1 – PALIER A L’INEXPÉRIENCE
– Juste avant le 1er juillet 1916, la IVth Army compte quatre divisions de la Regular Army (4th, 7th, 8th et 29th). Les trois premières ont connu les combats en 1915, tandis que la dernière a connu les épreuves de Gallipoli, notamment au Cap Helles. D’autres issues de la Territorial Army (la réserve) sont arrivées en France également en 1915. Si certaines n’ont pas connu le feu, d’autres ont quand même l’expérience des combats comme la 9th (Scottish) qui s’est distinguée à Loos.
En revanche, la majorité des divisions mobilisées pour la Somme sont issues de la New Kitchener’s Army. Hormis le cas notable de la 36th (Ulster) dont nombre de soldats protestants d’Irlande ont une expérience paramilitaire, le reste n’a jamais vu le front (voir en complément l’article sur les Pals Battalions sur ce même blog). Enfin, en plus d’un manque d’expérience au feu, certaines de ses divisions n’ont pas vu tout leur équipement leur parvenir. Cette lacune est en grande partie due à l’accélération de la production en série d’équipements et d’uniformes, ce qui n’est pas sans causer des pénuries de dotation.
– La doctrine de tactique d’infanterie qu’adopte la IVth Army mêle l’expérience britannique et celle des Français, ainsi qu’une évaluation de l’efficacité potentiel des nouvelles divisions de la NKA. En voici quelques détails :
– Une note du GHQ rédigée le 8 mai par Sir Launcelot Kiggell, Chef de l’état-major général, rappelle que les Divisions de la NKA sont formées de soldats et d’officiers sans expérience. Mais Kiggell estime également que le niveau de formation des hommes est plus élevé qu’en 1915. Cependant, prendre des décisions tactiques appropriées au niveau local n’est pas encore dans les compétences des soldats britanniques et de l’Empire. Du coup, doivent-ils appliquer les ordres qui leur sont donnés. Même Douglas Haig hésite. Cependant, fidèle à l’une de ses méthodes de commandement, il préfère laisser faire ses chefs d’Armées et de Corps qui sont des fantassins et non des cavaliers.
Les états-majors de divisions de corps produisent une volumineuse documentation d’instructions opérationnelles. Comme le dit William Philipott, la diffusion de cette somme d’instructions n’est pas infondée. En effet, les officiers supérieurs et subalternes britanniques pensent que leurs hommes inexpérimentés ont besoin de suivre des instructions précises et complètes. Mais aucun des manuels ne laisse véritablement place à l’initiative personnelle.
2 – DE NOUVELLES TACTIQUES
– Après le remplacement de John French par Douglas Haig, des officiers du BEF vont mal-interpréter l’idée de la tactique d’infiltration. En effet, dans le manuel Training of Divisions for Offensive Action (SS-109) publié le 8 mai 1916 en préparation de l’Offensive sur la Somme, ses penchent sur une attaque en plusieurs lignes (et non vagues) successives, créant ainsi une dynamique d’attaque vers l’objectif à atteindre. Mais cela contredit ce que certains tacticiens britanniques ont appelé la « Blob Tactic » (littéralement « la tactique de la goutte », symbole d’infiltration) ou du « stalking » (harcèlement continu). Comme le signale Paddy Griffith, certains auteurs britanniques y ont pu voir un hiatus entre le conservatisme rigide – et décalé de la réalité – des officiers supérieurs du BEF et les officiers qui cherchaient des solutions novatrices et plus humaines (1).
– Chaque ligne qui monte à l’assaut doit en fait donner une nouvelle impulsion dans l’attaque. Toutefois, dans les « Tactical Notes » (ou « The Red Book ») édictées sous la direction de la IVth Army, les tacticiens britanniques préconisent à chaque bataillon d’attaquer avec deux-quatre sections lancées en avant. Celles-ci doivent créer une brèche par lesquelles doivent s’engouffrer les vagues suivantes, distantes l’une de l’autre de moins de 100 mètres. Le « Red Book » ne manque toutefois pas de lucidité, notamment lorsqu’il insiste sur l’idée de ne pas confier la prise d’une ligne de tranchée ou d’une position ennemie avec la même vague. Mais cela ne sera pas sans poser des problèmes dans la progression, surtout lorsqu’une vague doit traverser les positions conquises par la précédente (2).
– On assiste alors à une mise de côté de la théorie du « poids du nombre » et à une plus grande valorisation de la section qui doit progresser de façon autonome. Autre amélioration notable, il est recommandé de confier une tâche différente à chaque section : combat, soutien, liquidation de position. La section de combat (« fighting platoon ») doit s’infiltrer le plus profondément dans la ligne ennemie, tandis que les « mopping up platoons » doivent sécuriser les positions conquises en réduisant les points de résistance. L’expérience de Neuve-Capelle et Loos a montré que l’on peut franchir des lignes facilement mais que les Allemands conservaient plusieurs points de résistance qui empêchaient l’offensive d’atteindre l’objectif initial. Enfin, pendant que les « mopping up platoons » se chargent de nettoyer les positions conquises, les sections de soutien (« support platoons ») doivent venir appuyer – toujours en petits groupes – les « fighting sections » qui auront percé.
