Le développement des premières automitrailleuses est concomitant de deux éléments. Premièrement – et c’est évident – le développement de l’automobile et de la motorisation qui entraîne l’amélioration constante des moteurs et des châssis. Les premiers à innover vont être les Britanniques, suivis des Français et même des Belges et des Austro-Hongrois. L’Allemagne suivra bien entendu le mouvement. Quant à la Russie et la Turquie, elles ne bénéficient pas d’une structure industrielle suffisante pour développer ce type d’armes, ce qui contraindra ses deux empires flanchant à se fournir chez leurs alliés respectifs. Ensuite, le développement croissant des automitrailleuses répond à plusieurs nécessités, qui diffèrent selon les fronts. Ainsi, sur le Front de l’Ouest, ce nouveau type d’engin sur roue répond à la menace venant du ciel, tandis qu’en Russie et au Moyen-Orient, ils trouvent de quoi démontrer leur utilité dans les steppes et les espaces désertiques.
Automitrailleuse Peugeot modèle 1915
1 – LES DÉBUTS (1896 – 1914)
– La Guerre des Boers et les techniques de contre-guérilla des Afrikaneers contraignent l’Armée britannique à trouver de nouveaux moyens mobiles pour contrer les raids des Kommandos Boers. En 1899, F.R. Simms conçoit la première automitrailleuse, le Simm’s Motor War Car, construit par l’usine Vickers, Sons & Maxim de Barrow, sur un modèle de châssis Daimler fabriqué à Coventry. La Simm’s War Car ressemble à une grosse baignoire roulante, avec la structure protégée par plusieurs plaques d’acier et armé d’une mitrailleuse.
– Du côté français, on ne reste pas inactif non plus. Dès 1896, avec l’apparition de l’automobile, le Commandement crée une « Commission militaire des automobiles » (Général Lambert). Mais c’est en 1897 que l’Armée française fait la découverte des vertus de l’automobile en utilisant une « wagonette » Panhard et Levassor comme véhicule d’estafette. De son côté, manquant de moyens financiers, la Commission que dirige Lambert doit se contenter d’envoyer des délégations à l’Automobile Club de France et au Salon de l’Automobile. Mais il n’en ressort pas moins que l’Armée – qui s’intéresse de près aux progrès scientifiques et techniques – estime que la vitesse des véhicules motorisés dépasse celle des chevaux. Il en ressortira plus tard que la fabrication et la réparation d’une voiture comportent, certes, un coût financier mais restent plus rentables que l’élevage de chevaux. Et puis, une voiture peut aussi emporter plusieurs hommes et une arme collective à moindre effort, d’autant que l’Armée commence à accroître sensiblement sa dotation en mitrailleuses (Saint-Etienne et Hotchkiss). En 1902, la CMA publie une note intitulée « Instruction sur l’emploi des automobiles dans les quartiers généraux pour les manœuvres et voyages d’état-major ». Le véhicule motorisé est alors pensé comme un outil de liaison. Cependant, la Cavalerie est encore peu encline à voir le pneu remplacer ou supplanter le sabot. Ceci-dit, l’idée d’un véhicule emportant une mitrailleuse intéresse autant l’armée que certains industriels. Ainsi, en 1902, l’entreprise Charron Girardot Voigt (CGV) se penche sur l’étude d’automitrailleuses finit par concevoir un premier prototype, présenté au Salon de l’Automobile de Paris. Plus qu’une automitrailleuse, il s’agit davantage d’une voiture standard sur lequel est installé, à la place des deux sièges arrières, un baquet spécial pour y fixer une mitrailleuse. Le véhicule connaît son premier essai en 1903 mais aucune suite n’est donnée au projet. Mais chez CGV, one ne se décourage pas pour autant. En 1906, avec le concours du Commandant Guye, CGV présente la première automitrailleuse blindée dénommée par l’acronyme de la marque. Malheureusement, l’engin présente un trop faible rapport poids/puissance, comme des problèmes de démarrage et de pneus. 