On a tendance à l’oublier mais l’Empire du Japon, « réveillé » par l’Ere Meiji et puissance montante en Extrême-Orient et dans le Pacifique depuis sa victoire sur la Russie en 1904-1905, est entré en guerre aux côté des forces de l’Entente dès 1914. Rappelons que l’Empire de Yoshihito (Taisho Tenno) est l’allié de Londres dans le Pacifique. « Fille » du dynamisme industriel de l’ère Meiji, la Marine impériale nippone a d’ailleurs bénéficié de l’aide d’ingénieurs et d’officiers britanniques, ce qui s’est avéré fort utile lors de la retentissante victoire de Tsushima. Avant 1914, la Marine japonaise est l’une des plus puissantes au monde, disputant la troisième place à l’US Navy, juste derrière la Royal Navy et la marine allemande mais nettement devant la française. De plus, les Japonais qui ne cessent de lorgner sur l’agonisant et déclinant Empire Qinq, depuis le traité de Shimonoseki (1895) veulent étendre leur influence commerciale en Asie. Or, Tokyo se heurte vite aux prétentions outre-mer de l’Allemagne de Guillaume II. Les Japonais veulent s’implanter dans la province du Shandong mais les Allemands y sont déjà bien installés avec la construction du port de Qingdao (ou Tsing-Tao). La Grande-Bretagne, qui ne serait guère fâchée de voir l’Allemagne quitter le Pacifique soutient donc Tokyo.

– Ainsi, de septembre à novembre 1914, les forces de l’Amiral Kato Sadakichi et du Général Kamio Mitsuomi font le siège du port allemand qui finit par se rendre. Mais si l’Armée de Terre nippone (formée en partie « à l’allemande ») ne sera guère employée, la Marine impériale continue de servir aux côtés des Alliés durant le conflit. Ainsi, elle participe à la traque des derniers navires allemands dans le Pacifique et contribue à la prise de plusieurs petites possessions allemandes aux côtés d’éléments navals britanniques et australiens (Îles Marshall et Carolines). Enfin, comme le souligne R.D. Layman, la marine impériale teste également l’emploi d’avions et d’hydravions embarqués sur navires (1). Or, comme le signale Lee Kennett, la France – d’abord puissance navale dominante en Méditerranée – a besoin de l’aide de ses alliés pour contrer la menace des U-Boote allemands et austro-hongrois entre le détroit de Gibraltar et le Bosphore (2). Si la Royal Navy et la Reggia Marina s’impliquent, Tokyo décide de répondre favorablement aux Alliés et accroît sa contribution à la guerre contre les puissances centrales.
– Le 11 mars 1917, l’Amiral Kozo Sato largue les amarres depuis Singapour avec la 2e Force Spéciale navale (avec 2 escadres spéciales) comptant le croiseur « Akashi » (navire amiral) et 8 destroyers. Sato compte dans son état-major deux jeunes officiers qui feront parler d’eux vingt-cinq ans plus tard : Tamon Yamaguchi et Raizo Tanaka (3). Arrivés en Méditerranée via le Canal de Suez, les forces navales de Sato se trouvent placées sous le commandement de Sir Somerset Gough-Calthorpe, commandant de la Mediterranean Fleet et de Sir George Ballard, commandant de la base de Malte. Les différents navires japonais sont alors répartis entre différents ports (Marseille, Tarente et Alexandrie). Au courant de l’année 1917, 8 destroyers supplémentaires rejoignent les navires nippons déjà en Méditerranée. Très vite, les amiraux britanniques peuvent apprécier le savoir-faire de leurs « élèves » asiatiques. Ainsi, les 17 navires nippons participent activement à l’escorte des convois en Méditerranée et engagent par trente-quatre fois les U-Boote allemands et autrichiens, sans en couler pour autant. Mais comme le dit Lee Kennett, engager les sous-marins et les forcer à dépenser leur électricité en plongée et déjà une victoire car ils sont souvent contraints de rompre l’engagement (4). Sur deux années, les navires japonais participent à l’escorte de 788 navires, transportent 700 000 hommes et participent à des missions de sauvage en mer, comme les 1 800 marins et soldats britanniques du « Transylvania » sauvés par le « Sakaki ». Néanmoins, en juin 1917, le U-Boot autrichien U-27 attaque le destroyer « Sakaki », causant la mort de 68 marins. Mais la contribution de la force navale de Sato dépasse celle des Britanniques et des Français pour les deux dernières années de la Grande Guerre. Ainsi, il est estimé que les navires japonais restent en mer pendant 72 % de leur temps, contre 60 % pour les unités de la Royal Navy et 45 % pour les Français. Cela donne un ratio de 25 jours sur un mois pour les navires de Sato. A Londres, George Ballard n’est guère avare en éloges sur les marins de Sato et Winston Churchill lui-même loue la participation japonaise à la guerre navale en Méditerranée.

– Outre la prise de Qingdao en 1914, la participation du Japon à la guerre navale en Méditerranée permet à Tokyo d’être signataire du Traité de Versailles dans le camp des vainqueurs. D’ailleurs, Georges Clémenceau soutient les revendications japonaises sur le Shandong, au détriment de la jeune République de Chine de Sun Ya-tsen qui revendique la province natale de Confucius (5). En revanche, le Japon qui réclame l’inscription dans le Traité d’une clause affirmant « l’égalité des races » se trouve frustré par un net refus des vainqueurs occidentaux. Un refus que l’Empire du Soleil levant n’oubliera pas…
(1) LAYMAN R.D. : « Naval Aviation in the First World War. Its impact and influence », Caxton Publishing, 2002, Londres
(2) KENNETT L. : « La première guerre aérienne. 1914-1918 », Economica, 2006, Paris
(3) Tamon Yamaguchi (1892-1942) participera à l’attaque sur Pearl Harbor et sera tué à Midway. Raizo Tanaka (1892-1969) prendra part également à l’attaque sur Pearl Harbor et commandera « L’Express de Tokyo » durant la bataille de Guadalcanal.
(4) KENNETT L., Op. Cit.
(5) En 1917, la Chine déclare la guerre aux puissances centrales et envoie des contingents de travailleurs en France