2 – Déroulé de la campagne ; 3 – Analyse. L’auteur dépeint clairement les forces et faiblesses des deux armées et met en évidence un aspect qui reste encore occulté en France : la professionnalisation grandissante de l’Armée fédérale et l’amélioration du travail d’état-major (bien que toujours imparfait) dans les grandes formations de Grant. Du coup, l’ouvrage montre bien que manier plusieurs centaines de milliers d’hommes entre la Pennsylvanie et la Géorgie est une première dans l’histoire militaire de la jeune démocratie, ce qui implique un planification bien plus complexe qu’une bataille seule. Et si Grant commet des erreurs d’appréciation et dans la transmission de ses ordres, il apparaît comme un général qui a compris les enjeux d’une coordination des mouvements de grandes formations constituées. Cependant, en dépit des compétences accrues de ses chefs de corps (Hancock, Warren, Wright) et de divisions, Grant est d’abord handicapé par les difficultés de George G. Meade (le vainqueur de Gettysburg et commandant de l’Army of Potomac) à traduire et mettre ses ordres en application, de même que par la pusillanimité et la prudence excessive d’Ambrose Burnside (qui n’avait guère brillé à Fredericksburg l’année précédente).

–  Ces éléments explique vite – en partie – pourquoi les combats s’enlisent vite pour les Nordistes au sud de la Rappahannock et de la Rapidan face à Lee qui n’ a pas perdu ses réflexes tactiques. En revanche, privée de Jackson et avec un Longstreet vite blessé, l’Army of Northern Virgnia n’est plus la force de frappe de l’année précédente. Même si elle conserve quelques talents à l’échelon divisionnaire, tels Jubal E. Early, J.E.B. Stuart (tué à Yellow Tavern) ou « A.P. » Hill. Mais comme le montre bien Sylvain Ferreira, que l’on soit général de l’Union ou de la Confédération, commander une division n’est pas la même chose que commander un Corps d’Armée. Or, plusieurs généraux n’apprivoisent pas encore cette complexité. Dans son chapitre consacré à la campagne en elle-même, Sylvain Ferreira montre très bien que les deux adversaires s’équilibrent et se retrouvent pris dans un véritable combat fait de mouvements et d’affrontements de positions en raison d’une maîtrise des retranchements de part et d’autres. Ainsi, comme d’autres combats de la Guerre de Sécession, la campagne de Virginie préfigure, techniquement, les combats de la Grande Guerre, même si le retranchement (composé de levée de terre, de rondins et parapets) est d’abord pensé comme un moyen de fixer l’ennemi pour mieux le tourner ensuite. Logique dans une guerre qui se pense d’abord comme manœuvrière, même si Grant commence par pratiquer une guerre d’attrition. En revanche, comme le montre l’auteur, la Bataille de Cold Harbor tourne au sanglant combat de position à l’avantage des Sudistes, même si contrairement à une légende, la bataille ne fut pas si meurtrière qu’on l’eut prétendu. Résultat, en dépit du manque de coordination qui handicape ses forces et des bons réflexes  tactiques de Lee, Ulysse S. Grant réussit à épuiser davantage les forces sudistes.

– Un livre passionnant et bien documenté, étoffé de cartes et qui mérite donc d’être connu et reconnu. Nous attendons la suite !

* Le penseur militaire suisse étant très prise dans la West Point de la première moitié du XIXe siècle.

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