4 engins seulement sortiront des chaînes de montage. Ceci-dit, plusieurs officiers épaulés par des ingénieurs poursuivent les expérimentations en se basant sur les modèles de véhicules civils déjà existant. En outre, le perfectionnement des moteurs et l’agrandissement/renforcement des châssis permettent de fabriquer des camions et des véhicules lourds. Or, cette évolution mécanique et technique contribue notablement à l’évolution de la conception d’engins blindés. Ce sont les Austro-Hongrois qui, en 1904 via la firme Austro-Daimler, produisent un premier engin opérationnel type. En effet, le profil de l’ Austo-Daimler-Panzerwagen, présente une structure cuirassée, montée sur un châssis suffisamment solide, protégée par un blindage de 3 – 3,5 – 4 mm d’épaisseur et surtout, surmontée d’une tourelle rotative armée d’une mitrailleuse. Les Italiens ne tardent pas non plus à se doter de quelques automitrailleuses lors de la méconnue Guerre Italo-Turque (1912-1913) pour le contrôle de la Libye. Les Allemands conçoivent également leurs premières autos blindées comme armes de défense anti-aérienne en les dotant d’un large châssis capable de supporter une pièce d’artillerie légère afin d’abattre les ballons d’observations de l’Entente. L’engin dénommé Ballon Abwehr Kanonen (BAK) n’est cependant pas produit en grand nombre.
– Mais l’engin le plus remarquable de l’été 1914 vient du plus petit belligérant, soit la Belgique. En effet, la « Minerva », avec sa structure cuirassée surprend complètement les Allemands par son agilité sur route et sa vélocité (40 km/h, ce qui représente une réelle performance pour l’époque). Mais l’engin à un désavantage ; sa casemate ouverte qui rend le tireur vulnérable. Cela conduira le commandement belge, aidé des britanniques, à doter la « Minerva » d’un mantelet puis d’une tourelle. Les succès que remportent localement les petites unités belges d’automitrailleuses ne suffisent pas à enrayer le rouleau compresseur allemand. Mais l’engin se montre assez fiable et suffisamment maniable pour que le Commandement belge décide de former un Corps d’automitrailleuses avec des « Minerva » en 1915. Comme les automitrailleuses belges ne peuvent faire montre d’une quelconque utilité sur le Front des Flandres, on décide d’expédier les « Minerva » et leurs équipages en Russie où le front est beaucoup plus mouvant et donc, plus propice à l’emploi des engins dans des manœuvres de grand style
Automitrailleuse Rolls-Royce 1914
2 – DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX TYPES
– L’utilisation accrue de ce nouveau type d’engins nécessite la constitution et l’installation d’ateliers spécialisés et de dépôts de ravitaillement en essence et en munitions. De plus, à l’instar des équipages de Tanks ou de chars français, ceux des automitrailleuses doivent acquérir des compétences techniques et mécaniques. En France comme en Grande-Bretagne, les garagistes, les ouvriers spécialisés de l’automobile et même les mécaniciens navals sont prisés pour faire tourner les moteurs.
