Tout comme la Seconde Bataille de Verdun, la Bataille du Fort de la Malmaison reste encore occultée par la défaite du Chemin de Dames. Pourtant, déclenchée par le Commandement dans le cadre des offensives à objectifs limités, elle a répondu avec un net succès, à des impératifs tactiques et surtout, aux impératifs moraux et politiques du moment.
1 – LE CHOIX DU COMMANDEMENT FRANÇAIS
– Loin d’avoir été une inspiration soudaine de « Philippe Auguste » (Pétain), l’offensive limitée du Fort de la Malmaison est couchée dans les plans du Commandement français depuis l’été. Certes, Pétain veut frapper sur des objectifs limités sans rechercher la percée mais, il souhaite lancer des attaques vigoureuses et puissantes dans un enchaînement rapide. Ainsi, lorsque la IInde Armée de Guillaumat aura reconquis le Mort-Homme, les Cotes 304 et 306 à Verdun, la VIe Armée du Général Paul Maistre (qui dépend du Groupe d’Armées Centre – G.A.C – du Général Emile Fayolle) dégagera le saillant articulé autour du Fort de la Malmaison, aux mains des Allemands depuis le 1er septembre 1914. Ainsi, l’objectif est limité à une portion du Front de l’Aisne et doit d’abord contribuer à remonter le moral de l’Armée française en tablant sur un succès rapide où la technique et la puissance de feu auront le premier rôle. Le secteur choisi a une portée symbolique. En effet, situé à mi-chemin sur la route Soissons – Laon, le Fort de la Malmaison est ancré sur la lisière ouest du Plateau de Laffaux, soit à l’est de Cerny-en-Laonois et donc, à 4 km environ du Plateau de Craonne et du Chemin des Dames. Situé juste au sud de la rive gauche du Canal de l’Oise à L’Aisne, Fort de la Malmaison est un ouvrage défensif construit dans les années 1870 sous la direction du Général Seré de Rivières afin de protéger l’accès aux rives de l’Aisne. Durant la Belle Epoque, il a servi comme site d’essai pour les explosifs à la mélinite, ce qui lui a valu le surnom du « Sacrifié ». Mais en 1917, ce sont les Allemands qui en profitent puisqu’ils s’en servent comme puissant point d’appui fortifié pour protéger l’accès à l’Ailette. Utilisé comme dépôt de vivres et de munitions grâce à ses abris, le fort est garni de fusiliers et de mitrailleurs. Il est également relié aux Carrières de Bohéry qui fournissent d’autres abris en dur aux Allemands. Et couvert par plusieurs centaines de batteries d’artillerie, il permet de couvrir l’accès aux villages de Vaudesson, Pargny-Filain et Filain. Mais bien entendu, le fort fait partie d’un ensemble défensif délimité par le Mont des Singes et Allemant à l’ouest ; le Plateau de l’Ange Gardien, le Mont de Laffaux et La Royère jouxtant le Chemin des Dames au sud –sud-est, soit la première ligne de tranchée allemande. La seconde ligne de tranchée (qui se termine en hameçon dans sa partie ouest) couvre les accès aux villages de Pinon et Vaudesson, le Montparnasse, la Ferme de la Malmaison, le Fort, Pargny-Filain et Filain.
