– Afin de détourner les réserves allemandes basées à Lille qui peuvent arriver sur le Front de la Somme, Douglas Haig ordonne à Charles Monro, commandant de la Ist Army de lancer une contre-attaque de diversion. Si Monro se montre confiant (lui aussi) dans un possible succès de percée sur la Somme, il répond favorablement à la demande de Haig et prévoit une attaque avec le Canadian Corps dans le secteur de Vimy, à l’est d’Arras (1). Mais le GHQ fait pression pour une attaque dans un autre secteur, de crainte de voir les réserves provenant de Lille parvenir au plus vite à la II. Armee sur la Somme. Par conséquent, le 9 juillet, Monro demande à Richard Haking, chef du XIth Corps de dresser un autre plan d’attaque. Haking propose ni plus ni moins de reprendre la Crête d’Aubers (que les Britanniques avaient échoué à prendre en 1915) et Fromelles avec 2 divisions. Mais Monro et Herbert Plumer (le commandant de la IInd Army) estiment que un tel objectif est bien trop pour 2 divisions.
– On décide alors de réduire l’assaut au seul secteur de Fromelles, à la jointure des Ist et IInd Armies et à 80 km au nord du front de la Somme. L’attaque est entièrement avalisée lors d’une réunion à Choques, à laquelle participent Richard Butler, Chef d’état-major adjoint du BEF, le Major-General George Barrow, chef d’état-major de la Ist Army et son pendant pour la IInd Army, Charles Harrington. Un bémol toutefois, Plumer fait savoir à Haking qu’il ne lui octroie que l’artillerie de 2 divisions, à la place des 3 prévues. Et le 16 juillet, lors d’une seconde rencontre, Butler rappelle l’une des conditions avapar Haig pour l’attaque, à savoir disposer d’une forte artillerie pour la contre-batterie, ce qui n’est pas encor le cas. Butler estime que le déclenchement de l’attaque n’est pas urgent mais Haking fait montre d’un esprit offensif couplé à un enthousiasme excessif.
– Premier accroc au plan offensif, le Major-General Harold Walker, commandant de la 1st Australian Division (composée de soldats ayant connu Gallipoli) refuse de participer à l’attaque contre Fromelles, contrairement à ce qui était prévu. Du coup, Haking doit faire porter le poids principal de l’attaque à la 5th Australian Division du Maj-Gen. James McCay, dont les soldats n’ont aucune expérience. Il en va de même pour les servants des batteries lourdes australiennes (9-inch). Haking dispose également de la 61st (2nd South Middlands) Division de Colin Mackenzie, division de Pals inexpérimentée, arrivée en France en mai et qui ne dispose pas de tout son équipement. Encore qu’une partie de celui-ci a dû être ponctionné à la 48th Division. Et comme si cela ne suffisait pas, le secteur prévu n’est guère le mieux choisi, puisqu’il est dominé par la Crête d’Aubers et par un butte baptisée le « Pain de sucre » (« Sugarloaf ») qui permet aux Allemands d’observer les dispositions des troupes de Haking. D’autre part, les champs sont entrecoupés par la Laye et ses marais. la défense allemande est assurée par les Bavarois de la 6. Königlich-Bayerisches-Reserve-Division de Gustav Scanzoni von Lichtenfelds, formation appartenant à la VI. Armee du Kronprinz Rupprecht von Bayern. Et bien sûr, les Allemands ont érigé deux lignes de positions fortifiées depuis la fin 1914. Sur leur droite défendue par le Bayerisches-Reserve-Regiment Nr. 20 (face aux Australiens), ils ont constitué deux puissants points d’appui à partir des Fermes Delagrange et Delaporte et des Rouges Bancs. Le centre allemand est tenu par le BRR Nr. 16 (à hauteur du « Pain de sucre ») et la gauche par le BRR Nr. 17 (qui fait face à la 61st Division) qui peut s’appuyer sur le Trivolet.
– Cependant, Haking n’en dresse pas moins son plan d’attaque, en réitérant ce qui a été effectué sur la Somme (avec le succès que l’on connaît), à savoir un fort bombardement concentré sur la première ligne allemande et les Anglo-Australiens avançant derrière le tir pour gagner les lignes allemandes. La 61st (2nd South Mid.) Division doit attaquer à la droite du saillant formé par le « Pain de sucre », alors que les Australiens doivent faire de même par la gauche.
