II – LA QUATRIÈME BATAILLE DE CHAMPAGNE (15-19 JUILLET)
– Le 15 juillet, à 04h50 du matin, profitant de l’obscurité, les quelques 6 353 bouches des trois armées allemandes (canons, obusiers et Minenwerfern) arrosent les positions françaises entre Château-Thierry et Massiges. Et suivant les tactiques mises au point dans les mois précédents, les Sturmtruppen suivent un barrage d’artillerie en progressant en direction des positions françaises. Et ce, pour leur dernier assaut majeur. L’Offensive « Marneschütz-Reims » ou « Friedensturm » vient de commencer. Ce sera le dernier coup d’épée (dans la Marne) de Ludendorff sur le Front de l’Ouest car Foch s’apprête à lui donner un violent crochet par le Tardenois. La « Quatrième Bataille de Champagne » comporte donc une dimension « opérationnelle » qui implique l’ensemble du front français de la Marne et s’articule avec l’Offensive du Tardenois (ou « Seconde Bataille de la Marne »).
1 – L’ATTAQUE CONTRE LA VIe ARMÉE
– La VII. Armee allemande va frapper contre l’aile droite de la VIe Armée du Général Degoutte, soit entre Gland et Dormans (Chartèves et Verneuil), jointure avec l’aile gauche de la Ve Armée. Le but est de fixer la VIe Armée et contraindre les Français à engager des réserves sur la Marne au lieu de les expédier dans le secteur de Reims – Massiges. Le plan allemand consiste à frapper en direction de plusieurs Schwerpünkte depuis la tête de pont de Château-Thierry et les positions conquises en juin sur la rive nord de la Marne, afin de couper le dispositif entre les deux armées françaises et avancer vers Epernay via le Surmelin. De son côté, Degoutte a passé plusieurs semaines à réorganiser ses positions. Le général français oppose à von Böhn le
XXXVIIIe Corps du Général Jean de Mondésir (38e, 161e et 168e DI) positionné entre le sud de Château-Thierry et Jaulgone, ainsi que le IIIe CA de Léonce-Marie Lebrun (4e, 18e, 20e, 51e, et 125e DI) qui tient la ligne comprise entre Jaulgone et Dormans. Le danger pur Degoutte est de voir la jointure entre ses deux corps rompue.
– Très vite, les combats sont particulièrement violents. Le Gruppe « Schöler » (VII. Armee-Korps), avec la 201. Infanterie-Division (L. Bachelin) réussit à repousser l’aile gauche du XXXXVIIIe CA au sud et au sud-est de Château-Thierry. Mais le front français ne rompt pas. Au centre, les Gruppen « von Kathen » (XXIII. Reserve-Korps) et « von Wichura » (VIII. Res.K) attaquent l’aile droite de Mondésir et l’ensemble du IIIe Corps. Ce sont les 10. ID (O. von Dieppenbroick-Grüter), 36. (Sächsiche) ID (Ar. von Leipzig) et 200. ID (Er. von Below) qui ouvrent le bal. Mais les Poilus – dont c’est la Seconde Bataille de la Marne pour bon nombre – ne se débandent nullement. Toute la journée du 15 est âpre des deux côtés. La 1. Garde-Division (E.Fr. von Preussen) – considérée comme l’une des meilleures de l’Armée allemande – réussit à repousser la 51e DI (Gén. Boulange) sur la ligne Dormans-Comblizy-Chassins, s’approchant ainsi d’Epernay. De son côté, le Gruppe « von Conta » (IV. RK), avec la 37. ID (W. von Eberhardt) réussit à franchir la Marne à Vincelles et la 113. ID (Fr.W.K. von Passow) lui emboîte le pas). Mais la résistance des 51e DI et 125e DI (Gén. Diébold). Au soir du 15 juillet, le front se stabilise pour la Marne
– Le 16 juillet, les Gruppen « Schöler », « von Wichura », « von Kathen » et « von Conta » reprennent l’assaut afin de faire sauter les verrous de Marfaux, La Chapelle et Mézy-Moulins, village via lequel les troupes allemandes veulent déboucher dans la vallée du Surmelin. Mais la résistance française se durcit. Lebrun fait donner sa réserve avec les 4e DI, 18e DI (J. Andlauer) et 20e DI (Gén. Putois). La 3rd US Division de Joseph T. Dickman est lancée également dans la fournaise pour bloquer l’accès au Surmelin. Les « Sammies », qui ont reçu leur baptême du feu début juin, se comportent bien au feu. Et la division recevra le surnom de « Rock of the Marne ». Mieux encore, Degoutte fait donner une contre-attaque avec les 125e DI et 28h US Division (C.H. Muir) qui se montrent particulièrement habiles (1). Français et Américains repoussent alors le Gruppe « von Kathen », contraignant les éléments des Gruppen « von Wichura » et « von Conta » à se replier respectivement sur Igny-le-Jard et Festigny. Le 17 juillet, une nouvelle attaque allemande réussit à élargir la tête de pont jusqu’à 14 km de large. Mais c’en est trop pour des troupes d’assaut à bout, d’autant que les réserves françaises n’ont pas toutes été lancées dans la bataille et que les divisions américaines fraîches s’invitent au bal. Pour l’heure, Français et Américaines tiennent leurs positions, laissant à leur artillerie le soin d’arroser les secteurs conquis par les Allemands. Au soir du 17 juillet, l’échec allemand est net sur cette partie du front.

