3 – LA TORPILLE PREND L’AIR
– Les attaques de navires à la bombe s’avérant infructueuses, les belligérants misent plutôt sur des torpilles embarquées sur des avions. Mais compte-tenu du poids de l’engin qui peut handicaper l’appareil en vol – le contraignant à ne pas voler au-delà d’une certaine altitude – aucun appareil ne peut embarquer plus d’une torpille. Du côté des Empires Centraux, les Allemands et les Austro-Hongrois répondent aux Britanniques. Les premiers conçoivent l’hydravion « Gotha » WD. 14, chargé d’attaques à la torpille contre des navires. Produit à 69 exemplaires en tout, il est néanmoins vulnérable aux ripostes de chasse.

– Du côté britannique, le Commodore Murray Sueter se fait l’avocat de l’emploi d’avions torpilleurs contre les flottes allemande et austro-hongroise. Placé à la tête de l’Air Department, le Commodore Murray Sueter convertit, dès 1914, 3 AD-1000 en torpilleurs (avions de reconnaissance à long rayon d’action inspirés des Sikorsky). Mais l’engin se révèle inadéquat. Du coup, Sueter fait appel au concepteur d’avions Frederick Handley-Page qui travaille sur un avion qui répond aux critères voulus. Handley-Page conçoit son modèle bimoteur O/100, suivi par sa version améliorée, le O/400, puis celle à moteur quadruple, le V/1500. Mais le développement de l’O/100 prend du retard et ne sera achevé qu’en décembre 1916. Mais alors que Handley-Page s’échine à améliorer la conception de ses avions, le RNAS acquiert 2 nouveaux avions qui vont être bien plus utilisés ; l’hydravion Type 184 et le Sopwith 1 ½ Strutter. Le second sort en deux versions, l’une comme bombardier monoplace et l’autre comme chasseur biplace (22).
En 1916, Sueter a l’occasion de tester ses nouvelles techniques en Adriatique, en utilisant l’hydravion Short Admiralty Type 320, une version améliorée du Type 184 capable d’embarquer une torpille de 18inch (380 mm environ). Une première attaque a lieu contre la base de Pola mais sans succès, en raison de forts vents contraires. Les Britanniques se rendent compte que la masse des torpilles handicape le vol de l’avion. Une alternative est trouvée avec l’emploi du Sopwith T1 Cuckoo, le premier appareil « terrestre » à être désigné comme avion torpilleur (Sueter y étant pour beaucoup). Le « Cuckoo » peut être alors embarqué sur des navires et peut décoller grâce à des plateformes. Les croiseurs HMS « Argus », « Furious », « Campania », « Glorious » et « Courageous » sont choisis en faveur de l’avion mais le projet de Sueter reste à ses balbutiements. 300 avions avaient été commandés mais seulement 90 peuvent être déployés lors de l’Armistice.
– Mais parallèlement, David Beatty (qui a remplacé Jellicoe à la tête de la Grand Fleet) se penche sur un autre plan concernant les attaques aériennes. Dans « Considerations of an Attack by Torpedo Planes on the High Sea Fleet », mémorandum présenté à l’Amirauté le 11 septembre 1917 par le Captain Herbert Richmond (alors commandant du HMS « Conqueror » et le Flight Commander Frederick Rutland, rescapé de l’aventure de l’ « Engadine » au Jutland – Bien que résolument optimiste et manquant de réalisme, le mémorandum est particulièrement imaginatif, ambitieux et marqué par une certaine prescience. Beatty souhaite voir de nouveaux torpilleurs produits en masse qui pourront être utilisés en grand nombre. Il prévoit également que 120 appareils de ce type puissent attaquer la base navale de Wilhelmshaven, depuis 8 navires marchands rapides (16-20 nœuds) dotés de plateformes de décollage. Chaque navire devra embarquer 15 appareils lance-torpilles et 2 chasseurs d’escorte. L’attaque doit avoir lieu en trois vagues successives de 40 avions, avec comme cibles – dans l’ordre – les croiseurs lourds et cuirassés (dont les pre-dreadnoughts), les entrées des docks, les docks de flottaison (notamment le canal de Kiel), les croiseurs légers, les destroyers et les sous-marins.