2 – LA DÉFENSE ALLEMANDE
– Tout le secteur décrit est sous la responsabilité de la VII. Armee du Generaloberst Max von Böhn (voire ordre de bataille ci-dessous) avec 6 divisions en première ligne du Generalkommando 54 (Max von Müller). Derrière lui, le VIII. Reserve-Korps de Georg Wichura (4 Divisions) sert de réserve d’intervention rapide. Certaines sont des unités aguerries par trois années de combat et plusieurs d’entre elles prennent du repos après avoir servi dans les Flandres ou en Russie. A ce stade de la guerre et suivant leur expérience de Passchendaele, les Allemands ont abandonné la tactique de la « défense élastique » adoptée durant la Bataille de la Somme. Cette fois, ils misent sur des divisions « de Front » pour tenir les trois premières lignes défensives et endiguer une attaque ennemie. Et derrière elles, des « divisions d’intervention » (Eingreifen-Divisionen) sont prêtes à être engagés pour contre-attaquer ou combler les brèches. Bien entendue, la défense est échelonnée tactiquement ; au niveau régimentaire 2 Bataillons en ligne et 1 en réserve et au niveau divisionnaire ; 2 Régiments tenant le front et 1 en réserve. Et ainsi de suite au niveau des Korps. Enfin, du point de vue poliorcétique, la ligne de front allemande est formée comme suit :
1 – Trous d’obus servant de postes avancés
2 – Première ligne de tranchées ; avec parapets. Elle est doit être évacuée en cas d’attaque, les soldats qui la tiennent.
3 – Seconde ligne de tranchées ; formée d’une zone de combat (Kampf-Feld) avec les Bataillons de soutien et est garnie de points fortifié, des casemates des nids de mitrailleuses et des positions de Minenwerfern. Dans le cas qui nous intéresse, les Allemands peuvent profiter des carrières qui se trouvent entre l’Aisne et l’Ailette.
4 – Zone de combat arrière ou Rückwartiges-Kampf-Feld (Forêt de Pinon, rive droite du Canal de l’Aisne et de l’Oise et rive droite de l’Ailette) ; Artillerie, dépôt et réserve
– Les Allemands étant bien ancrés au sud de l’Ailette, ils n’ont guère l’intention de s’y retirer autant pour des raisons tactiques que pour des raisons morales. En effet, n’ont-ils pas mis à mal l’orgueil français sur le Chemin des Dames en avril précédent ? Du coup, il faudra les débusquer. Autre raison valable, la présence des Allemand au sud de l’Ailette met les positions françaises sous la menace des 180 batteries ennemies. Mais les Français peuvent transformer cette situation en avantage. En effet, une attaque brutale mais bien coordonnée rendra beaucoup plus difficile l’évacuation des unités de la VII. Armee présente dans le saillant. D’autant qu’il leur faudra traverser les marécages qui bordent l’Ailette et le Canal de l’Aisne et de l’Oise.
4 – LA MINUTIEUSE PRÉPARATION FRANÇAISE
– L’offensive est donc confiée au Général Paul Maistre. Ce champenois, fils d’agriculteur passé par les études au Petit Séminaire et Saint-Cyrien sorti premier de la Promotion « Dernière de Wagram » a surtout connu une carrière en Métropole, entre différents régiments et états-majors. En 1914, il dirige l’état-major de la IVe Armée du Général de Langle de Carry. En 1916, il commande le XXIe Corps qu’il dirige à Verdun et lors de la Bataille de la Somme (Vermandovilliers, Estrées-Deniécourt et Ablaincourt). Lors de la crise morale de 1917, Maistre remplace Mangin – dont nombre de parlementaires (et de militaires) réclament la tête – au commandement de la VIe Armée, celle-ci ayant été fortement ébranlée par ses pertes en avril et mai. Inutile donc de revenir sur la multiplication des cas d’indiscipline qui ont frappé différents régiments de cette grande formation. Soutenu par Pétain, Maistre est chargé de remettre bon ordre dans ses unités. Maistre se montre intraitable quant aux cas d’indiscipline et de « grève du zèle ». Néanmoins, il applique les directives de Pétain (plutôt l’application stricte des lois militaires) et parvient à remonter le moral des soldats. Bon organisateur, Maistre passe l’été 1917 à remettre son armée d’appoint. Il peut également compter sur ses commandants de Corps d’Armées, tous aguerris par les épreuves des trois années précédentes. Bien qu’issu de la vieille école, le messin Louis Ernest de Maud’huy (XIe Corps) a gagné une réputation de sang-froid. François Marjoulet a commandé le XIVe CA à Verdun pendant plusieurs mois et tenu tête à plusieurs attaques allemandes. Enfin, officier prometteur issu de la Coloniale, le beaujolais (lui aussi fils d’agriculteur) Jean-Marie Degoutte, qui a pris la tête du XXIe CA à la suite de Maistre, s’est taillé une solide réputation d’officier fiable à la tête de la Division Marocaine qu’il a menée efficacement à Moronvilliers et dans la Seconde Bataille de Verdun. Et si l’on en croit Edmond Buat, Degoutte passe pour l’un des généraux français les plus enthousiastes quant à l’utilisation des chars.