– Les succès locaux remportés par la « Minerva » ne fait pas d’émules que chez les Belges, puisque les Anglais viennent à reprendre l’idée des automitrailleuses. Paradoxe tout britannique, ce n’est pas l’Army (armée de terre) qui développe les Armoured Cars, en raison de l’enlisement des combats. Cependant, les divisions de Cavalerie britannique disposent déjà de mitrailleuses hippomobiles (et parfois même cynomobiles). A la place, c’est la Royal Navy et plus exactement sa branche aéronavale, le Royal Navy Army Service (RNAS), pourtant plus enclin à rechercher les innovations pour ses avions. Mais pour le RNAS, l’emploi d’automitrailleuses répond aux nécessités de défendre les aérodromes en cas de besoin et de récupérer les pilotes qui se seraient écrasés lors de parties de chasses aux Zeppelin. Pour cela, le RNAS obtient que les Royal Marines fournissent les équipages et les chauffeurs, tout en faisant poser des plaques blindées et des mitrailleuses sur des véhicules déjà disponibles par le concours d’un armateur de la région de Dunkerque. A Londres, le Commodore Murray Sueter (Directeur du Département de l’Armement de l’Amirauté) – esprit bouillonnant de la Royal Navy* – trouve l’idée intelligente et obtient que la fabrication de « voitures de combat » (« Fighting cars ») soit lancée sur la base de châssis Rolls-Royce, Talbot et Wolseley. Mais c’est bien le modèle Rolls Royce qui va être retenu, en raison de son châssis « Silver Ghost ». En octobre 1914, l’Admiralty Air Department, avec notamment le Flight Commander T.G. Hetherington, conçoit l’engin qui comprend une structure blindée et une tourelle rotative pouvant abriter une mitrailleuse Vickers à refroidissement par eau. La production de châssis s’arrête en 1917 afin de permettre aux usines Rolls-Royce de pourvoir le RFC en moteurs d’avions. Les trois premiers véhicules particulièrement rapides (72 km/h maximum sur route ; 4,7 tonnes), sont livrés en décembre 1914 au RNAS qui forme 6 Squadrons de 12 véhicules blindés chacun. 1 seul Squadron sera déployé en Europe ; 1 autre sera envoyé en Afrique dans le cadre des combats contre les Colonies allemandes et 2 autres à Gallipoli. On peut noter néanmoins, la contribution de Charles Grosvenor 2nd Duke of Westminster. Promoteur de l’utilisation des automitrailleuses Rolls Royce, il forme son propre Squadron qui participe à la Seconde Bataille d’Ypres. En raison des difficultés rencontrées pour rouler sur en tout-terrain, le RNAS présente en 1915, l’automitrailleuse Lanchester 4×2, doté d’un châssis renforcé, d’un meilleur moteur (6 cylindres), ainsi que des roues arrière adaptées à l’essieu qui permettent une meilleure traction. Armé d’une mitrailleuse Lewis Gun, la Lanchester affiche 80 km/h (théorique) sur route, ce qui en fait sûrement le véhicule de combat le plus rapide de sa génération. Ne trouvant pas vraiment d’utilité sur le Front de l’Ouest, la Lanchester est fournie aux Russes (22 exemplaires) et aux Roumains et sert également au Moyen-Orient contre les Ottomans où elle prouve son utilité. Mais en 1915, les Squadrons d’automitrailleuses du RNAS sont dissous et leurs véhicules sont attribuées à l’Armée de Terre afin d’équiper les Light Armoured Motor Batteries du Machine Gun Corps. Bien entendu, leur emploi est fort limité – sinon quasi nul pendant trois ans – sur le Front de l’Ouest.
– Chez les Français, l’Armée – notamment la Cavalerie – finit par se convaincre de l’utilité des automitrailleuses, dans la logique de l’offensive à outrance et des manœuvres de grand style. Ainsi, comme le relève bien le Colonel Michel Goya, pendant la Bataille des Frontières, le Général Louis Conneau (commandant du Ier Corps de cavalerie de 1914 à 1917) plaide pour la formation d’Escadrons mécanisés qui appuieront les troupes montées (Dragons, Hussards, Cuirassiers, Chasseurs à Cheval) dans des manœuvres offensives (1). Cette combinaison « picotin-pétrole » (comme on dira plus tard) s’inscrit dans une sorte de retour de la cuirasse au sein d’une arme qui a perdu de son poids décisif. Mais cette fois, la cuirasse est montée sur roues et comprend un moteur. Le Commandement et le Gouvernement français décident alors de lancer la production d’automitrailleuses, en passant commandes aux firmes Renault, Peugeot, Archer, Dion-Bouton, Gasnier, Delaunay-Belleville et White TBC. Plusieurs modèles ne seront pas adoptés celui de Dion-Bouton, trop peu maniable**. En revanche, ceux qui finissent par être en dotation vont surtout être utilisés comme armes de DCA mobile. Finalement, c’est le modèle construit par White (45 km/h ; 1 mitrailleuse et 1 canon de 37 mm) qui va être le plus fourni à l’Armée française, soit 205 modèles. Un petit nombre d’automitrailleuses seront envoyés sur le Front d’Orient. La majeure partie reste cantonnée en France, à l’arrière du Front. A l’instar du RNAS, les équipages sont d’abord formés de marins (car spécialisés en mécanique), avant que les commandes ne passent aux mains de cavaliers dont le rôle à cheval est quasi-nul***. Sous l’impulsion de Conneau, 17 groupes d’automitrailleuses sont formés. Certains sont rattachés directement aux Corps d’Armes ou aux Armées mais les 7e, 8e et 9e Divisions de Cavalerie se voient dotées d’1 groupe d’automitrailleuses chacune en 1915, puis de 2 en 1916. On peut noter que le 10e Groupe part servir sur le Front de Roumanie.

