Membre de la rédaction de la revue « Guerres & Histoire », animateur du blog « La voie de l’épée » et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur l’Histoire militaire (« La chair et l’acier : l’armée française et l’invention de la guerre moderne, 1914-1918 » ; « Irak : les armées du chaos » ; « L’invention de la guerre moderne : du pantalon rouge au char d’assaut, 1871-1918 » ) le Colonel Michel Goya vient de publier chez Tallandier, son dernier ouvrage : « Les vainqueurs. Comment la France a gagné la Grande Guerre ». Pour nous, avec son titre qui annonce la couleur, le livre est clairement incontournable en cette dernière année du Centenaire.
– Depuis bien longtemps, la mémoire – individuelle ou collective – a surtout vu la Grande Guerre à travers le prisme de la souffrance des Poilus dans les tranchées ou bien à travers celui de l’absurdité. Absurdité de la guerre, absurdité des ordres, etc. Par conséquent, on a oublié pendant longtemps que l’Armée française de 1918 était devenue la plus puissante du Monde, suite à un effort industriel considérable comme à une réflexion intellectuelle quand à l’emploi des forces. C’est ce que démontre l’ouvrage du Colonel Goya.
– Dans sa première partie, le livre montre combien l’Armée française de 1918 diffère radicalement de celle de 1914. En effet, en cinq années, l’Armée de la République est passée d’une force encore largement héritière des guerres de la première moitié du XIXe siècle, à une force maîtrisant mieux une guerre devenue industrielle et technologique, comme les des combat interarmes beaucoup plus sophistiqués, alliant l’utilisation des unités au sol et celles opérant dans les « espaces fluides » (air, mer). Sans entrer ici dans le détail, soulignons que le Colonel Goya nous livre des chapitres très instructifs quant à la mécanisation de l’Armée française avec l’apport des chars, l’utilisation plus savante de d’une artillerie alourdie depuis 1915 et la maîtrise des airs grâce à une puissante aviation, dont l’emploi est rationalisé par le trop méconnu Général Charles-Marie Duval. Cette montée en puissance ayant été possible grâce à un dynamisme d’une industrie de guerre qui a tourné à plein jusqu’à l’Armistice. Des lignes instructives sont également consacrées aux innovations techniques et technologiques de la Marine Nationale, domaine longtemps trop occulté.
– La seconde partie du livre s’attache aux opérations de l’année 1918, sans doute encore trop méconnue. La mémoire nationale ayant souvent fait un bon trop rapide entre les « mutineries » de 1917 et l’Armistice du 11 novembre. Sans omettre les mauvaises décisions de certains généraux et les dissensions entre chefs, Michel Goya nous montre comment l’Armée française a été capable d’infliger une série d’échecs stratégiques aux offensives Ludendorff en l’espace de cinq mois. Et ce, avant de prendre une large part à la série d’offensives victorieuses de l’été et de l’automne 1918. Et si l’Armée britannique y a nettement joué de sa partition, il faut aussi revoir le rôle et l’efficacité des forces américaines. Dans ce chapitre, il est également question des différences entre Français et Allemands dans l’emploi des forces (notamment de l’Infanterie), avec l’accent mis sur la capacité de l’Armée française à s’adapter aux nouvelles situations, malgré certaines limites tactiques (notamment le combat en champ ouvert).
– Enfin, « Les Vainqueurs » ne s’arrête pas seulement à l’année 1918, puisque le Colonel Goya montre comment et pourquoi, malgré la contribution de cerveaux compétents (Buat, Debeney, Estienne, entre autres) et le bouillonnement dans la réflexion stratégique et tactique, la France de l’Entre-deux-Guerres a manqué le coche dans sa préparation d’une prochaine guerre européenne. Les causes étant à la fois conjoncturelles et structurelles.
– Nous ne saurons donc que recommander « Les vainqueurs », synthèse complète sur l’Armée qui a contribué le plus à la défaite du Reich wilhelmien. Un livre que tout passionné de l’histoire militaire de la Grande Guerre devrait lire. Quant aux néophytes, ils y trouveront portrait de l’Armée française, autre que celui véhiculé largement par des images d’Epinal faisant la part belle aux officiers « bêtes et méchants* » comme aux fusillés pour l’exemple.
* Le très bon film d’Albert Dupontel « Au-revoir là-haut » (d’après le romant de P. Lemaître) nous en donnant encore un bel exemple…