– Reportons-nous une fois de plus sur le Front du Caucase. Durant le printemps et l’été 1916, des violents combats ont opposé l’Armée russe du Caucase à la IIIe Armée turque dans les régions du Lac de Van et de Malazgirt. Malgré un retrait en juillet, les forces du Général Nikolaï Ioudenitch ont réussi à s’ancrer en Anatolie. Durant l’automne et l’hiver 1915, le front anatolien est néanmoins resté calme, du fait que les deux adversaires manquent
d’effectifs et de moyens pour emporter des victoires se voulant décisives.
– Au tout début de 1916, la situation est différente. Certes, la Sublime Porte peut clamer sa victoire sur les Britanniques et Français à Gallipoli mais la situation de l’empire agonisant n’est pas si reluisante. En effet, l’Armée russe représente une
menace sérieuse sur le flanc est. Et très vite, ce sont les Britanniques qui viennent menacer l’Empire par la Mésopotamie. A Istanbul, Enver Pacha et ses généraux (Atatürk, Izmet Pacha…) débattent durement sur la stratégie à adopter. Certains comme Kemal Atatürk prêchent pour l’envoi du maximum de forces en Anatolie quand d’autres estiment qu’il faut conserver une forte réserve « stratégique » que l’on enverrait conjurer les menaces où elles se présentent (Ulrichsen). Or, il faut bien voir que le haut-commandement turc ottoman est vite confronté à un problème d’importance. La victoire de Gallipoli a été particulièrement coûteuse en hommes, en munitions et en matériels. Enver Pacha ne peut donc se payer le luxe de satisfaire toutes les demandes.
Par conséquent, pensant que les Russes ne lanceront pas d’offensive au début de 1916, Istanbul opte pour l’envoi des 1re et 5e « Forces expéditionnaires » en Mésopotamie afin de protéger Bagdad – et donc les cours du Tigre et de l’Euphrate – contre la pénétration anglo-indienne opérée depuis Basorah par le général Townshend. Nous reviendrons plus tard sur cette expédition apparue comme une catastrophe pour l’Armée britannique.
– Or, la constitution des nouvelles « Forces expéditionnaires » privent de renfort la IIIe Armée (IXe, Xe et XIe Corps) qui protègent le front du Caucase (alors jugé secondaire), avec une ligne qui s’étend de la Mer Noire au Lac de Van. Ainsi, en janvier 1915 la IIIe Armée de Mahmut Kamil Pacha compte en tout 126 000 hommes mais seulement 50 539 fantassins, 77 mitrailleuses et 180 canons. Mahmut Kamil Pacha décide d’articuler sa défense autour de Köpruköy qui garde la route d’Erzeroum. Mais en janvier 1916, la IIIe Armée turque est privée de commandement puisque Mahmut Kamil Pacha se trouve à Istanbul. Pis encore, son chef d’état-major allemand, l’Oberst Felix Guse atteint du typhus, est en convalescence en Allemagne.
– Au même moment, les Russes préparent une nouvelle offensive. Or, l’Armée impériale vient de connaître un changement majeur – pour autant peu avantageux – dans son organisation. En effet, Nicolas II a décidé de prendre lui-même le commandement de l’Armée sans qu’il ait les aptitudes nécessaires. Son oncle le Grand-Duc Nicolas, jusque-là commandant en chef, est démis de cette fonction pour être envoyé prendre la tête du Front du Caucase. Malgré sa fébrilité, il est réputé bon tacticien et populaire au sein des soldats. Le Grand-Duc décide de frapper l’empire ottoman en lançant une offensive dans la forteresse d’Erzurum. Laquelle rappelons-le, reste la pièce maîtresse du dispositif défensif ottoman pour le front du Caucase. L’offensive est confiée à Nikolaï Ioudenitch, qui a prouvé ses qualités de commandement à Sarikamis et au Lac de Van. Ioudenitch dispose d’une incontestable supériorité numérique et matérielle : 200 000 hommes de l’Armée du Caucase (Corps du Caucase, Corps du Turkestan et régiments de Cosaques), 380 pièces d’artillerie et l’escadrille aérienne de Sibérie pour la reconnaissance.
