– Situé dans les Vosges moyennes, plus précisément entre les localités de Hohrod (au sud) et d’Orbey (juste au nord de Munster), le champ de bataille du Linge (nom original : « Gazon de Leinge ») a la particularité d’être l’un des mieux conservés parmi ceux que compte le territoire français. En effet, même après entretien et restauration(s), le visiteur peut parcourir les abris bétonnés et autres installations défensives édifiées par les troupes allemandes.

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– En revanche, les combats du Linge sont moins connus que les grandes batailles de 1915-1916, où même que ceux du « Vieil Armand » plus au sud. Sans doute en raison de leur caractère moins spectaculaire du point de vue des effectifs. Il n’empêche que le Corps des Chasseurs à Pied y à payer le prix du sang pour des résultats quasi-négligeables. Les combats du Linge ont peu fait l’objet d’études en Histoire militaire. Nous reprendrons ici les lignes de « La Grande Guerre du XXe siècle ».
– Avec le Rain des Chênes, le Hohrothberg et le Frauenkopf, le massif boisé du Linge forme un verrou entre la Vallée de la Weiss au nord et la Vallée de la Fecht au sud, celles-ci permettant de déboucher vers Stosswihr et Turckheim.
Penchons-nous sur le terrain des combats. Le massif du Linge forme une barrière nord-sud de 3 km de long, dont le Lingekopf en est le sommet. La Crête du Linge est découpée par le « Collet du Linge » et le sommet du Schratzmaennele. Le versant sud se prolonge ensuite sur le Barrenfopf, lui-même flanqué du Kleinkopf. L’Armée française va tenter d’attaquer par le versant ouest, qui se trouve malheureusement plus difficile d’accès car pour l’aborder, il faut traverser une vallée marécageuse marquée aussi par de nombreux affaissements dus à l’action de l’eau. Plus au sud, une pente plus douce sépare le Schratzmannele et le Barrenkopf mais cet espace dénudé est bien surveillé par les Allemands qui se sont solidement établis plus haut.

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– A la fin de 1914, après plusieurs incursions en Haute-Alsace, les éléments de l’Armée d’Alsace du Général Pau ont été contraints de se replier sur une ligne des Vosges. Aucune action d’envergure ne put être tentée en Alsace pour l’hiver 1914-1915, puisque Joffre dut dégarnir les effectifs de la Ire Armée du Général Dubail qui tenait la moitié nord des Vosges afin d’envoyer des renforts sur la Marne. Mais au tout début 1915, le GQG envisage de reprendre l’offensive en Alsace afin d’opérer un « débordement par le haut » pour déboucher dans la Plaine d’Alsace. Cette mission revient à la VIIe Armée du Général Ernest de Maud’huy, qui peut disposer de plusieurs divisions d’Infanterie, de Bataillons de Chasseurs à Pied (BCP) et Alpins (BCA) issus de l’Active et de la Réserve ; formés de soldats recrutés en Lorraine, Savoie et Dauphiné. Les unités d’infanterie peuvent compter sur le soutien de régiments d’Artillerie et du Génie, ainsi que d’unités sanitaires. Joffre donne son accord pour percer sur le Hartmannwillerskopf. Pour le moment, les Français tiennent le Hurlin (Hornlesskopf), le Gomberkopf et le Glasborn. Pour les deux camps, le terrain boisé et difficile n’est pas propice au déploiement massif de grandes formations d’infanterie. Les Français privilégient donc l’emploi des BCA et BCP (1 100 – 1 200 hommes), plus mobiles que les Régiments d’Infanterie (2 400 hommes en moyenne).
– Mais la nature du terrain particulièrement difficile rend difficile toute offensive. En effet, les infrastructures routières adéquates manquent. Le ravitaillement n’arrive d’abord que par des chemins muletiers forestiers. Mais le Génie et la logistique français vont faire des prouesses. Avec l’apport de bûcherons, de travailleurs et de soldats de la territoriale, la VIIe Armée creuse une route de 12 km, édifier des baraquements (en puisant dans les innombrables sapins qui recouvrent les Vosges), abris pour les bêtes de somme, des hôpitaux avancés et des relais d’ambulance. Enfin, des boyaux sont aussi creusés pour acheminer renforts et ravitaillement sur la première ligne. 100 tonnes pourront être transportées par jour à dos de mules et par charriots. Enfin, tout un réseau téléphonique est installé pour relier les positions avancées aux PC d’artillerie afin de faciliter le réglage des tirs.
