Fin 1917,après une campagne de Palestine réussie mais freinée dans les Monts de Judée à cause des fortes pluies d’hiver, les Britanniques, Australo-Néo-Zélandais et Indiens ont pris Jérusalem à l’Armée ottomane. Cependant, durant la première moitié de 1918 qui vit la prise de Jéricho, les forces de l’Egyptian Expeditionary Force (EEF) sont restées l’Arme au pied face aux dernières forces ottomanes et du Heeres-Gruppe « Yildirim » qui sont disposées entre la Méditerranée et le fleuve Jourdain. En outre, Edmund Allenby a dû céder 2 divisions au Front de l’Ouest. Pour le coup, Allenby dut attendre des renforts venus de l’Armée des Indes (India Army) avant de relancer sa campagne.
1 – FORCER LES DERNIÈRES LIGNES OTTOMANES
– Rassuré par les succès remportés à l’Ouest, David Lloyd-George donne pour ordre à Edmund Allenby de reprendre la campagne contre « l’Homme malade de l’Europe » qui se trouve plutôt à l’agonie et d’atteindre Damas. Bien entendu, Allenby est d’abord le glaive des objectifs géopolitiques de Londres (« The Big Game », pour reprendre le terme employé par Kristian Coates Ulrichsen) au Moyen-Orient. Sa campagne doit parachever la mise à mort de la Sublime Porte en complétant la campagne réussie de Frederick Maude de 1917 en Iraq* et damer définitivement le pion aux Français qui se sont invités à la campagne avec l’expédition du Colonel Brémond. Comme le souligne également le Colonel Rémy Porte, en 1918, Edmund Allenby tombe malade et accuse un sérieux coup de fatigue, ce qui le rend davantage irascible et nerveux. Ce qui n’est pas idéal pour lancer une campagne. Cependant, Allenby s’y prépare en regroupant et réorganisant ses forces durant l’été 1918. Grâce à la victoire sur les Ottomans en Turquie, Charles Monroe** octroie les 3rd (Lahore) et 7th (Meerut) Indian Divisions, qui viennent renforcer le dispositif déjà en place, articulé autour des XX, XXI et Desert Mounted Corps (voir l’ordre de bataille ci-dessous). L’Egyptian Expeditionary Force dispose en outre d’une nette supériorité numérique (69 000 hommes contre 44 000), doublée d’une supériorité qualitative, tactique et technique. Allenby peut ainsi compter sur une artillerie plus puissante et plus mobile que celle de ses adversaires et sur le concours de la Royal Air Force qui ne soit voit guère disputer le ciel de Palestine. Les forces britanniques sont donc un panachage d’éléments de Métropole (Anglais, Ecossais, Gallois et Irlandais), d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Inde, auxquels viennent s’ajouter le Détachement Français de Palestine et de Syrie (Col. Brémond) qui inclut la Légion Franco-Arménienne. Enfin, la « Légion Juive » (dénommée 38th et 39th Bn. Royal Fusiliers) est intégrée au sein de la 20th Indian Brigade. La composition des forces de l’EEF présente également un assemblage d’unités d’infanterie et d’unités montées, celles-ci représentant 4 divisions (1 australienne, 1 mixte australo-néozélandaise et 2 Indiennes) ainsi que des escadrons rattachés directement au QG des Corps d’Armée. Par troupes montées, il faut aussi comprendre les unités du Camel Corps, de même que celles chargées du ravitaillement, généralement indiennes. Comme nous avons pu le voir dans les articles consacrés à la Bataille de Ber-Sheeba et à la prise de Jérusalem, l’emploi d’unités de Cavalerie en Palestine est facilité par les vallons ouverts et généralement quadrillés par un réseau de fortins qui peuvent être plus facilement percés et contournés, d’autant que les forces Ottomanes se sont considérablement réduites en termes d’effectifs. Les Britanniques disposent également d’unités d’automitrailleuses (Armoured Car Squadrons ou Batteries) rattachées aux Corps ou bien aux Divisions. Les quelques routes et chemins carrossables de la région permettent à ses unités mécanisées d’effectuer des missions de reconnaissance, de raids et d’appui notamment aux Cavaliers. En effet, contrairement aux Tanks (qu’Allenby n’utilise pas***) les automitrailleuses peuvent mieux suivre le rythme des chevaux, même si elles ne sont pas exemptes de soucis mécaniques.