Enfin, les Britanniques se penchent aussi sur la consolidation des positions conquises. Non seulement en raison du risque de rapide contre-attaque allemande, mais aussi parce que chaque point conquis par une vague doit servir de base d’attaque à la vague suivante. Mais le processus de consolidation reste l’un des moments les plus délicats de l’offensive car il peut représenter le risque de retarder l’offensive et donc, d’infléchir sa dynamique (3).
– Toutefois, pour l’attaque du 1er juillet, les généraux britanniques ne se départissent pas de l’emploi des fantassins qui est dépassé : l’attaque en ligne. Mais il faut voir aussi que l’emploi du feu de mousqueterie en ligne, couplé à une bonne discipline de feu, a permis au BEF d’infliger de sérieuses pertes aux Allemands à Mons en 1914. Mais leur expérience partielle, les conduit à « perfectionner » leur idée de l’emploi de l’Infanterie en ligne et non pas à le métamorphoser au retard du caractère industriel de la Guerre, comme l’a montré Paddy Griffith (3). Ainsi, plusieurs manuels édités par la IVth Army et au sein de ses unités subordonnées, consacrent l’emploi des vagues (« waves ») ou de lignes de fantassins. Pourtant, tout n’est pas à y jeter. Ainsi, Ivor Maxse, le commandant de la 18th Infantry Division, considéré comme le général le plus imaginatif du BEF voit-il l’emploi de quatre vagues d’assaut en profondeur comme le plus efficace, même s’il développe le triptyque percée – consolidation – soutien. En comparaison – comme nous le verrons plus tard – les Français plus expérimentés pensent également en termes de percée, de consolidation et de soutien mais n’emploient pas la ligne continue mais des groupes de tirailleurs mieux appuyés avec des armes collectives.

3 – L’ACCROISSEMENT DE LA PUISSANCE DE FEU INDIVIDUELLE COLLECTIVE DES « TOMMYS »
– Il ne faut pas croire que les fantassins britanniques sont moins bien équipés que leurs adversaires allemands. A l’instar des Français et des soldats du Kaiser, les Regular et Territorial Divisions, tout comme la NKA ont adopté le nouveau casque « Brodie », qui vient de se généraliser. D’autre part, s’il porte sur lui 30 kilos de paquetage – ce qui le prive de mobilité -, le « Tommy » bénéficie d’un armement fiable, avec le solide fusil à répétition SMLE Lee Enfield .303 (7,62 mm). Plus lourd que le Mauser mais plus facilement employable que Lebel, il peut cracher entre 20 et 30 cartouches à la minute, s’il est manié par un Tommy bien formé au tir. Enfin, les différents types de grenades à main Mills Bomb (N° 5, 23 et 36) voient leur emploi généralisé, là encore grâce à l’industrie de guerre.
– Outre, le Lee Enfield, les Britanniques commencent à intégrer des mitrailleuses légères au sein de chaque compagnie. Relativement légère (environ 13 kg) et facilement transportable, la Lewis Gun est seulement handicapée par son chargeur tambour qui limite son approvisionnement en munitions. Mais au moins, procure-t-elle une puissance de feu accrue aux Battalions à raison de 500-600 coups par minute. Mais la répartition est encore inégale et il faut attendre 1918 pour voir une harmonisation. En revanche, en octobre 1915, les Britanniques forment le Machine Gun Corps qui regroupe des compagnies, puis bataillons de mitrailleuses lourdes Vickers .303. Leur utilisation est progressivement rationalisée pour en augmenter l’efficacité. Et les armes sont aussi regroupées au sein de Machine Gun Battalions, d’abord dépendant des Corps, puis progressivement de certaines divisions. L’instruction est dispensée, suite aux expériences de 1915, à l’école de tir de Hythe, à Belford Park et au camps de Camiers en Picardie.
– Ainsi, comme le disent toujours Boutet et Nivet, les Tommys découvrent aussi la dimension industrielle de la guerre. Les mitrailleuses prennent de l’importance du point de vue quantitatif et le fantassin devient un auxiliaire de la machine et non le contraire comme en 1914 (4).
(1) GRIFFITH Paddy : Battle Tactics of the Western Front. The Brisith Army’s Art of Attack 1916-1918, New Press Haven, London
(2) GRIFFITH P., Op.Cit.
(3) Ibid.
(4) BOUTET M. & NIVET Ph., Op.Cit.