– Si en 1914, l’Armée de Sa Majesté est petite, son infanterie est plus robuste qu’on ne le pense. En effet, à l’instar des Allemands et à la différence de l’allié français, l’Armée Britannique a bien intégré l’emploi des mitrailleuses dans ses rangs, notamment durant les guerres coloniales en Afrique. Ayant fait l’acquisition d’exemplaires Maxim aux Etats-Unis, les Britanniques en déploient – montées sur affûts à roues – à Omdourman et en Afrique du Sud durant la Guerre des Boers. Sauf que face à une guérilla, l’affût sur roues se révèle peu mobile sur un terrain accidenté et peu discret, problème résolu par l’adoption d’un trépied.
1 – UNE MAXIM PERFECTIONNÉE
– La situation en Europe laisse présager l’éventualité d’un conflit d’importance. Et En 1912 apparaît une version considérablement améliorée de la Maxim. Difficile en de telles circonstances de ne pas « muscler » davantage la petite armée de métier avec des armes collectives équivalent à 40 fusiliers bien entraînés au tir de mousqueterie*. Les modèles antérieurs ont été progressivement allégés par l’utilisation de meilleurs métaux mais celui adopté en novembre 1912, est pourvu d’une modification de la culasse mobile, ce qui augmente notablement les propriétés mécaniques de l’arme. Malheureusement, personne au sein du Gouvernement anglais ne veut accepter l’abandon immédiat des anciennes armes en faveur de ce nouveau modèle, connu pour la première fois sous le nom de Vickers .303 (du nom de la firme qui vient de la proposer), ce qui a pour effet que le BEF engagé en France ne dispose encore que de 237 exemplaires du modèle d’avant 1912. Mais au vu des qualités balistiques de la nouvelle arme – en fait une copie perfectionnée des Maxim – le War Ministry et l’Amunition Ministry décident de passer commande d’importantes quantité d’armes à Vickers qui va en sortir jusqu’à 200 par mois, pour vite devenir la principale, sinon l’unique mitrailleuse lourde de l’Armée britannique en 1916.
– Longue de 1,09 m elle est, sans son trépied, relativement « légère » accusant 14,9 kg et donc portable par un seul homme. En revanche, avec l’ajout du trépied, le poids atteint facilement 40 kg. Elle peut tirer 500 coups/minute pour une vitesse initiale de 744 m/s, avec des cartouches de .303in (soit 7,7 mm). La précision est améliorée par l’ajout d’un viseur gradué plus perfectionné, puis en 1917 par une petite lunette de visée. Sauf – et le cas se rencontre sur toutes les mitrailleuses lourdes de l’époque – pour maintenir une relative précision au combat, mieux vaut tirer en rafales courtes.
– Les Vickers se comportent parfaitement et, associées à l’impressionnante habilité au fusil des Tommys, elles infligent de lourdes pertes aux Allemands avant de les arrêter finalement sur la Marne, en préliminaire à quatre années d’opérations statiques. Du point de vue mécanique, la Vickers est semblable à l’ancienne Maxim, l’énergie nécessaire étant produite par le recul, aidé en cela par un renforceur de recul fixé à la bouche de l’arme. La culasse mobile est rejetée vers l’arrière et prélève une cartouche de la bande en tendant un ressort situé dans une boîte allongée sur le côté gauche de l’arme. Le ressort ramène ensuite la culasse mobile vers l’avant et le cycle se répète.
La pièce possède une remarquable capacité de tir prolongé malgré les évidents problèmes d’usure. Un canon ne peut servir que pour dix mille coups environ, à la cadence de 200 coups/minute, après quoi les rayures usées cessent d’assurer le mouvement de rotation des balles autour de leur axe et la prévision se perd rapidement. Néanmoins, le canon se change facilement et pour autant qu’on en dispose de rechange, cela n’entraîne pas de problèmes sérieux. Ainsi, on raconte que durant la Bataille de la Somme, des mitrailleurs britanniques de la 100th MG Coy ont craché 1 million de balles presque sans discontinuer et sans incident, en changeant 100 fois de canons (Ian V. Hogg). D’autre part, alors que les premiers modèles de Maxim alors en dotation utilisent un système de tir à crosse et à détente, la Vickers .303 utilise une double poignée et une détente actionnée par les pouces. Enfin, compte-tenu de son poids, la mitrailleuse nécessite quatre servants : 2 pour porter l’arme et le trépied (dont le tireur) et 2 pourvoyeurs. Pour faciliter le transport, un second trépied est octroyé aux servants (voire photo ci-dessus). Plus petit et plus léger, il est fixé au canon par un anneau de métal.