2 – LA Ve ARMÉE RECULE
– Nous l’avons vu précédemment, la Ve Armée a changé deux fois de commandants en moins d’un mois. S’étant consacré au rétablissement de ses unités et au renforcement des positions de son armée, Edmond Buat n’a pas eu le temps de terminer son travail étant appelé par Pétain le 3 juillet pour devenir Major-Général des Armées françaises. Il laisse alors sa place à Henri Berthelot qui n’aura pas deux semaines pour préparer ses forces. Et comme le soulignent Henri Ortholan et Bernard Giovanelli, Berthelot ne suit pas entièrement les prescriptions défensives de Pétain puisqu’il masse la majorité de ses forces en première ligne (1). En outre, le terrain fortement vallonné et boisé de la Montagne de Reims contraint les Français – jusque-là plus habitués aux combats en open fields – à revoir leurs tactiques, soit en s’appuyant sur les villages en ruines, les bosquets et les coteaux. D’autre part, la relève des troupes n’a pas été complètement achevée. Et le II° Corpo di Armata italien d’Alberico Albricci n’a pas remplacé ses lourdes pertes consenties fin mai et en juin dans les combats acharnés qui ont vu la perte de Bligny sans que le front rompe.
– Le 15 juillet, la I. Armee allemande de Bruno von Mudra déclenche son assaut qui se révèle particulièrement violent. Le bal est donné par le trio formé des Gruppen « Ilse » (XV. AK), « von Wellmann » (VII. RK) et « Länger » (XXIV. RK). Les combats sont là encore particulièrement dur, l’aile droite de von Mudra tentant de forcer le cours de l’Ardre afin de couper l’aile gauche de Berthelot avec celle de Degoutte. En plusieurs endroits, Français et Italiens doivent reculer. Heureusement, comme le souligne Jean-Claude Laparra, les Panzer sont vite rendus inutiles en raison de pannes à répétition (3). Malheureusement, les Italiens sont contraints de se replier de d’abandonner une partie du front de l’Ardre et de créer une brèche. Cependant, les Français tiennent et Henri Berthelot, qui suit davantage l’élan de Foch que les prescriptions de Pétain décide de passer à la contre-attaque. C’est ainsi qu’il fait donner les « Marsouins » du Ier Corps d’Armée Colonial d’Emilier Mazilier et le Ve Corps de Maurice Pellé. Ce sont les 2e Division d’Infanterie Coloniale (J. Mordrelle) et 40e DI (Génin) qui passent à la contre-attaque, permettant ainsi de rétablir en partie la situation au nord-ouest de la Montagne de Reims.
