III – RALENTISSEMENT ET ARRÊT DE L’OFFENSIVE (9-11 AOÛT)
– Prenant conscience du succès offensif du 8 août, Haig retrouve ses réflexes de manœuvriers en incitant ses généraux et les Français à poursuivre l’offensive. Et du côté allemand, Erich Ludendorff décide de tout faire pour enrayer l’offensive alliée avec ses moyens réduits. Déprimé, le Quartier-Maître général de Guillaume II vient de comprendre, en l’espace de trois semaines, que ce sont les Alliés qui lui imposent leur rythme et que la Kaisersheer n’est nullement en mesure de lancer de puissantes contre-offensives. Pour l’heure, il faut faire en sorte que les Alliés n’atteignent pas le cours supérieur de la Somme et le Canal du Nord.
I – 9 AOÛT
– Sitôt le succès du 8 août confirmé, Douglas Haig décide de pousser l’avantage. Il ordonne à Rawlinson de continuer son avance sur l’axe Amiens – Chaulnes. Le Général britannique demande également à Foch et Debeney que celui-ci engage le XXXVe Corps d’Armée (Charles Nudant) et lance le reste du IInd Corps de Cavalerie (Félix Robillot). Sauf que Debeney lui souligne très vite, qu’au regard de ses moyens engagés plus limités, le XXXVe Corps n’est destiné qu’à lancer des attaques de soutien aux trois autres (XXXIe, IXe et Xe). Or, Debeney comptait lancer le Corps de Nudant à l’attaque le 9 août mais il doit la retarder, sur demande de Foch, pour attendre de nouveaux ordres (1).
De son côté, Henry Rawlinson, décide de suivre l’ordre de son Fieldmarshall et introduit ses divisions de réserve dans le dispositif d’attaque, dès le 8 août. La 63rd (Royal Naval) Division (C. Lawrie) se place alors derrière le III Corps. A 16h00, Henry Rawlinson rend visite à Arthur Currie et l’autorise à employer la 32nd Division (T. Lambert) en soutien des 1st et 2nd Canadian Divisions.
– Du côté allemand, l’impératif est d’éviter
la rupture du front. Mais Erich Ludendorff ignore tout de la situation réelle sur le front de Picardie. En effet, il ordonne à Georg von der Marwitz et Osker von Hutier de « rétablir la situation » en lançant une série de contre-attaques sur les flancs des Alliés, « comme lors de la Bataille de Cambrai » (novembre-décembre 1917). Ludendorff s’illusionne encore car la capacité de contre-offensive des divisions du Heeres-Gruppe « Rupprecht » continuent de s’amenuiser sérieusement. Cela ne l’empêche pas de donner ordre aux 1. Reserve-Division, 109. et 107. ID de contre-attaquer durant l’après-midi. De son côté, le Kronprinz Rupprecht von Bayern expédie d’urgence plusieurs divisions depuis le nord. La 38. ID (H. Schultheis) arrive dans le secteur de Chaulnes, tandis que la 5. Kaiserliche-Bayerische-Division (Eu. von Clauss), la 21. ID (K. von Wahlen-Jürgass) et l’Alpenkorps (L. von Tschutek) sont attendus pour lendemain. Au sud, 2 régiments de la 82. RD (O. von Lorne de Saint-Ange) viennent renforcer les 1. RD et 24. ID, tandis que les 221. ID (S. von La Chevalerie) et 204. ID (H. von Stein) sont envoyés à Roye.
Mais à côté de ses palliatifs tactiques, Rupprecht – bien plus lucide – informe l’OHL que les divisions envoyés connaissent un manque criant de munitions et que les régiments d’Artillerie seront à court d’obus dès le 10 août (2) !
– En revanche, comme le signale Alistrair McCluskey, Rawlinson décide de retenir ses réserves jusqu’au lendemain, ce qui contraint les Canadiens et les Australiens à revoir leurs plans et retarder la reprise de leur avance. En fait, la 32nd Division (T. Lambert) devait intervenir dès le 9 août. Mais la décision de Rawlinson de reculer son engagement cause une nette confusion dans les rangs d’Arthur Currie. Initialement, les Canadiens devaient poursuivre leur attaque sur Le Quesnel et en direction de Roye, Hattencourt et Hallu, pour s’emparer de la ligne Folies – Beaufort – Warvillers – Vrély – Rosières (premier objectif) ; de la ligne Andechy – Damery – Fouquescourt – Chilly – Lihons (second objectif). Les Australiens devaient progresser en direction de Lihons, tandis que le III Corps de Butler devait prendre Etinehem. Rawlinson laisse ensuite à Butler et Currie le choix de leur horaire d’attaque. Et à Monash revient la mission plus ingrate de maintenir le contact entre les deux. De plus, Charles Kavanagh vient de retirer ses divisions de Cavalerie pour la nuit, attendant l’ordre d’introduire la 2nd Cavalry Division (T. Pitman) pour soutenir l’avance des Canadiens sur Roye et celui d’engager la 1st Cavalry Division (R. Mullens) en soutien des Australiens vers Chaulnes. La 3rd Cavalry Division (A. Harman) reste, quant à elle, en réserve. Les Bataillons d’attaque doivent recevoir le soutiensde chars. Mais leur nombre est déjà beaucoup plus restreint, en raison des pannes mécaniques et des destructions.
