– Après le second échec des Canadiens à prendre la Tranchée « Regina », Haig décide de confier à Hubert Gough la mission d’attaquer au sud de l’Ancre et de prendre Beaumont-Hamel, afin de dégager le plateau à l’ouest de la route Albert-Bapaume. Plateau toujours partiellement tenu par les Allemands.
1 – SITUATION ET ATTAQUES PREPARATOIRES
– Le 9 octobre, 1 Battalion de la 25th Division parvient à s’emparer de la Redoute de Staufen, en progressant derrière un barrage roulant. En revanche le plan pour dégager la redoute de Schwaben laisse davantage à désirer. Ainsi, plusieurs compagnies de la 39th Division avancent tout droit vers les lignes allemandes sans soutien d’artillerie. Le résultat est prévisible. Alertés, les défenseurs allemands ripostent efficacement et causent de lourdes pertes aux Britanniques. Le 14 octobre, une nouvelle attaque a lieu, un peu mieux préparée est lancée par la 118th Brigade (25th Division), après trois jours de bombardement et un barrage roulant. Mais les fils barbelés ne sont pas coupés sur toute la ligne et la riposte d’artillerie allemande est intense. Plusieurs unités britanniques se perdent mais finalement, l’ensemble des troupes réussit à atteindre la première ligne allemande avant que l’ennemi ne réalise pleinement qu’un assaut était éminent.
– Pour faire sauter la Redoute de Souabe, Claud Jacobs aligne plusieurs Battalions de ses quatre divisions (39th, 25th, 18th et 4th Canadian). Mais la préparation britannique est particulièrement soignée. En effet, les Battalions sélectionnés sont frais et dispos. Et le tir préparatoire d’artillerie fait l’objet d’une planification minutieuse. L’effet ne se fait pas attendre. L’attaque britannique est en effet un succès qui surprend complètement les Allemands dont l’artillerie ne réagit que mollement. C’est véritablement le dernier succès offensif britannique pour la bataille de la Somme. Succès qui permet à Haig de contrôler les hauteurs de Thiepval qui dominent l’Ancre.
2 – PRÉPARATION ET ATERMOIEMENTS DU COMMANDEMENT
– En septembre 1916, Douglas Haig avait déjà envisagé une offensive sur l’Ancre afin de couvrir le flanc gauche de la IVth Army. La Reserve Army devrait avancer vers le nord-est depuis Thiepval, avec pour objectifs la ligne Bois Loupart – Irles – Miraumont, pendant que la IIIrd Army devait s’emparer de Gommecourt. S’il voit moins grand que pour septembre, Haig établit néanmoins un plan ambitieux pour novembre. En effet, il prévoit de faire abattre 9 km à la Reserve Army, soit lui faire capturer plus de terrain qu’elle n’en a acquis en trois mois d’engagement. Après le succès contre la redoute de Souabe, Hubert Gough se met également à espérer. Il prévoit qu’en cas de prise de la ligne Pys-Irles, il poussera sur Miraumont et lancera la cavalerie sur le plateau entre le Bois Loupart et Achiet-le-Petit. Une formation d’infanterie suivra les troupes montées pour assurer le contrôle de la position conquise. Sauf que c’est oublier que les fortes pluies du mois d’octobre transforment la campagne picarde en bourbier. Ça serait aller contre tout bon sens militaire et toute réalité que de lancer des cavaliers à l’attaque dans un tel terrain. Pourtant, c’est bien ce que prévoient Haig et Gough qui estiment qu’il leur faut 18 000 cavaliers, pas moins ! D’autre part, le 1er novembre, la Reserve Army devient définitivement la Vth Army.
– Toutefois, la pluie ne fait que reculer l’attaque d’abord prévue le 24 octobre. Mais pendant dix jours, les intempéries ne cessent pas. Finalement, Haig prévoit une attaque pour le 8 novembre et avec des objectifs plus « limités ». La Vth Army doit saisir Saint-Pierre-Divion, Beaucourt et Serre. Cependant, peu avant l’offensive, Sir Launcelot Kiggell, chef d’état-major du BEF rend une visite surprise à Gough durant laquelle il lui explique que les minces chances de succès ne justifient pas un tel risque. En revanche, Kiggell ajoute qu’un succès tactique pourrait en entraîner d’autres. Cela met donc Gough dans une position inconfortable, bien moins que Haig qui pourrait apparaître en position de force lors de la prochaine Conférence de Chantilly.