3 – FOCH JOUE LA MONTRE, PÉTAIN S’INQUIÈTE
– Cependant, l’effort conjugué des VII. et I. Armeen permet aux Allemands de créer une hernie dans le front français longue de 30 km qui coupe la Montagne de Reims par l’Ardre et dont la pointe s’approche dangereusement d’Epernay. La Marne a été franchie à Nanteuil et Fossoy, faisant craindre au commandement français de possibles tentatives pour exploiter ces deux succès locaux. Devant le danger, Pétain met immédiatement à la disposition de Berthelot toute une réserve constituée des 73e DI (H. Lebocq), 131e DI (Chauvet) et de la 1re Division de Cavalerie (Rascas de Château-Redon). Le IIe Corps de Cavalerie de Félix Robillot est également envoyé protéger Epernay. Pétain veut également ponctionner à Degoutte (dont la situation est plus sûre) la 168e DI (Hallier). Mais Foch lui dit de ne pas déplacer cette division pour le moment. L’attitude de Foch pourrait paraître étonnante mais elle est logique. En effet, « Capitaine Fracasse » s’applique à préparer la fameuse contre-offensive qui doit être déclenchée entre l’Aisne et la Marne pour le 18 juillet. Et pour cela, il doit faire en sorte que la VIe Armée, qui doit effectuer une poussée par le sud en direction de Fère-en-Tardenois, dispose du maximum de forces. Pétain pense également ponctionner des forces à la Xe Armée de Mangin mais Foch lui donne ordre de ne pas interrompre les préparatifs de cette grande formation. C’est donc clair, pour protéger Epernay et Chalons, Pétain ne devra compter que sur les forces du GAC de Maistre et ne devra ponctionner celles du GAR de Fayolle qu’en « cas d’extrême urgence » (4). Mais Foch décide d’engager la IXe Armée d’Antoine de Mitry (pour le 17 juillet) qui vient se placer entre la VIe et Ve Armée, entre Nesle-la-Montagne et l’Ardre, prenant ainsi sous son autorité les XXXVIIIe et IIIe Corps. L’introduction de la IXe Armée permet alors à Degoutte de concentrer toute son aile droite et son centre à la préparation de l’Offensive du Tardenois.
– Comme l’explique Jean-Claude Laparra, devant la situation qui se complique, Pétain se rend à Mouchy-le-Châtel pour y rencontrer Haig et lui solliciter une aide plus accrue. Haig se montre coopératif et consent à mettre à disposition des Français l’ensemble du XXII Corps d’Alexander Godley (ex ANZAC II), soit les 4 unités suivantes : 34th Division (C.L. Nicholson), 62nd (2nd West Riding) Div. (W. Braithwaithe), 15th (Scottish) Div. (H. Lyster Reed) et 51st (Highland) Div. (G.T.C. Carter-Campbell). Mais seules les 51st et 62nd seront mise à disposition du front de Champagne, puisque les deux autres seront envoyées dans le secteur de la Xe Armée, sur Senlis, afin de libérer d’autres forces. L’arrivée prochaine de 2 Divisions britanniques sur la Marne permet alors à Pétain de maintenir la 168e DI dans le dispositif de Degoutte. Les divisions britanniques sont mises rapidement sur camions et sur rails et sont débarquées à Châlons les 16-17 juillet (4).
– Heureusement pour les Français, l’attaque allemande commence à donner de sérieux signes de faiblesse. L’Infanterie manque pour exploiter les percée, l’artillerie ne suit pas le rythme par manque de transports, les munitions d’artillerie viennent à manque cruellement et la chasse franco-américaine malmène l’aviation allemande. Le 17 juillet, une dernière attaque tente de percer les fronts des Ier CAC et Ve CA mais les Français la repoussent. Les divisions allemandes qui ont aussi percé sur la Marne sont complètement épuisées et ne peuvent aller plus loin. Le 18 juillet, n’éclatent que des combats sporadiques. Et le 19, en raison de l’attaque du GAR à l’ouest du front, von Mudra, suivant les ordres de l’OHL, ordonne le repli vers le nord afin de raccourcir les lignes d’urgence. « Friedensturm » se termine donc par un échec coûteux dans la Montagne de Reims.

4 – FACE A GOURAUD, VON EINEM FRAPPE DANS LE VIDE
– Si la résistance de la IVe Armée française a été aussi dure qu’efficace, c’est que les troupes de Henri Gouraud disposent de deux avantages sérieux en comparaison de celles de la Ve Armée. En effet, le secteur est resté particulièrement calme depuis septembre 1917 ce qui a permis à Gouraud de renforcer ses positions pendant près de neuf mois. D’autre part, les divisions qui y sont disposées sont, dans leur grande majorité, restées dans des secteurs calmes et sont donc à effectifs pleins. Et comme nous l’avons montré dans la précédente partie, Gouraud et pleinement au courant des projets offensifs de von Einem mais surtout, de la façon dont les Allemands vont procéder, soit déclencher une violente et puissante préparation d’artillerie à coups d’obus explosifs et chimiques sur la première ligne, tout en tentant de neutraliser les batteries d’artillerie de campagne de la IVe Armée (6). Ainsi, dans la nuit du 14 au 15 juillet, Gouraud fait évacuer sa première ligne, n’y laissant qu’une poignée de soldats chargés d’effectuer des coups de feu retardateurs. En revanche, la seconde ligne est particulièrement bien garnie en défenseurs, puissamment appuyés par des fusils-lance grenades « Vivien-Bessières », des mitrailleuses Hotchkiss, des FM Chauchat et des mortiers de tranchées (crapouillots et Stokes britanniques entrée en dotation dans les rangs français depuis 1917).
