La première aviation tactique d’attaque au sol

Connaissez-vous le film de guerre aérienne « Le crépuscule des aigles » de John Guillermin, avec George Peppard, James Mason, Ursula Andress et Jeremy Kemp ? Oui, sans doute. Et en tant que passionnés de l’histoire de la guerre aérienne – et même terrestre – de 1914-1918, vous n’aurez pas manqué de relever les erreurs d’armes et de matériel. Cependant, l’action du film se déroule en 1918 et montre très bien deux évolutions majeures de la guerre aérienne : la fin des chevaliers de l’air et l’attaque au sol. Nous nous intéresserons ici au second élément, qui montre à quel point l’action aérienne est devenue complémentaire de l’action terrestre et annonce l’emploi de l’aviation comme on le connaîtra en 1939-1945.

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– Comme l’explique très bien le Colonel Michel Goya dans son dernier ouvrage « Les Vainqueurs », la Première Guerre mondiale voit clairement l’Artillerie et le Renseignement devenir dépendants de l’aviation (1). Dans les deux premières années du conflit, les avions sont d’abord « les yeux » des canons et obusiers, pour le repérage des cibles et des positions ennemies. Mais à partir de 

1916, avec le perfectionnement des appareils de chasse, l’avion prend de plus en plus d’importance sur le plan tactique. En effet, en raison du déficit, voire de l’absence, de moyens de communications radios et TSF fiables, les pilotes deviennent les messagers des fantassins qui peuvent encore communiquer par codes, en employant des klaxons, des lampes ou des fanions. Ainsi, les fantassins et soldats chargés d’opérer la liaison avec les batteries informent un ou plusieurs pilotes d’une demande de tir d’artillerie. Les seconds rapportant le message par la voie des airs, plus rapidement que des estafettes qui peuvent risquer leur vie sous les tirs ennemis. Mais cette mission de liaison-transmission que l’on confie aux avions ne peut être optimale que si la maîtrise des airs est assurée par la chasse. Or, quand ils n’affrontent pas d’autres chasseurs, les pilotes d’avions armés de mitrailleuses vont se montrer utiles et complémentaires de l’Artillerie (2).

– En effet, comme l’explique l’historien américain Lee Kenneth, dès 1916, les fantassins découvrent qu’il est bien plus rapide et – parfois – plus efficace de demander aux pilotes d’attaquer directement les positions allemandes. Contrairement aux canons de campagne dont la précision reste aléatoire et qui sont surtout utilisés en nombre et de façon concentrée, les avions peuvent cibler plus précisément les positions ennemies, notamment les mitrailleuses.

Mais cela est efficace contre des positions peu fortifiées et non contre des abris bétonnés et maçonnés. Toutefois, l’initiative fait des émules chez les généraux alliés en charge des opérations aériennes qui comprennent vite que les avions deviennent « un bras prolongateur » des bouches à feu et qu’ils peuvent attaquer des cibles plus lointaines et dans la profondeur du dispositif allemand et avec une précision plus nette. Ainsi, durant la Bataille de la Somme, des appareils (notamment des Sopwith Camels, Bristol F.2 et  Royal Air Factory S.E.5) opérant en petits groupes attaquent des QG et des centres logistiques allemands sur la foi des renseignements aériens afin de désorganiser la défense allemande. Les Britanniques progressent également dans le domaine lors de la Bataille de la Crête de Messines (juin 1917) quand des escadrilles du RFC complètement les efforts de l’artillerie en attaquant des ponts mais aussi, des aérodromes pour faire taire la chasse allemande dès le début de la bataille (3). D’autre part, comme l’explique Lee Kenneth, on découvre que les avions sont très utiles pour appuyer l’infanterie rapidement dans les phases d’assaut et sont, de surcroît, beaucoup plus rapides à déployer que l’artillerie. Dans ce sens, ils peuvent contribuer à briser des contre-attaques en attaquant directement l’ennemi au sol. Cette nouvelle conception de l’emploi des chasseurs se confirmera lors des grandes offensives de Ludendorff au printemps 1918 (4). C’est aussi à ses dates que les attaques au sol se sont montrés plus efficaces tactiquement.

– Les belligérants emploient des avions plus lourds qui peuvent embarquer 1 ou plusieurs bombes dont le poids varie de 40 à 250 kg. Mais la capacité de charge reste limitée et un avion seul et sans escorte ne peut faire beaucoup de dégâts. L’utilisation d’avions pour des attaques au sol doit donc faire l’objet d’une plus grande concentration et d’un emploi rationnel – et rationalisé – des pilotes qui ont davantage intérêt à opérer en équipe plutôt que de chercher à allonger la liste de leur tableau de chasse. Pour cela, il faut concevoir des appareils capables de ce genre de missions. Et bien sûr, sur ce point, les Alliés vont remporter la victoire du nombre et de la qualité grâce à leur industrie qui ne manque pas de matières grises et de matières premières. Si les Allemands possèdent les premières, ils sont amplement nécessiteux sur les seconde (acier, bois, caoutchouc). La sortie en 1918 du Junker J.9, tout en acier, arrivera trop tard et en trop petit nombre pour répliquer à temps aux Alliés.