– Gough souhaite faire effectuer une double poussée – sur un axe sud-nord et sur un axe ouest-est. Le IIIrd Corps de Walter Congreve et le Vth d’Edward Fanshawe seront chargés d’effectuer l’attaque par le nord en attaquant sur Serre et Beaucourt. Pendant ce temps, le IInd Corps de Jacobs attaquera vers le nord depuis le secteur de Thiepval. Après un débat au sein du QG de la Vth Army sur la date à retenir en raison de la météo, Gough fixe son attaque au 13 novembre. Lui et ses officiers estiment que le sol sèche assez vite pour permettre aux fantassins d’attaquer. Mais la veille, Kiggell lui avait fait parvenir un message du GHQ expliquant qu’une attaque « dans des conditions défavorables est la dernière chose dont Haig a besoin ». Comme le relèvent Prior et Wilson, il est intéressant de noter que Haig semble perdre de son optimisme. Il est estime même qu’il « n’y aurait rien de plus coûteux qu’un échec ». Kiggell rapportera même que son patron semblera douter durant la Conférence de Chantilly de novembre 1916, même quand on lui annoncera la prise de Beaumont-Hamel et de la capture de 3 000 prisonniers allemands.
– Du côté allemand, Otto von Below, patron de la 1. Armee, s’attend à une attaque entre l’Ancre et Gommecourt dès le 12 octobre. Le 21, le Kronprinz Rupprecht von Bayern, commandant du groupe d’armée qui couvre la Somme, se montre favorable à une retraite depuis Saint-Pierre-Division et Beaumont-Hamel. Sauf que von Below fait observer qu’abandonner ce secteur priverait les Allemands d’un bon point d’observation. Du coup, von Below décide de renforcer le secteur au sud de l’Ancre en insérant la 12. Division (Karl Fouquet) entre les 38. (Hermann Schultheis) et 52. (Karl von Borries) Divisionen.
3 – LA DERNIÈRE ATTAQUE BRITANNIQUE
– Au matin du 6 novembre, la Vth Army démarre son bombardement préliminaire en concentrant son feu sur Beaumont-Hamel et Saint-Pierre-Divion, localités qui avait donné tant de fil à retordre aux divisions de Rawlinson le 1er juillet. L’artillerie britannique noie les deux villages sous un déluge de feu et de fer. Plusieurs canons sont consacrées à neutraliser les potentiels repères de mitrailleuses. Sauf que le brouillard se mêle à la partie empêchant les artilleurs de bien régler leur tir. Plus grave, le tir de barrage ignore la seconde ligne allemande qui est vite renforcée.
L’attaque a donc lieu à 05h45. Chose rare, les obus britanniques sectionnent les barbelés ennemis en plusieurs endroits. Les fantassins suivent le barrage roulant à moins de 50 m de distance. Mais par endroits, le brouillard empêche les soldats de repérer le tir de barrage et de le suivre. Sur l’aile gauche, l’attaque tourne vite mal, les deux divisions de gauche pataugent dans la fange et essuient une efficace riposte de mitrailleuses. Beaucoup d’officiers sont tués ou blessés. Et les fusils sont vite rendus inutilisables par la boue, dès lors que les Tommys doivent s’allonger au sol.
– Du côté du IInd Corps, la 19th (Western) Division qui attaque à droite ne fait d’abord aucun progrès sur « Stump Road ». Cependant, sa 56th Brigade, appuyée par des soldats du Génie et des mitrailleurs parvient à progresser sur « Lucky Way ». A gauche de la 19th Division, la 39th Division progresse le long de la Vallée de l’Ancre, avec l’appui spécial de 12 pièces de 18-pounder. Elle réussit à s’emparer de Saint-Pierre-Division (autre objectif du 1er juillet) à 07h40. Trois Tanks arrivent de Thiepval pour appuyer l’attaque mais deux sont rapidement immobilisés tandis que le troisième se retrouve isolé dans la ligne allemande. Finalement, l’équipage qui tient réussit à faire venir des renforts à l’aide d’un pigeon voyageur.
