Saint-Mihiel : les Américains jouent chez les grands – 1/3

Depuis la Guerre franco-prussienne de 1870, la ville de Saint-Mihiel était considérée comme importante d’un point de vue stratégique car elle commande l’accès aux routes de Verdun, Nancy, Toul et Metz. Et de plus, elle coupe la voie de chemin de fer entre Paris et Nancy. Les combats indécis de 1914 avaient formé le saillant de Saint-Mihiel qui s’étendait des Eparges à Pont-à-Mousson. N’ayant pu forcer le saillant en 1914-1915 (combats du Bois d’Ailly, de Bois Brumé, de la Forêt d’Apremont et des Eparges), les Allemands décident d’y établir de solides positions défensives afin de prévenir de toute offensives françaises dans la région afin de soulager le Front de Verdun. Ainsi, en août 1918, le saillant de Saint-Mihiel forme une hernie large de 38 km et profonde de 23 entre la Meuse et la Moselle. Cette partie du front qui a fait peu parler d’elle depuis 1915 va se retrouver être un enjeu politique et militaire pour les forces américaines de John J. Pershing.

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Foch et Pershing


 1 – DU GRAND JEU A L’OFFENSIVE SECONDAIRE A BUT POLITIQUE

– Pendant l’été, Américains et Français veulent profiter du succès des combats défensifs et des contre-offensives qui ont mis en échec les opérations d’Erich Ludendorf. Ce fut le cas avec les contre-offensives victorieuses sur la Marne, l’Aisne et la Somme. Comme le fait remarquer Jean-Christophe Notin dans sa biographie consacrée au Maréchal Foch, un mémorandum du 24 juillet 1918 estime qu’il faut réduire les saillants allemands dans l’ensemble du front allié (Amiens, Château-Thierry et Saint-Mihiel).

1 – Le Plan d’Août : Pershing voit jusqu’à Metz

– Le General John J. Pershing envisage alors de réduire le secteur de Saint-Mihiel pour des raisons stratégiques. En effet, le saillant représente encore une menace sur la voie ferrée Paris – Nancy et coupe déjà la voie ferrée Verdun – Saint-Mihiel. Et depuis août 1917, après la Seconde Bataille de Verdun, le saillant de Saint-Mihiel constitue une hernie dans les lignes françaises. D’autre part, en août 1918, la situation a largement évolué en faveur des forces alliées. L’Armée allemande manquant clairement de moyens et ne pouvant plus lancer d’offensive, il devient alors intéressant de reprendre du terrain perdu en Meurthe-et-Moselle. Ainsi, nettoyer définitivement le secteur de Saint-Mihiel permettrait de menacer directement Metz (que Foch prévoit de reprendre pour 1919) et remettre la main sur le Bassin sidérurgique de Briey, ce qui priverait l’Allemagne d’un approvisionnement en acier (1).

– Un premier plan de réduction du saillant est présenté en août 1918 par l’état-major de l’American Expeditionary Force (AEF). A Ferdinand Foch (qui coordonne les offensives alliées sur l’ensemble du front franco-belge), Pershing propose de lancer une puissante offensive qui dégagera Saint-Mihiel. Puis, suivant un puissant rythme offensif, les Alliés progresseraient sur Metz. Mais cette proposition n’est pas sans arrière-pensées politiques. Pershing réclame que cette offensive soit menée par une armée américaine afin de prouver deux choses les Américains sont capables de mener une offensive sur une échelle plus large et d’autre part. Et pour cela, Pershing réclame la

formation d’une armée américaine indépendante, alors que jusque-là, l’engagement des divisions américaines s’est effectué sous l’autorité de Corps français ou britanniques, avant que l’AEF n’acquit une meilleure expérience (2). Et politiquement, une opération réussie par une grande formation autonome américaine signifierait aux Alliés que la Jeune Nation, nouvellement arrivée sur la scène internationale, va peser et qu’il faudra compter avec elle pour préparer l’après-guerre. Derrière Pershing, c’est Wilson qui veille. En juillet, Ferdinand Foch – qui doit tenir compte des impératifs politiques interalliés – accepte que Pershing mène cette offensive sur l’une des épaules du saillant avec une armée américaine à part entière. Mais il faut bien voir également que le processus de création d’une US Army indépendante (sur le modèle des Armées françaises et ou britanniques) est l’aboutissement d’un processus qui tend à s’accélérer depuis le mois de juillet. En effet, dans les jours qui suivent les combats de Château-Thierry et du Bois Belleau, Pershing obtient de Foch la création de Corps d’Armée américains qui sont encore certes placés sous commandement français. Mais c’est déjà bien plus que l’embryon d’une seule Army. Avec les trois premiers US Corps (I, II et III), « Mad Jack » Pershing dispose d’un argument de poids.