Mais les torpilleurs ne formeront pas la seule force de frappe. Ils seront précédés de nuit et rejoints à l’aube par des hydravions Curtis H 12 « Large America » chargés du guidage. Mais quand il est établi, ce plan est irréaliste au regard des moyens pouvant être engagés. Seul exemple, Beatty et ses deux officiers font la confusion entre le rayon d’action (radius) et l’autonomie de vol (range). Or, si les H 12 ont bien un rayon d’action d’un peu plus de 1 000 km (600 miles), leur temps de vol est limité par leur consommation en carburant. Et il leur serait donc impossible d’effectuer un aller-retour complet. Bien entendu, le projet ne restera que dans les dossiers de la Grand Fleet. Au final, durant le conflit, peu d’attaques à la torpille feront de gros dégâts en mer. Les appareils de l’époque n’étant sans doute pas techniquement adaptés à ce nouveau type d’attaques navales.

4 – UNE CHASSE AUX ZEPPELINS PEU FRUCTUEUSE
– Du côté de la Marine du Kaiser, on mise plutôt sur les grands dirigeables à structure rigide du Comte Ferdinand von Zeppelin. Déjà avant-guerre, les Allemands avaient expérimenté les bombardements à l’aide de Zeppelin. Le Konteradmiral Paul Behncke, Chef adjoint de l’Etat-major naval se fait ainsi l’ardent avocat du bombardement des villes et des usines britanniques à l’aide d’aéronefs. Le 20 août 1914, Behncke remet à son supérieur direct, l’Admiral von Pohl, un mémorandum pour bombarder Londres et les principales bases navales anglaises. Sauf que l’enthousiasme de Behncke est contrebalancé par le peu de moyens dont dispose la Marine (23). En effet, seulement 6 Zeppelin sont alors achevés et disponibles. De plus, von Pohl est davantage convaincu de l’utilisation des Zeppelin pour la reconnaissance. Une chose est intéressante dans l’idée de Behncke : l’objectif affiché est autant de causer des dégâts matériels que de semer la panique parmi les populations civiles. Si tout l’état-major naval de Berlin ne partage pas ses vues, Behncke commence à trouver des adeptes, notamment le Konteradmiral Philipp, commandant de l’Aviation navale, comme le Fregattenkapitän Peter Strasser commandant de la Marines-Luft-Division, ainsi que le Gross-Admiral von Tirpitz (24).
Finalement, en 1915, von Pohl donne son accord pour le bombardement de la Grande-Bretagne, tout en soulignant que l’emploi premier des Zeppelin doit être la reconnaissance des bases de la High Fleet. Guillaume II donne son approbation au projet, à condition que ces bombardements ne seront limités qu’aux côtes britanniques et à l’estuaire de la Tamise. En tant que petit-fils de la défunte reine Victoria, le Kaiser pusillanime fait montre de scrupules que ses hauts-gradés navals n’ont pas. En effet, Behncke dresse toute une liste de cibles potentielles qui incluent la City, l’Amirauté, le War Office, le Foreign Office, la Banque d’Angleterre, le Stock Exchange, le Central Telegraph Office. Deux raids ont eu un certain succès, celui du 15-16 juin 1915 contre des usines, puis celui du 8-9 septembre contre le district de Londres spécialisé dans la fabrication de textile, causant un grave incendie.
– Mais si l’opinion britannique est atterrée, il faut bien convenir que les vues stratégiques de Behncke ont accouché d’un échec, puisque l’industrie britannique ne freinera pas son dynamisme. En revanche, la presse britannique se déchaîne contre les équipages de Zeppelin, bientôt qualifiés d’ « assassins », de « pirates » et de « tueurs d’enfants ». Au moins Behncke aura-t-il réussi à causer une vague de panique à Londres, puisque plusieurs milliers d’habitants préféreront loger dans le métro pendant plusieurs nuits plutôt que rester chez eux. Un réflexe qui se répétera un quart de siècle plus tard. En outre, comme le dit l’historien de l’air britannique, Douglas H. Robinson, le coût élevé des Zeppelin (25) aurait dû se justifier par des résultats notables. Or, il n’en est rien et la construction des dirigeables, avec leurs bases, coûte très cher, ce qui empêche l’Allemagne de pleinement développer l’arme et de constituer des escadrilles entières (26).
