– Conformément aux décisions prises conjointement entre Haig et Foch durant la seconde moitié du mois d’août, les Français doivent relancer leur attaque sur les deux rives de la Somme. Ceci dit, le Groupe d’Armées Nord conserve son rôle de soutien aux Britanniques. La VIe Armée doit progresser sur les deux rives, les corps de la rive droite vers Bapaume et Maurepas, tandis que son aile droite doit pousser encore vers Péronne. Enfin, la Xe Armée de Joseph Micheler doit tenir un rôle de flanc garde (on dira même de « chien de garde ») dans le secteur de Estrées et Chaulnes, afin d’y fixer plusieurs divisions allemandes. Du coup, pour mieux soutenir Haig, Joffre doit privilégier Fayolle et détriment de Micheler. Ainsi, au début du mois de septembre, la VIe Armée dispose de 14 divisions, dont 2 de cavalerie. Fayolle veut y mettre les moyens. Il obtient des pièces d’artillerie lourde (ALGP et ALVF) mais réclame davantage d’escadrilles d’aviation. Joffre consent à ne lui octroyer qu’une unité de chasse ponctionnée au front de Verdun (1).
– Pour plus de détails concernant le plan des Français, la Xe Armée de Joseph Micheler doit attaquer sur le flanc sud, derrière la rive gauche de la Somme, afin d’ouvrir un nouveau front, pendant que l’aile droite de la VIe Armée doi atteindre la Somme entre Péronne et Eterpigny, avec Chilly pour pivot. Fayolle souhaite ancrer son armée sur un front Chilly – Chaulnes – Pressoir – Misery, avant de marcher vers Nesles au sud-est.
– Les Français font face à des éléments de la 2. Armee de Fritz von Below. Ainsi, le XVII. Armee-Korps (Armees-Gruppe « von Pannewitz » ) de Günther von Pannewitz (qui sera vite remplacé par Paul Fleck) tient la ligne Estrées – Lihons – Chaulnes avec les 121., 11., 35. et 36. Infanterie-Divisionen. Quant au « Armee-Gruppe von Quast » de Ferdinand von Quast, il verrouille la ligne Cléry – Biaches – Barleux, avec les 16., 1. Garde-Reserve, 4. Garde et 28. Divisionen.
1 – SEPTEMBRE
A – VIe Armée
– L’attaque des VIe et Xe Armées démarre le 4 septembre. Fayolle se montre d’abord sceptique quant aux ordres de Foch : « Qu’est-ce que ça va donner ? Hum ! Demain, la Xe Armée. Foch va me pousser commune brute, ne tenant compte de rien. » Fayolle retrouve là son ton critique coutumier quant au tarbais, ajoutant : « Cet homme n’a pu s’entendre avec aucun de ses généraux. Successivement Maud’huy, d’Urbal, Dubois ont dû quitter le commandement. » (2)
Mais la poussée de la VIe Armée pour le premier jour est significative. Le Ier Corps du Général Adolphe Guillaumat s’empare du Forest. Le VIIe Corps de Georges de Bazelaire (celui qui tint la Cote 304 à Verdun) s’empare de Cléry-sur-Somme. Les soldats français font 2 000 prisonniers, capturant de nombreuses mitrailleuses Maxim, ainsi que des canons de 77 et 105 mm. Fayolle écrit dans ses carnets de guerre, qu’à l’annonce du bilan de cette première journée, « le père Joffre est rayonnant ».
Sauf que dans le secteur de Maurepas, l’affaire est bien moins engagée. Ainsi, quand la 46e DI du Général Jules Gratier (unité formée de 8 Bataillons de Chasseurs Alpins) attaque la première ligne allemande, cinq vagues de fantassins échouent sur la première tranchée, bloqués par l’artillerie et un efficace tir de mitrailleuses. Mais les Troupes de Montagne parviennent à se dégager un passage et à prendre la « Tranchée de la Cranière » à la grenade et même, avec l’aide d’un pilote tirant sur les Allemands en rase-motte ; si l’on en croit le témoignage du Commandant Michelin de la 4e Brigade Alpine (3).
