Erich Ludendorff, le tacticien qui a perverti la pensée de Clausewitz

S’il fallait donner un visage au militarisme allemand du début du XXe siècle, celui d’Erich Ludendorff pourrait figurer dans la tête du classement. De plus, avec son visage aussi massif que sévère, barré par une moustache et alourdi par d’épaisses paupières, l’homme fait presque figure d’épouvantail. Néanmoins, il ne faut pas gonfler les talents et la justesse de jugement stratégique du personnage. En effet, s’il s’est montré un tacticien talentueux, du point de vue stratégique Ludendorff s’est montré quelque peu prisonnier de l’idée de la bataille décisive. Et si on doit mettre à son crédit de bonnes analyses sur l’industrialisation de la guerre, il ne faut pas oublier que c’est lui Paul von Hindenburg qui ont causé l’entrée en guerre des Etats-Unis et avec cela, la chute du Reich Wilhelmien.

19565532478_580d9b4257_b

1 – LES DÉBUTS D’UN OFFICIER PROMETTEUR

– Fils d’August Ludendorff, propriétaire terrien de son état et officier de réserve et de Klara née von Tempelhoff (dont la mère est issue de la noblesse polonaise), Erich Ludendorff naît le 9 avril 1865 à Kruzsewnia dans la région de Posen (Poznan). A cette époque, l’actuelle Posnanie est une terre au peuplement majoritaire polonais mais rattaché à la Prusse, d’où une forte présence militaire allemande dans cette ancienne région de colonisation. Erich Ludendorff connaît une enfance confortable grâce aux revenus paternels et se révèle un écolier intelligent. Se destinant très vite à la carrière des armes, il obtient de bon résultat à la Kadentten-Schule (Ecole des Cadets) de Plön, avant d’entrer à la Hauptkadetten-Schule de Gross-Lichterfelde à Berlin en 1882. Son intelligence et sa vivacité d’esprit lui valent l’éloge de ses professeurs. Sorti avec les compliments en 1885, le jeune officier connaît d’abord une vie de garnison, étant successivement affecté à l’Infanterie-Regiment Nr. 57 (Weser), au See-Bataillon Nr. 2 (Kiel et Wilhelmshaven), puis au Gardes-Grenadier-Regiment Nr. 8 à Francfort-sur-l’Oder.

– En 1890, Erich Ludendorff est admis à la Kriegsakademie de Berlin au sein de laquelle il brille une fois de plus. Preuve en est qu’il en sort dans les premiers. Jusqu’en 1891, il sert au Gross-Generalstab (Grand Etat-Major de Berlin) et devient un protéger d’Alfred von Schlieffen. Dès lors, Ludendorff devient adepte de la recherche d’une grande bataille par enveloppement sur le modèle de Cannes (216 av JC) qui doit anéantir les forces de l’ennemi. Jusqu’en 1914, Ludendorff voit sa carrière évoluer au fil de ses postes au sein des états-majors, même s’il connaît quelques commandements en garnison. Promu Oberst en 1908, il prend la direction de lAbteilung Nr. 2 (2e Section de l’Etat-Major) qui est en charge de la concentration des troupes en cas de conflit. Mais Ludendorff se fait également connaître par des idées qui dénotent dans la très conservatrice caste des officiers prussiens et allemands. Ainsi, il plaide pour l’augmentation des effectifs d’active et de la réserve, afin de pouvoir disposer d’un maximum de troupes en cas de conflit sur deux fronts. Mais cette idée implique d’accroître le nombre d’officiers et donc d’ouvrir ce statut à de jeunes allemands bien instruits mais qui ne sont pas forcément issu de la noblesse prussienne. Or, celle-ci tient à conserver jalousement ce qu’elle considère comme son pré-carré (1).