– En face, le Generalleutnant Walther von Lüttwitz, patron du III. Armee-Korps (qui forme l’aile droite de la XVIII. Armee), met à profit le retard pris par les alliés pour déployer la 221. ID () à hauteur d’Arvillers et Saulchoy, tandis que la 79. RD () est placée entre Folies et Bouchoir. Et von Lüttwitz prépare aussi des contre-attaques pour empêcher les Canadiens d’atteindre Roye. Mais en dépit de ses propres difficultés, Arthur Currie ne va pas lui en donner l’occasion (3).
– Malgré la confusion et le retard pris, la 4th Canadian Division de David Watson repart à l’assaut le 9 août à 04h30. Mais la 11th Brigade se heurte à une violente résistance au Quesnel, tenu par la 1. RD (). Le 75th (Mississauga) Battalion réussit à nettoyer le village mais après un violent combat, les Allemands combattant avec ténacité dans les bois jusque dans l’après-midi. De son côté, la 6th Canadian Brigade (2nd Can. Division) profite d’un mince tir de barrage pour attaquer vers Rosières, avec l’appui de la 9th Cavalry Brigade et du 14th Tank Battalion. Les combats pour Rosières sont particulièrement âpres, face à des éléments des 225. et 117. ID. A la fin des combats, les Canadiens peuvent établir un solide poste avancé sur l’axe Rosières – Méharicourt. Sur le flanc droit Canadien, 2 Bataillons de la 6th Brigade (29th et 31st) et 2 autres de la 5th Brigade (22nd et 25th), appuyés par la 2nd Cavalry Brigade, attaquent le secteur de Méharicourt – Fouquescourt, tenu par les IR Nr. 46 et 58 de la 119. ID. Les Canadiens profitent alors des ravins et des irrégularités du terrain pour avancer sous le couvert des mitrailleuses Lewis. En fin d’après-midi, les Canadiens sont solidement établis à l’est de Méharicourt. En revanche, les Cavaliers ont moins de chance. S’étant trouvés isolés, ils ont dû se retirer auprès des fantassins sur Méharicourt. Notons que les Canadiens ont reconquis une partie du champ de bataille de la Somme de 1916 (4).
– En revanche, l’attaque de la 1st Canadian Division vers Warvillers, Beaufort et Rouvroy est retardée de plusieurs heures et ne peut démarrer qu’à 11h00. Cela n’empêche pas la 2nd Canadian Brigade, appuyée par 14 Mark V du 14th Tank Battalion, 7 Whippet et 2 régiments de la 3rd Cavalry Brigade. Les combats sont encore particulièrement durs mais Warvillers est finalement catpurée. De son côté, la 1st Canadian Brigade de Griesbach, appuyée également par 7 Whippets, réussit également à s’assurer le contrôle de Rouvroy et Beaufort.
– De son côté, la 3rd Canadian Brigade attaque également sur Bouchoir., avec sa 8th Canadian Brigade en tête, appiyée par 7 Mark V du 5th Tank Battalion, ainsi que par les 4th et 5th Canadian Mounted Rifles. Malgré la résistance des Reserve-Regiment Nr. 1 et Infanterie-Regiment Nr. 59, Bouchoir est capturée. A la fin de la journée du 9, les Canadiens ont réussit à s’approcher de Roye. En dépit de la confusion régnante au début de la bataille, les Canadiens ont clairement empêché Walther von Lüttwitz de lancer les contre-attaques qu’il avait planifiées depuis la veille. Et ce, malgré la ténacité de plusieurs de ses divisions qui ont empêché une fois de plus les Canadiens de crever le front allemand (5).