– Le 5 septembre, l’attaque repart alors qu’il pleut et que le terrain se transforme en gigantesque bourbier. Qui plus est, un épais brouillard enveloppe le champ de bataille, ce qui ne facilite guère les réglages d’artillerie. Mais les Français piétinent. Si le Ier Corps de Guillaumat a pu s’emparer de Chilly, il ne peut déboucher de la Ferme de l’Hôpital en dépit de la prise de ce second objectif. Fayolle s’en prend aux officiers d’artillerie qui transmettent leurs ordres par voie orale, tandis que Guillaumat accuse le ravitaillement d’être déficient. Sur ce point, on ne peut vraiment lui donner tort compte tenu le mauvais temps qui transforme les voies d’approvisionnement en fondrières. Et dans le secteur des trois Corps d’armées, les artilleurs éprouvent les pires difficultés à déplacer leurs pièces dans la boue. Fayolle, qui espérait profiter du flottement dans une partie de la première ligne allemande pour attaquer la seconde mais compte tenu des conditions difficiles, il doit reposer son armée. La rupture a donc échoué et les Français se retrouvent à devoir mener une bataille d’attrition. Reste que les objectifs sont les Tranchées de l’Hôpital, de Greiz, du Mamelon, du Bois Madame et des Berlingots.
– Au son grand dépit, Emile Fayolle doit repousser au 12 l’attaque qu’il a prévue pour le 9. Il estime que l’artillerie de Guillaumat n’est pas prête. En fait, celle-ci doit ouvrir des passages dans une double ligne allemande bien aménagée et précédée d’un réseau profond de 5 à 6 mètres. En fait, les Français découvrent que les Allemands se sont adaptés aux combats de position en utilisant des trous d’obus reliés entre eux, moins vulnérables aux tirs d’artillerie.
Le 12 septembre, l’attaque française reprend. Au sein du Ier Corps, la 2nde DI de Pierre Guignabaudet arrache le Bois d’Anderlu, tandis qu’au VIIe Corps, la 41e DI de Georges Claret de la Touche enlève Bouchavesnes. Malheureusement, ses patrouilles ne peuvent se maintenir sur l’Epine de Malassise en raison de tirs de mitrailleuses.
– A présent, le front de la VIe Armée se trouve étendu et formé en éventail. Fayolle demande des renforts et Foch consent à lui donner le Ve Corps de Hallouin. Celui-ci vient s’intercaler entre les Ier et VIIe. Suivant les ordres de Foch, Fayolle assigne de nouveaux objectifs à ses forces dans le but d’abattre la seconde ligne allemande. Le Ier Corps doit appuyer le XVth Corps britannique en attaquant la croupe du ravin de Combles, la Ferme le Priez, Rancourt puis Sailly-Sallisel. Le Ve Corps doit prendre les lisières du Bois Saint-Pierre-Vaast et la Ferme du Gouvernement. Le VIIe Corps doit prendre la Ferme du Bois Labé et dégager définitivement l’Epine de Malassise. Enfin, le XXXIIIe Corps d’Alphonse Nudant, laissé jusque-là en réserve, doit prendre le Mont-Saint-Quentin.
– Fayolle déclenche son attaque le 12. Mais la configuration des travaux défensifs allemands « casse » littéralement l’action des divisions françaises. En effet, comme le signale Alain Denizot, les divisions de la VIe Armée attaquent de façon fragmentée et sans cohésion, rendant chaque assaut émoussé et stérile. Pour exemple, si le VIIe Corps finit par s’emparer de Bouchavesnes et du Bois Labé, capturant 2 300 Allemands, 10 canons et 40 mitrailleuses, il ne parvient pas à déboucher, subissant contre-attaque sur contre-attaque. Le 14, la 45e DI (Général Quinquandon) attaque à l’aveugle en raison de la perte de son avion d’observation en raison d’un tir ami. Le lendemain, la 10e DI (Varlant) attaque sur Rancourt mais tombe sur une redoutable défense allemande. Les Maxim font un carnage, décimant les régiments. Le 16 septembre, Fayolle doit se rendre à l’évidence ; son armée est épuisée. Il rédige un courrier à Rawlinson lui expliquant qu’il ne peut faire davantage (3).

