L’emploi de l’Infanterie britannique 1914-1916 (première partie)

– Dans l’imaginaire et la mémoire collectifs, l’image de l’Infanterie britannique de 1914-1918 reste attachée au Tommy, soldat flegmatique, coiffé de son casque plat Brodie et officier impeccablement sanglé dans son battledress kaki. Cependant, comme je le signalais sur un autre blog dans un article brossant partiellement l’histoire du Tommy de 1914, l’Infanterie britannique reste sans doute (trop) méconnue. Cet article a pour but d’approfondir son histoire en se penchant sur son emploi au combat.

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I – La tactique des « Old Contemptibles »

– Comme l’explique l’historien Paddy Griffith, au début du XXe siècle, l’Armée britannique fonde l’emploi de son infanterie sur une tradition qui relève presque du mythe : celle du fantassin autonome sur le champ de bataille, pièce maîtresse du succès. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent dans l’histoire de l’Angleterre : les archers d’Azincourt ; les soldats du « Duc de Fer » face aux troupes napoléoniennes à Albuera et Waterloo ; la compagnie de tuniques rouges du 11th Bn. Borders à Rorke’s Drift face aux Zoulous et la résistance impétueuse des hommes de Sir Baden-Powell face aux Boers à Mafeking. Ainsi, dans l’Armée de Sa Majesté, la notion d’autonomie était étroitement associée à l’Infanterie qui restait l’arme la plus nombreuse en termes d’effectifs.
Mais le mythe prend un coup dans l’aile au début du XXe siècle quand les Généraux de Victoria constatent que la puissance de feu a augmenté avec l’emploi généralisé des mitrailleuses et de l’artillerie.
Il ne faut donc pas croire que les instances militaires britanniques n’ont pas remis en question l’idée du fantassin indépendant avec l’arrivée de l’Artillerie et des Transmissions. Les tacticiens britanniques ont donc dû intégrer l’emploi des autres armes dans leurs plans, les amenant à modifier leurs techniques de combats afin de permettre à l’infanterie de combattre avec succès (1).

– L’expérience de la Guerre des Boers, bientôt étayée par les rapports sur la Guerre Russo-Japonaise en Mandchourie, provoque un électrochoc chez les officiers britanniques qui se penchent sur le problème des tactiques d’Infanterie et de l’accroissement du volume de feu. Si beaucoup pensaient qu’il était encore possible de réussir un assaut avec le seul soutien des fusils individuels, il y en eut néanmoins pour bien constater que les techniques de guerre avaient changé. Ainsi, des études sur l’évolution de la puissance de feu ont bien été couchées au sein de la Staff College, du Royal United Services Institution et la School of Musketry de Hythe. (2)

– Les travaux les plus influents sur la tactique d’Infanterie ont été compulsés dans l’un des seuls ouvrages sérieux sur le sujet intitulé « The Defence of Duffer’s Drift ». Publié en 1903 sous la forme d’un article de magazine sous le titre « Backsight Forethought », il compta dans ses plumes Ernest Swinton, le futur père des Tanks, alors Captain dans les Royal Engineers (Génie) ayant servi en Afrique du Sud.
Le livre est présenté au public d’une façon attractive comme une succession de « rêves » mais il développe étape par étape, les problèmes inhérents à la tactique mineure d’infanterie. Par exemple, le passage d’une rivière doit être défendu face à une attaque d’un ennemi supérieur en nombre. Il est clair que masser un maximum de défenseurs sur le point le plus faible mènera à l’échec. L’ouvrage préconise de créer des champs de tir depuis des positions consolidées sur les deux flancs. Swinton reprend là des aspects propres à la géométrie des forteresses de Monsieur de Vauban (il deviendra plus tard instructeur en fortifications à Woolwich). Il n’en reste pas moins que l’idée des tirs croisés concentrés deviendra bientôt le credo du Machine Gun Corps.
Même si, « Backsight Foresought » concernait davantage la défense que l’attaque, sa méthode analytique fit une forte impression sur les tacticiens qui serviront durant la Grande Guerre. Mais certains l’interpréteront pour justifier le postulat voulant qu’un parti de fantassins – sans appui d’artillerie – pouvait venir à bout d’une force ennemie supérieure (3).