– Du côté des Australiens, John Monash donne l’ordre à 02h00 du matin de relancer l’offensive pour 10h00 afin d’appuyer l’effort des Canadiens. Mais l’ordre parvient trop tardivement à certains Battalions, à tel point que la 1st Australian Division de Thomas Glasgow, partie du Hamel, achève son rassemblement qu’à 08h45. Cela contraint Henry Burstall à demander à la 15th Australian Brigade (Harold « Pompey » Elliott) de couvrir son aile gauche, soit la 6th Canadian Brigade. John Talbot-Hobbs et Eliott accepte alors de donner l’ordre aux 60th (Victoria) et 58th (Victoria) Battalions d’avancer en même temps que els Canadiens. Mais en raison d’une confusion quant à l’appui des chars, les fantassins australiens se retrouvent privés de soutien et doivent se mettre à couvert, 90 m après avoir quitté leurs positions. Toutefois, la 8th Australian Brigade (5th Australian Division) attaque en direction de Vauvillers, derrière un feu de mortiers de tranchées et avec l’appui de la Royal Air Force. Très vite la brigade chasse les Grenadier-Regiment Nr. 2 et IR Nr. 26 de Bayonvillers.
– Avec Lihons pour objectif, Thomas Glasgow (l’un des meilleurs subordonnés de Monash) décide d’attaquer avec la 2nd Australian Brigade en tête et la 3rd en réserve. L’attaque de la 2nd Australian Brigade démarre à 13h45, ave 2 Bataillons en tête, chacun appuyé par 7 Tanks du 2nd Tank Battalion et 2 canons de campagne de la 189th Brigade RFA*. En dépit d’une forte résistance ennemie et de lourdes pertes, les Australiens réussisent à prendre Lihons et Vauvillers.
– En revanche, du côté de la 2nd Australian Division, en dépit des efforts fournis par ses chefs de Brigade et de Bataillons, le Major-General Charles Rosenthal ne parvient pas regrouper ses forces pour l’attaque avant 16h30. Ce retard est bien sûr dû à la confusion qui régna durant la nuit du 8-9. La 2nd Australian Division attaque ensuite dans le secteur comprenant Bois de Crépey, à l’est de Lihons et Vauvillers, avec l’appui de 13 Mk V* du 5th Tank Battalion. Mais les IR Nr. 232 et 122 résistent avec ténacité, prenant même les flancs des Australiens sous le feu de leurs mitrailleuses Maxim. Mais l’aile gauche de la 2nd Australian Division est prise sous un feu d’artillerie donné par le Feld-Artillerie Nr. 213 depuis l’Eperon de Rainecourt, forçant une partie des 5th et 7th Brigades à se replier sur Framerville.
– Sur la partie nord du front, le III Corps décide d’engager les américains du 131st US Infantry Regiment du Colonel Sanborne, unité de la 33rd US Infantry Division. Richard Butler en a reçu l’autorisation le 8 août à 22h15. Mais un mauvais travail d’état-major de la part du III Corps britannique empêche les américains de se déployer correctement et à l’heure. Rawlinson a ordonne à Butler de nettoyer le Bois de Gressaire et l’Eperon de Chipilly. L’attaque contre l’Eperon se révèle particulièrement difficile pour la 58th (2/1stLondon) Division de Ramsey et raison des mitrailleuses allemandes. Le 6th Battalion London Regiment est même réduit à seulement 96 hommes ! Cependant, une action coordonnée, presque de manière improvisée, par le 2/10th Bn London et la 1st Australian Brigade (son chef, MacKay, ayant la présence d’esprit de suivre l’évolution des combats sur Chipilly à la Jumelle) permet la conquête de l’objectif.
– De son côté, le 131st US Infantry prend position pour l’assaut à 13h00 seulement mais son attaque contre le Bois de Gressaire est repoussée à 17h00. Sans avoir pu effectuer de reconnaissance adéquate, Sanborne donne les instructions à ses trois chefs de Bataillons du meilleur qu’il peut et leur ordonne de transmettre les ordres au sein des compagnies et section. Mais un tel travail de transmission d’ordre ne peut s’effectuer en un temps record. Or, un tel travail d’état-major bâclé, sinon improvisé, L’assaut américain contre le Bois de Gressaire démarre à 21h20 seulement, contre les positions tenues par la 27. ID (). Comme à l’accoutumée, les « Sammies » se battent bien mais les combats durent toute la nuit. Enfin, sur la gauche du III Corps, l’attaque de la 12th Division contre le secteur de Morlancourt essuie un violent feu de mitrailleuses. Mais passé l’obstacle, les Britanniques réussissent à prendre leur objectif.