– Les troupes d’Allenby doivent également agir de concert avec les troupes arabes du Roi Fayçal (4 000 Bédouins) – un détachement étant conduit par Lawrence d’Arabie – auxquelles les Britanniques ont fourni des officiers de liaisons, des canons de montagne (notamment 1 batterie française d’Afrique du Nord), des mitrailleuses et même l’appui d’automitrailleuses Rolls Royce. Malgré le siège de la position ottomane de Ma’an qui se poursuit, les Bédouins ont lancé une série de raids pour couper la voie de chemin de fer du Hedjaz qui relie Aqaba à Aba el-Lissan et pris la gare de Mudawara qu’ils ont détruite.
– Afin de repousser les forces germano-ottomanes vers le nord pour dégager la route de Damaas, Edmund Allenby prévoit d’effectuer une puissante poussée entre le fleuve Jourdain et la Méditerranée, de part et d’autre de la route Jérusalem – Jénine – Tibériade, comme de la voie ferrée Jérusalem – Jénine et en direction de Megiddo (nord-ouest) du lac de Tibériade (nord-est). Et ce, à partir d’une ligne de départ située à 32-35 km au nord de l’axe Jaffa – Ludd – Ramalah – Bire – Jericho – Jourdain. Cet axe étant coupé en son milieu par les Monts de Judée dans lesquels les Ottomans se sont retranchées. Allenby prévoit donc d’engager une large manœuvre en crochet ouest – est en faisant d’abord sauter les verrous de Sebustiye et Naplouse dans les Monts de Judée (centre). Cette mission est assignée au XXI Corps de Bulfin et sera précédée d’une attaque préliminaire le 18 septembre par le XX Corps de Chetwode, afin d’y fixer les forces turques de la VIIe Armée turque. Le 19 septembre, le XXI Corps devra attaquer sur une ligne de 13 km afin de percer, ce qui permettra d’engager les forces montées pour progresser vers Tulkareïm, afin de couper la ligne de ravitaillement des VIIIe et VIIe Armées. La percée obtenue en profondeur, ça sera au tour du Mounted Desert Corps de Harry Chauvel d’entrer dans la danse afin de prendre les Ottomans de vitesse en prenant le Mont Carmel pour couper le centre de communications d’Al-Afuleh, ce qui nécessite une progression en profondeur de près de 97 km en tout. Enfin, pour couvrir le flanc droit (est) de Chetwode et Chauvel, Allenby forme un détachement de 11 000 hommes, la « Chaytor » Force placée sous le commandement d’Edward Chaytor (voir ordre de bataille ci-dessus) afin de prendre le pont de Jisr et Damieh afin de couper les communications ottomanes d’Es Salt et Amman. Ensuite, Chaytor doit rejoindre les insurgés arabes à Amman.
– Pour les opérations, Allenby et ses généraux comptent à la fois sur l’effet de surprise, le choc et la vitesse. La surprise, tout d’abord, doit être favorisée par une opération de diversion. Ainsi, des éléments de l’ANZAC Mounted Division (H. West Hodgson) simuleront une attaque par la vallée du Jourdain en marchant ouvertement de jour, alors que les déploiements de troupes sur la ligne de front se font de jour. Ensuite, Allenby fait dresser un faux camp dans lequel se relaient hommes et animaux de bât. Ensuite, une unité de l’Imperial Camel Corps, des Gurkhas, des artilleurs français et des Cavaliers de l’ANZAC se joignent au raid des Bédouins sur la gare Mudawara. Et enfin, les journaux britanniques sont abreuvés de communiqués faisant état d’un rassemblement de courses pour le 19 septembre, jour de l’attaque général.