– Il faut dire qu’avec le jeu des alliances européennes, Ludendorff est préoccupé par la mobilisation de l’Armée russe. Il rejoint alors ceux, héritiers de von Schlieffen, qui pensent qu’il faut forcer la France à capituler en premier avant de retourner toutes les forces contre la Russie. Et pour vaincre la France, il faut passer par la Belgique, alors neutre. En août 1914, il rejoint l’état-major de la II. Armee de Karl von Bülow. Lors de l’invasion de la Belgique, Erich Ludendorff prend le commandement d’une ensemble de troupes qui s’emparent de la forteresse de Liège, point de passage nécessaire vers la France. Son utilisation de la combinaison infanterie-artillerie est une réussite qui lui vaut la Croix « Pour le Mérite », plus haute distinction militaire allemande.
Mais Erich Ludendorff est immédiatement rappelé par Helmut von Moltke le Jeune pour partir pour le front de Prusse-Orientale où la VIII. Armee recule face à l’armée russe qui a mobilisé plus vite que prévu. Ludendorff devient alors le chef d’état-major du vieux Generaloberst Paul von Hindenburg, tout juste rappelé de sa retraite et qui a l’expérience de la conduite des troupes. C’est le début d’un duo qui va fonctionner pendant quatre ans et qui va infliger des pertes terribles à l’armée russe, sans pour autant réussir à l’anéantir complètement.

2 – FRUSTRATIONS A L’EST

– Pour l’heure, Hindenburg et Ludendorff apprennent à travailler ensemble pour arrêter l’armée russe, ce qui ne se fait pas sans désaccord. Mais les généraux allemands ont préventivement beaucoup travailler le Kriegspiel en cas d’invasion russe. Et quand éclate la bataille de Tannenberg en septembre 1914, le duo fonctionne plutôt bien. Le général russe Samsonov qui s’est trop avancé voit son armée presque anéantie, en revanche, Ludendorff ne parvient pas à détruire complètement l’armée de Rennenkampf. Qu’importe, alors peu connu du public allemand, il profite de la notoriété de son pair Hindenburg érigé en sauveur de la Prusse. En 1915, ceux que l’on appelle les « Dioscures » prennent la direction suprême des opérations du Front de l’Est (Ober Ost). Et Ludendorff se distingue encore en contribuant fortement à trois succès : les Lacs Mazures, la Bataille de Gorlice-Tarnow et une opération en Lituanie. Fin 1915, l’Armée de Nicolas II a subi de terribles pertes mais n’a pas été anéantie. En revanche, Allemands et Autrichiens se sont solidement établis entre le Niémen et la frontière russo-roumaine. Mais très vite, Erich Ludendorff s’oppose au nouveau Chef du Grand Etat-major, Erich von Falkenhayn. En effet, Ludendorff, appuyée par Hindenburg, souhaite anéantir les capacités militaires russes pour ensuite occuper l’Ukraine et ses champs de blés. Ceci dit, si l’état-major de Berlin avait opté pour cette stratégie, il aurait fallu dégarnir le Front de l’Ouest, ce qui n’aurait pas échappé aux Français et aux Britanniques qui en auraient alors profité (sur la Somme ou en Champagne). Or, comme le signale Robert Foley dans ses études sur Verdun, le russophile von Falkenhayn est davantage favorable à chercher une honorable paix de compromis avec Saint-Pétersbourg. Mais pour forcer la Russie à sortir du conflit, il faut contraindre les Français à demander la paix. Du coup, fin 1915- début 1916, la stratégie allemande se consacre à la bataille de Verdun. Ludendorff qui rêvait d’infliger au Tsar une défaite décisive en sort frustré et rumine sa revanche contre son nouveau rival. Mais il bénéficie du soutien du Chancelier Theobald von Bethmann-Hollwegg, farouchement hostile à von Falkenhayn et favorable à une sortie rapide de la Russie du conflit.
Mais pour l’heure, comme le signale Pierre Jardin, Ludendorff s’intéresse toujours à l’Est mais dans une autre optique, qui en appellera une autre moins de trente ans plus tard. En effet, il estime que l’Allemagne et son allié autrichien doivent littéralement coloniser les immenses étendues de l’ouest de la Russie pour s’en octroyer les intarissables ressources agraires. Et après une potentielle victoire définitive contre l’Armée Russe, Berlin devra y envoyer des colons, soit des « paysans soldats », pour exploiter les terres. Pour cela, en lieu et place des Gouvernements d’occupation militaire qui ont cours à l’ouest, il faut instituer un véritable gouvernement avec une administration civile qui gérerait les nouvelles conquêtes. Enfin, Ludendorff plaide même pour une « germanisation » des slaves (2).


