L’Offensive « Blücher-Yock » – Partie 2 : l’autre Chemin des Dames

 

Le 27 mai, comme prévu, Ludendorff lance sa seconde grande offensive de l’année sur un front occidental, de Vauxaillon à Sapigneul et Brimont. La VII. Armee de von Böhn attaque toute la partie partant du sud de Laon entre Chauny et Berry-au-Bac (« Blücher ») et la I. Armee de Fritz von Below entre Berry-au-Bac et Reims (« Görz »). Simultanément, plusieurs mouvements coordonnés (nom de code « Manfred ») sont lancés afin de fixer plusieurs divisions françaises.

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Le 27 mai à 01h00 du matin, les Allemands déclenchent une très puissante préparation d’artillerie, en profondeur derrière la ligne Coucy-le-Château – Braine/Fisme/Jonchery-s/-Vesle. Ludendorff et le Kronprinz y ont mis les moyens en ponctionnant des batteries des fronts des Flandres et de Picardie. Ce sont donc entre 4 000 et 4 600 pièces de tous calibres qui déversent un violent tir préparatoire sur les lignes de la VIe Armée de Duchêne. Toutefois, elle est moins longue que celle du 21 mars, en raison des contraintes de l’économie en munitions. A 03h40, les Sturmtruppen sortent de leurs positions de départ sur 60 km entre Leuilly-/s-Coucy et Brimont. L’attaque est lancée aux premières lueurs du jour pour que les fantassins puissent se repérer sur le terrain, tout en restant discrets voire invisibles des mitrailleurs et observateurs d’artillerie français. Et les batteries allemandes ajustent très bien leur tir, empêchant la contre-batterie française d’être efficace.

– Pour Duchêne, c’est l’humiliation complète. Les Allemands s’infiltrent très vite dans les reins de ses 7 divisions massées à l’avant sur 15 km. Les Bretons des 19e DI (Trouchaud), 21e DI (Dauvin) et 22e DI (Renouard), de même que la 61e DI (L. Modelon) sont littéralement submergés par les groupes de Sturm-Truppen  de 15 divisions qui les débordent. Pour ceux qui ne parviennent pas à s’enfuir, il y a deux solutions : se rendre ou se battre jusqu’au dernier. Six Colonels sont tués, notamment le commandant du 19e RI, le Colonel Taylor, qui fait le coup de feu avec ses soldats. Chez les Finistériens de la 22e DI, tous les Commandants de Bataillons ont été tués ou blessés. Pour le coup, en plusieurs endroits, la résistance française est tout de même tenace  (1). Tout se déroule ensuite très vite. L’infanterie allemande fond vers l’Ailette et disloque le dispositif défensif des XXXe et XIe Corps français et du IX Corps britannique. Les quelques bataillons et régiments laissés en seconde ligne sont également violemment percutés et finissent comme leurs équivalents de première ligne. Talonnant des groupes de Poilus qui ne savent pas où se trouve leur propre unité, les soldats de von François (VII. AK), von Winckler (XXV. Reserve-Korps) et von Wichura (XVIII. RK) franchissent l’Ailette sans réellement coup férir et ramassant de nombreux prisonniers. Résultat, à 12h00, tout le plateau du Chemin des Dames est aux mains des Allemands.

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– Et s’il y a bien un général malchanceux, c’est Alexander Hamilton-Gordon. En effet, son IX Corps s’est fait malmener par Friedrich Sixt von Arnim à Ypres, alors qu’il comptait des divisions déjà étrillées par l’Offensive « Michael ». Suite à une négociation entre Haig, Foch et Pétain, le IX Corps s’est retrouvé sur le front de l’Aisne, autant pour le reposer dans un secteur présumé calme que pour relever des divisions françaises qui pourront être engagées dans des secteurs plus sensibles. Mais autant dire que le sort semble s’acharner sur le Corps de Hamilton-Gordon. Déjà, les Battalions britanniques en ligne ne repèrent absolument pas les préparatifs allemands pendant la nuit du 26 au 27 mai, à cause… des grenouilles qui peuplent les marécages voisins. Les batraciens font un tel bruit que les Tommys ne perçoivent rien de ce qui se trame (2)