– Sinon, la conception d’avions pouvant se charger des missions d’attaque au sol doit répondre à plusieurs impératifs : solidité, bonne vitesse, bonne maniabilité et capacité d’emporter plusieurs bombes. Chez les Français, si les différents modèles de SPAD (XII et XIII) sont en mesure d’embarquer 2 à 4 bombes, Louis Breguet conçoit un joyau de technologie aéronautique, le Breguet Br. XIV qui peut emporter 300 kg de bombes. Sorti des usines à bonne cadence, le Breguet XIV est, selon le souhait du Général Charles-Marie Duval (Aide-major général de l’aéronautique, puis commandant de la 1re Division aérienne) regroupé et concentré au sein d’escadrilles spécialisées dans le bombardement des positions allemandes.  Surnommé le « Louis XIV », ce biplan rend de fiers services en 1918, notamment pour contrer l’Offensive « Michael » et  lors de la Seconde Bataille de la Marne en attaquant des ponts et des cibles logistiques. Mais comme le signale le Colonel Goyal, l’emploi d’une mitrailleuse ventrale, servie par le tireur, contre les troupes allemandes au sol, ne se révèle pas concluante (5).

– De leur côté, les Britanniques peuvent compter sur les Airco DH.4 (DH 9 pour les Américains). D’autre part, ils continuent à utiliser les Sopwith Camels et Bristol F.2 pour attaquer des cibles précises, comme c’est le cas durant l’Offensive du 8 août quand plusieurs Squadrons attaquent plusieurs ponts sur la Somme, afin de désorganiser le déploiement des renforts allemands. Pour cela, les Généraux Hugh Trenchard et John Salmond (RAF) ont formé des Squadrons (regroupés en Wings) spécialement consacrés à ce type de mission, visant à frapper dans la profondeur du dispositif ennemi, au-delà de la portée maximale des pièces lourdes de l’Artillerie. Mais les pilotes britanniques subissent de lourdes pertes face aux Fokker Dr. VII qui surclassent les avions employés pour les bombardements (6). Cela nous pousse donc à dire que les avions chargés de l’attaque au sol, ne peuvent se départir d’une escorte chargée d’affronter les chasseurs ennemis. Britanniques et Français peuvent certes compter sur les excellents SPAD.XIII mais les seconds alignent en 1918 le Caudron Cdr. XI, spécialement dédié à des missions d’escortes.

– Mais l’attaque finit par devenir la discipline la plus à risque dans les forces aériennes, notamment en raison des contre-mesures allemandes. Lee Kenneth a montré que le pourcentage de pertes chez les pilotes chargés de ce type de mission était supérieur à ceux chargés de la chasse ou de la reconnaissance, notamment dans les derniers mois de la Guerre. En effet, ne disposant pas d’une aviation de chasse suffisante pour contrer la menace, les Allemands se sont rabattus sur les mitrailleuses et l’artillerie de DCA, assez efficacement pour causer des pertes aux pilotes alliés. Et l’autre facétie germanique génératrice de pertes reste l’installation de câbles au-dessus des tranchées pour arrêter les appareils en plein vol. Nous sommes bien loin de l’esprit chevaleresque de plusieurs pilotes tant vantés par la presse et la propagande de guerre (7).

– C’est donc cette proportion élevée de pertes qui conduit les vainqueurs à renoncer au développement de l’attaque aérienne au sol durant l’Entre-deux-guerres et privilégier la reconnaissance, la chasse, ainsi que le bombardement stratégique (8). En revanche, le vaincu principal aura retenu la leçon, puisque dans les années 1930, la firme Junker planche sur un appareil qui sèmera l’effroi sur les routes de France en 1940, le Ju-87 « Stuka ». Et quand l’Armée française prendra conscience de son retard en la matière, il sera trop tard.


(1) GOYA Col. M. : « Les vainqueurs. Comment la France a gagné la Grande Guerre », Tallandier, 2018,
(2) KENNETH L. : « La première guerre aérienne 1914-1918 », Economica, Paris
(3) TURNER Col. A. : « Messines 1917. The Zenith of Siege Warfare », Osprey Publishing, Londres
(4) KENNETH L., Op. Cit.
(5) GOYA Col. M., Op. Cit.
(6) McCLUSKEY AL. : « Amiens 1918. The Black Day of the German Army », Osprey Publishing, 2009, Londres
(7) KENNETH L., Op. Cit.
(8) Ibid.

 

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