2 – « CASTOR ET POLLUX »

– Mais à l’été 1916, l’ambitieux officier connaît sa première grande satisfaction. En effet, avec l’entrée en guerre de la Roumanie et l’échec de l’objectif premier de Verdun, Guillaume II décide de se séparer d’Erich von Falkenhayn. Influencé par plusieurs responsables militaires et politiques, il appelle à la place von Hindenburg à la tête du Grand Etat-Major impérial. Si Hindenburg impressionne Guillaume II par sa figure paternelle et rassurante, le Kaiser n’a que mépris pour Ludendorff. Mais pour l’instant, l’influençable empereur a besoin de lui. Mais si Hindenburg dirige le GEM, c’est Ludendorff qui est la cheville ouvrière de la conduite des opérations sur l’ensemble du front européen. Les premières mesures prises sont des succès. Ludendorff confie à von Falkenhayn – qui se tire honorablement de sa disgrâce – la direction des opérations pour anéantir l’armée roumaine. Il prévoit une grande manœuvre d’enveloppement à partir de la Hongrie. Bien dirigée par August von Mackensen face à un adversaire qui ne fait pas le poids, l’invasion de la Roumanie est un quasi succès austro-hongrois, tempéré néanmoins par la formation du réduit de Marasesti que les forces des Empires Centraux ne pourront liquider. La deuxième mesure concerne le front de la Somme, face aux Britanniques de Haig. Ludendorff décide d’abandonner la défense fixe et l’idée de von Falkenhayn de « tenir coûte que coûte » pour une défense élastique et en profondeur, faite de contre-attaques bien appuyés par les bouches à feu et qui se révèle bien plus efficace. Mais Ludendorff est aussi contraint de dégarnir le front de Verdun, notamment en artillerie. Toutefois, au cours de l’automne 1916, les forces allemandes d’Otto von Below et de von Gallwitz provoquent l’enlisement des troupes du Commonwealth et des Français. A la fin de la Bataille de la Somme, Ludendorff prend la décision de reculer les troupes allemandes un peu plus à l’est mais de les retrancher solidement derrière la Ligne Hindenburg (Hindenburg Linie).

– Au début de 1917, devenu le second homme fort de l’Empire allemand, Ludendorff prend conscience que l’armée allemande doit se doter d’un matériel beaucoup plus important dans l’espoir de gagner la guerre, il prend des mesures d’urgence qu’il justifiera dans « La guerre totale ». Ludendorff fait donc augmenter la production de canons, d’obus et de sous-marins (mais pas de chars par manque d’acier en raison du blocus), tout en mobilisant les moyens techniques et psychologiques. Sa ligne de conduite est la suivante : recherche de la victoire totale sans compromis avec les forces ennemies. Mais Ludendorff pervertit la pensée de Clausewitz en subordonnant la stratégie à sa propre vision tactique et la politique à la guerre. En subordonnant tout à l’armée, il oublie la dimension civile et diplomatique, ce qui aura de grave conséquence.
Ainsi, au début de 1917, l’Admiral Henning von Holtzendorff remet à Ludendorff et Hindenburg un mémorandum (rédigé par Scheer et appuyé par Grasshoff et Vanselow) expliquant que la Grande-Bretagne demandera grâce si la Kaiserliche-Marine coule jusqu’à 600 000 tonneaux de navires par moi et ainsi, asphyxier le commerce dans l’Atlantique (3). Comme le dit Paul G. Halpern, se fondant sur cette seule donnée statistiques et techniques, Hindeburg et Ludendorff décrètent la « Guerre sous-marine à outrance » lors de la Conférence du château de Pless en janvier 1917, lâchant ainsi les U-Boote à la traque des navires alliés dans l’Atlantique. Mais Ludendorff ignore effrontément la réaction des Etats-Unis. En effet, la jeune nation en plein essor économique a besoin de la sécurité de ses navires pour exporter ses produits, d’autant que des industriels et financiers de Washington sont créditeurs de la France et de la Grande-Bretagne. Mais c’est le fameux télégramme Zimmermann qui met le feu aux poudres. Faisant preuve d’amateurisme, la diplomatie allemande promet au Mexique (alors en pleine instabilité politique) de reconquérir plusieurs parties du territoire américain au nord du Rio Grande. Pour Woodrow Wilson, le prétexte est tout trouvé. En avril 1917, les Etats-Unis d’Amérique, jusque-là isolationnistes, entrent en guerre contre Vienne et Berlin.

