Une chose est sûre, Erich Ludendorff est un tenace. N’ayant pu obtenir la victoire finale avec « Michael » et n’ayant pu envoyer les Anglais prendre un bain forcé au large de Calais et Dunkerque, le Quartier-Maître Général décide de puiser dans les dernières forces de la Kaisersheer à l’Ouest pour donner jouer son dernier atout. Cette fois, il va falloir cogner dans le dur, à savoir affronter l’Armée française. Son objectif est cette fois nettement politique et stratégique. Le but de l’OHL étant d’isoler les Britanniques en les privant du soutien des Français. Pour le coup, Ludendorff prévoit d’attaquer dans un secteur de sinistre mémoire pour les Poilus, le Chemin des Dames. L’objectif de Ludendorff étant de s’emparer du cours de l’Aisne et de Soissons afin de contraindre l’Armée françaises à engager ses réserves qui ne pourront être mobilisées ailleurs. Mais une erreur d’appréciation du Général Denis Duchêne va mener l’Armée française au bord d’une catastrophe évitable. Catastrophe qui sera évitée grâce à la ténacité des poilus, à la compétence de généraux méconnus et à la réactivité du commandement. Et durant ces combats, le Corps des Marines des Etats-Unis connaîtra sa grande renommée sur le front européen.
1 – DEUX MARÉCHAUX PRUSSIENS POUR UNE OFFENSIVE
– Au QG d’Avesnes-s/-Help, la déception plane comme un vautour au-dessus des galons. Après l’enlisement de l’Offensive « Georgette » dans les Flandres, les généraux et officiers de l’OHL ne sont pas vraiment à la fête. Deux offensives considérées comme décisives n’ont pas abouti sur la décision stratégique escomptée. On grogne mais le patron, Erich Ludendorff semble avoir trouvé ce qui cloche dans l’équation : l’Armée française. Oui, l’Armée française avec ses milliers de camions* qui vient au secours des Britanniques dans des délais impensables en 1914 et vient jouer les trouble-fête en colmatant les brèches des Anglais (Picardie et Flandres). Donc, le Quartier-Maître Général est bien obligé de revoir ses plans.
– Ludendorff pense toujours que les Britanniques sont le maillon faible de l’alliance qu’il faut rejeter dans la Manche et la Mer du Nord, afin d’obtenir l’ultime décision stratégique. Mais tant que les Français seront en mesure d’intervenir, la victoire ne pourra être obtenue, pour reprendre les mots du Général J-Cl. Laparra (1). Donc, avant de vaincre les Anglais par une nouvelle puissante offensive dans les Flandres, il faut fixer les troupes françaises par une puissante offensive qui contraindra Foch et Pétain à engager leurs réserves stratégiques afin que leur front ne s’écroule. Savant pertinemment depuis fin 1917 que les « Poilus » ne sont ni les Russes, ni les Italiens, Erich Ludendorff ne table pas sur une offensive décisive contre le front de Champagne. Il veut simplement obliger le GQG à épuiser ses troupes dans une bataille défensive sur un front de plusieurs dizaines de kilomètres. Les Français fatigués et dès lors incapables de lancer de puissantes contre-attaques, ils seront contraints de rester en position défensive pendant plusieurs semaines. Les divisions qui auront été ainsi « aspirées » dans la défense d’un front ne pourront être envoyées à Douglas Haig qui penserait bien lorgner dessus (2). Et ce répit sera mis à contribution pour redonner un violent coup direct aux troupes de Haig que le Kronprinz Rupprecht rejettera à la mer. Rien de plus simple ! Et les Américains ? Ludendorff a encore tôt fait de balayer la menace d’un méprisant revers de la main.
– L’officieux patron de l’Allemagne charge alors le Kronprinz Guillaume de Prusse (le fils de Guillaume II) – qu’il déteste et qu’il a réussi à installer dans un QG à Charleville-Mézières – de planifier, avec l’état-major du Heeres-Gruppe « Kronprinz » (dirigé par le Général von der Schulenburg) une nouvelle offensive qui devra s’étendre entre le Canal Oise-Aisne et l’ouest de Reims. L’offensive reçoit le nom de « Blücher-Yorck» (en référence aux deux Maréchaux prussiens de la guerre contre Napoléon) ce qui est à la fois programmatique et la marque que tout l’espoir de sortir plus que honorablement du conflit repose sur cette offensive.