– D’autre part, du point de vue stratégique, Foch veut profiter des différents coups d’arrêts infligés aux troupes de Ludendorff pour reprendre définitivement l’initiative sur l’ensemble du front. Or, dans la dynamique de la Seconde victoire de la Marne, Foch décide de frapper en Picardie avec les forces du Commonwealth, tandis que les Américains lanceraient l’offensive sur le saillant de Saint-Mihiel afin de contraindre les Allemands à y engager une partie de leurs forces (3). Foch prévoit que les Américains lancent leur offensive pour le 1er septembre afin d’anticiper le mauvais temps d’arrivée de l’automne. Pershing souhaite engager 3 US Army Corps, soit les I, IV et V. Le I US Corps de Hunter Liggett vient d’achever les combats sur la Vesle et connaît une période de repos et de complètement des effectifs. Le IV de Joseph T. Dickman* se trouve en formation à Toul mais le V de George H. Cameron n’est pas encore au complet (4).

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Pershing et George C. Marshall

– Fort de l’appui du tarbais, Pershing voit les choses en grand tout en se montrant gourmand en moyens. Le 10 août, alors que les forces de Haig ont fait reculer les Allemands dans la Somme, la First US Army est officiellement créée et son QG est d’abord fixé à La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne). Pershing en prend lui-même le commandement et place Hugh Drum à la tête de l’état-major. Un jeune Lieutenant-Colonel, plein de promesses, George C. C. Marshall** prend la direction des opérations. Cependant, si ces divisions disposent de fantassins à foison (alors que d’autres se trouvent à l’instruction dans plusieurs camps), le général américain réclame de l’Artillerie et de l’aviation à Foch. Pour le coup, l’AEF est clairement tributaire de l’Armée française (et de l’industrie de guerre nationale, approvisionnée en fonds et en acier par Washington) pour les fournitures en Artillerie. Comme le souligne David Bonk, le 18 août 1918, Français et Américains passent un accord pour un approvisionnement en bouches à feu visant à former 80 batteries de canons de 75, 40 batteries de 155 (Schneider, Saint-Chamond et Filloux), 86 batteries de différents calibres, 89 batteries d’artillerie lourde courte, 25 pièces de l’Artillerie lourde à grande puissance (ALGP), ainsi que le personnel français qui doit l’accompagner (5). Mais une semaine plus tard, Pershing accroît sa demande. Les batteries de 75 passent à 100 et celles de 155 à 50. A cela s’ajoutent 150 chars lourds (Mark IV et V britanniques ; Saint-Chamond français) et 300 chars légers (Renault FT) – le tout servi par des équipages américains déjà formés – et des avions pour 21 escadrilles (6). Dans son Journal de guerre, le Général Edmond Buat (alors Aide-Major Général de l’Armée française) accuse clairement Foch de faiblesse envers les Américains, estimant qu’il leur cède tout ce qu’ils désirent sans demander en échange. Buat souligne l’exemple des équipages hippomobiles qui manquent aux Américains. Foch leur en cède, alors que l’Armée française accuse un déficit de 24 000 chevaux et bêtes de somme pour le transport des canons de 75 et 155 notamment (7).

– Le plan d’Août comprend trois options : attaquer contre la face sud du saillant ; attaquer contre la face sur en coordination à une frappe contre le flanc ouest et une attaque contre le la pointe du saillant. L’attaque contre la seule pointe est vite rejetée et l’option retenue comprend une attaque coordonnée sur les flancs sud et ouest. Suivant l’évolution du plan de Pershing, 11 divisions américaines et 16 françaises doivent être allouées à l’offensive, ce qui montre encore l’importance qu’on lui prête. En accord avec Foch, Pershing fixe la ligne finale de l’offensive à la ligne Hauteurs de Mareuilles – sud de Gonze – Mars-la-Tour – Etain. Pershing prévoit de lancer 3-4 divisions contre le flanc ouest, soutenues par 6 divisions françaises de la IInde Armée (Auguste Hirschauer). Simultanément, 7 divisions américaines doivent attaquer la face sud du saillant pendant que 3 divisions françaises occuperont les Allemands sur la face nord du saillant (8).