– En Russie, certains esprits compétents de l’Armée de Nicolas II saisissent le potentiel des automitrailleuses, d’autant que l’environnement de la Russie, avec ses vastes plaines, se prête à leur déploiement. Ainsi, dès 1914, Aleksei Broussilov milite clairement pour la mécanisation de la Cavalerie impériale, alors que celle-ci fonde encore sa force de frappe et de manœuvre – de plus en plus limitée par la puissance de feu ennemie – sur le cheval (2). Mais l’industrie russe manque de capacité pour pouvoir produire des automitrailleuses* et par conséquent, l’état-major et le Gouvernement impériaux décident de se fournir chez leurs Alliés. Une délégation est alors envoyée en Grande-Bretagne pour tenter de trouver un engin qui réponde à deux critères : un blindage intégral et 2 tourelles. Mais la délégation russe se trouve déçue de sa visite puisque les modèles existants (Rolls Royce) ne répondent pas aux attentes. C’est alors qu’Austin Motor Company décide de répondre à la demande des russes par la conception d’une nouvelle automitrailleuse, connue sous la dénomination Austin 1st Series. Le nouvelle version est conçue à partir du châssis d’une automobile et présente la particularité d’avoir un essieu arrière directionnel. Les roues sont en bois mais enroulés par des pneus en caoutchouc. Le véhicule est protégé par un blindage de 3,5 – 4 mm et surmonté de deux tourelles, chacune armée d’une mitrailleuse Maxim. Enfin, il embarque un équipage de quatre hommes et son coût est de 1 150 Livres de l’époque. Mis sur bateau, 48 Austin 1st Series arrivent en Russie par le Port de Mourmansk. Mais les Russes constatent vite la faible protection de l’engin et décident de le doter d’un blindage de 7 mm. Mais l’engin se révèle encore fragile, si bien que les Russes passent commande de 60 nouvelles Austin 2nd Series le 6 mars 1915. Dotée d’un châssis plus robuste, cette version est moins fragile et une modification de l’habitacle du chauffeur afin d’améliorer l’angle de tir des mitrailleuses. Seul défaut notable, son ouverture par l’arrière moins ergonomique que les portes latérales de la précédente version. Les Russes apportent néanmoins une modification en reculant le poste de conduite. 60 Austin 3rd Series seront également commandées fin août 1916. Mais elles n’arriveront jamais en Russie à cause de la Révolution. Du coup, le Commandement britannique décide d’équiper le 17th (Armored Car) Battalion de ses modèles en le dotant toutefois de mitrailleuses Hotchkiss M1914, alors modèle standard pour les véhicules blindés. Les Austin 3rd Series servent durant la Bataille d’Amiens mais vont trouver un autre rôle, bien moins connu chez nous, dès 1918 : la contre-guérilla en Irlande en équipant notamment l’Army comme les sinistres « Black and Tans ».
– Les Austin vont être également déclinées en version « russifiée » en 1916 avec l’Austin-Poutilov. Ce sont les ateliers Poutilov de Saint-Pétersbourg qui reçoivent la commande de 60 engins. Mais les travaux, qui doivent démarrer en juillet 1917, sont interrompus par la Révolution et ne reprendront qu’en 1918 pour servir dans les rangs Bolcheviks lors de la Guerre Civil. En 1920, les tourelles de l’Austin-Poutilov seront installées sur le semi-chenillé Kégresse, l’Austin-Kégresse, qui marque une progression dans la mécanisation de la jeune Armée Rouge.