– Cependant, l’année 1917 est marquée par des succès allemands. A l’Ouest, les troupes allemandes infligent un revers sanglants aux Français au Chemin des Dames. Puis, du 31 juillet au 10 novembre, les troupes du Kronprinz Rupprecht et de Berhnard Sixt von Arnim cèdent du terrain dans le saillant d’Ypres (Passchendaele) mais ne rompent pas et infligent de très lourdes pertes aux Britanniques mais en consentent également. Mais aussi notables soient-ils, ces succès défensifs trahissent une autre réalité stratégique : en effet, Erich Ludendorff doit jongler entre les effectifs de chaque armée sur le Front de l’Ouest en veillant à ne pas trop déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cela le contraint à insuffler à ses subordonnés l’idée de tenir le front, tout en utilisant des tactiques défensives novatrices (celles de von Lossberg notamment). En outre, à l’automne, le Général Philippe Pétain et les forces françaises remportent deux victoires qui coûtent aux Allemands (Seconde Bataille de Verdun et le Fort de la Malmaison).

– Toutefois, deux nets succès sont enregistrés par les troupes de l’Armée allemande. Le premier, initié par Ludendorff est remporté à Riga contre les Russes sous la direction du Generaloberst Oskar von Hutier (son cousin par alliance). Et le second a lieu le 24 octobre à Caporetto en Italie. Pour cette victoire, Erich Ludendorff expédie sur le front austro-italien la XIV. Armee d’Otto von Below afin de donner un ballon d’oxygène à l’Armée austro-hongroise, épuisée après avoir bloquer les armées de Cadorna lors des Onzième et Douzième batailles de l’Isonzo. Corseté par von Below, les Autrichiens regagnent de l’énergie. Mais comme le dit Jean-Yves Le Naour, si Vienne veut sortir l’Italie de la Guerre, Erich Ludendorff ne pense absolument pas que la Guerre se gagnera en Italie. Du coup, un mois après Caporetto, il rappelle les 7 divisions de von Below pour les renvoyer en France et dans les Flandres. Cela prive les Austro-Hongrois, trop fatigués et pas assez équipés, de la victoire stratégique qu’ils espéraient et le front se stabilise sur la Piave (5). On voit alors que l’Armée des Habsbourg devient clairement dépendante de l’Armée allemande (processus amorcé dès l’été 1916 avec les défaites face aux Russes) et le processus de vassalisation va croissant. En outre, le GQG de Berlin s’inquiète du manque de volonté du jeune Empereur Charles Ier de poursuivre la guerre. Justification qui incite les généraux allemands à envisager de mettre l’Armée austro-hongroise sous la tutelle de Berlin. Et au printemps 1918, poussé par ses généraux et malgré ses sentiments, Charles Ier consent à ce que les opérations de sa propre armée relèvent de la direction du GQG de Berlin. La vassalisation de Vienne est consommée mais le vieil empire n’en sera pas sauvé davantage (6).

3 – DÉFAITE A L’OUEST 

– Néanmoins, Ludendorff s’accroche encore à son rêve de victoire totale. Première raison, la Russie commence à sortir du conflit avec la Révolution bolchevik, ce qui soulage les puissances centrales du front oriental. Mais avant cela, il faut entamer les négociations avec les représentant du jeune état soviétique enfanté par la Révolution d’octobre. Débutant en décembre 1917, les premiers pourparlers s’engagent dans une certaine bienveillance de part et d’autres. Mais Erich Ludendorff ordonne  au Generalmajor Max Hoffmann (Chef d’état-major de l’Ostfront) de contraindre Trotski et Lénine à accepter des clauses particulièrement dures. Celles-ci stipulent que l’Allemagne annexera de vastes territoires du jeune Etat soviétique, notamment sur la Baltique, en Biélorussie et en Ukraine. Sans quoi, les troupes d’Hoffmann envahiront une partie de la Russie. Les autrichiens, par la voix d’Ottokar Czernin (Ministre des Affaires étrangères) font savoir aux Allemands que les exigences de Ludendorff sont trop importantes, ce qui retarde la conclusion du traité et donc, l’envoi de troupes impériales en Italie. Mais Hoffmann fait vite comprendre aux Autrichiens qui mène la danse. Mais Trotski tente un coup de bluff en déclarant ni plus ni moins à ses interlocuteurs hostiles (et médusés) que la guerre entre l’Allemagne et la Russie des Soviets est terminée et que les négociations en cours n’ont plus lieu de se poursuivre. Mais passée la surprise, Hoffmann applique les ordres de Ludendorff et commence à faire marcher plusieurs divisions en territoire soviétique sans que les troupes ralliées aux Bolcheviks ne s’y opposent. Trotski songe un temps à reprendre la guerre contre l’Allemagne** mais Lénine – qui veut d’abord sauver la Révolution avant de mettre la Russie au pas sous le drapeau rouge – approuve les conditions allemandes(7). Par conséquent, en mars 1918, le gouvernement bolchevik signe l’armistice avec Berlin, ce qui permet à Ludendorff d’envoyer plus de 1 millions d’hommes à l’Ouest.