– Le 19 juillet, les batteries du XIth Corps déclenchent leur tir préparatoire. Mais comme sur la Somme, les Shrapnels n’entament que très peu les barbelés, tout comme les abris. Sur la droite, la 61st Division de MacKenzie, l’attaque est un échec. La 182nd Brigade (2/5th, 2/6th, 2/7th et 2/8th Bns Warwickshire) réussit à atteindre ses objectifs malgré de lourdes pertes dues aux mitrailleuses mais est clouée sur place par un tir de barrage. La 183rd Brigade (2/4th et 2/6th Bns. Gloucester ; 2/7th et 2/8th Bns Worcestershire) reçoit une riposte d’artillerie avant de sortir de sa tranchée. Les 2 Battalions qui parviennent à s’extraire de la tranchée sont cloués dans le no man’s land et seulement une poignée d’hommes parvient à accrocher la première ligne allemande. Enfin, la 184th Brigade (2/5th Bn. Gloucester, 2/4th Bn. Oxfordshire and Buckinghamshire, 2/4th Buckinghamshire Bn et 2/4th Bn. Berkshire ) perd presque tout un Battalion en raison du feu allemand.
– Mais les Australiens de McCay vivent un véritable calvaire. Avançant à la gauche de la 61st Division, la 15th (Victoria) Brigade de Harold Elliott (57th, 58th, 59th et 60th Battalions) subit de très lourdes pertes dues aux mitrailleuses. Le 60th Bn souffre particulièrement et terminera la bataille avec 780 hommes en moins sur les 887 de départ. La 14th (New South Wales) Brigade (53rd, 54th, 55th et 56th Bns) de John Hobkirk subit moins de pertes et réussit à atteindre la première tranchée allemande, avant de recevoir le renfort de mitrailleuses. Mais la 8th Brigade (29th, 30th, 31st et 32nd Bns) subit de très lourdes pertes devant les ruines de la Ferme Delangre, transformées en bastion par les Allemands. Et toute tentative de consolidation des maigres gains de terrain est contrecarrée par les tirs de mitrailleuses qui font un carnage dans les rangs australiens.
Haking ordonne alors à la 61st Division de relancer une attaque sur le saillant droit du « Pain de sucre », en coopération avec la 14th (NSW) Brigade. Mais Haking annule l’attaque alors que ses soldats s’apprêtent à repartir à l’attaque. Le contre-ordre ne leur parvient pas et la 182nd Brigade reçoit le choc d’une contre-attaque allemande qui l’oblige à revenir sur ses lignes de départ. Pire encore, la 14th (NSW) Brigade se retrouve isolée dans la première ligne allemande et soumise à un fort tir de barrage. Elle ne doit son salut qu’à un box-barrage (2) qui lui permet de se retirer. Puis, c’est à la 8th Brigade de faire de même. Finalement, à l’issue d’une réunion à laquelle participent Monro, Haking, MacKenzie et McCay, ordre est donné d’arrêter toute attaque le 20 juillet.
– Comme le disent Marjolaine Boutet et Philippe Nivet, l’attaque contre Fromelles est un échec retentissant et von Falkenhayn ne se laisse nullement abuser. Avec 5 533 Australiens et 1 400 Britanniques tués et blessés (contre moins de 2 000 Bavarois) pour aucun gain territorial, il n’y a aucune raison de claironner. Le Brigadier Harold Elliott écrit non sans amertume : « Tous mes meilleurs officiers, ceux qui m’on aidé à former l’ANZAC sont morts. […] Cette bataille devait faire l’objet d’un plan dont nous ne connaissions pas les ressorts » (3)
(1) L’attaque aura bien lieu mais le 9 avril 1917. Elle se conclura par un franc succès des Canadiens, grâce à la préparation minutieuse et à la conduite du Général Arthur Currie.
(2) Il s’agit d’un tir effectué avec un plan de feu en « U» inversé contre les lignes adverses afin de protéger la progression ou l’évacuation de fantassins.
(3) BOUTET M. & NIVET Ph. : La Bataille de la Somme. L’hécatombe oubliée, Tallandier