– La Bataille du Fort de la Malmaison place l’Artillerie au premier rôle. Pour cela, Pétain a prévu le coup, puisque la VIe Armée est fortement dotée en tubes. On s’étonnera même du rapport presque équivalent entre les 812 canons de l’Artillerie de campagne (768 de 75 mm et 44 de 95 mm) et les 862 pièces de l’Artillerie lourde (canons De Bange 120 mm, Schneider 105 M 1913 et 155 CTR, 155 GPF Filloux, mortiers lourds Schneider de 320 mm, ainsi que pièces lourdes de 220, 274, 320 et 380 mm). Le tout compte donc 1 779 canons et obusiers, fortement concentrés, auxquels il faut ajouter les 66 batteries de mortiers de tranchées, fortement dotées en mortiers britanniques « Stokes » dont la réputation fiabilité et la mobilité n’est plus à faire (1). On arrive donc à une densité de 1 pièce tous les 13-14 m au sein des XIVe, XIe et XXXIXe Corps. Mais le XXIe CA de Degoutte est le mieux loti avec 592 tubes (dont les mortiers de tranchées) pour une ligne d’attaque de 2,6 km soit 1 pièce/5 m.
– L’Artillerie de campagne est ventilée au sein des Divisions et des Corps, tandis que la lourde est mise à disposition des CA. Enfin, l’Artillerie lourde à Grande puissance (ALGP) compte 105 pièces montées sur voies ferrées ou tractées, attribuées par la Réserve Général d’Artillerie lourde (RGAL) et mises à disposition de la VIe Armée. Mais si elles peuvent contribuer efficacement à désorganiser et disloquer les défenses et le dispositif allemands, les pièces lourdes sont assez fragiles (en raison du poids de l’obus qui cause l’usure du tube) et doivent donc être utilisées avec soin. En revanche, l’Artillerie française peut s’appuyer sur les excellents canons GPF Filloux à glissière, qui peuvent cracher 6 coups par minutes à 16 km de portée. Bien entendu, les pièces d’artillerie doivent être constamment fournies en obus. Pour cela, la VIe Armée peut profiter du travail du Génie et des « Pépères » de la Territoriale qui ont accompli un travail de forçat (et moins glorieux) pour terrasser, établir des routes et poser des rails, afin de permettre aux camions et trains de munitions de parvenir aux dépôts des batteries. Enfin, pour manier toutes ses pièces, la RGAL a été contrainte de ponctionner des effectifs à l’Infanterie. Mais comme l’explique son patron, le Général Edmond Buat, ce transfer de personnel requiert que les fantassins soient en condition physique adéquate, ce qui n’est pas toujours le cas (2). Mais pour beaucoup de ses hommes, parfois volontaires, être versé dans l’Artillerie signifie échapper aux mitrailleuses allemandes et à l’enfer des tranchées.