– L’arme est évidemment refroidie par eau à l’aide d’un manchon d’une contenance d’environ quatre litres. Cette eau commence à bouillir après un tir prolongé de 3 000 coups, à la cadence de 200 coups/minute et s’évapore de façon constante au rythme d’un demi-litre à un litre pour 1 000 coups suivant la cadence de tir et les circonstances atmosphériques du moment. La pièce est munie d’un tube de condensation conduisant à un bidon d’environ cinq litres. Pourvu qu’on eût mis un fond d’eau dans le bidon et que la vapeur le traverse, on peut récupérer une quantité considérable d’eau et l’employer à nouveau, facteur important dans le désert. Au cours des deux guerres, on voit ainsi des servants tirer quelques bandes afin d’obtenir de l’eau pour leur thé, procédé très efficace, sinon officiel. Il y avait plusieurs modèles de Vickers, pas très différents les uns des autres. Certains ont des manchons à eau cannelés et d’autres lisses, mais cette particularité ne change pas grand-chose au fonctionnement et aux qualités de l’arme.
– Enfin, en 1913, après plusieurs essais effectués par l’US Army Board, la Vickers est retenue car jugée excellente. Une commande de 4 000 exemplaires est passée mais la fabrication se montre si lente, qu’à la fin de la guerre, 12 000 pièces seulement ont été fabriquées. Connues sous le nom US Machine Gun Model 15, au calibre de 7,61 mm (le même que le Fusil Springfield), peu d’entre elles verront le feu. Elles seront vite remplacées par la Browning 1917.
2 – ARME D’APPUI, DE BARRAGE, DE MOUVEMENT ET DE CONSOLIDATION
– La Vickers équipe l’Infanterie, les escadrons de mitrailleurs des divisions de Cavalerie, ainsi que le jeune Motor Machine Gun Corps (et les unités motorisées de la Royal Navy**), qui se déplace avec des side-cars et des automitrailleuses Rolls-Royce. En effet, elle peut être logée dans une casemate fixe ou une tourelle amovible, ce qui rendra de sérieux services dans les opérations de raids et de poursuite au Moyen-Orient et en Iraq. Et bien entendu, outre la France et la Belgique, on la retrouve sur le Front d’Orient, dans les Balkans et en Italie. D’autre part, la Royal Navy l’adopte également mais surtout le tout nouveau Royal Flying Corps (qui devient la Royal Air Force en 1918), suivi par son homologue Français. Équipant d’abord les appareils Vickers E.F.B.1 avant la guerre, deux mitrailleuses Vickers jumelles sont en dotation sur les Sopwith Camel et Spad XIII, grâce à un système de synchronisation de tir à travers l’hélice. Seulement, le système de refroidissement peut rencontrer des problèmes en raison de la baisse de la température extérieure en altitude et des courants d’air. Ce qui fait que beaucoup de pilotes de chasse préfèrent la Lewis Gun au mode de refroidissement plus simple qui ne nécessite par d’eau.
– Avec l’enlisement du conflit et l’accroissement des effectifs de l’Army causé par l’afflux des volontaires, les généraux britanniques se rendent vite compte qu’ils n’ont pas de mitrailleurs qualifiés. Un école spécialisée (Machine Gun School) est établie à Wisques, dans le Nord de la France et confiée au Major Baker-Carr, tandis qu’un autre centre d’entraînement est établi pour les nouvelles recrues à Grantham.