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Hunter Liggett, commandant de l’US I Corps

– Mais la préparation acharnée de l’offensive de Saint-Mihiel, menée tambour battant par Pershing et son état-major se heurte à trublion imprévu : Douglas Haig. En effet, fort du succès remporté par ses forces dans la Somme du 8 au 10 août, l’Ecossais – qui ne veut pas laisser les seuls lauriers de la victoire aux Français comme aux soldats de l’ancienne colonie – voit les choses autrement. Contrairement à Foch qui prévoit de poursuivre la guerre en 1919, Haig estime qu’après la Troisième Bataille de la Somme, les Allemands sont sévèrement affaiblis. Haig explique à son collègue tarbais qu’il est possible que le BEF attaque Cambrai et perce la « Siegfried Stellung » (« Ligne Hindenburg »). Cela accompli, il sera possible de saisir la voie ferrée Maubeuge – Mézières qui ravitaille la ligne de défense allemande (9). Haig souligne alors à Foch la possibilité de terminer la guerre avant la fin de l’année 1918. Evidemment, le Maréchal de France est vite réceptif.

– Le 30 août, Foch rencontre Pershing et fait l’effet d’un chien dans un jeu de quilles. Foch vient expliquer à Pershing que la réduction du saillant de Saint-Mihiel est devenue un objectif secondaire et que ses Doughboys seraient plus utiles en attaquant aux côtés des VIe et IVe Armées françaises entre l’Aisne et la Meuse et non plus vers Metz (10). Avec la contre-offensive victorieuse des Britanniques, Canadiens, Australiens et Français en Picardie, le Généralissime estime que la victoire peut être acquise plus tôt que prévu. Le Français ajoute devant l’Américain jusque-là enthousiaste qu’il lui faut revoir à la baisse les ambitions pour la réduction du saillant de Saint-Mihiel.

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Joseph T. Dickman, commandant du IV US Corps

– Ainsi, 6 divisions américaines devront être rattachées à la IIe Armée française de Hirschauer afin de participer à la prochaine offensive Meuse-Argonne. Pour le général américain qui ambitionne de donner à l’Amérique sa première victoire d’importance en Europe, c’est une douche froide. Edmond Buat livre des lignes intéressantes sur la réaction de Pershing. Le 31 août, il rapporte : « Celui-ci (Pershing) s’est emballé. Il a adressé à Weygand en disant qu’il savait pertinemment qu’on ne voulait pas lui laisser faire une grande armée américaine, que cependant il la ferait envers et contre tous, etc. En résumé, c’était la rébellion ouverte, après quoi, il s’est radouci, a fait des excuses et pleinement accepté – ou paru accepter, ce qui n’est pas la même chose – toutes les conditions posées par le Maréchal Foch. (11) » Mais, toujours selon Edmond Buat, le 1er septembre, John J. Pershing adresse à Foch dix pages acerbes dans lesquelles « il entend avoir une armée américaine qui n’ait rien de commun avec les armées alliées ; il n’est pas un mercenaire ; il sait qu’on veut l’empêcher de faire cette armée », qu’il « la fera quand même et chez elle, c’est-à-dire à Saint-Mihiel à Belfort, etc. Toutefois, après avoir ainsi crié, il déclare qu’il obéira. Cependant, il ne veut pas deux attaques américaines ; ce sera Saint-Mihiel et rien d’autre, ou bien une autre attaque, mais pas de Saint-Mihiel (12). Pershing insiste également sur le fait que si l’offensive contre le saillant n’a pas lieu, cela aura un impact

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George H. Cameron, commandant du V US Corps

– Le 2 septembre, c’est un Foch apparemment agacé qui s’entretient avec Pershing au château de Bombon. Edmond Buat, très bien informé, a rapporté la teneur de la conversation. Foch concède au moins à Pershing la poursuite des préparatifs pour une action contre le saillant de Saint-Mihiel A CONDITION de préparer l’offensive Meuse-Argonne avec le Groupe d’Armées du Centre. S’appuyant sur l’évolution des combats sur le front britannique, Foch argue qu’il faut lancer des offensives dans des directions convergentes (soit en direction de Mézières). Mais Pershing joue au plus fin. Il présente à Foch l’idée de reporter l’opération sur Saint-Mihiel, qu’il définit comme un « raid », afin de consacrer 16 divisions américaines pour l’Offensive Meuse-Argonne. Mais il argue qu’en dépit de la dépendance de son armée aux transports français, les divisions américaines ne pourront être en ligne que le 20-25 septembre. Et qu’entretemps, il serait inconstant de laisser croupir des unités américaines inactives en Lorraine alors que se fait jour un réel esprit de corps dans l’AEF. Or, ses forces 12 divisions peuvent lancer une attaque rapidement mais Pershing ignore quand l’attaque prendra fin. Ensuite, après une interruption de séance, il appuie son argumentation en montrant que les 12 divisions engagées pourront débloquer la voie ferrée Commercy – Verdun, « ce qui sera d’une bien utile pour les opérations à faire au nord-ouest de cette place ». Foch concède alors que le saillant de Saint-Mihiel peut être dégagé par 8-12 divisions américaines. Et 12-14 autres qui n’auront pas été employées à Saint-Mihiel pourraient être alignées pour l’Offensive Meuse-Argonne. Finalement, un compromis est trouvé entre les deux généraux. Le dégagement du saillant sera déclenché le 10 septembre et l’Offensive Meuse-Argonne le 25 (14). Cependant, en raison de l’importance des préparatifs, Pershing reporte l’offensive au 12 septembre.