– Après l’expérience des Zeppelin, remontée, toute une partie de l’opinion britannique réclame la vengeance. Les dirigeables allemands deviennent donc les bêtes à abattre. Winston Churchill et Murray Sueter appellent de leurs vœux la formation d’escadrilles au sein du Royal Navy Air Service pour bombarder les industries et les bases d’aéronefs au nord de l’Allemagne. La première réponse apportée par les britanniques est de bombarder les bases d’aéronefs. Lors d’une conférence donnée en présence des officiers supérieurs du RNAS, Churchill lance l’idée d’une campagne anti-Zeppelin, avec le bombardement de Friedrichshaffen. Mais il met également l’accent sur la nécessité de développer une importante flotte d’avions doté d’un assez long rayon d’action et capables d’embarquer des bombes.
Aux yeux de l’Amirauté, seuls les appareils du RNAS peuvent se charger de la besogne. Churchill confie donc la tâche à la Harwich Force du Rear-Admiral Tyrwhitt, avec pour but final de détruire la base de Zepperlin de Tondern. Mais aucune des tentatives de raids effectuées entre le 20 mars et le 4 juillet 1915 n’aboutit sur un succès. Les éléments semblent donc être du côté de l’Allemagne : météorologie capricieuse, vent, etc. Tyrwhitt tente néanmoins d’envoyer une partie de sa flotte au large de la côte du Schleswig, avec des avions embarqués sur le HMS « Vindex ». Escorté par des navires de la Battlecruiser Fleet, le « Vindex » doit faire décoller cinq appareils. Mais trois sont vite perdus, tandis que les deux autres réussissent à atteindre Hoyer pour se rendre compte que les proies gonflables ne s’y trouvent pas. En fait, la base a été établie à Tondern qui devient la nouvelle cible (27). Le 4 mai 1916, 11 Sopwith Baby sont embarqués sur les HMS « Vindex » et « Engadine ». Malgré les efforts, c’est un nouvel fiasco. 7 avions tombent en panne et 3 s’abîment en mer. Un seul pilote réussit à atteindre Tondern et à larguer 2 bombes… qui manquent leur cible. Il faudra attendre le 19 juillet 1918 pour voir le seul raid de bombardement réussi sur une base de Zeppelin.
– L’ expérience des raids manqués enseigne aux Britanniques que leur tactique d’attaquer à tout prix les bases de Zeppelin est contre-productive. Or, presque simultanément, les canons légers des HMS « Galatea » et « Phaeton » abattent le Zeppelin L7 qui s’était aventuré au-dessus de la Mer du Nord pour reconnaître les positions de la flotte britannique. Au sein de la RN et à l’Amirauté, on se rend compte que l’interception des dirigeables est plus efficace que rechercher le destruction des bases. Sir John Fisher suggère d’envoyer des destroyers armés de mitrailleuses et de canons antiaériens (de 2 et 6-pdr) en Mer du Nord pour intercepter les dirigeables. Le 6th Light Cruiser Squadron est ainsi formé mais vite dissous car la traque se révèle inefficace. Suivant une suggestion de Fisher (jamais à court d’idées), Churchill propose d’utiliser des sous-marins dans le même but. L’idée est mise en pratique en septembre 1915 quand les sous-marins E 4 et E 6 sont armés chacun de 4 antiaériens de 6-pounder. Mais l’idée ne donne pas plus de résultats.