– Le choc doit être fourni par l’Artillerie, l’Infanterie et la RAF. La première doit déclencher une préparation sur les lignes turques (385 canons et obusiers) situées entre la Méditerranée et les pentes orientales des Monts de Judée et la seconde doit suivre le tir de barrage pour percer les lignes ennemies. Mais les forces en Artillerie de l’EFF sont bien moindres que celles que peuvent déployer une force équivalente en Europe. Allenby ne peut compter que sur 540 pièces, qui vont du mortier de tranchée au canon lourd de 60-pdr. Cela tient à plusieurs facteurs : le mouvement qui implique d’utiliser une artillerie facilement déplaçable et bien souvent par moyen hippomobile mais aussi l’allocation bien moindre, octroyée par Londres, de bouches à feu et de camions qui sont envoyés prioritairement en France. Toutefois, les Artilleurs britanniques sont particulièrement aguerris, notamment quant à la planification et l’exécution des feux. Enfin, pour l’aviation, les troupes du Commonwealth peuvent compter sur une nette supériorité en avions qui supplantent en quantité, tant qu’en qualité les escadrilles germano-turques. Et parmi les appareils, Britanniques et Australiens disposent des Bristol F.2 Fighters, Handley-Page 0/400 et De Havilland DH.9s qui seront utilisés pour matraquer les positions ennemies par des attaques au sol, à la mitrailleuse ou à la bombe.
– Seulement, en dépit des mesures prises par Allenby en matière de préparation et d’intoxication, Otto Liman von Sanders (qui a remplacé Erich von Falkenhayn à la tête du HG « Yildirim ») n’est pas dupe. Il sait très bien que les Britanniques ne vont pas se contenter de la conquête de Jaffa, Jérusalem et Jéricho. Il fait donc son possible pour bloquer Allenby mais ses forces sont dans un état alarmant, il n’y que 19 800 fusils pour plus de 40 500 hommes. Et les désertions se sont accrues sensiblement depuis 1917,d’autant que l’Armée Ottomane doit vivre avec un ravitaillement quasi-catastrophique et un manque notable d’unités médicales dignes de se nom.
2 – L’OFFENSIVE QUI ACHÈVE L’ARMEE OTTOMANE
– Le 16 septembre, Lawrence d’Arabie et Nouri as-Said, avec 3 000 de leurs irréguliers (des tribus Ruwallah et Howeitat) ainsi que des unités d’appui, lancent un raid en direction de Daraa, un carrefour ferroviaire qui ravitaille les forces ottomanes. Et sans en avoir référé à Allenby, Lawrence en profite pour lever plusieurs tribus de la région.
– Le raid sur Daara fait réagir Liman von Saners qui dépêche d’urgence la 53e Division pour rétablir la sécurité sur le réseau routier. Les Turcs ne s’attendent pas encore à voir surgir l’EEF quand un déserteur indien les avertit de l’attaque soudaine. Commandant du XXIIe Corps, Refet Bey souhaite se retirer mais Jevad Pacha, patron de la VIIIe Armée le lui interdit.