– Pershing a gagné, du moins sur un plan politique. L’AEF aura SON offensive, bien que stratégiquement son utilité soit plus limitée, les objectifs alliés ayant changé.

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Source : www.themaparchive.com

2 – Le plan de septembre

– Après avoir obtenu l’accord de Foch, Pershing fixe l’offensive de Saint-Mihiel au 10 septembre mais fixe à ses forces un objectif plus limité qu’à l’origine : la ligne Vigneulles – Thiaucourt – Régneville. 12 à 14 divisions doivent être engagées. Dans le même temps, le Lieutenant-Colonel Hugh Drum (Chef d’état-major de la First US Army) et le Lt.Col. James W. McAndrews (Chef d’état-major du Quartier Général de l’AEF) organisent l’acheminement des forces et la logistique en direction du saillant. Le travail de préparation des opérations et donc confié aux Lt.Col. George C. Marshall et Walter S. Grant (15).

– Le plan franco-américain finalement approuvé par Foch et Pétain  prévoit de conjurer une attaque venant du sud en direction d’Essey (voir carte), Pannes et Haumont, avec une seconde opération à partir de l’ouest, vers Vigneulles et la ferme d’Hazavant. La première doit mobiliser les 1st, 42nd et 89th US Infantry Divisions, tandis que la seconde sera menée par la 26th US Infantry Division, appuyée sur ses flancs par les 48 000 hommes du IInd Corps d’Infanterie Coloniale d’Antoine Blondlat (élément de la IIe Armée française). Le plan de la First US Army assigne aux divisions engagées de saisir une série d’objectifs pour le premier jour, afin de percer ce qui semble être la première ligne de défense allemande. Et le deuxième jour, les divisions doivent exploiter le succès obtenu et se lancer en direction de la ligne assignée par Pershing. La vitesse d’exécution reste l’élément majeur du Plan de septembre. Marshall estime possible une contre-attaque allemande depuis Metz, Etain et Conflans. Enfin, le Renseignement américain estime également que les Allemands peuvent renforcer leur dispositif avec 2 divisions supplémentaires (16). Le déploiement franco-américain s’effectue alors sur un coude partant de Haudiomont et terminant à Pont-à-Mousson, avec la répartition suivante :

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– L’artillerie doit jouer un rôle majeur. Mais, comme le souligne David Bonk, la gestation du plan de feu fait l’objet de plusieurs débats, puisque les canons et obusiers se voit attribuer un triple rôle : détruire les lignes de fils barbelés, démoraliser l’ennemi et empêcher l’ennemi d’organiser l’arrivée des renforts. Pour cela, les Américains misent d’abord sur un puissant tir de barrage. Mais plusieurs officiers expliquent que ce plan de feu aura pour vice de supprimer l’effet de surprise escompté (17). Et Patton estime que ça serait risqué pour ses Tanks, de progresser derrière et après une forte préparation d’artillerie. Pershing opte ensuite pour une préparation d’artillerie de 14 heures pour détruire les lignes de fils barbelés, suivi d’un tir de barrage plus court pour marteler directement les concentrations de l’Infanterie ennemie. Comme le montre l’historien François Kersaudy, ça n’est pas non plus l’avis d’un jeune Général de brigade aussi courageux (jusqu’au suicide) que brillant. Ainsi, Douglas MacArthur, qui commande alors la 84th Brigade de la 42nd Rainbow Division, estime que l’effet de surprise est quasi nul et qu’il faut plutôt assommer sérieusement les Allemands avant de laisser les Doughboys partir à l’assaut. MacArthur a en tête les combats meurtriers de Sergy en août, durant lesquels les fantassins américains avaient dû partir directement à la conquête de positions allemandes qui n’avaient pas été entamées au canon. (18) De son côté, George C. Marshall se fait l’avocat d’un tir de barrage plus lent, mettant en avant l’exemple des Britanniques qui ont amélioré leurs Tanks lourds pour enfoncer les réseaux de fils. Quand à Hunter Liggett, le patron du I US Corps, il plaide pour aucun tir de barrage afin de maintenir l’effet de surprise. Pershing se range d’abord de l’avis de Liggett mais il opte ensuite pour un tir de barrage de trois heures sur le flanc sud du saillant et de sept sur le flanc ouest.