– Au niveau des forces, le Kronprinz fait déployer pas moins de 60 divisions au total, réparties comme suit : 18 pour la XVIII. Armee (qui bénéficie de l’apport de troupes fraîches), 35 pour la VII. Armee et 7 pour la I. Armee. Pour ce qui est de l’artillerie, le Kronprinz peut engager 1 100 batteries d’artillerie (de campagne et lourdes), ce qui représente un puissant marteau de feu, supérieur en nombre à celui déployé pour le 21 mars. Pour cela, Ludendorff a dû ponctionner les parcs d’artillerie des fronts de Picardie, d’Artois et des Flandres.
– L’Offensive « Blücher-Yorck » se scinde en une phase principale et une phase secondaire simultanée visant à fixer une partie des troupes françaises. La première phase – le plan « Blücher » – est confiée à la VII. Armee de Max von Böhn et à la I. Armee de Fritz von Below*. Pour la seconde phase (fixée au 30 mai), la XVIII. Armee d’Oskar von Hutier (qui a déjà été bien engagée en Picardie en mars précédent) sera chargée d’appuyer l’assaut principal par une attaque sur l’Oise entre Sempigny et Abbécourt (au sud-ouest de Chauny) afin d’atteindre la ligne Cuvilly – Ressons-le-Matz (Plan « Yorck »). Rappelons justement qu’en février 1918, Erich Ludendorff avait décidé de placer l’armée de son cousin par alliance, von Hutier, sous les ordres de Friedrich-Wilhelm et l’organigramme n’a pas changé.
– La VII. Armee doit attaquer entre le Canal Oise-Aisne et Sapigneul, tandis que l’aile droite de la I. Armee doit enfoncer le front entre Sapigneul et le nord de Reims (Plan « Görz »). Et le gros de l’attaque doit s’effectuer dans un secteur lourd de signification pour les Poilus : le Chemin de Dames. En effet, les Allemands veulent forcer le passage pour s’assurer le contrôle de la route Soissons – Laon et de Berry-au-Bac. Mais il ne faut pas oublier qu’en raison de l’Offensive victorieuse du Fort de la Malmaison (octobre 1917), les Allemands ont dû évacuer la rive sud de l’Ailette et même le Chemin des Dames, ce qui est trop oublié. Le plan « Blücher » prévoit également de reconquérir une partie du terrain perdu, même si ça n’est pas le prime objectif.
– Ceci dit, la masse principale de von Böhn doit percuter le front français sur 30 km entre Pargny-Filain (au nord du fort de la Malmaison) et Berry-au-Bac, pour ensuite franchir l’Ailette, puis fondre sur l’Aisne et la Vesle. Pour cela, von Böhn peut engager 20 divisions dont 14 en première ligne. Et ces divisions massées à l’avant comptent bien entendu, une proportion conséquente de Sturm-Truppen. Mais Ludendorff s’apprête à engager là ses dernières divisions dites d’élite. Le reste a été consommé en Picardie et dans les plaines flamandes.
– Dans le détail, le VII. Armee-Korps de Hermann von François, sera chargé d’attaquer la ligne Vauxaillon – Pinon afin d’y fixer une partie des troupes françaises, franchir l’Ailette et foncer sur l’Aisne et la Vesle. Le Front français enfoncé, les forces allemandes pourront envisager d’atteindre Compiègne, Soissons, Fismes et Reims, ce qui rapprocherait la menace de Paris et pourrait avoir des impacts politiques notables pour les Français.
– Comme le fait toujours remarquer J-Cl. Laparra, en regardant de près le plan de « Blücher-Yorck », on note modération dans la détermination des objectifs. La raison est toute simple, la Kaisers-Heer en France manque d’artillerie lourde et d’hommes aguerris. Pour le coup, Ludendorff cible un front de 120 km, encore que le plan « Yorck » reste encore plus limité, puisqu’il vise à retenir la IIIe Armée de Georges Humbert au nord de l’Oise et l’empêche de déployer des renforts sur le front de l’Aisne (3). Et puis, l’engagement de la XVIII. Armee de von Hutier est dépendante de l’arrivée des batteries lourdes et de campagne que les VII. et I. Armeen pourront libérer sitôt leur succès obtenu. Cela a donc contraint l’étant major du HG « Kronprinz » de reculer le plan « Yorck ». Mais comme nous allons le voir plus tard, les objectifs initialement limités définis par Ludendorff, se transformeront en projets plus ambitieux en raison des erreurs de Duchêne que nous détaillerons plus loin.
– Sur le plan plan tactique, il y aura quatre aspects favorables. La plupart des Sturmdivisionen connaissent le terrain à conquérir : le commandement a pris soin de les choisir parmi celles qui ont combattu sur le Chemin des Dames en 1917. Les unités vont appliquer la tactique enseignée dans le centre d’entraînement que Ludendorff a fait installer près de son PC à Avesnes. Certains régiments bénéficient même du renfort de « blocs d’assaut », organisés par le 7. Sturm-Bataillon, pour des missions particulières, nécessitant une grande capacité offensive ; 5 sont dans 3 divisions d’attaque de la VII. Armee (5. GD, 1. GD et 10. RD) et 2 renforcent 1 régiment d’une division de position, placée en réserve de la même armée et devant effectuer une opération de détail (13. Landwehr-Division). Deux blocs sont mis à la disposition de la 241. ID (A. Forthmüller) de la I. Armee.
– Pour l’artillerie, il est prescrit de maintenir le secret sur les déplacement, tout en misant sur l’articulation et les missions de groupements, la fixation des attributions, l’exécution des travaux préparatoires par les divisions de position et la mise en place des installations (batteries, observatoires, réseaux téléphoniques, etc.). Les unités peuvent d’ailleurs tirer profit des enseignements tirés des combats précédents. Enfin, les Panzerabteilungen XI, XII, XIII et XIV (formés de tanks Mark IV de capture) appuieront quatre divisions sur un front de 10 km, à la gauche du dispositif de la VII. Armee.
– Enfin, la grande réussite des Allemands est d’avoir pu dissimuler leurs préparatifs aux yeux des Français. Pour cela, ils n’effectuent leurs manœuvres que de nuit et ne circulent de jour qu’en petits détachements ; quand des avions alliés approchent, les unités font demi-tour et marchent en direction du nord pour donner à l’ennemi l’impression d’un mouvement venant du sud ; de jour, les hommes se tiennent dans les bois et les villages (5).
– Durant la nuit du 26 mai 1918, les Sturmtruppen de von François gagnent leurs lignes de départ, tandis que les chefs de batterie et les observateurs d’artillerie règlent les derniers détails de leurs plans de feu. Fantassins d’assaut et artilleurs sont (une fois de plus convaincus). Cette troisième offensive du printemps sera la bonne et la dernière. La fin des souffrances est proche. Le moral des soldats du Kronprinz est au Zénith. Mais il peut retomber…

2 – C’EST LA FAUTE A DUCHÊNE… MAIS PAS SEULEMENT
– A la veille de « Blücher Yorck », l’Armée française a déjà été entamée mais conserve une bonne capacité opérationnelle. Si elle a déjà subi plus de 170 000 pertes en un peu plus de deux mois, elle conserve une force de 38 divisions de réserve pouvant être envoyées d’une part et d’autre du front. C’est donc une force plus qu’appréciable qui peut être employée en défense comme en attaque. Foch tablant d’ailleurs sur une rapide reprise des offensives pour le mois de juin 1918. Pour comprendre pourquoi le front français a bien failli s’écrouler entre les 27 et 30 mai 1918, il faut revenir sur les erreurs d’appréciation faites en amont et aussi sur le front.
– Depuis le 21 mars, les Alliés ont pu constater l’efficacité des tactiques de combat allemandes. Pour le coup, plusieurs généraux lucides – Pétain en premier lieu – préconisent de ne pas chercher à repousser l’attaque ennemie mais à l’engluer dans une défense mieux préparer. Mais Foch, comme d’autres voient les choses autrement. Puisque ce sont les Allemands qui ont attaqué efficacement, il faut prendre les devants, c’est-à-dire frapper les premiers. Foch voit large. Le Général italien Armando Diaz devra frapper les Austro-Hongrois sur la Piave, tandis que Pétain et Haig lanceront des offensives successivement sur la Somme et sur la Lys. Comme toujours, Foch ne se départit pas de son légendaire enthousiaste. Mais certains de ses subordonnés se méfient. Les Allemands sont encore capables de lancer une nouvelle attaque. A Paris et chez Pétain on table sur la Champagne car c’est le secteur resté encore calme depuis mars. Pétain met alors la VIe Armée en alerte et prévoit de réexpédier la Ve Armée de Joseph Micheler dans le secteur depuis la Picardie. Il y a bien les Américains mais Pétain les attend toujours. En effet, les troupes de Pershing ne sont pas encore pleinement prêtes, exceptée la 1st US Division « Big Red One » (engagée dans le secteur de Cantigny) et plus partiellement, les 2nd et 3rd US Infantry Divisions comme nous le verront plus tard. Les 24 avril et 3 mai, Foch et les Américains vont bien signer des accords qui prévoient l’apport d’Infanterie et d’unités de mitrailleuses à l’aide de tout le tonnage anglais et américain disponible. Mais les résultats de ces mesures ne feront ressentir que sur une plus longue échéance (6).
– En effet, si les « Sammies » font montre de courage et de combattivité, la chaîne de commandement et le travail d’état-major sont bien loin d’être efficaces (9). Pour le moment, cas d’offensive allemande, Pétain pourra compter en premier lieu sur la ténacité de ses Poilus et la compétence de plusieurs de ses généraux, bien qu’il y ait encore quelques exceptions notables. « Précis le sec » demande et obtient l’entrée de divisions britanniques sur le front à l’est de l’Oise, afin d’augmenter les disponibilités des forces françaises. Puis, au milieu de mai, il décide d’échelonner entre l’Oise et Reims quelques-unes des divisions fraîches qui attendent le moment de se concentrer entre l’Oise, Montdidier et Noyon pour la contre-offensive sur Roye (7).
– L’autre explication de l’échec défensif allié réside dans une cécité des échelons de commandement de supérieur dans les renseignements. En effet, comme le montre toujour J-C. Laparra, les Alliés ne découvrent rien des préparatifs allemands pour une nouvelle opération, bien que le GQG français tiennent pour vraisemblable qu’une attaque aura lieu entre le 20 et le 30 mai dans le secteur Arras – Amiens ou dans le secteur Aisne – Champagne (8). Les Français ne constatent rien d’autre en arrière du front allemand que des déplacements de troupes habituels, ce qui est normal puisque les précautions prises par les Allemands ont été encore plus minutieuses qu’avant l’offensive du 21 mars.
– Pourtant, selon Foch, les Allemands ne s’emploieront pas reprendre le Chemin des Dames, estimant ce secteur imprenable. Or, depuis le 23 avril, les Américains alertent que c’est bien là que s’effectuera la prochaine attaque, d’autant que s’y trouvera le IX Corps britannique d’Alexander Hamilton-Gordon qui est complètement épuisé après avoir combattu devant Ypres. Maisvers le milieu de mai, le Captain Hubbard chef de la section Ordre de bataille du 2e Bureau américain essaie de convaincre les Français que le coup s’abattra sur le Chemin des Dames, PARCE QUE C’EST POUR EUX IMPENSABLE. Hubbard appuie son argumentation sur l’emploi de la surprise et les puissantes concentrations face aux secteurs les plus faibles. Et aucune partie du front n’offre à Ludendorff de meilleures conditions, d’autant que Britanniques et Français attendent la menace ailleurs et que des divisions fatiguées s’y trouvent (9). Hubbard enfonce le clou des faits précis ; un important groupe de divisions d’attaque a été repéré autour d’Hirson, juste derrière l’Ailette et une division de la Garde, qui ne semble plus avoir été employée depuis le 26 mars, a fait son apparition dans les environs. En outre, l’évaluation des effectifs montre que Ludendorff possède juste ceux qu’il faut pour monter une offensive sur un front correspondant au Chemin des Dames : les divisions indiquées se dirigent vers ce secteur et seront prêtes à agir sensiblement au même moment. Selon Hubbard, c’est le 27 mai que se produira l’attaque. Renseignement juste et précis mais qui ne convainc toujours pas (10)
– L’information, communiquée par le chef du service de renseignement américain, le Général Nolan, est rejetée. Au GQG français, une semaine avant le déclenchement, si le Colonel de Cointet, chef du 2e Bureau, se range de à l’opinion des Américains sur l’imminence de l’assaut, le 3e Bureau, celui des opérations, refuse de le croire. Toutefois, si on se cache les yeux et on reste sourd à Compiègne et Bombon, sur le terrain, les généraux de divisions flairent le sale coup. En effet, à partir du 21 mai jour, des mouvements anormaux sont observés par l’aviation ou entendus depuis les lignes françaises. Pourtant, les 23 et 24, des prisonniers capturés ne livrent encore aucune information déterminante. Puis, dans la nuit du 25 au 26, deux Allemands sont pris et cinq prisonniers évadés regagnent les lignes françaises, apportant tous la nouvelle d’une attaque imminente. Le 26 à 19h00, le dispositif d’alerte est pris, après des atermoiements qui font perdre une dizaine d’heures. La VIe Armée donne l’ordre de commencer la contre-batterie mais celle-ci subit des contretemps qui la rendent décousue donc inefficace. Mais une division au nord-est de Reims, la 45e DI n’attend pas : dès 19h00, son commandant, le Général Stanislas Naulin, déclenche une contre-préparation et inflige des pertes aux troupes d’assaut qui se massent avant de partir à l’attaque (11).

