– Dans la famille des batailles oubliées de la Grande Guerre, nous pouvons nous pencher sur Gommecourt et Fromelles. Elles ont trois points communs : avoir été engagées comme diversions pendant la bataille de la Somme, avoir été mal préparées et donc, s’être soldées par des sanglants échecs. L’offensive de Gommecourt a été déclenchée le même jour que la Somme, tandis que l’attaque de Fromelles survint les 19-20 juillet 1916. Notons que la seconde est encore présente dans la mémoire de l’Australie qui perdit 5 000 hommes en moins de vingt-quatre heures. Voyons d’abord les causes et le déroulé de l’échec de Gommecourt.
– En avril 1916, Douglas Haig avait déjà demandé à Edmund Allenby d’étudier de possibles attaques avec sa IIIrd Army. En mai, il est décidé d’effectuer une attaque contre de diversion contre le saillant de Gommecourt, tout à l’aile droite de la IIIrd Army, qui « colle » l’aile gauche de la IVth Army à Hébuterne. Haig souhaite créer une diversion qui contraindrait les Allemands à envoyer des réserves dans un secteur autre que la Somme.
Le choix peut paraître assez curieux, d’autant que le saillant de Gommecourt n’a pas de réelle importance stratégique mais en somme toute symbolique, puisqu’il marque l’ultime extension du front allemand à l’Ouest. L’extrême pointe du secteur est d’ailleurs surnommée « le chêne du Kaiser » (« Kaiserseichel »). Mais Allenby sait que de par sa position avancée, le secteur de Gommecourt est fortement défendu. Il fait savoir à Haig qu’il opte davantage pour une attaque dans un secteur plus faible que les Allemands seraient nécessairement contraints de renforcer au plus vite, comme la Crête de Vimy. Henry Rawlinson, lui non plus, n’est guère enthousiaste quant à l’idée d’attaquer dans ce secteur. Il estime plus raisonnable de le bombarder avec des obus explosifs et des gaz pour y fixer des troupes adverses. Néanmoins, Haig rejette chacune des options de ses subordonnés et ordonne à Allenby de préparer son attaque pour le 1er juillet. C’est donc au VIIth Corps du Lieutenant-General Thomas d’Oyly Snow, formant l’aile droite de la IIIrd Army, que revient la mission de réduire le saillant de Gommecourt.
– L’objectif est de réduire ledit saillant par une attaque menée par deux divisions inexpérimentées de la NKA : la 46th (North Middlands) Division et la 56th (London) Division. Le plan d’Oyly est d’éviter une attaque directe contre le parc et le village de Gommecourt, fortement défendus. D’Oyly Snow prévoit plutôt une attaque en tenaille afin de couper les positions avancées allemandes de leurs lignes de communication et de la position dite du « Quadrilatère ». Ainsi, la 56th (London) Division de Charles Amyatt-Hull attaquer par le sud-ouest du saillant et pousser au sud du « Quadrilatère », avant de se rabattre par sur le Parc. Elle engage ses 169th Brigade (1/2nd, 1/5th, 1/9th et 1/12th Bns London Regiment) et 168th Brigade (1/4th, 1/12th, 1/13th et 1/14th Bns London Regiment). De son côté, la 46th (North Middlands) Division d’Edward Montagu-Stuart-Wortley doit attaquer depuis Fonquevillers au nord-ouest du saillant et exécuter une manœuvre similaire à la 56th Division. Pour l’attaque, sont déployées la 137th (Staffordshire) Brigade (1/5th et 1/6th Bn North Staffordshire et 1/5th et 1/6th Bn. South Staffordshire) et la 139th (Sherwood Foresters) Brigade (1/5th, 1/6th, 1/7th et 1/8th Bns Sherwood Foresters).
– Les pièces lourdes (Howitzers de 60-pdr, 6 inch, 9.2-inch et canons de 4,7-inch) des 39th, 46th, 47th et 48th Heavy Artillery Groups du VIIth Corps (Brigadier-General C. Buckle) ont pour mission de matraquer les positions fortifiées du parc, la « Redoute de Kern », du « Maze » (ou « Kernwerk »), du « Point 94 », de la « Ferme sans nom », de la « Ferme Farmyard » et des points « Z » et « Little Z ». Les canons ont pour tâche de pilonner les routes et opérer les tirs de contre-batterie. Ces missions doivent s’effectuer avec l’aide des pilotes du No. 8 Squadron Royal Flying Corps, chargés de reconnaître les positions. Simultanément, les 4 Royal Field Artillery Brigades divisionnaires (avec chacune 2-3 batteries de 18-pounder chacune) doivent pilonner la première ligne allemande afin de couper les barbelés et bombarder les tranchées de communication.