– Voyons du côté du Vth Corps de Fanshawe. Un premier préparatoire d’artillerie lourde est déclenché trente minutes avant l’aube et pilonne les positions allemandes pendant une heure dans l’espoir de faire croire aux Allemands à un bombardement long pour qu’ils ne réagissent pas. Beaumont-Hamel est l’objectif de la 51st (Highland) Division du Major-General George Harper. Comme lors du 1er janvier, les sapeurs britanniques déposent environ 15 tonnes d’explosifs sous un saillant allemand près de Beaumont-Hamel. Après l’explosion, les Britanniques parviennent à occuper les alentours du de Hawthorn Crater et du Y Ravine. En revanche, la conquête de Beaumont-Hamel pose davantage de problèmes. En effet, les Allemands ont disposé des mitrailleuses dans les ruines du village. Mais aux prix de violents combats, les Highlanders (que les Allemands surnomment « les femmes de l’Enfer ») s’emparent de la localité, objectif du 1er juillet, avant de consolider leurs positions conquises. L’Infanterie-Regiment Nr. 55 (38. Division) a lui aussi subi de lourdes pertes et les Britanniques ont même décapité le I/IR. Nr. 23 en capturant son état-major. En revanche, les Écossais ne peuvent progresser au-delà du village, en raison de la résistance de troupes allemandes dans une tranchée à l’est du village. Et les pertes ont été lourdes pour les assaillants. Ainsi les 1/5th et 1/6th Seaforth Highlanders ont perdu 50 % de leurs effectifs, contre 40 % pour le 1/8th Argyll and Sutherland Highlanders (6). Sagement, le QG du IInd Corps annule toute nouvelle attaque de la 51st Division, calculant que pour avancer vers son nouvel objectif, elle doit attendre une journée de plus avec des renforts. Les Ecossais, avec des éléments de la 2nd Division tentent, dès le 14 novembre, de prendre la position « Muck », la « Tranchée de Francfort » et la « Nouvelle tranchée de Munich » mais chacune des attaques échoue et aucun gain de terrain ne sera enregistré. Du côté allemand, von Below fait relever la 38. Division par la 223. de Georg Mühry. Mais celle-ci doit également défendre Beaucourt et la Tranchée de l’Ancre. Du coup, von Below craint que la situation ne devienne intenable par l’extension du front de cette division. Décision est donc prise de rameuter de toute urgence depuis Cambrai la 26. Division (1. Würtembergisches) commandée par Guillaume II de Würtemberg.
– L’aile droite de la 2nd Division (Cecil Pereira) réussit à emporter la troisième ligne de défense allemande à 06h15 (Redan Ridge). Attaquant dans le brouillard 5th et 6th Brigades parviennent à atteindre la Tranchée de Beaumont mais pas la jonction avec « Lager Alley » et la « Tranchée de Frankfort ». Finalement, la 6th Brigade est forcée de se replier sur la « Tranchée de Munich », avant que 2 Battalions de la 37th Division ne vienne consolider la position. Seulement, l’assaut de la 3rd Division (Aylmer Haldane) qui doit attaquer sur Serre est un fiasco, malgré l’appui fourni par 36 mitrailleuses Lewis et Vickers. En effet, les Tommys des 76th et 8th Brigades pataugent dans la boue et s’épuisent. Du coup, les Allemands repoussent sans peine leurs assaillants.
– Mais l’effort le plus remarquable de la journée est accompli par la 63rd (Royal Naval) Division (Sir Cameron Shute). Comme l’indique sa dénomination, elle est formée de Royal Marines et marins de la Royal Navy reconvertis en fantassins. Chacun de ses Battalions porte le nom d’un amiral anglais (Drake, Nelson, Howe, Hood, Anson…). De plus, c’est une unité aguerrie qui a connu la défense d’Anvers et d’Ostende, tout comme les combats de Gallipoli. En revanche, son nouveau chef, Cameron Shute qui vient de l’armée de terre et qui a remplacé Archibald Paris blessé, est peu au fait de l’esprit « naval » de ses soldats, se rendant vite impopulaire.
Pour l’heure, la 63rd (Royal Naval) Division a pour objectif de prendre Beaucourt et sa gare. Pendant l’assaut du 13 novembre, elle profite du couvert du brouillard pour progresser à l’insu des mitrailleurs et artilleurs allemands. Si les Hood, Nelson et Howe Battalions subissent des pertes en conquérant la « Dotted Green Line » (avec un commandant de Battalion tué, le Lt.Col. Burge), l’Anson Battalion conquiert la « Yellow Line ». Enfin, prenant l’initiative, le Lt-Col. Bernard Freyberg lance une force constituée à partir du Drake Battalion sur Beaucourt et s’empare de la gare, puis du village après trois jours de combats.