– Comme pour le reste du front de la Marne, Karl von Einem déclenche l’offensive de sa III. Armee le 15 juillet à 04h50. Suivant le procédé de feu devenu coutumier depuis Riga, les Allemands noient la première ligne française sous un déluge d’obus durant les premières heures, avant de faire donner les Minenwerfern et Granatwerfern sur la première ligne. Puis, les Sturmtruppen (en nombre plus réduit) appartenant aux XII. AK (Hans Krug von Nidda) et XVI. AK (Adolf Wild von Hohenborn) suivent un barrage d’artillerie qui doit emporter la première ligne française. Sauf que, en bondissant dans la première tranchée française, les soldats allemands découvrent avec stupéfaction qu’elle est vide. Suivant les instructions, ils bondissent ensuite par petits groupes vers la seconde ligne afin de l’infiltrer en différents endroits. Mais, ô stupeur, en arrivant devant la seconde ligne, ils se heurtent à une violente riposte. Epargnés par les bombardements, les « Poilus » font cracher tout leur arsenal et fauchent les soldats allemands. Ensuite, grâce à l’aviation de reconnaissance qui bénéficie de l’appui précieux des chasseurs SPAD S. XIII, les Artilleurs de la IVe Armée déclenchent une violente contre-batterie.
– Pendant toute la journée du 15, les poilus se battent férocement pour tenir leurs lignes. Les secteurs qui ont vu le sacrifice des poilus lors de la Seconde Bataille de Champagne (septembre 1915) s’enflamment. Les Allemands réussissent à enfoncer un coin du front de Gouraud à Prosnes. Mais c’est bien tout. La 45e DI (R. Michaud) se montre particulièrement coriace lors des combats de Prunay. Perthe-les-Hurlus est prise et reprise mais en fin de journée, les Français la tiennent fermement. Et comme dans la Montagne de Reims, les Panzer ne sont d’aucune utilité en raison de leur usure mécanique (7).
– Au soir du 15 juillet, von Einem doit amèrement constater son échec car aucune percée prévue sur les tables d’état-major n’a été obtenue. Henri Gouraud a beau être manchot, il vient d’infliger un coup de revers cinglant aux troupes du Kronprinz. On va se battre encore jusqu’au 19 juillet mais pour des gains de terrain quasi-nuls côté allemand. Et le 19, suite à l’offensive dans le Tardenois, von Einem décrète rapidement la retraite vers le nord-est de Reims. Gouraud, dont l’Armée n’a pas été durement entamée va pouvoir lancer prochainement une puissante contre-attaque qui va permettre aux Français de débuter la reconquête de l’Argonne (8).
– La Quatrième Bataille de Champagne s’achève donc par un net succès français. Le scénario qui s’était répété en 1914 et 1915 pour les Français, s’est ici inversé avec une issue encore pire pour les Allemands. La résistance de la IVe Armée suffit à rassurer le commandement français, les Allemands ne menaceront pas Châlons, ce qui assurera l’économie de divisions dans l’immédiat. Par conséquent, le succès défensif de tout le G.A.C va permettre à Foch d’envoyer très vite à Ludendorff l’uppercut tant attendu. Et ce sont Mangin et Degoutte qui vont accomplir la tâche. Les Français voient enfin l’achèvement de leurs épreuves, ce qui décuple la motivation et la combativité des poilus, comme celle des artilleurs et des aviateurs. En revanche, le calvaire de la Kaisersheer vient juste de commencer.
(1) LAPARRA Gén. J-Cl. : « 1918. L’année décisive », tome 1, « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris, 2018
(2) ORTHOLAN H. & GIOVANANGELI B. : « 1918. Le dénouement », Giovanangeli Editeurs/Ministère de la Défense, 2008, Paris
(3) LAPARRA Gén. J-Cl., Op. Cit.
(4) Cité in LAPARRA Gén. J-Cl., Op. Cit.
(5) Ibid.
(6) Lire ici : https://acierettranchees.wordpress.com/2018/07/11/champagne-et-marne-le-victorieux-mois-de-juillet-1918-partie-1/
(7) LAPARRA Gén. J-Cl., Op. Cit.
(8) Ibid.