– Enfin, la préparation de l’offensive franco-américaine s’accompagne d’une opération d’intoxication. Comme le montre encore David Bong, c’est Pétain qui souffle l’idée à Pershing qui approuve. Le 22 août, Pershing ordonne au Colonel Fox Coner, à Marshall et à Grant de lancer une reconnaissance en force en Haute-Alsace, au nord de Belfort. Pour mieux tromper le renseignement allemand, Pershing ordonne au Major-General Omar Bundy de déplacer tout son état-major à Belfort afin de faire croire à la préparation d’une attaque rapide sur cette extrémité du front. Et à la fin du mois d’août, Pershing vient lui-même inspecter les lignes de la 29th US Division, ce qui n’échappe évidemment pas aux Allemands. Le lendemain, de la visite de Pershing, ils capturent quelques américains lors d’un raid. Mais le Generalleutnant Georg Fuchs, commandant de l’Armees-Abteilung « C » ne tombe pas tout de suite dans le piège et ordonne de garder un œil sur la Haute-Alsace tout en continuant de renforcer la « Michael Stellung » (18).  Cela oblige alors Fox Conner à revenir à Belfort pour établir un faux plan d’attaque, tout en sachant bien que les espions allemands ne sont pas loin. Ainsi, Conner laisse-t-il volontairement fuiter de « précieuses » informations sous forme d’une copie en carbone. Immédiatement saisies par les Allemands, cette copie annonce une attaque imminente en Haute-Alsace. La réussite du plan d’intoxication américain est confirmée par les agents français à Genève : les Allemands rameutent d’urgence de l’artillerie et des munitions dans une forteresse située le long du Rhin. Moyens qui ne seront pas déployés à Saint-Mihiel (20)
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2 –  FORCES AMÉRICAINES

– Dans cette partie, il sera particulièrement question, en détails de la préparation américaine dans les domaines terrestres et aériens. Il faut bien noter qu’en dépit de leur bonne volonté et leur entrain, les Américains se révèlent également novices dans ces domaines. Du point de vue des effectifs et des moyens, la réduction du saillant doit être effectuée par les 460 000 Doughboys de la First US Army (dont 250 000 maintenus en réserve), avec l’appui de 100 000 Français. Mais au total, il l’on compte les réserves, les Américains alignent 550 000 hommes et les Français 110 000. Tout ce monde est appuyé par un d’impressionnants moyens matériels : 3 000 pièces d’artillerie, 419 chars (Renault FT-17 et Saint-Chamond) et 1 100 avions (dont 600 appareils français et plusieurs escadrilles britanniques).

1 – Divisions d’Infanterie

– Avec l’Artillerie, c’est bien entendu l’Infanterie US qui est appelé à jouer le beau rôle pour percer et exploiter les brèches. En dépit son courage et de son mordant, l’Infanterie américaine manque clairement d’expérience et de savoir-faire offensif en comparaison de ses cousines française et britannique. La coordination entre sections n’est pas tout à fait au point, ce qui a engendré de lourdes pertes dans les rangs des Sammies durant les combats sur la Marne. Néanmoins, les unités d’Infanterie américaines les plus aguerries ont opté pour l’emploi de sections mobiles et bien armées qui doivent progresser dans le dispositif ennemi en profitant des irrégularités du terrain (22). Chaque division américaine est fortement pourvue en hommes (entre 23 000 et 26 000), ainsi qu’en chevaux (6 400 environ). Elle compte 2 Brigades d’Infanterie (2 Régiments et 1 Bataillon de mitrailleurs), la Field-Artillery (3 bataillons de canons de 75 mm et 1 de 155 ; 1 batterie de mortiers de tranchées), ainsi que les unités divisionnaires (transmissions, Génie et transport), ce qui en fait une unité particulièrement lourde à manœuvrer. Cette mission nécessite donc une bonne coordination entre chaque état-major et à chaque échelon. Et sur ce point, comme l’a bien montré le Lieutenant-Colonel Porte, les Américains manquent encore de savoir-faire malgré leur apprentissage chez les Français et les Britanniques (23).