– Le Chef d’état-major adjoint allemand planifie alors un ensemble d’offensives visant à rompre plusieurs parties du front allié entre la Mer du Nord et la Marne. Avec 192 divisions, dont plusieurs dotées des fameuses troupes d’assaut (Stosstruppen) dont il encourage la création et l’augmentation (au détriment des divisions de seconde vague, de qualité moindre), Ludendorff espère remportent un succès décisif. Pour cela, il décide d’appliquer les tactiques novatrices d’emploi de l’Infanterie et de l’Artillerie qui ont fait les succès de Riga et Caporetto.

– La première offensive est déclenchée le 21 mars 1918 et a pour nom « Michael ». Menée par Oskar von Hutier, l’un des meilleurs tacticiens allemands, l’attaque réussit à repousser la Vth Army britannique de Gough vers Amiens mais manque de briser la liaison franco-britannique. Ludendorff décide d’attaquer dans les Flandres et sur la Lys avec la VI. Armee du Kronprinz Rupprecht (offensive « Georgette »). Mais cette offensive qui culbute les Portugais et la Ist Army britannique de Horne, en forçant Haig à évacuer Ypres, vient échouer sur le Mont Kemmel. Du coup, pendant l’été, Ludendorff s’échine à lancer plusieurs offensives mais son plan initial perd en cohérence à mesure que les alliés tiennent et se renforcent. En outre, ceux-ci ont constitué enfin un commandement unifié sous l’autorité du Maréchal Ferdinand Foch et bénéficient d’un apport humain conséquent avec les divisions américaines prêtes au combat. Les Alliés bénéficient également d’un apport technique non négligeable avec plusieurs milliers de Tanks et chars d’assaut français.