– Le 18 septembre, comme prévu, le XX Corps de Bulfin s’en prend aux positions turques des Monts de Judée, ce qui permet de détourner leur attention des opérations à venir à l’ouest. Le 19 septembre, à 04h15, Edmund Allenby déclenche sa dernière grande offensive. L’artillerie divisionnaire pilonne violemment les positions des 7e et 20e Divisions turques, avec l’appui de destroyers qui mouillent au large. La RAF se joint ensuite au pilonnage et cloue les quelques avions allemands qui stationnent à Jenine, de même qu’une grande partie des chargements d’artillerie. Un bombardier Handley-Page détruit également, avec une seule bombe, le centre téléphonique de la gare d’El-Afuleh, privant Allemands et Turques de communications filaires
– Suivant le barrage d’artillerie, les troupes de l’EEF se lance à l’assaut des positions turques. Après des combats souvent violents les 5 divisions d’Infanterie de Philip Chetwode percent. Longeant la Méditerranée, les 2 divisions de Cavalerie indienne et l’Australian Mounted Division de Hodgson dégagent la Plaine de Sharon enfonçant le dispositif de Jevad Pacha, puis se portent vers Megiddo et Jenine, dégagent le Mont Tabor de même que la Vallée de Jezreel. Le 20 septembre, Megiddo et Jenine tombent et la 5th Indian Cavalry Division se lancent vers Haifa qui est prise le 25. De leur côté, les Cavaliers australiens atteignent Beisan, coupant encore la voie de ravitaillement turque, tandis que la 4th Indian Cavalry Division s’empare d’El-Affuleh, assurant ainsi le dégagement de la Vallée de Jezree, causant également la reddition de 6 000 turcs. La VIIIe Armée ottomane a carrément cessé d’exister. Le 22 septembre, la Cavalerie indienne entre dans Nazareth et menace Samakh sur le Lac de Tibériade par le sud. Samakh tombe le 25 par une action combinée entre la Cavalerie indienne et le Desert Mounted Corps. La VIIe Armée turque, en lambeaux doit évacuer le lac de Tibériade.
– Simultanément, la 60th Division a libéré Tulkareim. Plus au sud, les 2 divisions d’Infanterie indiennes, les 54th (East Anglia), 10th (Irish) et 53rd (Welch) du XXI Corps attaquent pour fixer la VIIe Armée turque. Mais Liman von Sanders décide de placer une arrière garde assez puissante pour retenir les Britannique et Australo-Néo-Zélandais. Du coup, la résistance ottomane se durcit. La 54th Division, épaulée par le Détachement Français de Palestine et Syrie (DFPS), prend Arara aux 16e et 19e Armées turques. Toutefois, la 60th Division s’empare de Tulkareim le 20 et s’empare de Naplouse le 21 après de violents combats. Face à la force de frappe britannique, les Turcs ont été contraints d’abandonner rapidement leurs positions. Parallèlement, la division galloise dégage la route du Wadi el-Fara.
– Plus au sud-est, la « Chaytor Force » a aussi démarré son attaque contre les positions étirées de la 53e Division turque. Son avance est facilitée par les attaques des Bédouins contre la IVe Armée turque qui se retrouve débordée. Après plusieurs combats, les cavaliers de l’ANZAC et la 20th Indian Brigade atteignent Amman le 22 septembre.
– Le 25 septembre, la bataille s’arrête. Mais pour Allenby c’est un franc succès stratégique. L’Armée Ottomane est quasiment anéantie, après avoir perdu 38 000 homme, dont un grand nombre de prisonniers en à peine une semaine. Les Alliés n’ont à déplorer qu’un peu plus de 5 800 pertes, dont seulement 782 tués. Avec son flanc est sécurisé par les Bédouins, le Lac de Tibériade dégagée et le port de Haïfa sous contrôle, Allenby peut poursuivre tranquillement son chemin vers Damas.
* Maude a succombé à la maladie peu après la chute de Bagdad en février 1917.
** Commandant du théâtre d’opérations d’Iraq
*** Archibald Murray en avait déployé lors de la Seconde Bataille de Gaza l’année précédente mais avec peu de succès.
Sources :
– PORTE Lt.Col. R. : « Du Caire à Damas. Français et Anglais au Proche-Orient (1914-1918) », Soteca, Paris, 2006
– ULRICHSEN Kr. Co. : « The Middle East in First World War », Hurst and Company Publishing, Londres
– JOHNSON R. : « The Great War and the Middle East », Oxford University Press