– Du côté de la Triplice, les Allemands suivent évidemment le mouvement suite à la désagréable rencontre avec les « Minerva ». Le GQG de Berlin mande alors les firmes Ehrhardt, Daimler et Büssing pour concevoir des prototypes. Mais en 1915, les usines sortent des véhicules massifs et assez peu maniables. Le plus imposant étant celui de Büssing qui se caractérise par un imposant moteur et une large casemate surmontée d’une tourelle à rotation de 360° armée d’une mitrailleuse Maxim. Mais Daimler et Ehrhardt (E-V/4) propose chacun un modèle doté de roues doublées de chaque côté, ce qui permet à leur véhicule respectif de rouler plus facilement en tout-terrain. Après plusieurs modifications improvisées, les trois prototypes sont envoyés à l’Ouest et en Russie mais sans grand effet. Sauf qu’avec le besoin accru de tels engins en Russie, l’OHL et le Gouvernement passent commande de 20 nouveaux engins aux usines Ehrhardt en 1915, du fait que le modèle E-V/4 a présenté les meilleures performances motrices. En outre, s’il n’est pas maniable, au moins a-t-il l’avantage de pouvoir embarquer plusieurs mitrailleuses MG 08 ou MG15nA, ce qui en fait un adversaire redoutable pour des unités de Cavalerie classique de type cosaque… quand bien même il puisse être utilisé comme tel. Du coup, le choix de privilégier la fabrication du modèle d’Ehrhardt, fait une victime : la firme Büssing. En effet, le nouvel A5P qui peut – sur certaines versions – embarquer 2 canons Becker de 20 mm, n’est pas retenu et sa production cesse en 1916. Désigné Panzerkampfwagen Ehrhardt 1917, les nouvelles versions présentent un blindage frontal renforcé et sont engagés en Roumanie dans la Bataille de Marasesti mais remportent des succès limités. En revanche, les E-V/4 vont trouver un emploi beaucoup moins glorieux en 1918-1919 à Berlin et les autres grandes villes du Second Reich défunt. En effet, les automitrailleuses vont se montrer fort utile pour appuyer les Corps francs (Freikorps) dans l’écrasement de la Révolution spartakiste.

3 – UN EMPLOI LIMITE
– En raison de l’enlisement du conflit, les équipages d’automitrailleuses ne sont que très peu employés jusqu’en 1918. D’autant qu’il est particulièrement difficile de faire manœuvrer ce type d’engin dans un terrain criblé de trous d’obus, en raison du manque de sophistication, de performance et de fiabilité des châssis. D’abord cantonné chez les Marins, l’emploi de l’automitrailleuse arrive dans l’Army par le biais des études du Captain George Lindsay (« Scheme for the Machine Gun Training of New Armies »), qui plaide pour la formation d’un Machine Gun Corps, puis surtout d’unités de Motor Machine Guns (MMG), avec des mitrailleuses portées sur roues et moteur. Mais par-là, il faut entendre autant les automitrailleuses que les mitrailleuses montées sur side-cars (qui a représenté une première solution pour déplacer les armes collectives). A mesure que les mitrailleuses Vickers parviennent au compte-goutte dans les rangs britanniques Lindsay plaide ardemment pour leur centralisation. En outre, comme le note Paddy Griffith, notre officier estime dans son essai que la mitrailleuse sera un élément clé dans la création de forces de choc mobiles. Lindsay estime que si en défense une mitrailleuse vaut 100 fusils, elle peut être un élément essentiel pour l’attaque, notamment pour engager des tirs directs contre des points de résistance ennemis. Mais pour réaliser un tel procédé offensif, il déplacer rapidement les mitrailleuses Vickers sur le champ de bataille. Or, en 1915, les Vickers sont trop lourdes pour être déplacées rapidement. Une première solution viendra avec la venue des mitrailleuses Lewis pouvant être portées par un seul homme. Lindsay trouve une première solution en militant pour l’installation de mitrailleuses Vickers sur des motos side-cars. Mais il se trouve très vite en butte à la lenteur dont fait montre le GHQ pour soutenir son projet. Et ce, pour deux raisons majeures : d’une part, le