– Enfin, le 9 août toujours, John Salmond lance une fois de plus ces RAF Squadrons à l’assaut des ponts sur le Canal de la Somme. Les ponts de Falvy, Béthancourt , Brie et Voyennes sont particulièrement visés afin d’empêcher les renforts allemands d’y transiter. Plusieurs RAF Squadrons lâchent leurs bombardiers DH9s escortés par des Sopwith Camels. Mais de leur côté, les Allemands ont eu le temps de réagir, notamment les Jagd-Gruppen I, II et III. Malgré une nette infériorité numérique, les chasseurs allemands attaquent rageusement les formations britanniques. Les pertes sont lourdes, notamment au sein du RAF Squadron N° 107. Et le succès de bombardement reste limitée. En revanche, dans l’après-midi, Salmond change de tactique et expédie 30 bombardiers escortés par 124 chasseurs. Sont alors ciblés les ponts d’Eclusier, Brie, Bréthancourt et Falvy. Mais là encore, malgré aucune perte à déplorer, le résultat des bombardements est nul. On voit encore que, malgré de très bonnes idées tactiques, la technique du moment ne peut satisfaire les objectifs (6).
– Au soir du 9 août, Haig est clairement déçu du résultat. Ces trois corps ont piétiné et la possibilité de dégager le Plateau de Santerre semble s’éloigner. Et comme le dit très bien Jean-Yves Le Naours, chose rare, Douglas Haig est pris d’un accès de prudence. En effet, au lieu d’assigner à ses troupes les objectifs initiaux, il ordonne à Rawlinson d’atteindre l’ensemble des objectifs prévus le 9 août, pour le lendemain (7). Comme l’explique Michaël Bourlet, tactiquement, on ne peut pas dire que l’offensive d’Amiens ait été un succès éclatant, avec la reconquête d’une bande de front profonde de 13 km seulement (8). Et la technique a montré ses limites avec le nombre de Tanks qui ont dû être envoyés aux ateliers de réparation. Et dans les airs, l’aviation allemande s’est montrée mordante, notamment les chasseurs. Cependant, du point de vue de l’attrition, Britanniques, Australiens, Canadiens et Français sont clairement gagnants. D’une part, si les pertes alliées ont surtout été le fait de mitrailleurs, le nombre de fusiliers et de grenadiers a diminué, aussi sensiblement que brusquement.
– Du côté allemand donc, on n’est guère à la fête. Dans l’après-midi du 9 août, Georg von der Marwitz fait savoir que ses divisions engagées dans les combats sont toutes épuisées. Il demande donc au QG du Kronprinz Rupprecht à pouvoir se replier derrière la Somme dès la tombée de la nuit. Mais Hermann von Kuhl, refuse net, arguant qu’une telle manœuvre isolerait la XVIII. Armee. A la place, von Kuhl promet de nouvelles divisions à von der Marwitz. Mais à 22h00, après l’attaque des Français contre le secteur de Montdidier, Oskar von Hutier – patron de la XVIII. Armee – est aussi contraint de replier ses forces, étant donné que les positions du III. Armee-Korps sont devenues intenables. Von Kuhl donne alors son accord à von Hutier de se replier sur une ligne l’Echelle – Conchy – Ricquebourg dans la nuit du 9 au 10. Afin de pouvoir contrer la prochaine offensive française, le I. Königlich-Bayerische-Korps de Nikolaus Ritter von Endres (Alpenkorps, 121. et 204. ID) vient se positionner dans le secteur de Roye et se place sous l’autorité de von Hutier (9).
2 – 10 AOÛT
– Le 10 août, l’offensive alliée reprend mais avec encore moins de chars. Certaines brigades en sont même privées ; toujours en raison des problèmes mécaniques des machines cuirassées. Durant la journée, les progrès sont modestes. Bien menée par Glasgow, la 1st Australian Division s’empare du Bois de Crépey et du Factory Wood. Mais l’attaque ne va pas plus loin en raison de la fatigue des soldats. Toutefois, les hommes de Glasgow repoussent une contre-attaque lancée par 2 bataillons de la 5. KBD (Eu. von Clauss).
– La déception du 9 août n’empêche pas le dynamique John Monash de travailler sur un nouveau plan qui tient compte des difficultés de terrain sur la rive gauche du canal de la Somme. Le patron des Australiens demande d’étendre l’autorité de son Corps sur sa gauche pour y intégrer la route Corbie – Bray (13). Par conséquent, une partie de la 4th Australian Division d’Ewen Sinclair-MacLaglan vient est transférée sur la rive nord de la Somme. Se concertant avec ses subordonnées ; Sinclair-MacLaglan, Sydney Herring (13th Australian Brigade), John Gellibrand (3rd Aus. Division) et Walter McNicholl (10th Aus. Brigade), John Monash propose de nettoyer les secteurs des éperons (Chipilly et Etinehem) en perçant à la fois sur la route Corbie – Bray et sur l’ancienne voie romaine (route Amiens – Brie). L’attaque devra être menée avec un appui restreint de Tanks (2 par bataillon), afin de ne pas alerter les défenseurs allemandes. Mais ce plan ambitieux n’est pas approuvé par tous (10).