– Comme pour la Seconde Bataille de Verdun, chaque type de pièce à son propre rôle et ses propres cibles. Les pièces d’artillerie de campagne doivent matraquer les premières lignes ennemies, tandis que les pièces lourdes doivent cibler la profondeur du dispositif ennemi (Fort, dépôts, postes de commandement) et déclencher la contre-batterie, avant d’engager des tirs d’interdiction sur les axes de communication afin d’empêcher les renforts allemands d’arriver vers le front. Forts de l’expérience de la reprise du Fort de Douaumont un an auparavant, les artilleurs français misent sur leurs canons sur rail et les mortiers lourds pour écraser le Fort de la Malmaison sous un déluge d’obus. Mais les Français ne jouent pas sur l’effet de surprise, puisqu’ils prévoient de déclencher un tir préparatoire du 17 au 23 octobre. Bien entendu, l’établissement du plan de feu français est rendu possible grâce à une forte concentration d’avions de combat (notamment les SPAD VII et les nouveaux SPAD IX qui peuvent tenir la dragée haute aux appareils ennemis). Concentration qui permet aux équipages de reconnaissance de photographier le terrain, avant de remettre leurs clichés aux sections du SRA* chargées du plan de tir. En complément, le SROT** définissent par moyens visuels (repérage de la sortie de feu des canons allemands), pendant que le SRS*** ou acoustiques (utilisation d’oscillomètres mesurant les vibrations causées par le tir des tubes ennemis) l’emplacement des batteries à pilonner ou neutraliser. Enfin, il faut noter également le travail des équipes de la Section du Camouflage qui peignent ou cachent des pièces d’artillerie lourde afin de les rendre moins repérables aux yeux ennemis. Le jour de l’offensive – soit le 23 octobre – les fantassins français devront suivre un puissant tir de barrage lors de leur attaque séquencée en plusieurs étapes.
– Pour l’attaque principale, le Général Maistre met en lice ses trois Corps d’Armées (voir ordre de bataille ci-dessous), avec les objectifs répartis comme suit :
– Sur la gauche (ouest/nord-ouest) : le XIVe Corps de François Marjoulet doit s’emparer du Mont des Singes, d’Allemant et du Mont de Laffaux, puis remonter par les Ravins d’Allemand et Gaulain en direction de Pinon et de l’ouest de la Forêt éponyme
– Au centre-gauche (axe sud-est – nord-ouest ) : le XXIe Corps de Jean-Marie Degoutte doit attaquer entre le Mont de Laffaux, le Montparnasse et la Ferme de la Malmaison pour attaquer ensuite vers Vaudesson
– Au centre-droit (est ; axe sud-nord) : le XIe Corps d’Ernest de Maud’huy doit s’emparer du Fort de la Malmaison s’emparer de l’ouest de Pargny-Filain et de Chavignon
– A droite (est) : la 67e DI du Général Savy (détachée temporairement du XXXIXe CA) doit agir en appui du centre de la VIe Armée et a pour objectif la partie est de Pargny-Filain, Filain et la Ferme de La Royère.
– Enfin, suivant le plan de Maistre, deux attaques d’appui doivent être lancées par la 129e Division du Général de Corn (rattachée temporairement au XIVe Corps) au nord-ouest et par la 67e DI tout à l’est. Ces deux divisions doivent également divertir les Allemands par un intense bombardement à coups de « Stokes » et de « Crapouillots » (mortiers de tranchée), tout en lançant de fausses reconnaissances d’infanterie dans leurs secteurs respectifs
– Comme pour la Seconde Bataille de Verdun, l’attaque doit être effectuée le 23 octobre dès 05h45 par bonds séquencés. Les premiers objectifs doivent conquis après l’heure « H » et solidement tenus par les Bataillons de tête. Ensuite, les Bataillons de réserve passeront à travers la ligne conquise pour progresser en direction des seconds objectifs, là encore derrière le barrage roulant pour lequel les servants de pièce allongeront leur tir. Et bien entendu, l’Infanterie française attaque en petits groupes, mieux dotés en armes collectives (grenades, fusils lance-grenade à tromblon Vivien-Bessières, FM « Chauchat » et canons d’appui Puteaux M 37) et qui s’appuient mutuellement. D’autre part, marque de la prédominance de la machine (donc de la technologie) sur l’homme, les « Poilus » attaqueront avec le concours de 64 chars des Régiments de l’Artillerie Spéciale (RAS), soit 24 Saint-Chamond et 36 Schneider, avec 1 groupe rattaché aux 13e, 27e, 28e,38e et 43e DI (voir l’ordre de bataille ci-dessus). L’échec de Berry-au-Bac