Rêveries mexicaines de la diplomatie allemande : le Télégramme Zimmermann

– Alors que la Grande Guerre déchire le Vieux Continent, le Mexique donne une image presque identique à celle véhiculée par les Westerns italiens des années 1960-1970, avec ses coups d’états, ses révoltes marquées par de violents affrontements entre peones en armes et Federales. Mais le pays devient – quasiment malgré lui – l’acteur de la scène stratégique de la Première Guerre mondiale, avec comme protagonistes la diplomatie allemande, le renseignement britannique et les Etats-Unis.

 

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Arthur Zimmermann

– En 1917, la vie politique du Mexique – façonnée par la violence – connaît une relative stabilité depuis l’arrivée aux affaires du Président Visturiano Carranza. Mais le pays sort à peine de la dure présidence de Vittoriano Huerta (personnage brutal et amateur de marijuana), auteur de la « Décade tragique » du 19 février 1913, c’est-à-dire un coup d’état sanglant à l’issue duquel le Président d’alors Francisco Madero et le vice-président José Pino Suarez trouvent la mort. C’est notamment sous Huerta qu’a lieu la première confrontation indirecte entre Washington et Berlin. En effet, le nouveau Président américain Woodrow Wilson ne reconnaît pas Huerta et soutient les Constitutionnalistes. La tension monte des deux côtés du Rio Grande et Huerta – qui ne souffre plus les pressions américaines l’enjoignant à laisser le pouvoir – fait arrêter un groupe de marins américains à Tampico. Or, les Allemands soutiennent Huerta et ont envoyé un navire marchand chargé d’armes, l’ « Ypiranga » devant Vera Cruz. Prenant prétexte de libérer ses marins, Wilson fait donner l’US Navy et les Marines qui occupent Vera Cruz. Mais de violents combats ont lieu autour du navire allemand âprement défendu. Les Américains maintiennent leur présence armée à Vera Cruz durant sept mois et forcent Huerta à s’exiler. Carranza arrive alors au pouvoir mais après une accalmie dans les relations, la tension remonte, notamment à cause de l’exploitation du pétrole et des minerais, que le Président Mexicain ne veut pas laisser au seul monopole de compagnies américaines.

– Arrive sur la scène Pancho Villa, le célèbre aventurier guérillero qui sévit au nord du Mexique dans l’Etat du Sonora. Après avoir contribué à faire tomber Huerta, Pancho Villa s’est brouillé avec Carranza et a été battu par Alvaro Obregon pour être contraint de se réfugier près du Rio Grande. Mais le grand fleuve, qui marque la frontière americano-mexicaine depuis 1847 est depuis longtemps une véritable passoire, assez peu surveillée par la petite armée américaine. Néanmoins, Washington envoie des renforts et du matériel au Général Plutarco Calles (qui se rendra célèbre par ses persécutions anticatholiques qui entraîneront l’insurrection des Cristeros) qui tient la place d’Agua Pietra sur le Rio Grande. Les troupes de Villa portent le fer sur le territoire américain et un parti de 400 rebelles menés par Ramon Branda mènent un raid sanglant contre la ville de Columbus (Arizona) au Nouveau-Mexique. Wilson réagit et ordonne au Général John Pershing de mener un corps expéditionnaire au-sud du nouveau Mexique pour en finir avec Pancho Villa. Les Allemands font aussi leur apparition dans l’affaire car Guillaume II est soupçonné d’avoir promis 800 000 Reichsmark à Villa pour qu’il crée des troupes aux Etats-Unis.
Carranza ne bouge pas – malgré une intrusion sur le territoire national – trop content de laisser l’US Army de régler la question mais il commet une erreur car il permet à Pancho Villa de s’ériger en défenseur du Mexique. Du coup, privé de tout soutien local, l’expédition américaine de Pershing, menée avec 5 000 hommes (dont les futurs Généraux Mathew B. Ridgway et George S. Patton, alors jeunes officiers) et en grande partie par des mouvements de poursuite à cheval, ne met pas fin à la guérilla de Villa qui sera assassiné en 1923.