– Sur les deux rives de la Somme, l’attaque est déclenchée, avec du retard à 22h00 par les 10th et 13th Brigades. Mais au sud, les Allemands résistent particulièrement bien, notamment l’IR Nr. 232 qui utilise mitrailleuse et balles « K » contre les Tanks. Résultat, l’attaque australienne tourne à la confusion, obligeant McNicholl à cesser l’attaque de sa 10th Brigade. En revanche, sur la rive nord, l’attaque de la 13th Brigade a plus de succès avec la conquête du Plateau d’Etinehem.
– Sur l’aile sud de la Fourth Army, Arthur Currie prévoit d’engager la 32nd Division (T.S. Lambert) et la 4th Canadian Division (David Watson). Après démarrage à 08h00, la 8yh Brigade, appuyée par 4 Tanks, libère Le Quesnoy après un combat contre les 1. et 79. RD. En revanche, l’attaque de la 32nd Division piétine face à Parvillers, Fouquescourt, Hallu au Square Wood et le Quarry Wood. Cependant l’attaque de la division britannique épuise davantage la 79. RD, obligeant von der Marwitz à déplacer la 221. ID au sud de la route Amiens – Roye, comme sur Andechy et Damery. De son côté, en dépit de confusion la 4th Canadian Division réussit à s’emparer de Chilly et Maucourt. En revanche, les Canadiens sont bloqués par le feu ennemi sur la route Chilly – Lihons. Dans l’après-midi, le Lieutenant-General Kavanagh engage la 2nd Cavalry Division pour s’emparer de Nesle. Mais après avoir passé Bouchoir, la division est arrêté par le feu nourri de l’IR. Nr. 41 sur la route Amiens – Roye et devant Andechy. De son côté, l’engagement de la 4th Cavalry Brigade connaît le même résultat devant Fouquescourt. Enfin, notons que c’est également le 10 août que meurt le jeune as allemand et commandant de la Jasta 10, Erich Löwenhardt, après une collision entre son avion et un autre, au-dessus de Chaulnes. Löwenhardt veut sauter en parachute mais celui-ci ne s’ouvre pas.
3 – L’ATTAQUE FRANÇAISE
– La Ire Armée du Général Debeney reprend son attaque le 9 août, en étendant son attaque vers l’est en vue de reprendre Montdidier, ce qui implique de traverser l’Avre une fois de plus. Mais les Français vont manquer de chars en raison de l’usure de plusieurs chars Renault FT qui doivent être envoyés aux ateliers de réparation. Maintenu jusque-là en réserve, le Xe Corps de Charles Vandenberg (60e, 152e et 166e DI), est introduit dans la bataille et travers l’Avre à Neuville pour obliquer au sud-est, sur le flanc droit du XXXIe Corps de Toulorge. Plus tard, le XXXVe Corps de Charles Nudant perce les défenses allemandes à Assainvillers afin d’attaquer en direction de Roye (11).
– Dans le secteur du XXXIe CA, la 126e DI (Mathieu), conserant la 153e DI au centre et la 37e DI à droite. Lancée à l’attaque, la 126e DI capture Hangest-en-Santerre mais se trouve bloquée devant Arvillers face aux mitrailleuses de la 1. RD et d’éléments de la 82. RD. A 13h00, une contre-attaque allemande retarde l’avance française mais celle-ci reprend et le soir, la 126e DI s’empare d’Arvillers. En revanche, la 153e DI (), déjà fatiguée par les combats de la veille, échoue face à un feu violent des 82. RD. Et en milieu de journée, les Français doivent repousser une contre-attaque de la 221. ID. Mais le bilan de la journée de la division est particulièrement décevant, avec seulement 200 m de parcourus. Il en va presque de même pour la 37e D qui ne peut percer la Crête Hangest – Davenecourt en raison du feu de la 24. ID, après 3 km de parcourus. En revanche, dans le secteur du IXe Corps, la 3e DI réussit à occuper le Bois Saint-Hubert, après le retrait de l’IR. Nr. 179. Ensuite, la 152e DI (J-P. Andrieu), se positionne devant Davenecourt sur le flanc de la 37e DI. Et en fin de journée, Eugène Debeney place le IXe Corps en réserve de la Ire Armée (12).