développement des Tanks, puisque les modèles « Females » sont armés de 2 mitrailleuses Hotchkiss et que les unités regroupant les lourds engins à chenilles étaient désignées par « Heavy Branch of the Machine Gun Corps » (« Branche lourde du Corps des mitrailleuses »). D’autre part, le Commandement britannique qui voit dans les idées de Lindsay un reniement de l’emploi de l’Infanterie, l’accusant même de ne vouloir voir que des mitrailleurs dans l’Army. Le Chef en second du General Staff, par exemple, rappelle que « le feu seul ne gagnera jamais de bataille » (3). Le même officier démontrant même que l’Armée Russe est alors capable d’emporter des assauts à la baïonnette sans l’appui de mitrailleuses. Lindsay réfute cette accusation en expliquant qu’il ne souhaite nullement voir l’armée exclusivement composée de mitrailleurs mais que le MGC soit organisé en Battalions et non en compagnies.
– Étonnamment, certaines automitrailleuses vont être employées dans une bataille à objectif limité. Ainsi, pour la préparation de l’attaque sur Vimy, les 38 automitrailleuses de la Motor Machine Gun Brigade du Colonel Raymond Brutinel sont mobilisées aussi pour des missions d’appui-feu. Financée sur les deniers propres de Brutinel et de généreux donateurs, cette unité motorisée formée à Ottawa dès la fin 1914 apparaît quasiment comme une petite armée privée, marque d’un esprit aristocratique britannique qui n’a pas vraiment disparu. Curiosité, la plupart des véhicules ont été fabriqués à l’usine Ardmore en Pennsylvanie. La « Brutinel’s Brigade », comme on la surnomme, est équipée de gros engins cuirassés motorisés armés d’automitrailleuses Colt Model 1914, puis de .303 Vickers (de bien meilleure qualité) et comprend, outre les automitrailleuses, des engins de soutien non armés et même des ambulances. Leur mission pour Vimy est de cracher un tir de barrage sur les premières lignes allemandes (4). Mais comme le fait remarquer l’historien canadien Bill Rawlins, si ses engins sont plus mobiles que les Vickers « au sol », leur emploi comme engin d’appui dans l’attaque est quasi-nul, étant donné les trous d’obus qui ne permettent pas à ces engins peu maniables d’évoluer dans le no man’s land. A tel point que le Brigadier-General Andrew MacNaughton (responsable du tir de contre-batterie anglo-canadien) estime que l’usage des automitrailleuses de Brutinel relève davantage de la « fantaisie » (5).
– Quoi qu’il en soit, sur le Front de l’Ouest, les automitrailleuses ne vont donc avoir qu’un rôle limité et assez peu seront déployées, surtout durant l’Offensive des Cent Jours. En 1915, des side-cars spécialement armés de Vickers sont déjà largement déployés en appui des unités cyclistes ou montées, dans l’idée d’exploitation de percées. Chaque corps d’armée dispose alors directement de réserves mobiles de ce type mais ne trouvent que peu d’utilité en raison de l’enlisement du conflit. Par conséquent, nombre d’équipes de mitrailleurs quittent leurs selles et leurs guidons pour les tranchées ou les avions du RFC. Par conséquent, il faut attendre 1918 pour voir les batteries d’automitrailleuses se révéler efficaces, comme en mars 1918 quand les No 4 et No. 6 Batteries apportent une assistance notable à la 17th Division à Hermies et Beaumetz (Picardie). Elles s’avèrent encore utiles dans une opération secondaire à l’est d’Ypres, notamment en neutralisant des nids de mitrailleuses. Mais on en vient à la conclusion qu’elles auraient pu être mieux utilisées. Finalement chez les Britanniques, la frontière entre Tanks et Armoured Cars va reculer avec l’apparition du Medium Mark A « Whippet » (« Lévrier »), un char de 14 tonnes, pointant à 13,3 km/h (une performance pour l’époque) et embarquant 4 mitrailleuses Hotchkiss. Plus agile que les lourds Mk IV et V, le « Whippet » est idéal dans les opérations tactiques d’exploitation de percée. Il se montrera particulièrement efficace lors des batailles de Villers-Bretonneux et d’Amiens (1918).