– Après cet échec, Foch et Haig planifient une nouvelle offensive pour la dernière partie de septembre. D’abord prévue pour le 23, elle est reportée au 25 en raison du mauvais temps. Ainsi, pendant qu’un Corps de la IVth Army de Rawlinson achèvera de dégager Courcelette et que la Reserve Army de Gough attaquera à l’aile gauche britannique (Thiepval), les Français devront continuer d’exercer leur pression entre Combles et Rancourt. Mais le redéploiement des trois Corps de la VIe Armée est rendu très difficile par la pluie et la boue. En outre, à Fayolle qui lui demande des renforts, Foch lui répond en ponctionnant les réserves du GAN et en prélevant hommes et matériels à la Xe Armée.
– L’attaque reprend donc le 25 septembre par beau temps. Mais l’artillerie de la VIe Armée est insuffisamment préparée et le tir préparatoire est inefficace. Par conséquent, les Français piétinent de nouveau. Frégicourt reste inaccessible pour le 127e RI (1re DI). En revanche, le 151e RI du Colonel Moisson (42e DI) arrache Rancourt. Mais il ne peut progresser davantage car à sa droite, le 94e RI est bloqué avec de lourdes pertes, par des mitrailleuses intelligemment placées. Cependant, grâce à un l’interrogatoire d’un prisonniers, les officiers du Ier Corps apprennent que le ravin de Combles a été évacué pendant la nuit du 25-26. Guillaumat envoie deux régiments (73e et 110e RI de la 2e DI) pour l’occuper. 500 Allemands sont faits prisonniers.
Ce succès permet aux Français de débloquer partiellement la situation. Le 43e RI (1re DI) s’empare de Frégicourt, tandis que la XXXIIe Corps de Henri Berthelot finit par dégager le Bois de Saint-Pierre-Vaast. Malheureusement, le VIe Corps du Général Paulinier (celui qui a défendu l’accès au Fort de Souville à Verdun) subit des lourdes pertes en voulant dégager le Bois Labé. Mais le 27, Fayolle doit cesser son attaque car les Britanniques ne se sont pas emparés de Morval et Lesboeufs.

B – Xe Armée
– Du côté des forces de Micheler, le IInd Corps du Général Denis Duchêne est fortement constitué pour l’assaut, avec les 77e DI de Cugnac (objectif Barleux), 15e DI Coloniale du Général Bro (progression entre Barleux et Vermandovillers), 3e DI de Nayal Martin de Bourgon (objectif Horgny) et 4e DI (progression sur Berny, entre Belloy et Estrées). A droite du IInd CA, le XXXVe CA (Charles Jacquot) et le Xe CA (François Anthoine) doivent attaquer sur Deniécourt, Soyécourt, Vermandovillers et Chilly. Selon le Général Buat, témoin direct de la préparation d’offensive, les 77e DI et 15e DIC sont en état médiocre et insuffisamment préparée. Mais les 3e et 4e DI sont en meilleure tenue (3).
– Après la préparation d’artillerie, l’Infanterie française attaque et gagne du terrain contre les positions du IX. Armee-Korps. Chilly et Soyécourt sont pris par les Xe et XXXVe Corps. La 4e DI du Général Henri Linder (120e, 147e et 328e RI ; 9e et 18e BCP) parvient dans les faubourgs de Berny, tandis que la 3e DI de P-E. Nayal Martin de Bourgon (51e, 87e, 128e et 272e RI ; 38e RIT) avance sur la droite de la 4e. Malheureusement, elle doit se replier quand l’aile gauche de la 15e DIC a été repoussée par une violente riposte allemande. Et la 77e DI n’a pas eu plus de chance devant Barleux. Lorsqu’il cesse son attaque, le IInd Corps de Duchêne a attaqué et pris 631 prisonniers. Seulement, l’ensemble du front de la Xe Armée est découpé, ce qui contraint Micheler à planifier de nouvelles attaques pour régulariser le saillant.