– Au sein du Xe Corps de Vandenberg, les progrès sont tout aussi lents. Ayant franchir le ruisseau des Trois Doms à Hargicourt et Pierrepont, la 166e DI (Gén. Cabaud) butte sur une défense déterminée de l’IR Nr. 133 qui forme le flanc droit de la 24. ID. Le XXXVe Corps de Charles Jacquot (169e, 46e et 133e DI) ne peut non plus percer au sud de Montdidier, face aux défenses beaucoup plus solides du IX. Armee-Korps d’Öttinger (2. et 11. ID). Or, Debeney avait prévu que la percée de Jacquot sur l’Ardre lui permettrait de lance le IIe Corps de Cavalerie en exploitation de percée. Mais ce n’est pas le cas puisque si la 169e DI réussit à envelopper à Assainvillers et si la 133e DI atteint la route Roye – Rollot, la 46e Di est incapable d’avancer sur Faverolles, ne pouvant suivre le rythme de la 169e DI (10).
– En revanche, durant la journée, les fantassins et les artilleurs français ont pu aisément profiter des sorties effectuées par les pilotes de la 1re Division aérienne, dont les Groupes de bombardement ont assuré la protection des batteries, tandis que le Groupes de bombardements ont attaqué constamment les secteurs ferroviaires de Roye, Fresnoy-le-Roye, Fransart et Hombleux, ainsi que les concentrations de troupes à Tilloloy, Beuvraignes et Bus.
– Le 9 août, le Général Emile Fayolle, commandant du Groupe d’Armées de Réserve (G.A.R) – et qui a la haute main sur les armées françaises placées entre la Somme et l’Oise – décide d’introduire la IIIe Armée du Général Georges Humbert d’attaquer sur l’Avre, entre Montidier et Roye, avec le XVe CA de Jacques Elie de Riols de Fonclare (67e, 74e et 123e DI) et le XXXIVe CA d’Alphonse Nudant (6e, 121e, 129e et 165e DI). Bien que disposant d’un nombre limité de divisions, Humbert doit pressurer le flanc droit de von Hutier, ce qui permettrait à Debeney de poursuivre son offensive, en obligeant von Hutier d’étendre la défense de son flanc gauche (14). Debeney a assigné à ses troupes les objectifs du 9. De son côté, Humbert a ordonné à ses 2 Corps de mordre sur la route Amiens – Roye. Humbert a ordonné à ce que son artillerie déclenche son tir de barrage simultanément à l’attaque de l’Infanterie. Mais les Français ignorent que von Hutier a ordonné tout le repli de son flanc gauche (13).
– L’attaque démarre à 04h20. Sur la droite française, les XVe et XXXIVe Corps français (IIIe Armée) cognent contre les arrières–gardes de von Hutier (XXVI. et XVIII. Korps) qui protègent la retraite. Mais le rideau défensif allemand ne parvient pas à empêcher les troupes de Humbert de parcourir 10 km en une seule journée ! Pour beaucoup de Poilus, cette performance ne s’est pas vue depuis bien longtemps. Du côté de la Ire Armée, l’avance reprend plutôt bien. Sur l’aile gauche, le XXXIe Corps percute violemment le III. Armee-Korps de Walther von Lüttwitz, notamment la 221. ID, déjà sévèrement étrillée. La 153e DI reprend Erches par un enveloppement, avant de reprendre son avance sur Andechy et Villers-les-Roye. Située à la jointure des corps de Toulorge et de Currie, Andechy est prise dans le milieu de journée avec la coopération de la Canadian Cavalry Brigade. Ensuite, avançant méthodiquement, la 126e DI (Gén. Mathieu) libère le Bois « Z » (malgré un violent feu de mitrailleuses), avant de progresser vers Damery, en parallèle de l’aile droite canadienne. Simultanément, la 37e DI prend Saulchoy, avant de maintenir la liaison avec la 152e DI du Xe Corps. Ensuite, la 37e DI offre une belle performance en libérant Guerbigny, Warsy et Marquivillers, avant d’être arrêtée par la 25. ID (W. Matthias) devant L’Echelle et Armancourt (14).
– En revanche, l’attaque du flanc sud (droit) de Debeney manque le coche. En effet, malgré les ordres de Jacquot de talonner l’ennemi, les 169e DI et 46e DI avancent prudemment, libérant juste Faverolles, avant d’atteindre la route Montdidier – Roye et Tilloloy. Les Français ratent d’autant l’occasion de ramasser des prisonniers en engageant tardivement des éléments du IInd Corps de Cavalerie de Robillot. Du coup, les troupes montées françaises sont renvoyées, lance et sabre au pied, sur l’Avre et les Trois Doms. Mais on notera que les Français remettent les pieds dans la zone de combat de l’année 1916 (Bataille de la Somme).