– Elles sont enfin reliées avec des bataillons de ballons d’observation et d’aérostats qui leur fournissent les renseignements nécessaires quant aux positions et aux déplacements adverses (2). Mais il faut bien en convenir, toutes les divisions américaines n’ont pas le même niveau d’expérience, comme le montre David Bonk. Ainsi, après les combats de l’Aisne, les 1st, 2nd, 3rd, 4th, 26th et 42nd US Divisions bénéficient d’une meilleure expérience au combat. Encore que, ces unités n’ont pas été engagées sur plus de 2-3 mois. Ensuite, les 5th et 89th US Divisions n’ont joué qu’un rôle limité, tandis que les 82nd, 90th et 91st US Divisions viennent juste de sortir du camp d’instruction (22). Enfin, chaque division d’Infanterie est appuyée par 1 Aero Squadron et 1 Balloon Company.

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2 – L’US Tank Corps

–  Pour parler du premier engagement d’unités blindées américaines, il convient de revenir sur la genèse de l’US Tank Corps.

– S’ils entrent en guerre avec une ignorance quasi-complète de la mécanisation de la Guerre, les Américains ne tardent pas à copier leurs Alliés. Ainsi, l’US Tank Corps (calquage américain du Royal Tank Corps britannique) est créé le 1er janvier 1918 et confié au Colonel Samuel Rockenbach. Mais les Américains doivent se reposer sur les Britanniques et les Français pour le matériel et l’instruction. C’est pour instruire les futurs équipages qu’est créé à Bourg près de Langres (Haute-Marne) la Light-Tank School dont le premier directeur n’est autre qu’un jeune officier flamboyant qui fera beaucoup parler de lui plus tard : le Major George S. Patton Jr. Fils d’un avocat et petit-fils d’un général sudiste de la Guerre de Sécession, sorti de West Point au quarante-sixième rang (1909), Patton est d’abord passé par la Cavalerie américaine et fit le coup de feu contre les bandes de Pancho Villa dans le Nord du Mexique. Arrivé en France en 1917, il se convertit tout de suite au nouvel instrument de combat qu’est le char quand il fait la rencontre avec le Renault FT dans un usine éponyme et au camp d’Orrouy. A la fin de l’année 1917, il suit de près à la Bataille de Cambrai et correspond avec la tête pensante du Royal Tank Corps, John Frederick Fuller. Patton apprend beaucoup et devient un ardent promoteur du char au sein de l’AEF. En mars 1918, c’est avec 10 chars que Patton entraîne les deux premières compagnies qu’il a formées (24).

– Durant la première moitié de l’année 1918, Rockenbach s’engage à organiser sa nouvelle unité, envisageant la création de 25 Tank Battalions qui seront cependant tributaires des Français et des Britanniques pour les dotations et fournitures. Rockenbach compte alors mettre sur pied 20 bataillons de chars légers (numérotés de 1 à 40) et 5 lourds (numérotées de 41 à 50). Le 28 avril, le 1st US Light Tank Battalion est créé, suivi le 6 juin par le 2nd US Tank Battalion. Ces deux unités sont désignées en juillet-août, 326th et 327th US Tank Bns (25).

– Mais comme le montre David Bonk, si Rockenbach est l’artisan de l’organisation, c’est Patton qui donne sa doctrine à l’US Tank Corps. Doctrine, bien entendu, fortement inspirée des expériences britannique et française en la matière. Ainsi, pour Patton, le rôle des chars fait l’objet de spécialisation selon les types. Premièrement, les lourds ont un rôle de bélier en enfonçant les lignes de fils barbelés et les réseaux de tranchées, afin de créer des couloirs pour les fantassins et les chars légers. Ces dernier, appuyés par l’Infanterie, doivent théoriquement avancer moins de 100 m (100 yards) derrière les lourds afin d’éliminer les points de résistance ennemies (26).

– Le 20 août, dans le cadre de la préparation de l’Offensive contre Saint-Mihiel, Samuel Rockenbach est convoqué à Neufchâteau. Il s’entretient alors avec le Colonel Hugh Drum (Chef d’état-major de la First US Army) sur un engagement des éléments blindés américains dans l’attaque de Saint-Mihiel. Rockenbach reçoit pour instruction de préparer des plans pour un engagement de 2 Light-Tank Battalions (bataillons de chars légers***), auxquels doivent s’ajouter 1 Régiment français de chars légers (RCL), le 505e, comptant 500 engins et sur 3 Heavy Tanks Battalions  britanniques (Mk IV et V).