Enfin, la 39th Division du Major-General Gerald Cuthbert effectue également une belle avance. En effet, bien appuyée par des obusiers de 4.5-inch qui pilonne les abris allemands identifiés, elle s’empare de Saint-Pierre-Division avec seulement 587 hommes perdus pour 1 380 prisonniers ennemis.
4 – LA FIN
– Mais après les premiers succès, la résistance allemande se durcit, dans une sanglante routine et aucune des divisions engagées n’obtient les résultats escomptés. Il se trouve que le 14 novembre, Douglas Haig se trouve à Chantilly et ne peut mettre un succès de Gough dans la balance pour peser sur les prochaines décisions stratégiques. Cela n’empêche toutefois pas Hubert Gough de relancer des attaques le 15 novembre.
– Ironie de l’histoire, au soir de ce même jour, Haig dîne avec le Premier Ministre Herbert Asquith qui se trouve « ravi de ses succès ». Le jour même, Haig – ravi de sa position auprès du chef du Gouvernement – envoie un message à Gough lui intimant l’ordre de « n’entreprendre aucune attaque à grande échelle jusqu’au retour du commandant en chef ». En fait, Haig voit clairement que la bataille de l’Ancre sert ses buts et se trouve inquiet à l’idée que Gough relance des offensives dont le résultat pourrait déplaire à Asquith (5). Sauf que le 16, Gough envoie un message à Haig lui expliquant que lui et ses commandants de Corps sont optimistes quant aux chances de succès. Pris de court et mis devant le fait accompli, Haig autorise Gough à poursuivre ses attaques du moment que « le temps le permette » (6). Les opérations reprennent les 17-18 novembre, avec l’engagement des 32nd (W. Rycroft) et 37th (Lord Edward Gleichen) nouvellement arrivées sur le front au sein du Vth Corps. Celles-ci gagnent du terrain en progressant vers Serre pour 5 000 hommes perdus en une journée.« Lager Alley » tombe mais les combats font rage en vain pour les tranchés « de Munich », « de Francfort », « Wagon Road », et « Ten Tree Alley ». Enfin, les Royal Marines de la Freyberg Force s’emparent définitivement de Beaucourt.
– Du côté du IInd Corps, Claud Jacobs décide de changer son axe d’attaque en attaquant avec son aile droite sur Grandcourt avec la 4th Canadian Division de David Watson nouvellement engagée et la 18th (Eastern) Division d’Ivor Maxse, bien plus aguerrie. L’objectif des Canadiens et des Britanniques est de saisir l’ensemble de la tranchée « Desire » qui flanque la rive droite de l’Ancre et d’accrocher la route Courcelette-Pys. Malgré un tir nourri allemand, la 10th Canadian Brigade réussit à s’enterrer dans la Tranchée « Desire », pendant que la 11th réussit à atteindre Grandcourt et à y capturer 620 soldats allemands. Du côté de la 18th Division, la 55th Brigade qui doit s’emparer de la portion ouest de la Tranchée « Desire » voit 2 de ses Battalions se faire sévèrement étrillés, avant d’atteindre la tranchée. Sur la gauche de la 18th Division, la 19th attaque « Stump Road » avec ses 57th et 56th Brigades. Elle réussit à avancer sur la route Saint-Pierre-Divsion – Grandcourt le long de la voie ferrée et à tendre la main au Vth Corps à Beaucourt. En revanche, la ferme de Baillescourt est inaccessible. Enfin, les Royal Engineers viennent ensuite consolider les positions à la lisière de Beaucourt. Mais là encore, faute de réserve, les Britanniques n’iront pas plus loin.
– Avec ce bilan bien en-deçà de ses (irréalistes) espoirs, Hubert Gough n’a pas d’autre choix que d’arrêter son offensive, d’autant que le mauvais temps fait son retour. De plus, Henry Rawlinson écrit à Haig après l’arrêt de la Bataille de l’Ancre pour lui souligner qu’il manque d’homme et que sa IVth Army est usée jusqu’à la corde. En à peine une semaine de combats, la Vth Army a perdu 10 000 hommes (2 000 à 2 500 par division) pour des gains insignifiants, en dépit de la pugnacité de certaines unités. Haig décide donc d’arrêter toute offensive… dans l’espoir de les reprendre en 1917. En effet, suite à des débats animés, les Alliés ont décidé de privilégier le Front Ouest pour l’année à suivre.
(1) PRIOR R. & WILSON T. : « The Somme », Yale University Press, Londres, 2006
(2) PRIOR R. & WILSON T., Op.Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.