– Pendant près d’un an, après la lourde défaite infligée à Vienne sur la Kolubara, le front austro-serbe est resté calme. A Paris, le GQG presse les officiers serbes en liaison à Paris d’inciter le Régent Alexandre Karagjeorgjevic à lancer des offensives sur la Save. Au moins, pense-t-ton, cela incitera les puissances centrales à mobiliser des forces dans les Balkans. Mais au comme le rapporte le Général Edmond Buat dans son Journal, au grand désarroi de la Direction des Théâtres d’opérations extérieures, les Serbes n’attaquent pas. Ils préfèrent garder leurs maigres forces en place car craignent – à raison – que les Empires centraux tentent une nouvelle invasion.
– Plus grave encore, en dépit des démarches de diplomates Britanniques et Français, la Bulgarie du Roi Ferdinand Ier s’est rangée du côté des Empires centraux. Cet autre royaume n’a toujours pas digéré le retournement de Belgrade en 1912 à la fin des Guerres balkaniques et veut lorgne sur plusieurs pans du territoire serbe. Vienne, Berlin et Sofia mettent alors au point un plan d’invasion de la Serbie destiné à anéantir définitivement la résistance du petit royaume. Belgrade espère une intervention de la Grèce avec laquelle elle est liée par un traité d’alliance (1912) mais le Gouvernement d’Athènes ne bouge pas, tiraillé entre les pro-Entente et les partisans des puissances centrales. Avec le ralliement des Bulgares, Berlin et Vienne disposent de 300 000 hommes contre 200 000 Serbes. Pire encore, ceux-ci ont connu une première épidémie de typhus dans leurs rangs et manquent cruellement de munitions comme d’armes lourdes.
– L’offensive contre Belgrade est confiée au vieux mais compétent General August von Mackensen, déjà vainqueur des Russes à Lemberg et Przemysl. Son plan est d’exercée de fortes poussée par le nord et par l’Est. L’attaque par la Save, le Danube et la Morava est confiée à la III. Armee austro-hongroise de von Köwes et à la XI. Armee allemande de von Gallwitz. Les 1re Armée et 2nde armées bulgares, commandées respectivement par les Généraux Todorov et Bojadiev doivent s’emparer de la ville de Nis (ou Nich) – l’ancienne cité natale de l’Empereur Constantin – et couper la retraite de l’Armée serbe vers la Macédoine et le Vardar.
A Paris, la situation inquiète. A l’instar des Généraux Louis Franchet d’Espèrey et Charles de Lardemelle, certains ont proposé l’envoi d’un corps expéditionnaire pour aider les Serbes mais ce projet n’a pas été retenu, en raison de l’Expédition des Dardanelles. Pour l’heure, le GQG allié propose aux serbes de retirer leur Armée vers le sud, vers la frontière grecque, afin de raccourcir leur front et d’établir la liaison avec les divisions dirigées par Sarrail. Mais par fierté, le Régent Alexandre et Voïvode refusent d’abandonner un seul de leur territoire. Le 6 octobre 1915, le jugement tombe. Les deux armées austro-allemandes passent à l’attaquent et enfoncent le front serbe sur la Save et le Danube. Le 9, la XI. Armee allemande atteint Belgrade courageusement défendue par le Général Grokovic. Une journée plus tard, la capitale serbe tombe. Le Voïvode Radomir Putnik décide de retirer l’Armée au plus vite vers le Sud. Mais il n’en aura pas le temps car le 11, les Bulgares passent à l’attaque à leur tour. Pirot et Nis ne tardent pas à tomber, suivies de Pristina. En novembre, les Bulgares coupent la route du Vardar à Veles et Stroumiza.
Après la triple offensive victorieuse de l’Autriche-Hongrie, de l’Allemagne et de la Bulgarie contre la Serbie, l’Armée royale et une partie de la population décide de fuir vers l’Adriatique en novembre-décembre 1915. Elle emportera des femmes, des enfants, des vieillards mais aussi du bétail et des chevaux. S’ensuit alors un tragique exode marqué, selon les estimations, par la mort de 250 000 soldats et civils. Morts à mettre sur le compte du froid, de la faim, du typhus et des attaques de partisans albanais soutenus en sous-main par Vienne. Le vieux Roi Pierre Ier Karagjeorgjevic, très âgé, partage le sort et les souffrances de ses sujets. Dans ce cortège de spectres faméliques, des moines du Monastère de Studenica chantent des psaumes et des cantiques, pendant que des soldats portent les reliques du Roi Etienne (Stefan Dusan). Finalement, en décembre, les rescapés serbes atteignent les rivages de l’Albanie occupés par les Italiens, qui ne sont guère enthousiastes à devoir les accueillir. Bien qu’ayant échappé aux armées des puissances centrales, les survivants ne sont pas au bout de leur peine. Leurs conditions de vie sont déplorables et la nourriture manque dramatiquement. On comptera encore des morts, même après l’évacuation.
– A l’issue de la conférence stratégique interalliée de Chantilly, décision est prise d’évacuer l’Armée serbe sur l’Île de Corfou. C’est le Général Jean Piarron de Montdésir, présent à Scutari, qui réussit à obtenir l’évacuation de 240 000 serbes, avec femmes et enfants vers Corfou depuis les côtes d’Albanie (Saint-Jean-de-Medua, Durazzo, Elbasan et Valona). Malgré l’absence d’infrastructures portuaires, l’opération d’évacuation démarre le 8 janvier
L’opération doit être conduite principalement sous la direction la Marine française (Vice-Amiral Chocheprat et Contre-Amiral de Gueydon) avec une majorité de navires italiens et des Britanniques. Le 18 décembre, l’Amiral Lacaze transmet les ordres à l’attaché naval français à Rome. Les Italiens mobilisent 200 navires, les Français 100 et les Britanniques 90. L’état-major naval a fait envoyer des navires civils de commerce en Adriatique, tout comme les flottilles déjà basées à Brindisi et Durazzo. En parallèle, les Français décident d’occuper Corfou en y débarquent des unités d’Infanterie et des Chasseurs Alpins. Ce qui est effectué sans grande difficulté par Chocheprat le 11 janvier.
– Résultat, 240 000 personnes, 500 canons, 16 000 chevaux et 6 000 bœufs quittent les rivages de l’Adriatique. Les transports se font par vagues, d’abord de 2 000 – 3 000 personnes, puis 7 000 et 10 000 à 12 000 par jour. Les Français évacuent des Serbes en Tunisie (Bizerte), Marseille et la Corse. D’autres sont envoyés en Italie. Mais la majorité des soldats serbes, dont l’état-major et le Gouvernement en exil sont installés dans l’île de Corfou. La marine austro-hongroise tente même une sortie pour attaquer les transports. Mais les navires franco-anglo-italiens la repoussent, coulant même les « Tiglaw » et « Leka ». Par la suite, le Contre-Amiral de Gueydon s’emploie à établir un nouveau camp digne de ce nom pour remettre sur pied les soldats serbes.
– En dépit de l’exil tragique et de la saignée de ses effectifs, l’Armée serbe n’a pas été complètement anéantie. L’objectif pour les Alliés est maintenant de la réorganiser pour l’envoyer au plus vite dans le nord de la Grèce.