– En mai-juin 1918, Ludendorff déclenche l’offensive Friedensturm et Kaiserschlacht destinées à forcer les cours de l’Aisne et de la Marne. La première manque de réussir car le Général Duchêne opère une défense catastrophique qui force Pétain à replier la VIe Armée sur la Marne. Les Allemands prennent même des têtes de ponts sur la rive sud à hauteur de Château-Thierry mais ne peuvent poursuivre leur effort. Dans la foulée, Ludendorff déclenche son ultime offensive :  « Friendensturm » dans le but de détruire le dispositif défensif franco-anglais entre la Montagne de Reims et la région de Suippes-Mourmelon. Sauf que les troupes de von Einem échouent à prendre Reims face à la IVe Armée du Général Gouraud, lequel opère une défense savante et efficace qui coûte beaucoup aux Allemands. Mais Ludendorff croit encore un succès possible, puisqu’il prévoit de cogner encore dans le secteur d’Ypres. Il planche alors sur le plan « Hagen »  quand Ferdinand Foch lui assène un violent coup sur la Marne (Seconde bataille de la Marne). En effet, le 18 juillet – alors que les renseignements allemands n’avaient rien décelé – deux armées françaises, bien équipés en chars et en avions, intégrant des divisions américaines et britanniques, frappent durement le dispositif défensif du Kronprinz entre Villers-Côterets et Dormans. Les Alliés font preuve d’une coordination interarmes à un très haut niveau. Et s’ils ne percent pas, ils infligent des pertes difficilement remplaçables aux Allemands, tout en reconquérant du terrain perdu. Quand il apprend le succès de Foch, Hindenburg accuse rudement le coup. Son comportement change. Jusque-là combatif, il déprime et devient cyclothymique. C’est la fin des offensives de Ludendorff et ses armées, les bottes pleines et le ventre creux, ne peuvent avancer davantage. Le Général allemand – qui continue à mentir effrontément aux politiques quant à la situation (P. Jardin) –  L’été et l’automne, sont une litanie de contre-offensives et d’offensives alliées réussies qui repoussent les Allemands vers le nord-est : Seconde bataille de la Marne, offensive Meuse-Argonne, Troisième bataille de la Somme, Saint-Mihiel, etc. Mais le 8 août, c’est Haig – en concertation avec Foch – qui soufflette le général allemand. A l’issue d’une planification particulièrement soignée, et et grâce à une combinaison interarmes troupes du Commonwealth et une armée française déclenchent une puissante offensive de part et d’autre de la Somme (à l’est d’Amiens) qui est encore coûteuse pour les II. et XVIII. Armeen , lesquelles cèdent du terrain en y laissant un grand nombre de tués et de prisonniers. L’initiative stratégique est complètement perdue. Erich Ludendorff écrit « c’est le jour de deuil de l’Armée allemande ». Mais ses armées ne sont pas encore détruites et conservent un front cohérent. Sauf que Foch et ses alliés ne cherchent pas à créer des conditions pour des offensives dites de manœuvres. Ils utilisent leurs Groupes d’Armées et Armées comme de puissants béliers pour reconquérir méthodiquement du terrain et épuiser la Kaisersheer jusqu’à la corde. Pour cela, Ferdinand Foch, s’accorde avec ses alliés pour lancer des offensives séquencées dans le temps et dans l’espace, suivant l’objectif (proposé par Haig et approuvé) de chasser les allemands de la ligne Cambrai – Maubeuge, très importante d’un point de vue logistique. Fin septembre, l’Artois est dégagé, la Somme définitivement franchie, tandis le Canal du nord et la fameuse Ligne Hindenburg sont percés. Quasi simultanément, après l’offensive purement politique de Saint-Mihiel, Français et Américains conduits par Maistre, Gouraud et Pershing avancent en Argonne et remontent le cours de la Meuse. Seule l’inexpérience et la lourdeur de l’US Army épargnent une nouvelle catastrophe aux Allemands. Les troupes allemandes doivent encore reculer – tout en continuant de se battre dans l’ensemble* –  en Belgique et sur les frontières nord-est du territoire français. Du coup, Ludendorff va s’efforcer de minimiser la catastrophe et ce, jusqu’à l’automne en faisant croire à un changement de stratégie axées sur les combats défensifs. Mais beaucoup au Reichstag ou dans l’opinion se lassent et entrevoient la duperie. Mais stratégiquement, la situation lui échappe. En effet, sur le front des Balkans, les Armées alliées conduite par Louis Franchet d’Espérey remportent d’importantes victoires (Moglena, Vardar, Uskub) qui tronçonnent le dispositif germano-bulgare en deux. Sofia demande grâce, tandis que Serbes et Français reconquièrent la Serbie et progressent à bon rythme vers le Danube et le cœur de l’Empire austro-hongrois agonisant. Ludendorff fait d’abord croire à un succès local mais il ne peut cacher la vérité longtemps. Les ministres allemands apprennent avec consternation que tout le front sud s’effondre. Constatant enfin son échec, Erich Ludendorff conseille à Guillaume II de négocier avec les alliés un armistice honorable. Mais il ne veut pas abandonner le combat. Cette fois, pour l’opinion allemande comme pour nombre de responsables civils, la coupe est pleine, d’autant que la population allemande en a assez des dures privations alimentaires imposées par le blocus britannique. Le 25 octobre, Guillaume II limoge Ludendorff pour le remplacer par Wilhelm Gröner, un très bon organisateur qui ne peut que constater les dégâts et conseiller à l’Empereur de demander l’armistice.
Après le 11 novembre, Erich Ludendorff s’exile un temps en Suède avant de revenir en Allemagne, alors passée sous le drapeau de la République de Weimar. C’est à ce moment que Ludendorff lance l’idée du « Coup de poignard dans le dos » (« Dolchstosslegende ») selon laquelle l’Armée allemande n’a pas perdu la guerre. Ludendorff, bien relayé par la presse nationaliste et certains milieux de l’armée qui n’ont pas digéré l’armistice, appuie l’idée que la défaite n’est que le fruit d’un complot liant plusieurs forces hostiles à l’Allemagne, soit les sociaux-démocrates, les juifs, les communistes, de même que les Jésuites ! Or, c’est oublier que les premiers ont bien voté les crédits de guerre et 1914 et que les seconds ont très honorablement fait leur devoir de loyaux sujets.

