A mes trois arrières grands-pères « Poilus », Jules Aoustin, Louis Renault et Louis Blanchard, que je n’ai pas connu mais devant lesquels je me sentirait toujours si petit.
– FRANÇAIS ET AMÉRICAINS SUR LA MEUSE
– Le 1er novembre, Pershing s’est accordé avec Foch pour donner un dernier coup de reins sur Sedan et Mézières. Mais en dépit de la discrétion du renseignement et de la diplomatie, les rumeurs de paix vont bon train dans les rangs. Du coup, ni les Poilus ni les Doughboys n’ont une envie délibérée de prendre des risques inutiles. Pas de sale coup mais la quille pour bientôt, comme diraient les soldats français. Seulement, Pershing ne l’entend pas ainsi et décide de poursuivre l’offensive. Les éléments des First et Second US Armies attaqueront donc conjointement.
– En revanche, comme le relève Peter Hart, s’il y a bien un général américain lucide, c’est William Wright, le commandant de la 89th US Division. Dans une instruction à ses soldats, il explique qu’il faut s’attendre à une résistance acharnée. Afin de limiter les pertes, Wright donne ordre de pratiquer des attaques coordonnées et plus méthodiques. Suivant la tactique du « mopping-up » chère aux Britanniques, il enjoint ses hommes de consolider chaque objectif conquis et d’utiliser au mieux les moyens de communication (buzzers, télégraphe, téléphone, pigeons voyageurs) afin de maintenir une liaison constante avec les unités de soutien. Et toute attaque des fusiliers doit être systématiquement couverte par le feu des mitrailleuses. Et les officiers-mitrailleurs doivent étudier dans le moindre le terrain à conquérir (à l’aide de photographies et relevés aériens), afin de pouvoir s’adapter à la situation. Les ordre de Wright marquent un net progrès mais qui survient que tardivement, au regard de l’issue du conflit. Autre changement, Charles P. Summerall, patron du V Corps insiste dorénavant sur une plus grande décentralisation de l’emploi de l’artillerie, notamment en termes de planification des feux et de coopération avec l’artillerie. Mais là encore, la mise en application tardive de ces mesures ne permettra pas aux Américains d’acquérir le niveau des Français et des Britanniques (1).
– Le 1er novembre, par un temps humide et brumeux, les Américains démarrent leur offensive en direction de Mézières, avec pour premiers objectifs Bayonville et Barricourt. L’Infanterie est bien appuyée par des chars lourds (Schneider et Saint-Chamond) et des chars légers Renault FT. Mais là encore, les Allemands résistent plutôt bien. Les d’artilleurs chargés d’appuyer l’Infanterie se retrouvent pris sous un intense feu allemand en cherchant à progresser le long des routes, en évitant les trous d’obus. Les pertes son lourdes, notamment au sein des 33rd US Division (George Bell Jr.) et 2nd US Division (John A. Lejeune). Les troupes allemandes, telles celles de la 29. ID (R. von Berendt), se battent encore avec l’énergie du désespoir. Cependant, quelques succès sont enregistrés. La 89th US Division de Wright s’empare de Barricourt et de son bois. Les Américains capturent 1 000 prisonniers, de même que 300 mitrailleuses, 1 canon de 7.7 cm ainsi qu’une batterie de pièces de 8.8 cm surnommés « Whiz-Bangs » (2). Sauf qu’en se retirant, les Allemands maintiennent des détachements d’arrière-gardes chargés de retarder l’avance des Américains. Et ceux-ci se rendent comptent que ses petits groupes sont particulièrement bagarreurs. Le 5 novembre, la First US Army libère Stonne et s’empare de Brielles-s/Bar en jonction avec le XXXVIIIe Corps français, de Cléry et du Pivot de Stenay, pendant que Gouraud envoie ses troupes sur le Canal des Ardennes. Le XXXVIIIe Corps s’empare de Boult-au-Bois
– La IVe Armée française a également démarré son offensive à l’est de Vouziers et de l’Aisne le 5 novembre. Les Français dégagent Buzancy et abordent l’axe Quatre-Champs – Sedan. Les divisions de Gouraud sont devant Sedan. C’est là que survient un incident entre alliés. Souhaitant laver l’affront de 1870, Gouraud estime que c’est à ses soldats d’entrer dans Sedan. Mais Pershing ne l’entend pas de cette oreille, estiment lui aussi que ses soldats ont droit de défiler dans la cité. Du coup, la 1st US Division (Edward McGlachin) fonce vers Sedan, en empiétant dans le dispositif de la 42nd US Division (Charles T. Menoher), causant un véritable chaos dans le déplacement des troupes. Finalement, devant le désordre engendré, Pershing fait signe à McGlachin d’arrêter l’avance de sa division. Et les Français peuvent entrer en triomphe dans Sedan. Le 6, la IVe Armée franchit le Canal des Ardennes (3).
– Survient alors un autre problème pour les Français et les Américains : la Meuse elle-même. En effet, le fleuve est en crue car les Allemands ont fait sauter plusieurs des écluses. Et les fantassins américains n’ont pas les moyens techniques de franchir. En outre, l’intendance ne suit pas et la coordination entre unités se perd. Et à cela s’ajoute le flot de réfugiés et civils français qui envahissent les zones libérées par les Américains. C’est seulement le 7 novembre que les Américains réussissent à traverser la rivière, quand le 128th US Infantry Regiment (rattaché à la 5th US Division) s’empare du pont de Dun-s/-Meuse, avant d’avancer sur la rive ouest jusqu’à Brandeville (4).
– Le 8 novembre, les troupes de Gouraud, victorieuses, atteignent la Meuse entre Charleville-Mézières et Sedan. C’est également le 8 que les plénipotentiaires allemands arrivent dans le secteur de Compiègne afin d’entamer les négociations avec les représentants alliés, notamment Ferdinand Foch. Le 9 novembre, le XIe Corps français (Louis Prax) et XIVe Corps de Marjoulet se trouvent sur la Meuse. Mais ce sont surtout les avant-gardes, l’Intendance, l’Artillerie et le Génie étant encore en arrière. Et comme le signale Alain Fauveau, les divisions de Gouraud ont cinquante kilomètres dans les guêtres depuis la fin du mois de septembre. Le niveau des divisions est bon, voire très bon. Mais les marches et les combats dans des conditions météorologiques particulièrement mauvaises ont éreinté les Poilus qui accusent une sérieuse baisse de moral (5). En fait, cela est dû autant à la fatigue qu’à l’attente de la fin de la guerre qui semble tarder à arriver. En plus, dans leur retraite, les Allemands ont défoncé les routes et abattu chênes et hêtres sur les axes, notamment la route Chagny – Omont, dans le secteur de la 163e DI (6). Du coup, Gouraud comprend très vite que ses deux Corps d’Armée doivent rétablir la coordination et la liaison, autant entre eux qu’entre chacune de leurs unités. Au soir du 8 novembre, le patron de la IVe Armée donne des ordres en ce sens, afin que les unités de Prax et Marjoulet se réalignent (7).
– Mais loin des rives de la Meuse, Ferdinand Foch qui s’apprête à accueillir (froidement) les plénipotentiaires de la toute jeune République de Weimar, donne un nouvel ordre pour la suite des opérations qui ne s’arrêtent pas pour autant. Le télégramme du Maréchal, adressé à Pétain, Haig et Pershing est explicite : « L’ennemi, désorganisé par nos attaques, cède sur tout le front. Il importe d’entretenir et de précipiter nos actions. Je fais appel à l’énergie et à l’initiative des commandants en chef et de leurs armées pour rendre décisifs les résultats obtenus (8) ». Pershing est le plus réceptif à l’appel de Foch. Il ordonne donc à la First US Army de Liggett de presser le pas en direction de Pouilly-s/-Meuse et à la Second US Army de Bullard de marcher sur Briey. L’ordre est encore donné avec précipitation et le manque de coordination des unités américaines va permettre aux Allemands de résister vivement durant deux jours supplémentaires.
– Du côté Français, Gouraud compte bien faire traverser la Meuse à ses forces mais quand cela sera possible, c’est-à-dire quand les unités du Génie et surtout les pontonniers seront à pied d’œuvre. Or, le transport du matériel de franchissement dépend des camions qui dépendent eux-mêmes de l’état des routes, qui n’est pas de la meilleure qualité. Or, dans la journée du 10, sur la foi de renseignements transmis à son PC, Henri Gouraud apprend que le XIe Corps de Prax vient de franchir la Meuse à hauteur de Mézières. Il s’avérera plus tard que l’information était fausse. Du coup, pour respecter les consignes de Foch mais sans vouloir jeter ses forces derrière la Meuse avec précipitation, Gouraud émet à 18h00 un ordre* à l’adresse de ses deux Corps: « surveiller l’activité de l’ennemi afin de profiter de toute occasion favorable pour franchir la rivière et s’établir solidement sur la rive droite, en se bornant à poursuivre l’ennemi, le cas échéant par des éléments légers … et de hâter le rétablissement des communications et la poussée en avant des moyens nécessaire à l’exécution du passage de vive force. » Et plus précisément, Gouraud enjoint à François Marjoulet, patron du XIVe Corps de « se tenir prêt à passer la rivière et à occuper les hauteurs du sud-est de Lumes, dès que l’avance du XIe CA le lui permettra (9) ». Comme le dit Alain Fauveau, Gouraud se montre méthodique et raisonnable : pas d’aventure derrière la rive droite de la Meuse sans coordination et sans cohésion entre les deux Corps d’Armée.

– Sauf que, sur-interprétant les ordres de son supérieur direct, François Marjoulet se met à faire du zèle. Le 9 novembre au soir, il contacte le Général Edmond Boichut**, le chef de la 163e DI qui a établi son PC à Sapogne. Boichut reçoit l’ordre d’expédier son infanterie de l’autre côté de la Meuse durant la matinée du 11 novembre, afin de prendre Vrigne-Meuse et la butte nommée le Signal de l’Epine (243 m). Visiblement bien plus mesuré que son chef et sachant ses soldats fatigués, Boichut réplique à Marjoulet que ses moyens de franchissement ne sont pas encore arrivés. Or, par endroits, la Meuse est large de 70 m à cause de la crue. Marjoulet lui répond que « l’ennemi hésite à signer l’armistice » et qu’il faut profiter de sa désorganisation. Ne pouvant désobéir, Boichut réunit ses commandants de régiments et leur expose la situation. Le franchissement de la Meuse va être improvisé. Les fantassins traverseront la rivière sur d’étroites passerelles ou à bord de canots pouvant embarquer quatre hommes. Et ce, sans grand couvert de l’artillerie qui est encore en arrière et n’a pu se déployer à temps. Autant dire que ça n’est pas la joie chez les officiers. Et comme si cela ne suffisait pas, les Poilus qui ont l’oreille fine dirons nous, questionnent leurs officiers pour leur demander si la Paix a été signée. Enfin, c’est le 415e Régiment d’Infanterie du Colonel Gizard qui va s’y coller le premier. Mais c’est au Chef de Bataillon de Menditte que reviendra « l’honneur » de guider les fantassins derrière la Meuse. Gravement mutilé, de Menditte ne peut prendre part à l’attaque (10). Le 142e RI () doit traverser la Meuse entre Flize et Nouvion, tandis que le 53e RI suivra le 415e.
– Dans la nuit du 9 au 10 novembre donc, le 415e RI passe la Meuse à bord de petites embarcations et sur des passerelles à l’équilibre incertain. Mais aucun noyé n’est à déployer. Les Français se retrouvent donc à combattre dans le secteur compris entre Nouvion et Vrignes-Meuse. Mais les Allemands se battent encore avec ténacité et le 415e RI doit s’abriter derrière la voie ferrée, dos à la Meuse et sous les tirs de l’Artillerie allemande. Vite alerté sur l’état de ses compagnies, Menditte avertit Boichut qui ne perd pas le temps et demande à Marjoulet un soutien de l’artillerie du Corps (des pièces moyennes et lourdes tractées ou hippomobiles). La sienne (2 groupes de 75 mm du 244e RA), risquant de ne pas suffire. Marjoulet accepte alors et pendant le reste de la journée du 10, toute le monde reste sur ses positions. Les Français ont perdu 57 tués et 133 blessés. Et cerise sur le gâteau, Marjoulet et Boichut apprennent que le XIe Corps de Prax N’A PAS traversé la Meuse. Voici donc 700 hommes du 415e RI (quasiment isolé. Cependant, les Allemands ne contre-attaquent pas entre Nouvion et Vrignes-Meuse. En revanche, plus à l’ouest, ils contre-attaquent violemment à Donchéry (11).

– Au soit du 10 novembre, Gouraud ordonne de renforcer la mince tête de pont. Les groupes du Génie travaillent alors d’arrache-pied pour établir des pontons et des passerelles. Finalement, au matin du 11 novembre, les renforts peuvent passer et les Français finissent par investir Vrignes-Meuse. A 07h15, la nouvelle tombe enfin : l’Armistice a été signé. Mais il n’y a toujours pas confirmation. Mais pour les Poilus, près de cinq années de souffrance, de peine et de carnage touchent à leur fin. Seulement, les combats se poursuivent sur la ligne de fronts, souvent sporadiques mais ils font des victimes. La 163e DI perd encore 29 tués. Le dernier étant le Première classe Augustin Trébuchon, estafette à la 9e Compagnie du 415e. Trébuchon est abattu par un tireur allemand dans Vrigne-Meuse, quelques minutes après le soldat Coste. Sauf que pour ne pas révéler que plusieurs soldats français ont été tués le 11, jour de l’Armistice, le Commandement ordonnera de référencer leur mort au 10 novembre. Il n’empêche que l’utilité de l’attaque contre Vrigne-Meuse fera l’objet d’âpres débats par la suite. Avec 96 tués dans les rangs de la 163e DI, la pertinence de l’attaque ayant été plusieurs fois contestée. Mais presque symboliquement, pour l’Armée française, la mort d’Augustin Trébuchon clôt un cycle de massacres et de destruction qui avait débuté en août 1914, avec celle du Caporal Peugeot.