Mais exécuter un tel plan nécessite plusieurs conditions : une parfaite préparation d’artillerie, un bon « chronométrage » et une bonne coordination de l’attaque des deux divisions, un ravitaillement et un renforcement régulier des troupes d’attaque et la capacité pour l’artillerie à neutraliser la riposte de l’artillerie ennemie.
Or, de telles conditions ne sont pas réunies. En effet, dès le début, l’artillerie ne peut remplir sa mission, ce qui met sérieusement à mal l’offensive du VIIth Corps. En effet, déjà le 24 juin, le temps est mauvais et les aviateurs ne peuvent décoller pour relever les positions à destination de l’artillerie qui tire à l’aveugle. En outre, à la fin juin, la contre-batterie allemande déclenche une riposte efficace qui cause de sérieux dégâts chez les artilleurs de Sa Majesté. Il faut dire que d’Oyly Snow – et en amont Allenby – ont alloué trop peu de pièces lourdes de contre-batterie pour permettre de riposter efficacement au feu des tubes allemands. Enfin, comme pour l’offensive de la IVth Army, les fils barbelés n’ont pas été entamés par les obus et les Shrapnels (1).
– Du côté allemand, le saillant est tenu par la 2. Reserve-Garde-Division (Richard Freiherr von Süsskind-Schwendi) au nord et l’Infanterie-Regiment Nr. 170 (52. ID) au sud et par les Reserve-Infanterie-Regiment Nr. 55 et 91 au centre et au nord. La 111. Infanterie-Division appuie la 2. GRD au nord. Ces deux divisions appartiennent au XIV. Reserve-Korps de von Stein. Or, dès la fin juin, les Allemands savent qu’une attaque britannique se déroulera sur le Front de la Somme. Et c’est en toute logique que les deux divisions de von Stein se tiennent sur leurs gardes à la veille du 1er juillet.
– Les combats démarrent dans la nuit du 30 juin – 1er juillet. Dans le secteur de la 56th (London) Division, des Raiders réussissent à détruire une partie du réseau des fils barbelés à coup de torpilles Bengalore (1). A 07h30, après le tir de barrage, les 2 Battalions de tête de la 168th Brigade (1/12th et 1/14th Bns London Regiment) réussissent à atteindre la première ligne des RIR Nr. 55 et 91 et à s’emparer de la position dite de la « Ferme sans nom ». Les Britanniques font même 300 prisonniers. Mais à mesure des combats acharnés, les hommes de la 168th Brigade commencent à manquer de grenades. A 09h30, ils subissent un tir de barrage allemand qui les contraint à s’arrêter. Les 168th et 169th Brigades réussissent à atteindre la seconde tranchée mais pas le « Quadrilatère ». Les Britanniques tentent de consolider leurs lignes mais le feu dense allemand les empêche de constituer une ligne cohérente. Et pire encore, le ravitaillement ne vient pas, en raison d’un tir d’artillerie particulièrement efficace depuis Puisieux et par le feu des mitrailleuses bien postées dans le Parc de Gommecourt. Plusieurs groupes de soldats tentent de mordre la troisième tranchée mais sans succès. Notons tout de même que Britanniques et Allemands s’accordent pour faire une pause au milieu des combats afin de ramasser les blessés.
– Passé leurs difficultés de coordination défensives, les commandants des Bayerisches-Infanterie-Regiment 170, RIR Nr. 55, Gardes-Infanterie-Regimente N. 15 et 77 s’accordent pour lancer une contre-attaque contre la 56th Division. Celle-ci survient en fin de matinée avec une bonne coordination infanterie-artillerie. 13 compagnies allemandes avancent derrière un tir de barrage, attaquant les positions britanniques à la grenade. Plusieurs tranchées (Roth, Lehman) sont reprises. Les tentatives de renforcer la Ferme sans nom sont de coûteux échec, le feu allemand balayant systématiquement le no man’s land. Les Tommys demandent l’aide de leur artillerie mais la transmission des informations est si mauvaise que les officiers d’artillerie du VIIth Corps ne sont pas au mis au courant de la contre-attaque allemande. Résultat, des groupes de soldats britanniques sont pris au piège dans les deux premières tranchées allemandes. A 21h00, les derniers rescapés de l’attaque regagnent leur lignes de départ. Cet échec a coûté à la 56th (London) Division, pourtant réputée solide, 4 243 hommes tués, blessés ou prisonniers (3).