– En revanche, le Xe Corps de Vandenberg reprend Montdidier en progressant face un mince rideau de fusiliers allemands chargés de faire le coup de feu retardateur. Grivillers et Etelfay sont libérés et la ligne de résistance allemande se fixe à Armancourt.
4– L’ARRÊT
– Du côté allemand, on opère des changements de tête dans l’urgence. Considéré comme défaillant, l’Obest von Tschischwitz est remplacé par Wilhelm von Klewitz. Mais ce dernier constate que l’offensive ennemie s’essouffle. Appelant Hermann von Kuhl au téléphone, von Klewitz explique qu’il faut maintenir la défense de la II. Armee à l’ouest de la Somme. Ce à quoi le chef d’état-major du HG « Kronprinz » répond par l’approbation MAIS en précisant que l’OHL envisage un retrait soudain derrière la Somme. Mais l’OHL ne donne pas d’instruction précise quant à la situation de la tête de pont de Péronne, si ce n’est que de contre-attaquer vite sur Hallu (15).
– De l’autre côté, Henry Rawlinson prend acte de l’émoussement de sa belle épée du 8 août. Avec 38 Tanks restant, il est inutile d’aller plus loin. Et chose étonnante, Douglas Haig manque d’enthousiasme, ce qui est particulièrement rare chez ce général « réputé » pour son obstination. Ainsi, durant un entretien entre Foch et Haig (10 août), le Maréchal Français explique à son homologue britannique qu’il est temps d’engager la Third Army de Byng dans le secteur de Bapaume. Mais Haig freine des quatre fers en estimant que la II. Armee n’est pas encore démoralisée et peut se battre encore durement. Ce qui est vrai pour certaines unités encore tenace mais toutes les divisions de von der Marwitz n’ont plus qu’une capacité de combat limitée. Mais Haig joue la prudence. Il s’en convainc même davantage lorsqu’il se rend au QG canadien pour s’entendre dire par Currie et Lambert que la résistance allemande se durcit sérieusement (). Du coup, Haig ne donne aucun objectif précis à ses chefs de corps d’armée. Méthode de commandement qui étonne désagréablement Edmond Buat qui, dans son « Journal » de guerre lâche ces mots : « Haig ne sait pas se battre ! (16) » Du coup, chaque chef de corps s’emploient à conquérir quelques objectifs manquants ou à repousser des contre-attaques. Haig en profite toutefois pour relever le III Corps de Richard Butler, épuisé, par le XXII Corps d’Alexander Godley, rameuté du front de la Marne et de l’Aisne. Comme le signale Alexander McCluskey, en se rendant visite à Henry Rawlinson à Villers-Bretonneux, Haig se montre (étonnamment) lucide quand au durcissement de la résistance allemande. Il ordonne donc à Rawlinson de regrouper ses forces pour une nouvelle attaque qui serait lancée le 14 ou le 15 août. Ensuite, Haig reçoit Julian Byng, le commandant de la Third Army, restée face à un front calme depuis le mois d’avril. Haig donne pour instruction à Byng de lancer une attaque dans la région de Bapaume. L’orchestre s’arrête de jouer pendant une entracte, avant de reprendre la partition avec un musicien supplémentaire.
– Durant toute la journée du 11 août, les Australiens de Monash dégagent le Bois de Crépey et repoussent des contre attaques lancées sur Lihons et Vermandovillers par les 5. KBD et 38. ID. En revanche, la 2nd Australian Division de Rosenthal ne parvient pas à avancer davantage sur l’ancienne voie romaine. En revanche, la 3rd Australian Division de Gellibrand réussit à faire tomber l’Eperon de Méricourt.
– Chez les Canadiens, Arthur Currie ordonne à la 4th Canadian Division et à la 32nd Division britannique d’attaquer encore en direction de Damery et Parvillers, en liaison avec les Français. Sauf que les résistance des 204. et 121. ID bloquent les alliés devant les deux localités. Et dans l’après-midi, les Canadiens repoussent toute une série de contre-attaques (Gegenstoss) lancée par les troupes d’élite de montagne de l’Alpenkorps (L. von Tschutek) pour reprendre Hallu et Chilly. Mais les Canadiens repoussent toutes les tentatives.