– Au début de l’année 1916, le Rear-Admiral George Ballard, qui a le titre d’Admiral of Patrols et qui commande la Flottille de défense des Côtes, propose que des navires embarquent des avions qui pourront intercepter les Zeppelins en haute mer. L’idée est vite acceptée et plusieurs petits navires (remorqueurs, ferries fluviaux à roue, vieux torpilleurs) embarquent des Sopwith Schneiders ou des Sopwith Baby pour patrouiller, sans résultat probant. Si plusieurs Zeppelins sont endommagés par des tirs de navires, il y a quelques succès, comme la destruction des L7 et L85 au-dessus de Salonique. L’échec des attaques aériennes contre les dirigeables tient à plusieurs facteurs, dont un armement inadéquat. Ainsi le canon sans recul américain de faible calibre Davis Gun fonctionne très mal.
L’ingénieur militaire Francis Ranken met au point le « dard » qui porte son nom. Il s’agit en quelque sorte d’un javelot auquel est fixée une charge explosive (28). Le « Ranken dart » consiste à crever l’enveloppe du dirigeable, avant d’enflammer l’hydrogène sitôt la charge explosée. Ces projectiles spéciaux étaient installés sur des râteliers de 24 rails de lancement et projetés à raison de 3 par tir. Sauf que ce système rend l’avion plus lourd et sa vitesse ascensionnelle plus lente, notamment pour les Sopwith Baby. Il arrive même que les Zeppelin restent hors de portée en raison de l’altitude (5 000 pieds) inatteignable pour un avion. C’est seulement avec l’adjonction des fusées « Le Prieur » (mises au point par le Lieutenant de Vaisseau français Yves Le Prieur) que l’attaque d’aéronefs enregistrera de meilleurs scores. Ainsi, le 21 août 1917, un Sopwith Pup Pup décollant depuis une plateforme installée sur la HMS « Yarmouth » détruit le L23. Enfin, le 11 août 1918, un Sopwith Camel arrimé à un remorqueur détruit le L53. Ce sont les deux exploits notables contre les Zeppelins enregistrés en mer (29).
– Cependant, si les Zeppelin font de la figuration en Mer du Nord entre 1916 et 1918, Lord John Jellicoe qui a pris la tête de l’Amirauté, surestime la menace. En effet, l’amiral pense qu’avec un grand nombre d’aéronefs, la Marine impériale disposera d’un appui considérable en matière de reconnaissance navale, bien plus efficace que des destroyers (30). Toutefois, ses inquiétudes soient partagées par d’autres hauts-responsables navals, civils et militaires (David Beatty, Murray Sueter, John Fisher, Winston Churchill, Maurice Hankey, le Rear-Admiral Charles Vaughan-Lee et Godfrey Paine).

5 – LA LUTTE SOUS-MARINE : DÉTRUIRE OU NEUTRALISER ?
– La détection des sous-marins par moyens aériens ne date pas de la Grande Guerre. Avant 1914, plusieurs expérimentations sont effectuées pour repérer des submersibles ou des mines. Mais tout dépend de la météorologie et de l’état de la mer. Ainsi, en Méditerranée, on se rend compte que les sous-marins sont pratiquement visibles à l’aide d’un périscope à longue portée. Il en va de même dans le détroit du Bosphore Mais ça n’est nullement le cas dans les eaux agités et troubles des îles britanniques et de la Mer du Nord.
En 1912, un officier de sous-marin de la Royal Navy, fraîchement breveté aviateur, le Lieutenant Hugh Williamson conçoit une arme aérienne destinée à être utilisée contre les sous-marins, conformément à une requête du comité de l’Amirauté chargé des questions du combat contre les menaces sous-marines. Dans un rapport intitulé « The Aeroplane in Use Against Submarines », il en appelle à la conception d’un avion anti-sous-marin qui réunisse les critères suivants : fiabilité, bonne visibilité et rayon d’action suffisant pour opérer en mer. Son arme principale doit comprendre une bombe à double fusée, avec un système d’allumage spécial lui permettant d’exploser sous la surface. Selon Williamson, la menace aérienne contraindrait les sous-marins à plonger afin de le neutraliser en le privant de sa capacité à agir en surface. On peut rétorquer que les sous-marins sont spécialement conçus pour agir en plongée mais lorsque Williamson couche ses observations, les engins de l’époque sont encore de simples submersibles armés de torpilles. Gourmands en électricité et en carburant, leur autonomie sous l’eau est limitée. De plus, ils sont lents : 9 nœuds en surface contre 4 en plongée (31).