– A son PC, Denis Auguste Duchêne voit les nouvelles alarmantes s’accumuler à un rythme effreiné. Il ordonne à l’une de ses seules réserves, la 157e DI du Général Bodin de Galembert de contre-attaquer. Galembert s’exécute mais quand il veut lancer 4 bataillons vers le Chemin des Dames, les Allemands ont déjà pris l’Ailette. Par conséquent, à peine engagée, la 157e DI est sérieusement malmenée et laisse beaucoup de plumes (3). Galembert ne peut pas faire grand-chose que de replier ses soldats mais il sautera dans les jours qui suivront. Et les Allemands ne semblent plus vouloir s’arrêter. Abattant 15 à 20 km en une seule journée, les divisions d’assaut de tête arrivent aux abords de l’Aisne. Or, Duchêne à bien prévu le coup en ordonnant que les ponts qui enjambent la rivière soient minés, au cas où. Mais si les mines ont bien été posées elles ne sont pas chargées. La suite est digne d’un Vaudeville. Duchêne ordonne de faire sauter les ponts. Mais quand les équipes du Génie commencent à s’activer les Allemands sont déjà sur l’Aisne. Pire encore, l’un des ponts saute mais plusieurs milliers de soldats français sont toujours du côté de la rive nord (4) ! 15 000 soldats français partent en captivité mais plusieurs centaines s’évaderont. Mais c’est tout de même l’équivalent de plus d’une division qui a été rayée des effectifs. Et le soir, les divisions du centre allemand (von Wichura, von Winckler et von Conta) ont déjà les deux pieds sur la rive sud de la Vesle. A Compiègne et Bombon, Pétain et Foch accusent le coup et Clemenceau sent déjà les grondements de la Chambre. Ça va barder mais pas que sur le front.

– En empruntant quelques lignes à un parlementaire officier de réserve, membre de la Commission de l’Armée à la Chambre des députés, on a une idée de ce qui s’est passé : « Nous avons recommencé la faute tant reprochée par l’E-M. français aux Italiens à Caporetto. (…) Nous avons recommencé la faute que tant d’officiers généraux ont, avec dédain, après le 21 mars, reprochée à l’Armée anglaise. Nous avons tout bourré sur les premières lignes. 

Il en est résulté :
1° Que les positions intermédiaires, quoique bien organisée, n’ont pas arrêté l’ennemi : elles n’étaient pas défendues.

2° Que la forte seconde position de l’Aisne et des hauteurs qui la bordent, n’ont pas arrêté l’ennemi ; elle était trop faiblement tenue. (5) »

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– Clairement, tout cela aurait pu être évité. Une défense bien mieux assurée par les généraux français aurait permis de ralentir l’assaut allemand et au GQG d’engager des divisions de réserves de façon plus méthodique. Et là, pour le coup, Foch va devoir reculer ses dates de contre-attaques, tandis que Pétain va engager nombre de divisions qu’il espérait conserver en réserve. Si seulement les Américains étaient prêts, cela lui donnerait les coudées franches. Mais la situation n’échappe pas au Général John « Black Jack » Pershing qui voit nettement poindre l’occasion d’aider les Français. C’est bon pour les affaires…

– En revanche, dans les différents PC allemands, l’ambiance est à la fête. Les Sturm-Bataillonen de von Böhn ont remporté un succès allant au-delà des seules espérances. Une vingtaine de kilomètres abattus, l’Aisne atteinte et ce, avec un minimum de pertes, il y a en effet de quoi pavoiser. Les Français ne valent pas mieux que les Britanniques se dit-on. Grisé par le succès, Ludendorff voit alors s’offrir l’occasion inespérée de toute sa carrière : menacer Paris.


(1) ORTHOLAN H. & GIOVANANGELI B. : « 1918. Le dénouement », Giovanangeli Editeurs/Ministère de la Défense, 2008, Paris
(2) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin, Paris
(3) « Les offensives allemandes de 1918 : L’Aisne et le Chemin des Dames », http://www.chtimiste.com
(4) LAPARRA Gén. J-CL. : « 1918. L’année décisive », tome 1 « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris, 2018
(5) Cité in LAPARRA Gén. J-CL., Op. Cit.

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