– L’attaque de la 46th (North Middlands) Division commence sous les plus mauvais auspices. Déjà, sur la droite, les Battalions de tête de la 137th Brigade (1/6th Bn. South Staffordshire et 1/6th Bn. North Staffordshire) s’égarent en raison de la fumée importante créée par le bombardement. Et les Allemands postés en première ligne attendent le passage du lift du tir de barrage pour accueillir dûment leurs adversaires à la mitrailleuse depuis le point « Z ». Les deux Battalions britanniques sont donc pris sous un feu violent qui leur causent des pertes importantes. Si plusieurs groupes parviennent à accrocher la première ligne allemande, ils ne vont pas plus loin. A 09h00, le commandant de la 137th Brigade est informé que l’attaque a été un échec. Il tente alors d’en monter une seconde avec ses 2 Battalions de réserve (le 1/5th Bn. South Staffordshire et le 1/5th Bn. North Staffordshire) mais celle-ci est retardé en raison de la boue dans les tranchées et de la blessure d’un des Lt-Colonels. Finalement, la seconde attaque a lieu durant l’après-midi mais n’a pas plus de succès.
Sur la gauche, les Sherwood Foresters de la 139th Brigade du Brigadier-General Shipey réussissent à atteindre la première ligne allemande en dépit de pertes importantes. Mais ils se retrouvent également pris aux piège. Les soldats des trois premières vagues qui ont réussi à dépasser la première ligne allemande sont pris à revers. Shipey veut envoyer une quatrième vague, mais celle-ci reste bloquée dans le no man’s land. Seulement quelques groupes d’hommes des cinquième et sixième vagues réussissent à rejoindre les soldats de tête. Au sol, les soldats britanniques essaient de transmettre les informations aux pilotes du RFC et à l’artillerie au moyens de drapeaux, de disques en cuivre et de pigeons voyageurs mais rien n’y fait. De leur côté, les Allemands du Reserve-Gardes-Infanterie-Regiment Nr. 91 et une partie du RIR Nr. 55 passent à la contre-attaque avec l’appui concentré de 22 canons de campagne et 28 canons lourds et reprend plusieurs positions aux Britanniques.
– Constatant l’échec de sa division, Edward Montagu-Stuart-Mortley décide de relancer un nouvel assaut en coopération avec la 56th Division. Mais Shipey fait savoir qu’il ne relancera sa brigade qu’avec l’aide de mortiers Stokes afin d’aveugler les Allemands avec des obus fumigènes. Mais la mauvaise coordination interarmes causent encore du retard et les mortiers ne sont disposés en première ligne qu’en fin d’après-midi, soit trop tard pour une nouvelle attaque, d’autant que Shipey et son chef apprennent que la 56th Division a échoué. Finalement, ils finissent par cesser toute attaque en fin d’après-midi, évitant au moins d’envoyer davantage d’hommes au massacre après la perte de 2 445 soldats.
Montagu-Stuart-Morley est victime de l’échec. Jugé inapte et incapable par d’Oyly-Snow – qui rejette sur lui l’échec de l’offensive – il est accusé de manquement et appelé à comparaître devant une Cour Martiale le 4 juillet. Il ne doit son salut qu’à Haig qui lui ordonne de quitter la France et de retourner en Angleterre. Le commandement de la 46th Division passe à William Twaithes.
– Gommecourt est littéralement un échec tactique qui n’a pas permis de duper les Allemands, loin de là.
(1) CLARKE Dale : World War I Battlefield Artillery tactics, Osprey Publishing, London
(2) Contrairement à ce que l’on peut croire, notamment à travers Hollywood, cette arme a été conçue et fabriquée par le Captain McClintock en Inde en 1912 (d’où son nom).
(3) BOUTET M. & NIVET Ph. : La Bataille de la Somme. L’hécatombe oubliée, Tallandier