Passchendaele (Troisième bataille d’Ypres) : l’impasse de boue – 4

– Faisons d’abord un retour en arrière. Comme ont pu le soulever plusieurs historiens britanniques (Tim Travers, Brian Prior et Trevor Wilson), il semble que Haig ne se soit pas montré clair dans ses ordres en insistant sur la prise de Gheluveld sans pour autant indiquer quoi faire par la suite. Faut-il consolider ou bien percer ?

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4 – L’ENTRÉE DANS L’ENFER DE BOUE

– Quant à Gough, si comme ses collègues il a parfaitement conscience de l’importance de la prise du Plateau de Gheluveld, il espère encore effectuer une percée qui conduirait à marcher vers la Côte Flamande. Or, Haig ne lui en a pas véritablement donné l’ordre, ce qui rejoint l’idée de Dennis Winter (historien défavorable au Maréchal) selon laquelle Haig manque clairement de leadership sur ses subordonnés auxquels il confie les opérations sans pour autant leur donner d’ordres clairs (1).  Contre l’idée souvent répandue que Haig aurait été un véritable autocrate à la tête du BEF, Travers explique qu’au contraire, Haig fonctionne beaucoup que par délégation d’ordre, créant un véritable vide entre les instances du BEF. Dans « The Killing Ground » rédigé en 1987, l’historien Tim Travers écrit que Hubert Gough pense que Haig lui a ordonné de planifier offensive de percée. Mais Haig, aurait pour une fois changé d’avis et opté pour une offensive étape par étape. Par conséquent, selon Travers, il était illogique de confier le commandement de ce type d’offensive à un « fonceur » comme Gough, alors que Herbert Plumer avait gagné une nette réputation de général minutieux.

– Haig semble avoir souligné l’importance du Plateau de Gheluveld, particulièrement lors de la réunion du 28 juin. Le 30 juin, Haig écrit « Capturer la Crête de Passchendaele – Staden » sur sa copie du plan de la Fifth Army. L’importance du plateau est aussi contenue dans les ordres du GHQ du 5 juillet comme dans les ordres de la Fifth Army du 8 juillet. Mais Travers écrit que la Fifht Army qu’elle se retrouve face à un obstacle structurel puisque la limite sud du Plateau de Gheluveld se trouve à l’intérieur du dispositif de la Second Army. Travers conclut que Haig et le GHQ ont choisi la date, la stratégie et la direction de la campagne, alors que Gough définit la tactique à suivre. Par conséquent, lorsque le Lieutenant-General Rudolph Lambart Earl of Cavan  patron du XIV Corps – propose à Gough de mettre tout le poids  de l’assaut sur Gheluveld sur ses divisions, le commandant de la Fifth refuse. Or l’idée de Lambart est à ce moment plus cohérente, car en juin, le Plateau de Gheluveld se trouve à la charnière des dispositifs de Gough et Plumer. L’idée la plus logique est d’allonger le flanc droit (sud) de la Fifth Army pour y intégrer le plateau. Finalement, après délibérations, Haig incite Gough à confier l’assaut de Gheluveld au II Corps de Claud Jacobs qui disposera de 5 divisions, tandis que le front de la Fifth Army est allongé pour prendre possession de la route Klein Zillebeke – Zandvoorde.
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– Le 31 juillet à 03h50
, 2 866 canons et obusiers de trois armées alliées (Fifth et Second Armies britanniques et Ire Armée française) déclenchent un violent tir de barrage et de suppression contre les positions de la IV. Armee allemande (Friedrich Sixt von Arnim) dans le secteur de Passchendaele, afin de déverrouiller le Saillant d’Ypres. La Fifth Army (Hubert Gough) est chargée de l’assaut principal avec pour objectifs le Plateau de Gheluveld et la Crête de Pilckem. Pour cela, elle dispose de  752 canons lourds (60-pdr, 4.5in, 6in, 8in et 9.2) et 1 442 canons de campagne (18-pdr, 4.5 in et 60 pdr) et de 168 Tanks Mk IV et V (120 pour l’assaut et 48 en réserve). Engageant 5 corps (II, IX, XIV, XVIII et XIX), Hubert Gough met tout l’effort principal sur le II Corps de Claud Jacobs (5 divisions contre 2-3 aux quatre autres) qui, placé sur son flanc droit (sud), doit s’emparer du Plateau de Gheluveld. L’attaque de la Fifth Army est appuyée au nord (Canal de l’Yser) par la Ire Armée française (François Anthoine, avec 540 pièces d’artillerie dont 300 canons et obusiers lourds) et au sud (Gheluveld – Messines – Commines) par le Second Army (Herbert Plumer, avec 112 pièces lourdes et 210 de campagne).