– De leur côté, les forces allemandes sont placées en position défensives. Comme sur le Hartmannswillerkopf, leur Pioniere et unités de logistique aménagent des abris bétonnés et maçonnés. Les forces allemandes qui tiennent cette partie du Front des Vosges appartiennent à l’Armees-Abteilung « Gaede » (Détachement d’Armée « Gaede ») commandé par le General der Infanterie Hans Gaede. Les effectifs combattants de Gaede peuvent paraître modestes, avec 4 Brigades en tout (2 d’active et 2 de la Landwehr) mais ils sont solidement ancrés dans leur dispositif défensif, avec mitrailleuses et appui d’artillerie. Si les pertes viennent à s’accroître, des réserves peuvent arriver depuis les garnisons d’Alsace. L’Armees-Abteilung « Gaede » dispose aussi d’unités de soldats à ski afin d’effectuer des patrouilles sur la ligne de front durant l’hiver. Le commandement allemand, s’attend évidemment à des attaques françaises pour déboucher vers la Plaine d’Alsace, notamment Colmar. En raison des conditions météorologiques difficiles de la région, les attaques françaises ne pourront avoir lieu avant la fonte des neiges et le retour d’un temps plus clément.
1 – Premières attaques françaises
– En janvier 1915, le commandement français ordonne à la VIIe Armée d’engager des actions limitées dans la Vallée de la Fecht, en direction de Munster et sur le Linge. La 47e Division d’Infanterie du Général Blazer engage une première action en février mais sans grand résultat. Mais le 19 février, Hans Gaede passe à l’offensive sur l’ensemble du front des Vosges. Le temps est particulièrement froid et le brouillard fait souvent son apparition. La VIIe Armée doit alors contre-attaquer pour maintenir ses positions. Finalement, les Allemands n’effectuent aucune percée. Toutefois, cette contre-offensive conduit Joffre à envisager une attaque en force afin de percer vers Munster. Dans le secteur du Linge, la 47e DI (commandée dès la fin mars par le Gaston d’Armau de Pouydraguin), se voit renforcée par des éléments de la 66e DI (Marcel Serret) et par la 129e DI (Charles Nollet), unité composée en grande partie de jeunes engagés âgés de vingt ans en moyenne. Mais les Allemands ne restent pas non plus inactifs. Depuis son PC du Lac Noir, d’Armau de Pouydraguin reçoit nombre de rapport sur le renforcement considérable du dispositif défensif allemand, preuve que Hans Gaede et ses subordonnés prennent très au sérieux les projets français.
– Le plan français finit par éclore à la fin de printemps. Chargée d’attaquer en premier, la 129e DI de Nollet (297e RI), renforcée par 5 BCP (106e, 114e, 115e, 120e et 121e) doit attaquer sur le Linge, le Schratmännele et le Barrenkopf, après que l’artillerie de la VIIe Armée eut noyé les positions allemandes sous un torrent de feu (avec des pièces de 75, 105 et 155 mm). Mais c’est ignorer la solidité du dispositif défensif ennemi. Pourtant, le 15 juin, une patrouille du 70e BCP s’introduit dans les lignes allemandes pour constater le perfectionnement des installations. Néanmoins, pressé par le GQG, Ernest de Maud’huy maintient l’attaque pour le 20 juillet.
– Le 20 juillet, l’artillerie française sature les lignes allemandes d’un déluge de feu. 10h00 pour 3 km seulement ! Mais c’est peine perdue car si les lignes allemandes sont ébranlées par endroit, les positions du Schratzmännele restent particulièrement solides. Les Chasseurs à Pied de la 129e DI attaquent vaillamment dans les sous-bois. Dans son récit de souvenirs intitulé « Le drame du Linge », le Chasseur Armand Durlewanger rapporte que les soldats qui chargent sont épuisés après une ascension en course de pentes raides. Mais ils sont accueillis par un le feu meurtrier des Maxim et les cadavres s’empilent sur le sol ou les fils de fer barbelé. Après de violents combats au fusil et à la grenade, ils parviennent à approcher les sommets du Linge et du Barrenkopf. Mais les mitrailleuses Maxim causent des trous dans les rangs français et le Jäger-Regiment 14 passe à la contre-attaque, repoussant les attaques de la journée. Les Français conservent néanmoins une partie du terrain durement gagnée.