– Le 5 septembre, les Corps français repartent à l’attaque. Du côté du XXXVe, Jacquot fait donner la 43e DI d’Antoine Baucheron de Boissoudy, (détachée du XXIe CA), avec les 85e (149e RI ; 3e et 10e BCP) et 86e Brigade (158e RI ; 1er et 31e BCP), attaque le massif de Daniécourt par l’ouest, emportant plusieurs positions allemandes. Malheureusement, la 61e DI de Charles Vanderberg, avec les 121e (264e et 265e RI) et 122e (219e et 262e RI) Brigades progresse moins bien par le nord. Il n’en va pas mieux chez Duchêne, où selon l’avis de Buat, les 15e DIC et 77e DI « ne font que des bêtises » et ne progressent pas (4). Durant les journées des 6-7 septembre, la 4e DI de Linder progressent jusqu’à l’intérieur de Berny, pendant que la 61e DI progresse sur Daniécourt. Malheureusement, la 3e DI ne gagne pas de terrain, de même que les Coloniaux et la 77e DI. Seule la 43e DI effectue l’avance la plus notable sur Vermandovillers. Selon Buat, les responsables de l’échec sont les généraux divisionnaires du IInd CA qui n’osent dire ce qu’ils pensent devant Duchêne (5), augmentant ainsi les chances d’insuccès.
– Le 8 septembre, Duchêne décide de remettre son attaque au 11 septembre, en raison de l’épuisement des 3e et 4e DI. Duchêne décide d’envoyer la 121e DI de Buat en ligne. Mais à la colère de l’intéressé, Duchêne ventile les 352e et 404e RI au sein de deux divisions différentes. Pis encore, alors qu’il s’installe, le 352e RI qui tient les restes des faubourgs de Berny, subit l’attaque d’éléments du 1. Flammenwerfer-Regiment et connaît des pertes sérieuses. Ulcéré, Buat vient au QG de Duchêne pour exprimer son mécontentement quant à sa façon de traiter ses régiments en « invités ». Duchêne prend acte. Mais le 12 septembre, Duchêne vient au PC de Buat pour exprimer son mécontentement quant à l’état-major de la 121e DI. La tension monte chez les officiers du IInd Corps. Le 14 septembre, la 4e DI attaque Berny et se cramponne sur les lisières sud pendant quatre cinq jours, en essuyant une violente riposte d’artillerie. Duchêne réprimande Linder qui ne rêve que « de lui f…sa main sur la g… », aux dires de Buat (5). Néanmoins, grâce à l’action conjointe de la 121e DI, le parc de Berny peut être occupé. Mais en face, conformément aux directives de Hindenburg et Ludendorff sur la défense mobile, les Allemands se replient sur la Sucrerie de Bovent, Genermont et Fresnes.
– Après la prise de Berny, Micheler décide de faire attaquer conjointement le XXIe Corps – avec la 10e DIC du Général Jean-Baptiste Marchand et le IInd Corps – avec la 121e DI – de part et d’autres du Bois Guibert. Mais en raison du mauvais temps, Duchêne repousse son attaque pour début octobre.

[Suite]
(1) DENIZOT Alain : « La bataille de la Somme », Perrin, 2005
(2) FAYOLLE, Gén. Emile : « Carnets de guerre », in DENIZOT A. : « La Bataille de la Somme », Perrin, 2002
(3) Cité in DENIZOT A. : Op.Cit.
(4) Ibid.
(4) BUAT Gén. Edmond : « Journal. 1914-1923 », présenté par G-H. Soutou et Fr. Guelton, Perrin
(5) BUAT Gén. Edmond : Op.Cit.
(6) Ibid.
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