– Néanmoins, à partir du 19 mai, le commandement français recueille auprès de prisonniers, de déserteurs ou de soldats français évadés, des informations sur l’imminence ou la probabilité d’une action ennemie à l’est de l’Oise. Un seul de ces renseignements est précis : celui obtenu d’un officier aviateur capturé par la Ire Armée française, il indique qu’une offensive de grande envergure serait en préparation sur le front de la VII. Armee. Un redoublement de vigilance et des coups de main sont prescrits au commandement local. Mais jusqu’au 26, aucune preuve n’est ajoutée au dossier (12).
– En troisième lieu, pour comprendre l’échec défensif du 27 mai, il faut revenir, bien entendu, sur l’un des généraux les plus détestés et les plus décriés de l’Armée française, que l’on peut (presque) considérer comme l’archétype de l’incompétent notoire qui gaspille le sang et la sueur de soldats. Et dans cette catégorie, Denis Auguste Duchêne aurait sans doute mérité une palme. Ce Saint-Cyrien passé par la Coloniale (Tonkin) a été le féal de Ferdinand Foch comme chef d’état-major du XXe Corps d’Armée lors de la sanglante défaite de Morhange en 1914. Grâce à nombre d’appuis, il exerce divers commandement successifs mais sans briller particulièrement. Il commande ainsi successivement la 42e DI (1914-1915), le IIe Corps d’Armée sur la Somme, puis la Xe Armée sur le Chemin des Dames. Il s’y fait d’ailleurs complaisamment raillé par les « Poilus » chez qui sa cote de popularité frôle le degré zéro (13). Fin 1917, il commande encore la Xe Armée (sous la coordination de Fayolle) qui participe (plus politiquement que militairement) au rétablissement de l’Armée italienne sur la Piave.
– Mais il n’y a pas que chez les « Poilus » de base que Duchêne est impopulaire. En effet, ce mauvais coucheur en képi réussit l’exploit de se faire détester de tout son état-major et de ses subordonnés. Dans son « Journal de guerre », Edmond Buat est particulièrement féroce à son endroit. Pendant la bataille de la Somme, il s’en faut de peu pour qu’un général de division (Henri Linder, le commandant de la 4e DI) ne lui « foute la main sur la g….. » (14). Enfin, comme le signale Jean-Yves Le Naour, lors des repas avec les officiers de son état-major, tout le monde lui tourne le dos en silence. Et quand le repas est fini, cette mauvaise teigne à l’habitude de grincer méchamment : « Maintenant, au chenil messieurs ! » (15)
– Mais en mars 1918, craignant que le front durement gagné au nord de l’Ailette en 1917 ne tombe aux mains des troupes du Kronprinz et de von Bönh, Denis Auguste Duchêne vient pleurer auprès de Pétain pour qu’on conserve le terrain conquis. Selon Jean-Claude Laparra « Précis le sec » approuve mais Duchêne ne tient aucunement compte des prescriptions défensives de son patron. En effet, au lieu d’échelonner prudemment sa défense sur trois lignes, il décide de masser QUASIMENT TOUTES les forces des XXXe et XIe Corps** A L’AVANT. Pile ce qu’il ne faut pas faire face aux Sturm-Divisionen ! L’irascible Duchêne est pris de panique et pense également que la perte du Chemin des Dames aura un effet dévastateur sur ces hommes. Mais en décidant de masser la majorité de ses forces à l’avant, Duchêne ne fait que faciliter la tâche de l’ennemi qui ne mène plus des assauts frontaux mais emploie des tactiques d’infiltrations qui se révèlent efficaces. Denis Auguste Duchêne est donc à contretemps et n’a rien retenu de Caporetto ou de « Michael ».
– Le 27 mai 1918, l’Armée française va connaître une seconde bataille du Chemin des Dames que beaucoup préférerons oublier, bien davantage que l’Offensive Nivelle.
* Fritz von Below avait commandé la II. Armee lors de la Bataille de la Somme. Il ne faut pas le confondre avec Otto von Below, le vainqueur de Caporetto et le commandement de la XVII. Armee au moment de « Blücher-Yorck ».
** Commandés respectivement par Hippolyte Pénet et Ernest de Maud’huy.
(1) LAPARRA Gén. J-CL. : « 1918. L’année décisive », tome 1 « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris, 2018
(2) LAPARRA Gén. J-CL., Op. Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) Ibid.
(10) Ibid.
(11) Ibid.
(12) Ibid.
(13) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Paris, Perrin
(14) BUAT Gén. E. : « Journal de Guerre 1914-1923 », GUELTON Col. Fr. & SOUTOU G-H. (Présentation), Perrin, Ministère de la Défense, Paris, 2015
(15) LE NAOUR J-Y., Op. Cit.