– Voyons brièvement la fin des combats du côté américain. Le 10 novembre, la 89th US Division s’empare de Stenay, tandis que la 4th Marine Brigade de la 2nd US Division traverse également la Meuse et s’empare de Lettanne et Mouzon, malgré la riposte de quelques canons allemands. Enfin, le 11, la 79th US Division (Joseph E. Kuhn) atteint Chaumont-devant-Damvillers (12). C’est là que tombe, victime d’une rafale de mitrailleuse, le dernier soldat américain de la guerre, le Private Henry Gunther (du 1/313th US Infantry).

– Cela dit, le 11 novembre à 11h00, le clairon Delaluque, du 415e, sonne la fin des combats. A Paris, c’est une foule en liesse qui envahir les boulevards de la capitale. Des scènes identiques vont se répéter à Londres et New-York. Mais sur le Front, hormis quelques manifestations de joie chez les Anglo-Saxons devant les caméras pour les actualités, c’est l’étonnement et la retenue. Comme le dit Jean-Yves Le Naour, quand l’Armistice est annoncé c’est l’étonnement et la retenue. Aucun triomphalisme, ce qui aux yeux de beaucoup serait paru déplacé et ridicule. Au contraire, les plus anciens voient enfin l’achèvement d’une ordalie collective de plus de quatre ans (13). Ceux d’en face, les Allemands ont tout autant subi (même s’ils étaient mieux installés dans leurs abris solides. Un certain respect s’impose alors, excepté chez une poignée d’enflammés revanchards. Dans certaines parties du front, comme sur le Hartmannswillerskopf (Haute Alsace), les Poilus vont au devant des ci-devant ennemis (et réciproquement) et pour leur signifier que la paix est signée et qu’on a pu à se tirer dessus. Les soldats français étant particulièrement frappé par la maigreur des Allemands. Pris de compassion, certains offrent pain, vin, rations. La vengeance ? On la laisse aux planqués de l’arrière qui doivent confortablement siroter leur p’tit rouge, leur Suze ou leur Vermouth au bistrot ! Voici grosso modo, l’état d’esprit des Poilus, voire des Tommys, des Cannucks, des Néo-Zélandais et des Aussies. Ça y est, la boue, les marmitages, les mitrailleuses, les rats, tout ça c’et fini ! La quille, maintenant, quoi ! On va pouvoir rentrer à la maison. Mais on n’oubliera jamais les copains qui y sont restés et qu’on ne reverra plus.
* Il s’agit de l’ordre 802/3 de l’état-major de la IVe Armée
** Polytechnicien, Artilleur de formation, Edmond Boichut commande les batteries de la 42e DI en 1914, lors des combats pour Mondement (Bataille de la Marne). Il commande ensuite les
Je tiens sincèrement remercier vous tous et toutes, amis, universitaires, journalistes, officiers et anonymes qui avez pris le temps de suivre ce cycle de chroniques (le mieux documenté possible) sur la Grande Guerre. Remerciements tout particuliers et appuyés à ceux et celles qui ont permis à ce blog d’être connu au maximum : Le Colonel Rémy Porte, le Colonel Vincent Arbarétier, le Colonel Michel Goya, M. Laurent Henninger, M. Sylvain Ferreira, M. Benoît Rondeau, Mme Rosy Calabre (du CDEM), Camille Vargas, Dagmar passionnée d’aéronautique et mon complice Vianney.
Remerciement à M. Damien Bès de Berc, arrière-petit-fils du Général Louis Bernard (chef d’état-major de la IIIe Armée en 1918) pour sa précieuse aide apportée.
Remerciements également à Guillaume, Constance et Gilles, Elisabeth, Amicie, Anne-Sophie, Marguerite, Marie, Sophie, Monica, Solène, Geneviève, Thomas, Michel, Niels, Jean-Gabriel, Thomas B., Thomas du C., Pol, Benoît, Côme, Evrard, Merry, Damien, Renaud, Christophe, Frédéric et Arthur pour toutes les expéditions sur les champs de bataille de 1914-1918.
Et à Marie de L. pour son admirable patience dans les salles du Royal Tank Museum de Bovington (Dorsetshire).
(1) HART P. : « The last battle. Victory, defeat and the end of World War I », Oxford University Press, 2018
(2) HART P., Op. Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) FAVEAU A. : « Le dernier combat : Vrigne-Meuse, 10 et 11 novembre 1918 », RHA, 2008
(6) FAVEAU A., Op. Cit.
(7) Ibid.
(8) ORTHOLAN Col. H. : « 1918. L’année décisive », tome 2, « La contre-offensive alliée », SOTECA, Paris, 2018
(9) FAVEAU A., Op. Cit.
(10) Ibid.
(11) Ibid.