– Dans l’article consacré à la généralisation des grenades à main, nous avions vu que l’Infanterie gagnait en puissance de feu en se voyant dotée de nouveaux projectiles explosifs. Mais si des fantassins bien entraînés peuvent lancer des grenades à 35-40 mètres à la force du bras, l’idée d’augmenter la puissance de feu des compagnies d’infanterie fait son chemin. Afin d’accroître une distance de sécurité entre assaillants et défenseurs, les armées de 1915-1916 commencent à intégrer dans leur rangs les grenades à fusil. On peut dire que ce nouveau projectile est le précurseur des RPG et des lance-roquettes.
– L’idée de projeter une grenade à l’aide d’un fusil date d’avant le déclenchement de la Guerre. Elle est concrétisée par un anglais, Frederick Marten Hale mais elle ne suscite pas l’intérêt du War Office. Les Allemands emboîtent le pas aux Britanniques en 1913 avec le premier prototype d’un fusil équipé d’un système percutant à sécurité pyrotechnique : le Karabingranate M1913. Inspiré des fusées d’artillerie, ce nouveau projectile quadrillé en forme d’ogive est doté d’une tige en fonte qui est expulsée dans l’air par une pastille de poudre noire servant à la mise à feu. Le tir s’effectue en courbe. En revanche, le système de propulsion est tellement efficace qu’il arrive que l’ogive s’enfonce profondément dans le sol et n’explose pas.
– Avec l’enterrement des armées dans les tranchées, les officiers britanniques trouvent très vite l’intérêt de l’invention de Hale, alors destinée à être exportée au Brésil. Le système de jet conçu par Hale est assez simple. Un bâton muni d’une grenade est fixé au canon du fusil et il est propulsé à l’aide d’une balle à blanc spéciale. Lorsqu’elle explose, la cartouche provoque une pression qui expulse le bâton à grenade de la bouche du canon. En revanche, le projectile manque de précision et provoque un fort recul du fusil. Les premiers essais s’exerçant le fusil en joue, les accidents sont alors fréquents. Finalement les premiers modèles de grenades à fusil sont améliorés autant dans les ateliers des Royal Engineers que par des ingénieux soldats de première ligne. Les instructions précisent bientôt de tirer la grenade en plantant la grosse dans le sol pour limiter les accidents. En revanche, cela contraint le nouveau grenadier à s’arrêter dans le no man’s land pour faire feu, ce qui diminue sa mobilité. De son côté, les Allemands améliorent bientôt leur propre système pour absorber le choc du recul et accroître la précision.

– Les Français ne sont pas en reste avec l’apparition de la grenade à fusil Vivien-Bessières (ou VB). A l’image de son rival allemand, le système français est assez sophistiqué. Il consiste en un tromblon (1,5 kg) fixé au canon du Fusil Lebel, qui envoie une grenade en fonte (475 grammes, pour 60 grammes d’explosifs). La grenade est dotée d’un détonateur déclenché par l’allumage d’une rondelle d’amorce. Le détonateur déclenche ensuite l’amorce d’allumage de la fusée qui expulse la grenade instantanément. Comme pour les modèles allemand et britannique, le tir du VB s’effectue en courbe, crosse au sol. Ainsi, un soldat doté de cette nouvelle arme peut envoyer son projectile de 85 m (angle de tir de 80°) à 190 m (angle de 45°). Par conséquent, une compagnie d’Infanterie accroît sa puissance destructrice grâce à cette « petite artillerie ».
La diffusion de la VB est concomitante du changement de doctrine d’emploi de l’Infanterie d’assaut. En 1916, les Généraux français recommandent l’abandon des grandes vagues d’Infanterie au profit de groupes de soldats plus restreints, mais bénéficiant d’une plus grande puissance de feu pour réduire les positions allemandes. Ainsi, chaque compagnie d’assaut se voit dotée de 8 projectiles VB.
Sources :
– BULL Dr. Stephen & HOOK Adam : World War I Trench Warfare (1), Osprey Publishing, London
– BUAT Edmont : Journal 1914-1923, présenté par Georges-Henri Soutou et Frédéric Guelton, Perrin, Ministère de la Défense.