– Le 22 février, les appels à l’aide du Général Herr finissent par porter. Devant le déchaînement de feu allemand, Joffre prend la mesure du danger, même s’il garde d’abord à l’esprit la préparation de sa grande offensive sur la Somme. Si l’on en croit Edmond Buat, le général en chef garde son sang-froid devant la situation : « Rien ne parvenait à ébranler l’imperturbable tranquillité de cet hommes ; si l’on n’avait vu se froncer ses gros sourcils et son regard plonger en dedans et donner l’impression de la réflexion, on aurait pu croire qu’aucune nouvelle, bonne ou mauvaise, n’était capable d’émouvoir cet hommes. Je suis convaincu pour ma part, que la foncière ignorance des grandes choses de l’art militaire qui caractérisait le Général Joffre, fut une force en la circonstance et qu’à sa place, tout homme beaucoup plus fort mais qui n’aurait pas eu, en même temps, un caractère de fer aurait rapidement sombré, au moment des premières affaires de Verdun, par exemple. »

– Mais toujours selon Buat, Joffre ne semble pas vraiment au courant de la situation sur place. Pour lui, Edouard de Castelnau est beaucoup mieux informé, même s’il « avait normalement le droit de tout voir, mais ne pouvait en rien décider puisqu’il n’avait aucune autorité pour signer. » (1) Depuis le début de février, Castelnau reçoit des informations sur le secteur de Verdun, même s’il a dû passer par-dessus le 3e Bureau. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, Castelnau a envoyé auprès de Herr son ancien chef des opérations lors de la Seconde Offensive de Champagne, le Colonel Jacquand. Celui-ci envoie des rapports réguliers à son chef. Le 22 février, Castelnau envoie à Verdun le Colonel Henry Claudel, Second aide-major général.
Claudel arrive sur place le soir. Après s’être entretenu avec Herr et Chrétien, il appelle Castelnau et lui explique qu’il « faut prévoir un repli général sans quoi l’on courre à la catastrophe si les ponts de la Meuse viennent à être coupés ». Mais Castelnau sait que
son supérieur n’acceptera pas l’idée d’une retraite derrière la Meuse. C’est le cas. Le 24 février, Joffre donne les pleins pouvoirs à Castelnau pour coordonner la défense de Verdun. Dans l’organigramme, Castelnau a donc autorité sur les Groupes d’Armées du Centre (Ferdinand de Langle de Cary) et de l’Est (Auguste Dubail). Déjà le 24, il ordonne au XXe Corps d’Armée de Maurice Balfourier (11e, 39e et 153e DI) de quitter ses cantonnements autour de Revigny et de se mettre en route sans tarder pour Verdun. Castelnau connaît bien Balfourier qui était l’un de ses subordonnés pendant les batailles de Morhange et de Nancy. Sous son commandement, le XXe CA a gagné son surnom de « Corps de Fer » pour la ténacité dont il a fait preuve en 1914. Balfourier s’exécute et met immédiatement ses hommes en marche pour couvrir au plus vite les quelques 50 km qui séparent Revigny de Verdun. Mais le manque de moyens motorisés contraint plusieurs régiments du XXe Corps à marcher jusqu’à la Meuse.
– Le 25 février, alors que le fort de Douaumont tombe aux mains des Allemands, Castelnau arrive à Verdun pour rencontrer Herr et Langle de Cary. Il leur transmet les ordres de Joffre : aucun recul, la défense de Verdun ne doit s’effectuer que sur la rive droite de la Meuse et la ville ne doit pas tomber, quitte à dégarnir le front de la Woëvre si nécessaire.
C’est à ce moment que peut se poser une question : le commandement français est-il tombé dans le piège que lui tendait von Falkenhayn ? Dans un sens oui, dans la mesure où la priorité a été donnée à la défense de Verdun qui devient un abcès de fixation pour l’Armée française. Bientôt les renforts y seront envoyés prioritairement. Or, un repli stratégique derrière la rive gauche de la Meuse après l’évacuation de la zone fortifiée était aussi envisageable. Elle aurait permis une économie des forces et rendu une possible traversée de la rivière par le V. Armee d’autant plus difficile. Ainsi, le plan de von Falkenhayn n’aurait été qu’un (rude) coup dans l’eau. Mais cette option stratégique signifie abandonner Verdun, ce qui est alors POLITIQUEMENT ET MORALEMENT INENVISAGEABLE. De plus, les nouvelles de la perte de Fleury et de Douaumont font craindre au Gouvernement et au Commandement que Verdun ne tombe aux mains des Allemands pour la fin février. On peut aussi avancer un autre argument, tactique cette-fois, ayant encouragé – en partie – Castelnau à maintenir la défense sur la rive gauche : le relief. En effet, comme décrit dans l’article consacré aux plans allemands, les Côtes de Meuse dominent Verdun et la rive droite, alors que la rive gauche bénéficie d’une altitude moins élevée. Le contrôle des Côtes de Meuse aurait alors donné aux Allemands un très bon observatoire d’artillerie.
– Pour assurer la défense de Verdun, Edouard de Castelnau recommande vite Philippe Pétain, alors commandant de la IIe Armée. Comme le fait remarquer Edmond Buat, Herr ne tarde pas à devenir le bouc émissaire pour certains membres du GQG. Castelnau connaît bien Pétain car il l’a dirigé dans la Seconde offensive de Champagne.
(1) : BUAT Général Edmond : « Journal. 1914-1923 »