– Pour lutter contre les sous-marins, les Britanniques utilisent d’abord des De Havilland DH 6s, des appareils d’entraînements embarquant des bombes – avec pour but de faire peser une menace sur les submersibles allemands. C’est la tactique dite « de l’épouvantail » (« scarecrow » tactic). Seulement, si un sous-marin n’est pas doté d’un armement anti-aérien important (1 mitrailleuse Maxim ou 2), les avions de l’époque sont lents, ce qui les rends vulnérables. Ainsi, un appareil français et un américain seront perdus lors d’accrochages avec un sous-marin chacun. Et à la fin du conflit, les U-Boote les plus grands et plus larges sont même armés d’un canon de 8.8 cm. De plus, on prétend à l’époque qu’un observateur aérien peut repérer un sous-marin à 16 km de distance, dans la réalité la distance moyenne est de 8 km, en cas de mer calme. Et un sous-marin en surface dispose de ses propres guetteurs, repérant l’avion presque immédiatement, ce qui décide l’équipage à plonger rapidement.
Très vite, les Britanniques se rendent compte qu’ils ont besoin d’avions à plus long rayon d’action et à plus grande autonomie. Ils achètent d’abord aux Etats-Unis des Curtiss H4 américains, suivis par de H12 surnommés respectivement « Small America » puis « Large America ». Mais les deux modèles manquent de puissance et leur conception doit être revue. Cette tâche est dévolue au RNAS Squadron Commander John Cyril Porte, commandant de la station aérienne navale de de Felixstowe (côte du Suffolk) et qui avait déjà travaillé avec Glenn Curtiss avant la guerre. Porte conçoit alors un « bateau volant »/hydravion bimoteur, désigné sous le nom de Felixstowe, appareil qui se révèle un exemple de technologie aéronautique et le meilleur hydravion de cette génération. Capable de tenir sur l’eau et d’amerrir convenablement, doté d’une autonomie de 6 heures, bien armé pour la défense et pouvant embarquer deux bombes de 95 kg environ (230 livres), il se révèle indispensable dans la lutte sous-marine et se retrouvera souvent aux prises avec des appareils allemands. Ils sont également employés dans les patrouilles « en toile d’araignée » (« Spider web patrols ») en Mer du Nord et jusqu’aux ports belges. Il s’agit de couvrir un « octogone » de mer de 4 000 miles, à partir d’un point central et en suivant plusieurs caps longs de 10, 20 et 30 miles. Le Felixstowe trouve son pendant sur bases terrestres avec le Blackburn « Kangaroo », plus léger mais capable également d’embarquer une appréciable charge de bombe. Mais conçu durant la guerre, les Britanniques n’eurent pas le temps de s’en servir avant l’armistice. Plusieurs observateurs et historiens ont d’ailleurs noté que le Kangaroo possédait une plus grande autonomie et une meilleure capacité de charge en bombes que l’Avro Anson de la Seconde Guerre mondiale. Seulement comme le montre Lee Kennett, l’hydravion a à peine plus de chances qu’un dirigeable « Blimp » de livrer bataille avec un sous-marin. Bien avant d’être à la portée de l’appareil, le sous-marin plonge. Obliger les sous-marins à plonger et à rester sous l’eau était déjà une victoire ; on a tendance dans ce type de guerre anti-sous-marine à intensifier les patrouilles au point qu’un avion ou un dirigeable se montre à peu près toutes les 20 minutes, ce qui empêche le sous-marin de faire surface dans la journée. A la fin de la guerre, il arrive même qu’avions et « Blimp » ne transportent pas d’armes du tout. Si l’U-Boot est forcé de naviguer en plongée sur une distance de 80 km, il risque d’épuiser ses batteries.
