Pour les Alliés, l’Offensive « Michael » fut marquée par dix jours de sueurs froides et d’incertitude. Les troupes franco-britanniques ont dû reculer de plusieurs dizaines de kilomètres en à peu près une semaine – du jamais vu sur le Front de l’Ouest depuis septembre 1914 – mais le succès défensif et les changements d’axe successifs de Ludendorff ont tout simplement enliser le formidable effort allemand qui a manqué de causer une catastrophe. Mais les combats ne vont pas s’arrêter pour autant et le mois d’avril 1918 va voir plusieurs engagements plus localisés alors qu’Erich Ludendorff frappe dans les Flandres, manquant encore de faire plier Haig. Mais en Picardie, les Alliés vont enregistrer plusieurs succès défensifs.
– L’ENLISEMENT
– Le 31 mars, Erich Ludendorff doit se rendre à l’évidence, « Michael » a été un indéniable succès tactique mais également un échec stratégique. Du côté tactique, il est indéniable que les trois armées allemandes ont réussi une prouesse puisqu’elles ont Allemands ont réussi à reprendre la Guerre de mouvement et fait reculer Français et les Britanniques sur 60 km et capturant 60 000 prisonniers (majoritairement des Anglais). Le 31 mars, ils se trouvent jusqu’aux portes d’Amiens, sur l’Avre et sur l’Oise.
– Les Français ont également payé un très lourd tribut pour empêcher la catastrophe de se produire, avec 170 000 hommes perdus, dont 9 000 officiers en dix jours seulement. Par conséquent, Philippe Pétain a dû déployer la moitié de son armée entre Montidier et l’Oise. Et le Gouvernement a donné son accord au rapatriement de la Xe Armée de Paul Maistre qui stationnait en Italie. Les Français maintiennent ainsi 4 divisions sur le Front de la Piave (sous le commandement du Général Jean Graziani), pendant que les Italiens en envoient… 4 en France. Comme le signale Jean-Yves Le Naour, l’idée paraît farfelue mais elle répond à des impératifs diplomatiques. Le maintien d’une présence franco-britannique en Italie rassure Rome. Après Caporetto, on n’est jamais trop prudent (1). Bref, la Xe Armée est mise sur rail et sur roues assez rapidement mais n’arrive sur le front français qu’à la toute fin du mois de mars. Cependant, elle arrive à temps pour rassurer les Britanniques sur les efforts français. Mise à la disposition du GAR de Fayolle, elle vient s’intercaler entre sur le Front de l’Aisne entre la IIIe Armée de Humbert et la VIe Armée de Duchêne, soit entre (Plessier-de-Roye et Soissons). Enfin, Pétain rameute la Ve Armée du Général Adolphe Micheler de l’ouest du Front de Champagne pour la stationner
– A Londres ont s’inquiète également. David Lloyd-George doit envoyer sur le continent 80 000 jeunes conscrits et rappelle deux divisions de Palestine (les 52nd et 53rd). Mais le temps qu’elles traversent la Méditerranée, elles ne pourront être engagées qu’en avril (2). Il doit également revenir sur la décision de ne pas envoyer des jeunes britanniques et soldats des dominions de moins de dix-huit ans. Autant dire que l’idée déplaît beaucoup au Canada. Il envisage même d’imposer la conscription aux Irlandais, au risque de voir le Sinn Féin déclencher des troubles dans l’Île.