– Très vite, Drum met en avant le besoin de plus de chars lourds qui doivent être utilisés comme béliers pour enfoncer les fils barbelés allemands. George S. Patton Jr. (alors promu Lt. Col.), qui reçoit le commandement de la nouvelle 1st US Tank Brigade, n’hésite pas à participer à un raid aux côtés de soldats français pour reconnaître le terrain du secteur de Saint-Mihiel (21 août). Mais le 25, les Britanniques informent les Américains qu’ils ne pourront compter sur les Heavy Tank Battalions promis. A la place, les Français proposent de prêter aux Américians la 1re Brigade d’Artillerie d’Assaut, composée de 300 chars Renault FT. Très vite, Rockenbach soumet un plan à la First Army tout en estimant qu’il faudra tenir compte des performances limitées des engins blindées au regard des objectifs clés de l’offensive. Rockenbach assigne donc 2 Bataillons de Chars français en appui du I US Corps et 2 autres pour le IV US Corps. La 1st US Tank Brigade de Patton est assignée au V US Corps (27).

– Le 28 août, après avoir établi son QG de brigade et diffusé ses ordres, Patton s’entretient avec George Bell Jr., commandant de la 33rd US ID*** et Clarence Edwards, commandant de la 26th US ID. Les trois officiers discutent de la coordination Infanterie – blindés. Dans ce domaine, les Américains n’ont que peu – voire pas – d’expérience et tout repose sur le savoir-faire des Français démontré lors de la Seconde Bataille de la Marne. Il faudra engager les Tanks en masse dès le premier jour, tout en conservant une réserve en raison de l’usure rapide des machines. D’autre part, ça sera à l’Infanterie de s’adapter au rythme des machines et non l’inverse. Les chefs de chars étant généralement sourds, il faudra communiquer par eux avec des moyens rustiques : fanions, signaux lumineux…. Mais Patton doit revoir ses plans offensifs quand il apprend, le 3 septembre, que sa brigade est réassignée au IV Corps de Dickman qui est en charge de l’attaque sur la face sud du saillant. Ensuite, les Français détachent le 505e RAS, à 3 Bataillons. Et chaque bataillon comprend 2 Compagnies de Saint-Chamond et 2 autres de Schneider. Les seconds sont alors placés sous l’autorité de Patton. Celui-ci revoie également ses plans en assignant le 327th Tank Battalion et les Schneider à la 1st US Division et le 326th Tank Battalion à la 42nd « Rainbow » Division (28).

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Billy Mitchell

3 – L’US Army Air Service

– La préparation aérienne n’est nullement laissée de côté. Mais compte-tenu de l’engagement important des forces aériennes françaises sur les Front de l’Oise, de l’Aisne et de Champagne, le déploiement d’unités aériennes est majorité laissé à l’AEF. 1 476 appareils sont alors placés sous l’autorité du First US Air Service du Major-General Mason Patrick. Mais le plan opérationnel est laissé à un obscur colonel des transmissions qui se rendra célèbre par la suite : William « Billy » Mitchell, dont l’expérience en matière de combat reste limitée, en comparaison de ses collègues alliés. Comme l’a souligné le Lt.Col. George M. Lauderbaugh, il semble bien que Mitchell n’eut pas la haute main en matière de planification. Mais il semble également que ses supérieurs n’eurent pas interféré dans ses décisions. En outre, Mitchell peut compter sur une excellente coopération avec les unités françaises, italiennes, britanniques et portugaises. Tout ce monde est alors regroupé sous l’autorité du First US Air Service et les Américains peuvent compter sur l’expérience des officiers de liaisons français.

– L’état-major du First US Air Service (Col. T.D. Milling) se compose, suivant les plans de Billy Mitchell, comme suit :
– 1 Section « Opérations » : établissement des plans
– 1 section « Information » : collecte, traitement et diffusion des renseignements
– 1 Section « Ballons »
– 1 section « Matériel » : établissement des aérodromes, ravitaillement et fournitures (gaz, carburant, munitions, appareils photographiques, radios)
– 1 section administrative

– Mitchell scinde très vite sa grande formation sur la structure verticale Wings – Groups – Squadrons, chaque entité étant soutenue par tout un personnel chargé de la logistique, du renseignement et de l’administratif. Mitchell veut mettre l’accent sur la souplesse dans l’échelle du commandement mais malheureusement, beaucoup d’officiers américains manquent encore d’expérience dans le travail d’état-major et de liaisons entre unités. Mitchell crée également des Pursuit Groups, chargés d’appuyer les exploitations de percée dans le dispositif ennemi. Mais pour cette mission, seuls des bombardiers sont disponibles  (29).