– Toutefois, le perfectionnement du système des convois incite les équipages de U-Boote à chasser plus près des côtes britanniques, c’est-à-dire là où les navires se dispersent pour gagner leurs ports de destination. Mais cette situation nouvelle a une conséquence défavorable aux sous-mariniers. En effet, les avions basés à terre ou sur le littoral anglais, peuvent intervenir plus rapidement et en plus grand nombre, car leur autonomie en était moins affectée. Toutefois, de mai à novembre 1918, la Royal Navy complète ses 4 000 navires par 216 avions à flotteurs, 190 avions embarqués, 85 grands hydravions (soit 491 appareils au total) et 75 dirigeables. Du 1er au 30 septembre 1918, 3 groupes aériens de chasse anti-U Boote sont stationnés en Grande-Bretagne. Durant cette période, les pilotes britanniques vont ainsi cumuler 24 309 heures de vol. Et de Juin 1917 à octobre 1918, le nombre d’heure pointe à 59 703 heures (32).
– Si les Britanniques sont les plus innovants dans ce domaine, les autres belligérants ont également joué de leur partition, même si leur contribution fut moindre. Ainsi, les Français restent en retrait jusqu’en 1917 avec l’établissement de la Direction de la Guerre sous-marine au sein du Ministère de la Marine. Celui-ci lance alors la fabrication et l’emploi de petits hydravions comme le FBA et le Donnet-Denhaut mais qui sont vite abandonnés. Mais le meilleur hydravion déployé en Méditerranée reste le Lohner L. austro-hongrois, vite copié par Nieuport-Macchi qui produit le Macchi L.2. Les hydravions de l’époque – comme leurs successeurs de 1939-1945 – transportent un armement lourd destiné à lutter contre les U-Boote : les Français y installent le canon de 37 mm et les Anglais utilisent le canon « sans recul » Davis, long tube qui tire un obus en direction de la cible et un sac de sable dans la direction opposée (33).
– Les Allemands font également voler quelques appareils dont le Gotha et l’Ursinus, bien qu’ils eussent privilégié les Zeppelin dans les deux premières années de la Guerre. Les Austro-Hongrois ne sont pas en reste et pratiquent plusieurs fois le raid aérien contre les navires de l’Entente et les ports italiens. Ainsi, ils coulent le navire britannique B 10 (16 août 1916) en mouillage à Venise, de même que le sous-marin français « Foucault » (septembre 1916), premier submersible victime d’une attaque aérienne. Le submersible est repéré par des hydravions autrichiens Lohner L, à une profondeur de 25 m. Ils l’attaquent avec des bombes à détonateurs sensibles à la pression, le contraignant à faire surface et à le saborder.Néanmoins, le développement de l’aéronavale au sein des puissances centrales restera limité car leurs marines marchandes – surtout dans le cas de l’Allemagne – ne connaissent pas la nécessité de s’aventurer dans l’Atlantique ou au-delà du détroit de Gibraltar (à vrai dire, elles resteront à quai durant le conflit). Mais cela ne signifie pas pour autant que les sous-marins allemands et autrichiens n’ont pas de pouvoir de nuisance en Méditerranée. Bien au contraire, les U-Boote torpillent un nombre croissant de navires durant l’année 1916 (34). Cette situation d’insécurité navale qui pousse les Français et les Britanniques à demander de l’aide en 1917. Heureusement, les Etats-Unis et même la Marine impériale japonaise (17 navires sous le commandement de l’Amiral Kozo Sato) viennent apporter leur concours. Enfin, devant assurer la sécurité des côtes normandes, les Français confient à l’US Navy la surveillance du Golfe de Gascogne. Les Américains utilisent notamment l’hydravion, tandis que la première escadrille aéronavale des Marines (1st USMC Aeronautical Squadron) reçoit la mission de faire voler des patrouilles anti-sous-marines depuis Punta Delgada dans les Açores (35).