– Du coup, en mars 1920, on retrouve Ludendorff soutenir le coup d’état de Kapp à Berlin, aux côtés de Paul-Emil von Lettow-Vorbeck et d’autres officiers supérieurs. Menacé d’arrestation, il se réfugie en Bavière. A Munich, il fait la connaissance d’un ancien caporal, Adolf Hitler, lui aussi ulcéré par la défaite dont il rend les Juifs responsables. Ludendorff devient alors le champion du petit NSDAP lors du putsch de la Brasserie du 8 novembre 1923 qui échoue piteusement à la Feldherrnhalle de Munich. Mais Ludendorff n’en reste pas là. Il se présente aux élections présidentielles allemandes de 1925, avec le soutien du NSDAP et d’autres formations d’extrême-droite et Völkisch. Mais sa candidature est torpillée par celle de Paul von Hindenburg qui reproche à son ancien subordonné ses nouvelles affinités politiques. Résultat, Ludendorff fait un score lamentable (1,1% des suffrages). Dans les années qui suivent, Ludendorff échoue même à arracher à Hitler la tête du NSDAP. Hitler qui considère son ancien allié comme dangereux réussit à l’écarter en 1927, en faisant planer sur lui des rumeurs d’appartenance à la franc maçonnerie.
Prenant acte de ses échecs politiques, Erich Ludendorff fonde en 1925, avec Mathilde Speiss (qui deviendra sa seconde épouse), le Tannenbergbund, une société promouvant un néo-paganisme en Allemagne. Durant les années 1920-30, il écrit, justifiant ses décisions prises durant la Grande Guerre.

Ainsi, dans « Kriegsführung und Politik » (« Conduite de la guerre et politique ») et dans « Der Totale Krieg » (« La Guerre totale »), il explique que le destin de l’Allemagne est de lutter pour sa survie. Et dans ce cas, tous les moyens humains, matériels et économiques doivent converger pour assurer des victoires décisives. Cela implique l’acquisition de moyens techniques et tactiques perfectionnés, afin de permettre au chef de guerre de ne pas s’enfermer dans une guerre d’usure et de vaincre l’ennemi par des batailles faites de manœuvres en tenailles. Chose toutefois intéressante, il estime qu’il ne faut pas chercher à mentir au peuple allemand afin que celui-ci ne se relâche pas en cas de succès (8). Toutefois, cela implique que la population soit entièrement conditionnée pour la guerre, ce qui nécessite au chef d’employer les ressorts psychologiques adéquats. En cela, Ludendorff n’a fait que paver le chemin des stratèges nationaux-socialistes.

– Erich Ludendorff s’éteint le 20 décembre 1937 à Munich.

* Mais beaucoup de soldats se rendent, tandis que le nombre des déserteurs explose.
** Trotski s’en était même ouvert au Général Niessel, avant que Lénine ne lui ordonne de signer l’Armistice.


(1) WINTER Jay (Dir.) : « La Première Guerre mondiale. T1 Combats », Fayard, 2013
(2) JARDIN Pierre : « Ludendorff. Le tacticien dépassé par la stratégie », in LOPEZ J. & HENNINGER L. Guerres & Histoire, N°33, octobre-novembre 2016
(4) HALPERN Paul G. : « A Naval History of World War I », Routledge Publishing, Oxon, 1995
(5) LE NAOUR J-Y. : « 1917. La Paix impossible », Perrin
(6) LE NAOUR J-Y. : « 1918. L’étrange victoire », Perrin
(7) LE NAOUR J-Y., Op. Cit.
(8) LEMAY Benoît (Préface) in LUDENDORFF E. : « La guerre totale », Perrin

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :