Le Gotha, bombardier lourd du premier Blitz

– En matière de bombardements de villes britanniques, Hitler et Goering n’ont rien inventé. En effet, Londres et plusieurs villes de Grande-Bretagne ont subi des attaques moins meurtrières de la part des aérostats et de bombardiers allemands. Mais si ses raids ont causé une panique certaine, ils n’ont nullement entamé le moral des soldats et de la population britanniques.

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1 – Remplaçant du Zeppelin

– Dès la fin de l’année 1914, la Kaiserliche-Marine envoie ses équipages de Zeppelin bombarder Londres et le Sud-Ouest de la Grande-Bretagne avec deux buts : enrayer l’industrie de guerre britannique et briser le moral de la population civile. Et ce, malgré les sentiments de Guillaume II*. Le premier objectif ne sera nullement atteint puisqu’en dépit de quelques dégâts dans le Kent, les usines britanniques tourneront à plein régime durant quatre ans. Ensuite, en dépit de vagues de panique temporaires, comme de « zeppelinite » aigue (1) qui s’empare du Commandement et de l’Amirauté, la population britannique fait preuve de calme et de résilience. D’autre part, aussi impressionnants qu’ils soient, les dirigeables ne sont pas disponibles en grand nombre et ne disposent que d’une charge limitée de bombes. Rien de comparable donc au « Blitz » de 1940. D’autre part, l’état-major impérial et le Gouvernement Asquith réagissent en rappelant une grosse partie des appareils de combat alors stationnés sur le continent (« déshabillant » les aérodromes en France durant l’année 1915) et commençant à ceinturer Londres de canons de campagne et de pièce légères « convertis » en pièces de DCA. Mais l’amélioration progressive des moteurs et de l’armement, comme l’accroissement du parc aérien permettent aux Britanniques de muscler leur défense anti-Zeppelin, même si les dirigeables disposent d’un plafond de vol nettement supérieur aux appareils de combat du RFC. Il n’empêche que plusieurs dirigeables sont abattus en 1915 et 1916. Leur coût, leur consommation en hélium (assez peu disponible) et leur faible rendement en termes de guerre psychologique et de destruction incitent Berlin à les garder à l’abri.

– En revanche, en novembre 1915, grâce à l’occupation des ports des Flandres permettant une réduction de leur rayon d’action, la Luftstreitkraft effectue un raid contre Londres avec des bombardiers légers, prouvant ainsi au GQG que les biplans peuvent aussi bombarder des cibles de l’autre côté de la Manche et de la Mer du Nord. Seulement, les appareils engagés n’ont causé que peu de dommages en raison de leur capacité limitée à transporter des bombes. C’est donc dans l’optique d’infliger de forts dégâts matériels et humains dans la capitale britannique que le GQG décide d’engager des escadrilles mieux dotées en bombes. Pour cela, il faut doter les LSK d’avions capables d’emporter plusieurs bombes plus lourdes. La plus-value exigée serait la capacité du nouvel appareil à voler de jour comme de nuit. Mais les lignes de l’avion rêvé ne sont pas encore tracées sur les planches à dessin. Mais l’industriel Gotha s’y penche très vite.

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2 – Le Gotha entre tardivement dans le monde sélect de l’aviation allemande

– La conception du bombardier est confiée à l’ingénieur Hans Burkhard, assisté d’Oskar Ursinus et d’Helmut Friedel et la production est confiée aux industries Gothär Waggonfabrik AG, installées dans la ville de Gotha en Thuringe (alors spécialisée en fabrication de tramways), d’où il tire son nom. Au vu des exigences présentées aux ingénieurs, la gestation de l’avion prend du temps avant son adaptation. Burkhard opte pour un avion bimoteur afin d’accroître ses capacités de vol. Courant 1915, le premier modèle, le Gotha G.I sort des chaînes d’assemblage en 20 exemplaires. Il est suivi par 11 G. II et 25 G.III (1916), ses versions modifiées. En 1917, une quatrième version, le G.IV est livré aux LSK à hauteur de 230 appareils, ce qui en fait le modèle le plus produit. Il se caractérise par l’ajour d’une tourelle permettant au mitrailleur arrière de tirer à travers le fuselage contre des cibles à basse altitude et par l’adoption de contreplaqué, en remplacement du tissu recouvrant la structure. D’abord adopté, ses limites opérationnelles entraînent néanmoins la conception du G.V sous la direction de Hans Burkhard. Le nouveau bombardier lourd effectue son premier vol en 1917 et, définitivement adopté, entre en service en août de la même année. 36 modèles (11 G.V et 25 G.Va) sortiront des usines de l’été 1917 à novembre 1918 et seront déployés sur le Front de l’Ouest, en Russie (jusqu’à l’Armistice de Brest-Litovsk), en Méditerranée (contre les navires de l’Entente) et même dans les Balkans.

– Le Gotha est incontestablement l’un des plus grands avions de son temps, avec une longueur de 12,4 m, une envergure de 23,7 m et une largeur de 14,7 m, soit des dimensions légèrement supérieures au Caproni Ca 3 italien. Seul le Tarrant Trabant britannique le surpassera avec ses 40 m d’envergure**. Le Gotha est notamment doté d’une structure en acier afin de remplacer le G.IV victime de la mauvaise qualité du bois. Son poids à vide est de 2,73 tonnes mais il peut embarquer 1,2 tonne supplémentaire, ce qui lui donne un poids plein de 3,96 tonnes. Il peut voler 140 km/h à 21,3 pieds (soit un plafond de 6,5 km) grâce à ses deux moteurs diesel Mercedes D. Iva à piston délivrant 260 Cv chacun, soit 520 Cv en tout. Son autonomie est de 840 km, ce qui est particulièrement important pour l’époque et ce qui lui permet d’aller bombarder des cibles situées relativement loin derrière le front. Ce sera le cas de Paris et de Londres en 1918. L’équipage est formé de 3 hommes : le pilote et 2 mitrailleurs. Son armement est composé de 2 mitrailleuses LMG Parabellum (1 à l’avant du fuselage et 1 à l’arrière). Et 1 autre mitrailleuse du même modèle peut être ajoutée. Enfin, le Goth G.V embarque 14 bombes de 25 kg chacune. Le mitrailleur avant occupe la position tout à l’avant du bombardier dans un habitacle doté d’une mitrailleuse fixée sur un anneau vertical, tandis que le pilote est assis derrière lui. Le pilote dirige l’appareil grâce à une roue à quatre rayons fixée sur une première colonne, tandis qu’une seconde colonne de commande, montée sur sa gauche, lui permet de contrôler les moteurs. Sur les premiers modèles de « Gotha », la chambre des bombes était installée derrière le pilote, avant d’être remplacée par un réservoir d’essence sur le G.V. A l’inverse, sur le G.IV, les réservoirs de carburant étaient fixés le long des nacelles des moteurs, ce qui accroissait le risque d’explosion en cas de tir de DCA bien ajusté. Le fuselage est dessiné afin de donner un bon aérodynamisme à l’appareil, tout en permettant au bombardier d’héberger l’équipage et le réservoir. Les longues ailes de l’appareil sont tenues par quatre barres fixées sur le fuselage. Enfin, le train d’atterrissage est formé par quatre larges roues, avec leurs axes, fixées à l’aile inférieure. Enfin, une version de type hydravion est déployée en Méditerranée pour aider la marine austro-hongroise. Ce modèle Gotha WD.14 (pour Wasser-Doppeldecker) n’est pas équipé de roues mais de flotteurs et est employé pour larguer des torpilles

– La version G.Va présente un double gouvernail composite avec un stabilisateur (appelé en allemande « Kastensteuerung »), ce qui contraint de raccourcir le fuselage. Ce modèle va fournir 25 % du parc de Gotha. Cette version est suivie en juin 1918 du G.Vb, commandé à 80 exemplaires mais qui n’atteindra pas la série et ne sera pas engagé. Ce nouveau modèle dispose d’une meilleure capacité d’emport de bombes, tandis que son train d’atterrissage est renforcé avec des roues doubles.

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Gotha G.IV

3 – Un échec stratégique

– En tout, 230 appareils – dont 100 G.V –  sortiront des usines de Gotha mais 205 seront réellement utilisés. En encore, quand ils peuvent l’être ! Car, comme l’indique l’historien américain Lee Kenneth, les deux moteurs Mercedes D.IVa manquent clairement de fiabilité, ce qui contraint bon nombre d’équipages à rester au sol (2). En outre, les moteurs et les pièces viennent vite à manquer en 1917-1918, d’autant que la priorité est donnée aux chasseurs. Pire encore, le G.V se révèle poussif en raison de la mauvaise qualité du carburant. Finalement, toujours selon Kenneth, seulement 12 % des Gotha G.V pourront être engagés simultanément, loin donc d’en faire un avion miracle (3).

– Néanmoins, dès le printemps 1917, les Allemands lancent leurs premiers raids avec ce bombardier. Le Gotha a pour lui une bien meilleure maniabilité que les Zeppelin et de bonnes performances en vol de nuit. Le 13 juin 1917, un groupe de bombardiers lâche ses bombes sur Londres, causant 162 morts et 400 blessés. L’opinion britannique est particulièrement révulsée en apprenant la mort de plusieurs enfants et de leur institutrice dans une classe. Le bombardement de l’école contribuant à monter la population contre les pilotes allemands considérés comme des barbares. Du coup, si le raid réussit et surprend complètement l’Armée britannique et cause une panique – éphémère – dans la capitale anglaise, il soude davantage la population avec son armée qu’il ne met à mal son moral. Plusieurs autres raids sont lancés ensuite sur la Grande-Bretagne, avec le même résultat. Même chose avec la France. Durant la nuit du 30-31 janvier 1918, un groupe de Gotha survole Paris et lâche ses bombes sur plusieurs quartiers. Le scénario est le même, des victimes, un vent de panique vite dissipé et la vie reprend à Paris. En revanche, le Gouvernement Clémenceau tance vertement le commandement de la défense anti-aérienne de la capitale. Outre les mesures déjà existantes qui sont renforcées (sirènes, systèmes d’alerte et abris disponibles), les autorités renforcent vite l’artillerie anti-aérienne et rameutent plusieurs escadrilles autour de la capitale, avec des pilotes rompus au bombardement de nuit (4). C’est aussi l’époque ou de faux Paris sont construits dans l’Oise et dans le secteur de Drancy pour tromper l’ennemi. Mais en aucun cas, les Gotha n’auront abattu le moral des londoniens et des parisiens. Il faudra attendre l’offensive Ludendorff du 21 mars 1918 pour voir la capitale douter sérieusement.

– Avec le Gotha, les Allemands ont vu trop grand à double titre. Conçu alors que l’économie du Reich est en grave difficulté et donc, sorti avec de notables lacunes et en trop petit nombre, il ne pouvait nullement renverser le cours de la guerre en faveur de l’Allemagne. Engagé avec parcimonie et sans régularité, il ne pouvait vraiment faire flancher le moral des populations. Cependant, il représente une innovation majeure, quoique imparfaite, de la guerre aérienne du XXe siècle. Les raids à longue distance par les pilotes de Gotha vont en appeler d’autres, notamment sur les villes anglaises.

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Gotha WD.14, version pour le combat aéronaval

* Petit-fils de Victoria et cousin de George V, Guillaume II qui était hésitant mais nullement cynique, rechignait à ordonner des bombardements sur la Grande-Bretagne. Ce qui n’était pas le cas de ses amiraux.
** Mise au point pour bombarder Berlin depuis la Grande-Bretagne, la France et la Belgique, sa production est lancée à la fin du conflit. Il ne volera qu’en 1919.


(1) LAYMAN R.D. : « The naval Aviation in First World War. Its impact and influence », Caxton Publishing, 2002, Londres
(2) KENNETH L. : « La première guerre aérienne », Economica
(3) KENNETH L., Op. Cit.
(4) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin

 

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