En 1915, les Vickers équipent d’abord 1 Compagnie par Brigade, par ponction sur les Bataillons déjà existants. Puis la même année, chaque compagnie de Vickers est transférée au nouveau Royal Machine Gun Corps, avant d’être répartie au sein d’une division dont elle dépend directement. Celui-ci abandonne d’ailleurs ces Maxim obsolète pour la nouvelle arme qui devient très vite appréciée.
– Dès 1915, la Vickers trouve vite à être employée dans des phases offensives. Cela n’est guère étonnant sur le Front de l’Ouest, puisque – comme son homologue française – l’Armée britannique est dans une logique offensive et non défensive, à l’inverse de la Kaisersheer qui emploie ses Maxim MG 08 à merveille pour cette tâche. Du coup, la Vickers devient un élément complémentaire à l’artillerie. En effet, les mitrailleurs britanniques sont chargés d’effectuer des tirs de barrages directs et indirects sur les positions avancées et les premières tranchées allemandes. Il en va de même à Gallipoli contre les Ottomans, mais l’inexpérience des tireurs britanniques, australiens et néo-zélandais rend les tirs inefficaces (1). Néanmoins, la discipline s’améliore dès 1916, d’autant que les officiers de Sa Majesté comprennent l’efficacité de la concentration du feu et l’usage de tirs de barrages coordonnés qui gagnent en efficacité en 1917. C’est ainsi que du 1er au 6 juin 1917, lors de la phase préparatoire de l’assaut contre la Crête de Messines, les mitrailleurs de la New Zealand Division d’Alexander Godley (chargée de l’attaque au sud) crachent jusqu’à 80 000 balles par jour contre la première tranchée de la 3. Königlich-Bayerische-Division (2). Autre exemple souligné par Paddy Griffith ; lors de la Bataille du Hamel le 4 juillet 1918 (Picardie), le Lieutenant-General John Monash, énergique et novateur commandant de l’Australian Corps, ordonne de concentrer 46 Vickers contre le bois du Hamel pour préparer et soutenir l’assaut de l’infanterie. Et l’initiative contribue au succès total des australiens (3).
– Mais chez les Britanniques, l’emploi des mitrailleuses va donner lieu à une spécialisation dans les tâches. En effet, dès juillet 1915, l’arrivée de la Lewis Gun qui peut être portée par un seul homme, accroit la puissance de feu des compagnies d’infanterie. Or, la Vickers, trop lourde pour être utilisée en première vague, va être employée pour les phases de consolidation (mopping up), notamment dans les offensives à objectifs limités et séquencées en plusieurs phases d’assaut. C’est à dire que dès que les premières vagues conquièrent un secteur, la seconde vient tenir le secteur contrôlé en vue de repousser les contre-attaques allemandes. Et dans ce procédé, les Vickers ont un rôle important puisqu’elles servent à repousser l’infanterie allemande qui applique la fameuse défense élastique à partir de la bataille de la Somme. S’il connaît une phase initiatrice en 1916, le procédé fonctionne très bien lors de l’attaque de la Crête de Vimy et sur la Crête de Messines. Durant ses deux batailles, les servants de Vickers (Britanniques, Canadiens, Australiens et Néo-Zélandais) accueillent les assauts allemands – mal coordonnés – par un tir de barrage particulièrement efficace (4).
– Robuste, fiable et polyvalente, la Vickers se voit promettre à un bel avenir. LArmée britannique l’emploiera à grande échelle durant le Second Conflit mondial de la France à la Birmanie. Elle sera même utilisée en Corée et dans des conflits coloniaux.

* Les Britanniques, qui s’appuient énormément sur leur infanterie ont – de par leur expérience des petites guerres coloniales – une excellente discipline de tir pour les batailles de mouvement. Les Allemands s’en apercevront à Mons en août 1914.
** Formées en 1914 pour protéger les aérodromes de Belgique, elles sont parmi les premières à utiliser les automitrailleuses.
(1) HART Peter : « Gallipoli », Profile Books
(2) TURNER A. : Messines Ridge 1917. The Zenith of Siege Warfare », Osprey Publishing
(3) GRIFFITH Paddy : « Battle Tactics of the Western Front. The British Army’s Art of Attack 19161-1918», Yale University Press, New Haven, London
(4) TURNER A., Op. Cit.