– Les Britanniques espèrent ainsi rééditer le succès de la tactique de la bataille de Messines, soit prendre le Plateau de Gheluveld et Pilckhem (« Albericht-Stellung » et « Wilhelm-Stellung » pour les Allemands), qui devront être vite consolidés avec mortiers et mitrailleuses lourdes, afin d’inciter les Allemands à contre-attaquer et épuiser leurs troupes en assauts. Mais cette fois, les Allemands ne donnent pas dans le panneau. En effet, le rusé et compétent Oberst Friedrich von Lossberg, chef d’état-major de la IV. Armee devenu le grand spécialiste allemand de la poliorcétique des tranchées a décidé d’épuiser les troupes du Commonwealth en leur imposant une bataille de profondeur avec des combats pour réduire des points fortifiés et des casemates.

– Alors que l’artillerie lourde quadrille la profondeur du dispositif allemand, les canons de 18-pdr déclenchent le tir de barrage sur les positions allemandes. Les Tommys s’élancent derrière les rideaux de feu (lifts), en sections lourdement armées. Rappelons que les fantassins britanniques sont fortement entraînés à l’assaut de point fortifiés et disposent d’un armement collectif conséquent (mitrailleuses légères Lewis, grenades et fusils lance-grenade). Mais il pleut, le terrain est détrempé, puis un épais brouillard se met de la partie. Dans le secteur de la Second Army (Plumer), le II ANZAC (Alexander Godley) avec la New-Zealand Division (A. Russell) et la 3rd Australian Division (J. Monash) neutralisent les postes avancés allemands à l’ouest de la Lys et s’emparent de La Basseville, avant de nettoyer les points fortifiés de la ligne Warneton – Gapaard. Plus au nord, le IX Corps (G. Hamilton-Gordon), avec les 39th (G. Cuthbert), 37th (H. Bruce-Williams) et 19th (T. Bridges) Divisions, attaque à l’ouest de la Ligne d’Oosttaverne, réussit à prendre plusieurs points fortifiés mais ne peut avancer plus loin en raison de la réplique de l’Artillerie allemande depuis Zandvoorde.

– Au sud, le X Corps (Thomas Morland), attaque sur le Canal de Commines, au sud de Klein Zillebeke avec pour objectif Hollebeke et le « Battle Wood ». Sa 41st Division (S. Barlow Lawford) réussit à nettoyer plusieurs points fortifiés et faire taire des nids de mitrailleuses avant de consolider ses positions. Plusieurs contre-attaques de petits groupes d’Allemands sont facilement repoussées grâces aux mitrailleuses Vickers. 500-600 m ont été conquises.

– Du côté de la Fifth Army, l’attaque démarre quasi-simultanément et selon les mêmes procédés. Le II Corps (Jacobs) attaque le Plateau de Gelluveld avec ses 24th (L. Bols), 30th (W. Williams), 8th (W. Heneker) Divisions (2 autres étant encore en réserve) et avec la 53rd Brigade (18th Division). Si plusieurs objectifs tombent (« Stirling Castle Ridge », « Sanctuary Wood » et « Château Wood »), l’attaque déjà rendue difficile en raison du terrain labouré et trempé est vite ralentie par la résistance allemande qui fait parler l’artillerie et les mitrailleuses. Ainsi, plusieurs objectifs initiaux comme Westhoek, « Glencorse Wood » et « Bodmin Copse » sont inatteignables.