– Du côté des Français, la journée offre aussi un bilan intégal. Le XXXIe Corps subit plusieurs contre-attaques allemandes devant Villers-les-Roye (126e DI) mais les 37e et 56e DI réussissent à s’approcher à 4 km de Roye. De son côté, le Xe Corps de Vandenberg réussit à prendre Armancourt mais ne peut atteindre Dancourt et Popincourt. Enfin, progressant dans un terrain défiguré par les anciennes lignes de tranchées dans les Bois de Bus et de Tilloloy, le XXXVe Corps de Jacquot réussit juste à s’approcher de la lisière du village de Tilloloy. Enfin, pour son dernier assaut, la IIIe Armée réussit à s’approcher de Canny, Gury, Mareuil et Elincourt (17). Toujours pour reprendre les mots d’Alistair McCluskey, Debeney souhaite reprendre l’offensive le 12 août quand il doit faire machine s’arrière, s’apercevant que la Fourth Army ne lui apportera pas de soutien. De son côté, von Hutier peut positionner ses dernières forces en position défensive entre Hallu (au sud de la voie ferrée Amiens – Chaulnes) et Rollot (au nord de l’Avre).
BILAN : UNE VICTOIRE TECHNIQUE ET PYSCHOLOGIQUE PLUS QUE TACTIQUE
– Pour reprendre les mots de Mickaël Bourlet, l’Offensive du 8 Août ne s’achève pas sur un éclatant succès tactique puisque l’avancée des troupes alliée a été assez modeste (jusqu’à 13 km d’enfoncés) et les Allemands ne se sont pas débandés. Le succès a été foudroyant le premier jour quand les six corps engagés disposaient d’un appui conséquent en Tanks. En revanche, comme nous l’avons souligné précédemment, le succès du 8 août tient plus aux pertes allemandes qu’au terrain reconquis (18). En effet, avec 75 000 hommes (dont 29 873 prisonniers) contre plus de 46 000 côté allié et avec 499 bouches à feu capturées, le score est sans appel. (19) D’autant plus sans appel que les pertes allemandes seront très difficilement remplaçables, voire pas du tout dans certaines unités. L’infanterie est réduite à un niveau dramatiquement bas, l’Artillerie manque d’obus, l’intendance ne peut plus nourrir et vêtir les soldats et ne parlons pas des transports. La Kaisersheer n’est toujours pas vaincue mais elle est sérieusement affaiblie, à tel point qu’elle ne pourra plus lancer d’offensive et de contre-offensive. L’initiative est du côté des Alliés.
– L’offensive du 8 août est aussi une victoire de la technique alliée, même si elle eut des limites. En effet, déjà démontrée à Amiens et même sur la Marne par les Français, la combinaison interarmes a très bien fonctionné le premier jour. Le « Jour de deuil de l’Armée allemande » fut aussi le jour qui a démontré la supériorité industrielle alliée, « incarnée » par les chenilles, les tirs de barrage chronométrés et la domination aérienne, couplée à une spécialisation de l’emploi des appareils de combat. On peut même y voir un effet miroir avec les généraux : les « techniciens » et « ingénieurs de guerre » Monash et Currie ont clairement dominé le tacticien von Hutier.
– Enfin, comme l’explique Mickaël Bourlet, le succès du 8 août fut aussi une victoire psychologique pour l’Armée britannique et les forces du Dominion, dont le moral fut sensiblement ébranlé en mars et en avril. La victoire de la Bataille d’Amiens marque comme une revanche qui regonfle le moral des Tommys (20). Suite à ce succès, les Alliés vont pouvoir lancer une série d’offensives entre les Flandres et l’Argonne en profitant de l’excellent moral de leurs armées. Et bien évidemment, le cas est tout différent chez les Allemands. Nous pourrions conclure par cette pastiche : « Bitte ! Noch acht-und-artzig tage Herr Henker ! » (« S’il vous plaît, encore quatre-vingt-dix-huit jours Monsieur le bourreau ! »
* RFA : Royal Field Artillery. Il s’agit là, assurément, de canons de campagne Ordnance QF 18-pounder.
(1) McCLUSKEY AL. : « Amiens 1918. The Black Day of the German Army », Osprey Publishing, 2009, Londres
(2) McCLUSKEY AL., Op. Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin, Paris
(8) BOURLET M. : « La Bataille d’Amiens. Une renaissance après les souffrances pour les Britanniques », in La Voix du Nord (Site Web), 8 août 2018-08-10
(9) McCLUSKEY AL., Op. Cit.
(10) Ibid.
(11) Ibid.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(16) BUAT Gén. Ed. : « Journal de Guerre 1914-1923 », SOUTOU G-H. & GUELTON Col. Fr. (Prés.), Perrin, Ministère de la Défense, Paris, 2015
(17) McCLUSKEY AL., Op. Cit.
(18) BOURLET M., Op. Cit.
(19) CHAPPELLE D. : « The Canadian Attack at Amiens, 8-11 August 1918 », in Canadian Military History, 1993
(20) BOURLET M., Op. Cit.