– Le 22, les Français repartent à l’attaque après un tir d’artillerie mieux réglé que celui du 20. La petite route qui permet aux Allemands d’acheminer armes et renforts est ravagée par les tirs français et les pertes sont lourdes parmi les réserves allemandes. Les jeunes fantassins du 297e RI montent rageusement à l’assaut. Ils parviennent à reprendre le sommet des crêtes. Sauf que s’employant à nettoyer les pentes supérieures du Linge et du Barrenkopf, ils ne consolident pas la crête. DU coup, les Allemands relancent une furieuse contre-attaque qui rejette les soldats de la 129e DI du sommet. Après ce demi-succès, de Maud’huy ordonne une pause avant la reprise de l’offensive..
– Le 26 juillet, les Allemands lancent trois contre-attaques afin de repousser les Français sur leurs bases mais les trois échouent. A ce moment de l’été, il fait particulièrement mauvais sur le massif vosgien. Français et Allemands combattent alors dans la pluie et le brouillard.
– Le 27 juillet, après un bombardement, la 129e DI et les Chasseurs repartent à l’attaque contre le Schratzmännele et le Barrenkopf sans déboucher. Le 29, un nouvel assaut a lieu contre le Schratzmännele mais là encore, les Français buttent sur le solide réseau défensif allemand. Aucun succès notable n’est enregistré.
Le 31 juillet, les Allemands répliquent par un déluge de feu d’artillerie et de Minnenwerfern. Selon les rapports et témoignages de l’époque, les bouches à feu du Kaiser labourent 3 km de front avec 40 000 obus tirés avec des canons de campagne et des pièces lourdes. Les sapins et feuillis sont déchiquetés et le Linge ressemble à un paysage lunaire. Le lendemain 1er août, Hans Gaede fait donner la contre-attaque pour dégager le sommet du Schratzmännele. Mais les Français résistent et 1 BCP parvient à s’emparer de 4 Blockhäuse. Attaques et contre-attaques se succèdent jusqu’au 5 août, ponctuées par un seconf violent bombardement.
– Le 6 août, épuisée par une semaine de combat, avec des effectifs ayant dramatiquement fondu, la 129e DI est relevée par la 47e DI. Elle est composée d’unités alpines (6e, 11e, 12e, 14e, 23e, 24e, 30e, 46e, 47e, 51e, 52e, 54e, 62e, 63e, 67e, 70e et 115e BCA).
Après trois semaines de pause, les Allemands repartent à l’assaut le 31 août, précédés par un bombardement au gaz. L’assaut a lieu à partir de 17h00 en plusieurs vagues d’assaut. Mais les BCP et BCA les repoussent et ne cèdent pas de terrain. Les combats acharnés durent jusqu’au 9 septembre, les Allemands employant même des lance-flammes pour dégager les abris français. Ceux-ci repoussent encore l’adversaire mais aucune de leurs contre-attaques ne permet de percer au sommet.
– Pendant un mois, le front se fige et les deux adversaires ne se livrant qu’à l’envoi de patrouilles et de coups de mains. Mais le 12 octobre, les Allemands bombardent les positions françaises avant d’attaquer une fois de plus avec l’appui des gaz et des lance-flammes. C’est ensuite le même scénario pour les Français. Ils tiennent bon mais chacune de leur contre-attaque butte sur le système défensif allemand. Et ce, jusqu’au 16 octobre.
Passé cette date, le front vosgien se fige définitivement pour trois ans. Dès lors, les deux camps s’observent, engageront des actions ponctuelles et se répondront pars des duels d’artillerie.
– Plus de 8 800 soldats français (en très grandes partie des Chasseurs à Pied et Alpins) sont tombés pour environ 7 000 Allemands.
Source :
– Au fil des mots de l’Histoire (Site Web)
Remerciements à Patrice pour son aide