– S’il se montre enthousiaste et méticuleux, le commandant de l’AAS se montre confiant dans ses subordonnés. Mais on peut se demander si cette confiance masque la réalité de l’inexpérience de bon nombre d’officier. Ensuite, Billy  Mitchell mise, bien entendu, sur la supériorité aérienne. Mais il vient également à comprendre qu’il a besoin de l’infanterie pour la protection. Du coup, cela implique d’assigner à l’Infanterie les appareils dont elle a besoin pour ses propres opérations. En outre, l’accent est mis sur les communications entre avions et troupes terrestres, notamment pour entamer les phases de bombardement ou de poursuite. Les transmissions sans fil n’étant pas encore au point, on mise davantage sur des méthodes plus « rustiques » : largage de messages écrits, pistolets à fusée, etc (30).

– Le 20 août, Mitchell remet son plan pour les opérations aériennes contre les forces allemandes du saillant de Saint-Mihiel. Suivant les renseignements collectés, il prévoit trois phases :
1 – Destruction des forces aériennes ennemies afin de leur interdire le survol des secteurs aériens alliés – Le point le plus important du plan.
2 – Reconnaissance des positions d’artillerie ennemie (les avions sont encore les « yeux » des bouches à feu).
3 – Destruction d’une partie des forces terrestres ennemies par des attaques de bombardiers et de chasseurs en rase-motte (en 1918, les chasseurs sont de plus en plus employés pour ces missions qui complètent la tâche de l’Artillerie) et poursuite des forces ennemies en retraite.

– Pour fournir une couverture alliée adéquate aux unités terrestres, Mitchell mise sur l’action directe et rapide des unités de bombardement et de poursuite qui attaqueront directement contre les forces terrestres allemandes du saillant. Dans le même temps, la réserve aérienne stratégique devra cibler et frapper les unités aériennes ennemies. Celles-ci devront être anéanties – ou plutôt fortement réduites – par des combats aériens et des frappes au sol. Et pour cela, les Alliés disposent d’un net avantage de 3 contre 1. Enfin, autre élément important du plan reste, bien entendu, l’effet de surprise

– Le concept d’ « Air Land Battle » a été formulé durant cette partie de la campagne, montrant que les Américains avaient compris que l’arme aérienne était tridimensionnelle, intégrant ainsi l’élément terrestre. Du coup, Mitchell se heurte vite à un problème à résoudre : la « combinaison aérienne ». Il lui fait ainsi coordonner les actions et interactions – successives et/ou séquencées – des unités de chasse, de bombardement et de poursuite. Et pour mener à bien ce procédé opérationnel complexe, il faut pouvoir s’appuyer sur un appareil d’état-major efficace dans réception-transmission d’ordres. Or, pour cela, les Américains doivent s’appuyer sur les Français et Britanniques (31).

69thHassavant

[Suite]

* Joseph T. Dickman avait commandé 3rd US Division « Rock of the Marne » lors des combats de Château-Thierry.
** Marshall a été l’auteur de la préparation de l’attaque localisée, mais réussie, contre Cantigny à la fin du mois de mai.
** Nous gardons ici la dénomination américaine pour les unités mécanisées de l’AEF.
**** Dont plusieurs compagnies d’Infanterie ont participé aux combats de Villers-Bretonneux et à la Troisième Bataille de la Somme


(1) BONK D. : « Saint-Mihiel 1918. The American Expeditionnary Forces’ trial  by fire », Osprey Publishing, Londres, 2011
(2) PORTE Lt. Col. R. : « Les Etats-Unis dans la Grande Guerre. Une approche française », SOTECA, Paris, 2017
(3) NOTIN J-Ch. : « Foch », Perrin, Paris, 2009
(4) BONK D., Op. Cit.
(5) BUAT Gén. Ed. : « Journal de Guerre 1914-1923 », SOUTOU G-H. & GUELTON Col. Fr. (prés.), Perrin, Ministère de la Défense, Paris, 2015
(6) BONK D., Op. Cit.
(7) BUAT Gén. Ed., Op. Cit.
(8) BONK D., Op. Cit.
(9) Ibid.
(10) NOTIN J-Ch., Op.Cit.
(11) BUAT Gén. Ed., Op. Cit.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) BONK D., Op. Cit.
(16) Ibid.
(17) KERSAUDY Fr. :  « Douglas MacArthur. L’enfant terrible de l’US Army », Perrin, Paris, 2015
(18) BONK D., Op. Cit.
(19) Ibid.
(20) Ibid
(21) Ibid.
(22) Ibid.
(23) PORTE Lt.Col., Op. Cit.
(24) BONK D., Op. Cit.
(25) Ibid.
(26) Ibid.
(27) Ibid.
(28) Ibid.
(29) LAUDERBAUGH Lt.Col. G. : « The Air Battle of St. Mihiel », Airpower Research Institute Publishing, www.au.af.mil.
(30) LAUDERBAUCH Lt.Col. G., Op. Cit.
(31) Ibid.

 

 

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