le 16 avril (Chemin des Dames) n’a pas entamé le développement de l’emploi des engins blindés. Mieux, il est encouragé par Pétain. Ayant tiré les leçons de leur premier échec, les Français ont revu leur copie. Les engins lourds, peu maniables et presque aveugles ne peuvent évoluer sur le champ de bataille sans les fantassins qui deviennent les « yeux », impliquant une meilleure coopération interarmes. Du coup, durant l’été, des Cuirassiers « démontés » se sont entraînés à coopérer avec les équipages de chars afin d’améliorer l’orientation des chars sur le champ de bataille. Pour l’attaque du saillant de la Malmaison, leur rôle consiste à défoncer les réseaux de fils barbelés et neutraliser les points de résistances – notamment les nids de mitrailleuses – à l’aide de leurs armes embarquées (mitrailleuses Hotchkiss pour le Schneider et canons de 75 mm pour le Saint-Chamond). Mais la technologie a aussi ses limites. Les balbutiements des moyens radios de l’époque rend les équipages de chars muets et par conséquent, les soldats chargés du guidage doivent communiquer avec des moyens visuels encore rudimentaires (fanions), d’autant que les engins sont particulièrement bruyants. Enfin, il est impossible d’installer des téléphones à l’intérieur des engins car les fils peuvent être facilement rompus.
3 – LA BATAILLE : UNE NETTE VICTOIRE FRANÇAISE
– Du 17 au 23 octobre, les quelques 1 700 pièces d’artillerie françaises déclenchent leur puissant tir de préparation d’artillerie contre le saillant de Malmaison. Tout semble se dérouler pour le mieux quand le 22 octobre, des soldats français capturent un opérateur radio allemand dont l’interrogatoire donne des sueurs froides aux officiers de la VIe Armée. En effet, le captif informe que les Allemands sont au courant des préparatifs français. C’est le Colonel Hergaut, chef d’état-major de Maistre qui est mis au courant le premier, son supérieur effectuant une tournée des popotes avant l’offensive. Hergaut appelle Maistre et lui demande de revenir en urgence. Mis au courant, le chef de la VIe Armée prend la décision d’avancer l’attaquer de trente minutes. L’offensive doit avoir lieu et de toute façon il est trop tard pour l’annuler. De plus, comme le montre bien l’historien britannique Nick Lloyd, annuler une offensive intensément préparée aura un impact négatif sur le moral des soldats, ce dont les Généraux français se passeront volontiers. Maistre impose alors une discrétion absolue pour hâter les préparatifs, avec des mouvements de nuit. Quoiqu’il en soit, le 2e Bureau confirme à Maistre les propos du prisonnier ennemi mais plus grave encore, les messages interceptés montrent que les Allemands sont informés de l’accélération des préparatifs. Le Renseignement pas à trouver la source mais quoiqu’il en soit, Maistre maintient son offensive.
– Et heureusement pour lui, c’est un plein succès dès les premières heures. Pendant la nuit du 23 octobre (05h15), par temps pluvieux, tir de barrage fonctionne à plein, couplé aux bombardements de neutralisation et d’interdiction opérés par l’Artillerie lourde. L’ouragan de feu des Français est si violent et efficace que, par endroits, lorsque les Poilus suivent le tir de barrage, ils reçoivent la reddition de nombreux soldats allemands, assommés et hagards. Et la coopération chars – infanterie fonctionne beaucoup mieux mais n’est pas optimale en raison du terrain trempé par la pluie et les trous d’obus. Du côté des fantassins, seule la 129e DI se fait violemment repoussée à l’extrême-gauche du dispositif. En revanche, tout le reste du XIVe CA emporte le secteur d’Allemant. Au centre, le XXIe CA puissamment appuyé par l’artillerie et les groupes de RAS emporte facilement le Mont de Laffaux et la Ferme de Malmaison. Enfin, du côté du XIe Corps, la 38e DI (Guyot de Salins) s’empare du Fort de Malmaison et dégage les carrières de Bohéry avec l’aide des Schneider. En revanche, la 66e DI de Brissaud-Desmaillets (entièrement formée de Bataillons de Chasseurs Alpins), qui n’est pas appuyés par l’AS, se dirige confusément vers ses objectifs durant la nuit et doit faire face à une résistance plus forte. Finalement, ses unités placées aux ailes réussissent à progresser et à enlever ses objectifs. Enfin, tout à droite la 67e DI (Savy) s’empare de la Chapelle Sainte-Berthe, accomplissant ainsi sa mission d’appui.