– En revanche, dès 1915, automitrailleuses Rolls Royce, Lanchester et Austin trouvent un emploi à hauteur de ce que l’on attend d’elles au Moyen-Orient mais aussi en Russie. Si le Duc de Westminster corrige les Sénoussis révoltés en Cyrénaïque (6) à la tête de son Squadron, les Rolls Royce appuient efficacement les Bédouins du Roi Hussein contre les Turcs. Lawrence d’Arabie dit même que ces engins « sont bien plus précieux que des rubis ». Plus autonomes que le train, les automitrailleuses britanniques côtoient les cimeterres et carabines Martini-Henry des insurgés du Hedjaz contre les convois ferroviaires et postes isolés ottomans. Durant les années 1917 et 1918, les Squadrons d’automitrailleuses britanniques impriment la marque de la supériorité technique sur des Ottomans trop peu mécanisés. Lors de la campagne de Frederick-Stanley Maude, elles permettent de sécuriser des rives du Tigre et de l’Euphrate lors de la conquête de Bagdad (7). Enfin, sur le front russe et en Roumanie, les modèles allemands et autrichiens vont croiser et affronter leurs adversaires français, belges et britanniques dans des actions de reconnaissance et des raids de harcèlement. On notera que le Corps Expéditionnaire des Autos-Canons-Mitrailleuses Belges en Russie – dont l’étonnante épopée a été décrite par le Lt.Col. Rémy Porte (8) – se distinguera notamment durant l’Offensive Broussilov de l’été 1916.

– Restées au stade expérimental avant le déclenchement de la Grande Guerre, les automitrailleuses ont vu leur développement s’accroître au fur et à mesure des besoins. Si leur rôle tactique fut en somme toute limité, elles n’en ont pas moins constitué une marque évolutive de l’industrialisation et la mécanisation de la Guerre.
*C’est lui qui, souvenons-nous, a milité pour le développement des bombardiers et l’idée d’attaquer des navires allemands à l’aide de torpilles, mais par les airs.
** Surnommé le « Blockhaus roulant ».
*** Même si lors de la Seconde Bataille de Champagne (26 septembre 1915), le IIe Corps de Cavalerie (Antoine de Mitry) lancera une charge aussi courageuse qu’inutile contre le secteur de l’Epine de Védégrange et du Bois de la Raquette.
**** Même s’ils développent de curieux projets de chars, tels les prototypes Vezdekhod et Lebendko.
(1) GOYA Col. M. : « L’invention de la guerre moderne : du pantalon rouge au char d’assaut, 1871-1918 », Taillandier, 2014
(2) LOPEZ J. & McLASHA Y. : « Alexeï Broussilov, des Blancs aux Rouges », in Guerres & Histoire, n° 30, avril 2016
(3) GRIFFITH P. : « Battle Tactics on the Western Front. The British Army’s Art of Attack. 1916-1918 », Yale University Press, Londres, 1994
(4) TURNER Col. A. : « Vimy Ridge 1917. Byng’s Canadians Triumph », Osprey Publishing, Londres
(5) RAWLING B. : « Survivre aux tranchées. L’Armée Canadienne et la technologie. 1914-1918 », Athéna, Toronto.
(6) Voir cet article : https://acierettranchees.wordpress.com/2017/02/18/1915-1917-campagne-britannique-contre-les-senoussis-libye-egypte/
(7) ULRICHSEN Kr.C. : « The First World War in the Middle East », Hurst & Company Publishing, Londres, 2014
(8) PORTE Lt.Col. R. : « Les secrets de la Grande Guerre », Librairie Vuibert, 2012