– A la gauche du II Corps, le XIX Corps (Herbert Watts) attaque entre la Crête de Frezenberg et la Vallée de Steenbeek et le long de la voie ferrée Ypres – Roulers (au nord de Saint-Julien), avec les 15th (Scottish) Division (H. Reed) et 55th (West Lancashire) Division (H. Jeudwine). Les débuts de l’assaut se passent bien quand les Tommys balaient la défense allemande. Mais celle-ci se fait beaucoup plus dure devant Gravenstafel. Néanmoins, « Bank Farm » et « Border House » sont prises et consolidées.
En dépit d’un feu nourri allemand (notamment le long de la voie ferrée), la 55th Division parvient à prendre la Cote 35 et à franchir la Wilhelm-Stellung, tandis que des patrouilles réussissent à accrocher « Aviatik Farm » près de la route Zonnebeek – Langemarck. Les hommes de Watts sont abattu environ 3,7 km, une performance. De plus, à gauche du XIX Corps, le XVIII (Ivor Maxse) qui doit avancer sur Steenbeke avec l’appui de Tanks doit patauger dans la boue mais avance et atteint ses premiers objectifs. Les Highlanders de la 51st Division (G. Harper) réussissent à couvrir 2,7 km et à s’installer fortement sur une ligne Pilckem – Langermarck. Et les Tanks se sont avérés utiles en réduisant des points fortifiés.

– Tout au nord du dispositif britannique, le XIV Corps (Rudolph Lambart) qui fait la charnière avec l’aile droite de la Ire Armée française, attaque entre Steenbeke et la voie ferrée Ypres – Roulers. La Guards Division (G.P. Feilding) et la 38th (Welsh) Division (C. Blackader) sont mise à la peine et remportent un succès notable en avançant facilement (2,7 – 3,2 km) face à une résistance allemande légère, d’autant que les premières lignes ennemies ont été dégarnies plusieurs jours auparavant. Plusieurs points fortifiés sont également réduits à l’aide de chars.

– Enfin, le Ier Corps d’Armée français (Lacapalle) avance bien avec les 1re et 51e DI, derrière le barrage tiré par les pièces de 75 mm et 155 mm, ainsi que par des canons plus lourds. A l’Heure-H, les « Poilus » passent le Canal d’Ypres sur les 39 ponts et passerelles jetés par le Génie. L’objectif est de prendre Bixschoote. Le Cabaret Korteker tombe aux mains des français mais la résistance allemande se durcit, notamment grâce l’intervention de la 2. Gardes-Reserve-Division (A. von Petersdorff) qui se poste dans la Forêt de Houthulst. Du coup, malgré les efforts français, Bixschoote reste hors de portée pour la journée du 31 juillet.

– La bataille de Passchendaele vient de commencer. Comme pour la Somme, elle va durer jusqu’en novembre dans un paysage rendu particulièrement horrible (et difficile) par les trous d’obus, les bois déchiquetés et surtout, la boue. Si la Somme a marqué une ordalie initiatique pour une Armée britannique qui découvre la Guerre de masse, Passchendaele – avec son enfer de boue – sera le symbole de toutes les souffrances des soldats de l’Empire britannique. Souffrances qui seront retranscrites par la plume de témoins et d’écrivains britannique (bien souvent, les deux en même temps), comme le dit l’historien canadien Bill Rawling (2).
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(1) WINTER D. : « Haig’s Command », Penguin Classic Miltary History
(2) RAWLING B. : « Survivre aux tranchées. L’armée canadienne et la technologie », éd. Athéna, Coll. Histoire Militaire, University of Toronto Press, Toronto, 2004

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