– Le succès presque foudroyant de la première phase française entraîne le Général Maistre et le commandement à pousser leur effort vers l’arrière de la seconde ligne allemande. D’autant que les interrogatoires de prisonniers indiquent que l’ennemi a été sérieusement ébranlé. Von Böhn ordonne un ordre de repli pour maintenir la cohérence de ses lignes. Le mouvement de retrait est bien constaté le 24 octobre par la 129e DI qui peut s’emparer du Mont des Singes à moindre coût. Du coup, Maistre ordonne à ses 3 CA d’avancer vers la Forêt de Pinon afin d’atteindre les rives du Canal Aisne et Oise et celles de l’Ailette. Le redéploiement nécessite une journée, durant laquelle les reconnaissances françaises tâtent le terrain en neutralisant au passage quelques nids de mitrailleuses. Pendant ce temps, les artilleurs doivent recalculer la trajectoire et la portée de leurs tirs suivant les nouveaux objectifs assignés. Et l’artillerie de campagne doit être avancée vers l’avant pour mieux appuyer l’infanterie chargée de la conquête des nouveaux objectifs.

– Le 25 octobre, le scénario se répète et les Français ramassent plusieurs milliers de prisonniers. Dans l’ensemble du périmètre à conquérir, les Français font tomber Moisy, Pinon et sa forêt, ainsi que Pargny-Filain où la 66e DI doit batailler dur mais avec succès. Le lendemain 26 octobre, les Français font main basse sur Filain et Moulin-Didier, ce qui leur permet de s’ancrer sur la rive gauche des deux cours d’eau. Le 26 au soir, le saillant du Fort de Malmaison n’existe plus et l’aile droite de la VII. Armee est considérablement affaiblie. Craignant de voir son centre débordé, von Böhn décide de raccourcir sa ligne en ordonnant l’évacuation du Chemin des Dames les 1er – 2 novembre. On peut imaginer l’amertume de certains « Poilus » quand ils apprirent la nouvelle.
– Pour un objectif limité, le succès français est total. Si les pertes n’ont pas été négligeables (14 000 hommes), elles sont nettement en-deçà de celles infligées à l’ennemi : 50 000 hommes de perdus en tout, soit 8 000 tués, 10 500 prisonniers et un peu plus de 30 000 blessés. Les Français envoient également vers leurs arrières 200 pièces d’artillerie, 220 mortiers de tranchées et 720 mitrailleuses. Jusque-là, jamais l’Armée française n’avait réussi un tel tour de force dans une offensive. Le rapport étant de 1 soldat français pour 3,4 allemands. Enfin, le succès tactique et opérationnel a montré aux Français qu’une offensive bien préparée et bien coordonnée peut réussir, avec un rapport de pertes favorables. Derrière la conquête du saillant du Fort de Malmaison, c’est aussi la reconquête des esprits qui a été entreprise. Et la crédibilité des Généraux s’en est trouvée quelque peu soulagée, du moins pendant un temps. Mais, cruelle ironie, la réussite du Général Maistre sera notablement gâchée en mai 1918 par l’inconséquence – et l’incompétence – de son successeur à la tête de la VIe Armée, le caractériel (euphémisme) Auguste Duchêne.
* Service de Renseignement d’Artillerie
** Service de repérages par observatoires terrestres
*** Service de Renseignement du son
(1) BUAT Gén. Ed. : « Journaux de Guerre 1914-1923 », présenté par SOUTOU G-H. & GUELTON Col. Fr., Perrin, Ministère de la Défense, 2015
(2) BUAT Gén. Ed, Op. Cit.