– On l’a compris. Les relations entre le Mexique et les Etats-Unis se caractérisent par des tensions et des interventions armées américaines, conformément à la théorie du « gros bâton » (1). Mais voilà que Wilson a un autre gros chat à fouetter. En effet, le 9 janvier 1917, l’Allemagne se lance dans « la guerre sous-marine à outrance » pour asphyxier le commerce britannique et contraindre Londres à négocier une sortie rapide du conflit. Calcul hasardeux car les stratèges allemands (Hindenburg, Ludendorff et l’Admiral Henning von Holtzendorff en tête) sous-estiment la réaction américaine. Or, les Etats-Unis se devenus les créditeurs et les fournisseurs de la France et de la Grande-Bretagne en denrées alimentaires, frumentaires et industriels. Ainsi lancés à la chasse aux navires commerçants, les U-Boote deviennent un danger pour plusieurs pans de l’économique de la jeune nation (agriculture, industrie, banques…). Mais Wilson sait que son opinion reste en majorité isolationniste et n’est pas prête à voir le pays entrer en guerre pour des causes qui lui échappent complètement (2). Si la France n’a pas mauvaise presse chez les Américains, en revanche l’autocratie russe ne remporte guère d’opinions favorables. Wilson sait néanmoins que son pays sera contraint d’entrer en guerre s’il veut assurer sa liberté commerciale. Mais il faudrait un électrochoc dans l’opinion pour faire accepter l’idée de la participation à un conflit loin du territoire national.

– Mais la solution vient des Allemands eux-mêmes et des Britanniques. A Berlin, l’état-major estime tout de même qu’il faut tenir les Etats-Unis loin du conflit en Europe afin de permettre aux sous-marins d’accomplir leur besogne d’ordre stratégique. Du coup, le 16 janvier, en passant par des câbles électriques en Suède et en Amérique du Sud, le Ministre des Affaires étrangères de Guillaume II, Arthur Zimmermann, fait parvenir un télégramme codé à l’ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis, Bernstoff, comme à son homologue à Mexico, Heinrich von Eckardt. Le fameux télégramme explique que l’Allemagne doit soutenir financièrement le Mexique contre les Etats-Unis dans une potentielle reconquête de territoires situés au nord du Rio Grande revendiqués par Mexico (Nouveau-Mexique, Arizona, une partie du Texas). C’est à ce moment qu’arrivent les Britanniques dans la pièce.  Le navire « Alert » intercepte le télégramme alors qu’il surveille les communications allemandes à destination de pays neutres, notamment les Etats-Unis et l’Espagne. Rappelons que grâce à la prise d’un câble sous-marin par les Russes en 1914, le « Room 40 » est au courant d’une grande partie des communications venant de Berlin. Sous la conduite du Reverend William Montgomery (théologien dans le civil) et de Nigel de Grey, le télégramme est déchiffré une première fois. Un premier déchiffrage informe les Britanniques d’une manœuvre diplomatique allemande contre les Etats-Unis, même si le « Room 40 » admet de probables erreurs de déchiffrage.

– S’ils bondissent presque de joie, les Britanniques se heurtent vite à trois problèmes. D’une part, en transmettant rapidement le télégramme à Wilson, les Allemands comprendront que leurs codes sont faillibles et ils feront en sorte d’utiliser un nouveau chiffrage plus fiable. Deuxièmement, une telle révélation indiquerait que les Anglais espionnent impunément les communications de pays neutres, ce qui risque de jouer à leur désavantage. Troisièmement, les Anglais ne veulent pas forcer la main à Washington et il n’est pas sûr que le Congrès approuve ce qui apparaîtrait comme un manœuvre incitative. En accord avec le War Office et le Cabinet de Lloyd-George, l’Amirauté décide de « taire » la nouvelle avant de trouver une solution. Celle-ci arrive grâce au Captain Hall, commandant du Naval Intelligence (Renseignement naval). Hall décide de s’appuyer sur les Allemands eux-mêmes, tout simplement en chargeant un de leurs espions aux Etats-Unis d’intercepter le télégramme transmis de l’ambassade d’Allemagne à Washington à celle de Mexico. En effet, les Allemands en rédigeront forcément une copie. Et coup de chance, ladite copie est moins bien chiffrée et le « Room 40 » effectue prestement un déchiffrage qui confirme les soupçons de manœuvre entre Berlin et Mexico.

– L’Amirauté transmet la « copie » à Sir Arthur Balfour, alors Foreign Secretary qui le transmet à l’Ambassadeur américain en Grande-Bretagne, Walter Hines Page le 23 février. Page relaie immédiatement le télégramme au State Secretary Robert Lansing qui le remet à Wilson. Le 1er mars, le Télégramme Zimmermann est publié dans la presse américaine, via la Maison Blanche. La nouvelle crée un choc dans l’opinion américaine pour qui l’Allemagne devient une sérieuse menace. Pour Wilson, une première bataille est gagnée.


(1) Découlant de la Doctrine Monroe, elle est illustrée par Theodore Roosevelt lors de la Guerre Américano-espagnole (intervention de Cuba) et encore par Wilson contre les Sandinistes au Nicaragua.
(2) Même si des volontaires américains se sont engagés dans les rangs alliés dès 1914. C’est le cas d’Alan Seeger (tombé dans la Somme) et de la célèbre escadrille « La Fayette ».

 

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