– Dans sa doctrine officielle d’attaque, l’armée d’avant-guerre croyait à une approche prudente, fondée autant sur la maîtrise du terrain (Fieldcraft) comme sur « le feu et le mouvement ». Une partie des troupes devait effectuer un tir de suppression sur les troupes ennemies à l’aide de mitrailleuses, pendant que les Fusiliers devaient avancer en une succession de brèves courses et en formation étendue. Au fur et à mesure de l’avance, une ligne de feu devait être établie à 185 m environ (200 yards) de la ligne ennemie, avec l’aide préalable de l’artillerie. Puis, une fois le combat au tir remporté, les fantassins doivent achever le travail à la baïonnette. Dans un sens, cette « école de pensée » ayant cours chez les officiers supérieurs britanniques ne se départit pas de la manœuvre d’infanterie comme on l’envisageait au XIXe siècle. Elle tend à l’améliorer mais non à la métamorphoser au regard des changements du moment. Mais les opinions entre officiers variaient sur l’intervalle qui devait être laissée entre chaque soldat, ou bien sur la part laissée au feu et celle consacrée à la baïonnette. Enfin, certains officiers étaient partisans d’une attaque en ligne compacte, tandis que d’autres penchaient pour une série d’assauts en profondeur. Ivor Maxse, par exemple, estime qu’un assaut ne peut être emportée que par l’envoi de nombreuses « vagues », lancées l’une derrière l’autre. Maxse se reconnaissait sans doute pleinement dans la maxime « une ligne seule échoue ; deux lignes peuvent échouer ; trois lignes peuvent échouer parfois mais quatre lignes réussissent. » (4)
Cette idée n’était pas basée sur une théorie physique du « poids et de l’impulsion » mais sur une compréhension plus réaliste estimant que l’on pouvait s’attendre à ce que chaque homme fasse le plus possible jusqu’à ce qu’il ait besoin de repos. Les « Tactical Notes » de la IVth Army rédigée en mai 1916 – soit quelques semaines avant le début de la Bataille de la Somme – sont très révélatrices de cet état d’esprit : « Dans la bataille, l’endurance humaine rencontre sa limite et une fois cette limite atteinte, la réaction est sévère ».
Bien sûr, les idées mises en avant par Maxse vont à l’encontre de se préconise le « Duffer’s Drift ». Mais cette théorie trouve sa justification dans les assauts frontaux successifs réussis durant la Guerre de Sécession, à Plevna en 1877 (Guerre russo-turque) et même pendant la Guerre russo-japonaise.

– Cependant, d’autres officiers trouvent à s’opposer à cette idée de l’offensive. Plus proches du « Duffer’s Drift », ils estiment que la puissance de feu est devenue beaucoup trop puissante pour qu’une colonne d’infanterie aussi impressionnante soit-elle puisse conquérir et tenir le terrain. Très iconoclastes, ils préconisent plutôt une avancée plus lente en tirailleurs – sur plusieurs jours si nécessaire – voire de creuser des sapes et des galeries et occuper le terrain avec des ouvrages fortifiés. Cette solution est perçue comme désastreuse pour quiconque souhaite une victoire rapide (5).
En raison de l’ambigüité du Manuel officiel de 1904, le corps des officiers britannique ne savait même pas quelle tactique exacte adopter. Mais l’on peut dire aussi que nombre d’officiers estimaient que le manuel leur laissait la liberté pour utiliser « le feu et le mouvement » dans les meilleurs formes économiques.
Mais une mauvaise compréhension des leçons de la Guerre des Boers – avec le « fieldcraft » et le « fire and movement » – conduit à rejeter la tactique linéaire. Le Manuel de 1904 recommandait une distance minimale d’un pas (pace) – soit 75 cm – entre chaque homme. On recommandait aussi d’employer des sections ou colonnes en « formation d’artillerie » pour les longues approches afin de réduire l’effet des bombardements à longue portée. Au lieu de cela, les officiers y vont préférer ce qui ressemblait à l’une des pratiques napoléoniennes modernisées. A savoir là où la colonne était généralement utilisée pour les manœuvres hors de contact avec l’ennemi, la ligne était employée pour les actions rapprochées (6).

– Cette conception de l’attaque a donc une incidence sur le combat rapprochée. Non pas que les officiers tacticiens oublient sciemment l’emploi des grenades à main mais ils valorisent le tir en champ ouvert. Les « Old Contemptibles » vont donc privilégier le tir concentré au fusil, avec les mitrailleuses en appui. Mais l’idée confier le tir de suppression aux mitrailleuses (Vickers et Lewis) contre des positions fortifiées va donner des résultats inutiles à Gallipoli (7). Paradoxalement, lorsque le BEF va s’enterrer dans les tranchées du Nord, des Flandres et de Picardie, va se développer un véritable « culte de la bombe ».
[Suite]

(1) GRIFFITH Paddy : « Battle Tactics of the Western front. The British Army’s Art of Attack », Yale University Press, New Haven & London
(2) GRIFFITH Paddy : Op.Cit.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) HART Peter : « Gallipoli », Profile Book, Grande-Bretagne

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