– L’attaque a lieu le 10 janvier. Ioudenitch a décidé de frapper en force. Sans chef, la IIIe Armée turque est complètement surprise. C’est le XIe Corps qui reçoit le choc russe. Le 14 janvier, après de violents combats les lignes de défense ottomanes sont rompues. Le XIe Corps est forcé de quitter Köpruköy et le 18, les Russes approchent de Hasankale, localité située entre Köpruköy et Erzurum mais aussi, lieu du nouveau QG de la IIIe Armée. Les Turcs ont déjà perdu 10 000 tués et blessés et 5 000 prisonniers. 40 000 hommes doivent se réfugier à l’intérieur d’Erzeroum.
Le 29 janvier, Mahmut Kamil Pacha revient d’Istanbul. Il pense encore que les Russes n’attaqueront ni Erzeroum ni les lignes du Lac de Van. Le général turc décide quand même de s’abriter derrière le dispositif défensif d’Erzurum. En effet, la cité est ceinturée au nord-est, à l’est et au sud par quatre vieux ouvrages. Mais des ouvrages plus neufs sont installés à l’est sur le Mont Palandoken et au nord-est entre le Mont Deve Boyun et le Mont Olukle. En revanche, l’accès nord par la vallée du cours supérieur de l’Euphrate n’est surveillé que par un ouvrage en bas de la pente ouest de la Colline de Guney, juste à l’est de Tafet. A ce moment, les lignes turques forment un angle droit qui couvre Karagobek et Aghki au nord sur le débouché de la vallée de l’Euphrate ; la vallée située entre la Colline de Guney et le Mont Karagapazar à l’est (jusqu’à Kuçuk Toy) et le Mont Palandoken (voir carte ci-dessus).
– Mais le 11 février, quand les Russes démarrent un bombardement d’artillerie Mahmut Kamil ne se fait plus d’illusion. Il réussit à obtenir des renforts mais ses effectifs restent insuffisants. Les bataillons de 340 turcs doivent faire face à leurs équivalents russes qui comptent 1 000 hommes. Le 12 février, Ioudenitch repasse à l’attaque.Le général russe choisit scinde ses forces d’attaque en deux axes majeurs (centre) et un axe secondaire au nord-ouest. Au nord, le premier groupe de divisions et de brigades doit attaquer Karagobek et Aghki pour déboucher dans la Vallée de l’Euphrate bien moins pourvue en fortifications, vers Bzoroghlu. Les troupes situé au centre (au nord-est d’Erzurum) doivent attaque sur la route Aghki – Kosk – Kuçuk Toy. Ces deux axes doivent ensuite converger dans la vallée située entre la rive gauche de l’Euphrate et le Deve Boyun. Enfin, au nord-ouest, une partie des forces russes doit progresser entre Arapkent et le Mont Dumulu, afin de retenir les forces de la IIIe Armée situées dans ce secteur. (voir carte).
– En trois jours, ses Cosaques et ses fantassins parviennent à s’emparer des hauteurs dominant la plaine d’Erzeroum et des bourgades voisines de la ville.
Au nord, les forces d’Ioudenitch enfoncent les positions turques d’Aghki et de Karagobek et se ruent le long des deux rives de l’Euphrate, sur Bozoghlu, Gire Gosek, Tchipak et Amurji. A l’est, les Russes conquièrent sans grande difficulté les Monts Kargapazar et Olukle, ainsi que Kuçuk Toy. Les deux fortes colonnes font leur jonction entre Soghuk Çermuk et Kosemehmet avant d’approcher Erzurum par le nord-est, l’axe le moins bien défendu.
– La forteresse peut être alors sous la menace des canons russes. Mahmut Kamil décide alors d’évacuer la place. Après avoir rassemblé ses forces il évacue Erzeroum le 15 février. Le lendemain, les Russes y font leur entrée.