– En tout cas, le score en sous-marins coulés revendiqué par les marines alliées est largement exagéré. Ainsi, les Britanniques clament avoir atteint 100 U-Boote pour 79 probablement coulés. Chez les Français, les aviateurs de la « Royale » revendiquent un sous-marin coulé… sauf qu’il s’agissait d’un équipage britannique. Quand l’US Navy, elle revendique deux U-Boote mais il semble qu’un seul ait sombré. L’historien Robert M. Grant dit qu’un seul U-Boote a bien été véritablement coulé par une attaque aérienne sur l’ensemble de conflit. Trois autres (2 allemands et 1 britannique) ont été sérieusement endommagés (36). On peut arguer que le score des Q-Ships (12 U-Boote en tout au tableau de chasse) est plus impressionnant ! En revanche, le nombre de sous-marins rendus temporairement inutilisables après une attaque aérienne est impossible à arrêter. Il est certain que les bombes sous-marines mises au point durant le conflit peuvent, grâce à la forte pression exercée par l’explosion, faire sauter des tuyaux et des câbles comme tordre les périscopes. Cependant, les pilotes britanniques (surtout), français et américains n’ont pas été malhonnêtes dans leurs rapports de mission. Mais ils se sont été trompés dans l’action. En effet, s’ils avaient une indéniable supériorité en termes de vitesse, les avions pouvaient mettre deux minutes pour se mettre en position d’attaque larguer leur charge après avoir repéré un U-Boote. Or, un équipage bien entraîné peut plonger en moins de 45 secondes et donc, bénéficier d’un temps suffisant pour se mettre relativement à l’abri sous la surface (37).
– Sauf que guerre aérienne contre les sous-marins n’est pas confinée à la mer mais leurs bases sont aussi frappées. Ainsi, en 1916, les Italiens lancent un raid contre Fiume où les Allemands assemblent des U-Boote, suivi d’un autre contre l’usine des torpilles Whitehead marqué par un important déversement de bombes. Malheureusement, le site a été déplacé préalablement. Plus au nord, les Britanniques ne se risquent pas à lancer leurs avions contre les docks, quais et cales sèches du nord de l’Allemagne, trop bien défendus. En revanche, ils lancent plusieurs raids contre les bases sous-marines installées dans les ports flamands (Zeebrugge et Ostende). Bruges devient également une cible en raison de la présence de la Flotille des Flandres et de destroyers allemands, du moins temporairement. Sauf qu’aucun raid lancé n’apporte les résultats escomptés (38).
En avril 1917, les Américains viennent apporter leur concours dans les opérations de bombardement du triangle Zeebrugge-Ostende-Bruges. L’Admiral William Sims, tout juste nommé Commandant des forces navales américaines en Europe, forme une escadrille de bombardement spécialement dédié à cette mission, le Northern Bombing Group (NBG). Celui-ci comprend un escadron de jour (Day Wing) pilotée par l’US Marine Corps (parmi lesquels Roy S. Geiger, futur commandant du IIIrd Amphibious Corps à Okinawa) et un escadron de nuit. Mais les Américains manquent d’avions, ce qui contraint les Britanniques à leur fournir des monomoteurs biplaces De Havilland DH 4 (certains ayant été construits aux Etats-Unis) et DH 9A pour le Day Wing, alors que les Italiens « prêtent » au Night Wing leurs grands biplans trimoteurs Caproni Ca 5. Mais lorsque les pilotes américains sont opérationnels après leur entraînement, la Kaiserliche Marine a déjà déménagé des ports flamands et le NBG est affecté au bombardement d’autres objectifs (39).
– Néanmoins, il est clair, qu’en dépit de ces déceptions, les bases de la guerre aéronavale et anti-sous-marine du XXe sont clairement posées.

(22) LAYMAN R.D., Op. Cit.
(23) Ibid.
(24) Ibid.
(25) Ibid.
(26) Ibid.
(27) Ibid.
(28) Ibid.
(29) Ibid.
(30) Ibid.
(31) Ibid.
(32) Ibid.
(33) KENNETT L. : « La première guerre aérienne 1914-1918 », Economica, 2006, Paris
(34) KENNETT L., Op. Cit.
(35) Ibid.
(36) LAYMAN R.D., Op. Cit.
(37) Ibid.
(38) Ibid.
(39) Ibid.