– Certes mais cela n’a pas suffi. Comme nous avons pu le voir précédemment, Ludendorff n’a pas conservé un axe principal de percée et a privilégié tantôt von Below et von der Marwitz, tantôt von Hutier. Et cela a clairement nuit à la cohérence de l’emploi des forces. On peut évidemment mettre le ralentissement allemand sur le compte du pillage des entrepôts de nourriture anglais bien garnis. Mais il ne faut sûrement pas négliger l’infériorité allemande en termes de motorisation (pour le ravitaillement et le transport de l’artillerie). En effet, alors que les 49 divisions d’assaut se sont enfoncées loin dans les terres picardes, elles sont épuisées et la logistique déficiente ne permet pas d’acheminer ravitaillement et renforts convenablement. Mais dans leurs succès, les Généraux allemands ont oublié que leurs troupes d’assaut ne peuvent continuer de frapper l’ennemi si elles ne sont pas efficacement suivies par une logistique rapide et fiable. En plus, l’allongement des lignes cause une nette détérioration des communications (3). C’est même pire pour l’Artillerie qui doit user de la force équestre, quand les chevaux ne viennent pas à manquer. Et pour ne rien arranger, des pans conquis n’ont pas été aménagés avec des routes adéquates et élargies, ce qui ralentit les déploiements d’artillerie. De plus, en raison du manque de camions, la Kaisersheer ne peut compter que sur le rail pour déplacer son artillerie d’un secteur à l’autre. Or, il n’est pas ensuite assuré que les pièces soient acheminées rapidement. On l’a bien vu quand von Hutier a dû compter sur ses seuls Minenwerfern et Granatwerfern pour effectuer un tir préparatoire avant son assaut contre Montdidier. Son artillerie étant restée engluée dans des mauvais chemins. A l’inverse, les Français n’ont pas eu ce problème, puisqu’en dépit du manque de coordination à l’arrivée progressive des divisions dans la région de Noyon, Pellé a pu faire déplacer son artillerie en deux jours maximum, tandis que Debeney a fait rouler ses camions depuis Toul et disposé de ses forces en quatre-cinq jours grâce au réseau routier établi derrière le front.
– D’autre part, les Allemands accusent également de lourdes pertes pour ces dix jours de combat, avec 120 000 tués, blessés et disparus. Et en raison du manque de réserves offensives, les Allemands sont contraints de s’enterrer de nouveau, causant ainsi un regain de guerre de position. Or, ces pertes seront difficilement remplaçables. Du coup, les forces allemandes disposées dans le large saillant dessiné entre Arras, Montdidier et Noyon est plus vulnérable que les Alliés ne peuvent l’imaginer. C’est notamment la XVIII. Armee d’Oskar von Hutier, déjà épuisée qui risque le plus. Mais les Alliés craignent que leurs ennemis réitèrent leur attaque et Pétain préfère conserver ses forces en défense alors que Foch prévoit de lancer des contre-offensives, pensant l’ennemi épuisé. En fait, les deux n’ont pas tout à fait tort.
– A la fin du mois de mars, constatant que « Michael » n’a pas abouti sur le succès stratégique escompté, Erich Ludendorff décide de lancer l’Offensive « Georg I » dans les Flandres pour chasser les Britanniques des Flandres et les contraindre à se retirer vers la Manche. Mais avant, il a besoin de sécuriser le front de Picardie. Il ordonne donc à la VII. Armee de Max von Böhn d’exécuter le plan « Archange ». Les Allemands atteignent Coucy-le-Château et sa forêt mais ne vont pas plus loin.
– Ludendorff ordonne à Georg von der Marwitz d’engager sa II. Armee entre Villers-Bretonneux et la Luce (donc derrière les deux rives de la Somme). Attaquant le 4 avril, sur 5 km de largeur, von der Marwitz se heurte à une résistance de la part de la 14th (Light) Division (V. Couper) qui connaît des pertes et doit céder Villers-Bretonneaux. Mais les Allemands sont repoussés à l’ouest de la ville par l’engagement de la 9th Brigade de la 3rd Australian Division (J. Gellibrand) et de la 1st Cavalry Division. Un peu plus au nord, ils s’emparent du Bois du Hamel mais ne vont pas plus loin. « Michael » s’arrête donc définitivement les 3-4 avril dans le secteur britannique.
– Plus au sud, la localité de Cantigny (située au nord-est de Montididier) est prise par des éléments de la XVIII. Armee allemande le soir du 30 mars. Le 67e RI de la 12e DI (H-A. Penet) tente de reprendre le secteur mais sans succès. Néanmoins le 3 avril, les Français reprennent Saint-Aignan et résiste à Grivesnes face à la Garde Prussienne. Mais le front se stabilise, hormis des engagements sporadiques et très localisés.
– L’Offensive « Michael » s’est donc achevée sur un spectaculaire succès tactique mais une impasse stratégique. Les Allemands ont donc consommé – et consumé – plusieurs centaines de milliers d’hommes sans avoir rompu le front allemand, ce qui amenuise déjà leurs capacités offensives pour la suite. Mais si l’on peut observer un amenuisement, le danger est toujours là et Ludendorff compte bien exploiter ses autres capacités. Et pour cela il regarde vers les plaines flamandes.
(1) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin, Paris
(2) LE NAOUR J-Y., Op. Cit.i
(3) LAPARRA Gén. J-C. : « 1918 l’année décisive », Vol. 1 « Les ultimes offensives allemandes », SOTECA, Paris